Henri Maspero (1883-1945)

Couverture. Henri Maspero (1883-1945) : Mythologie de la Chine moderne. - Mythologie asiatique illustrée, Librairie de France, Paris, 1928.

MYTHOLOGIE DE LA CHINE MODERNE

Mythologie asiatique illustrée, Librairie de France, Paris, 1928, pages 227-362.

  • "On dit souvent que les Chinois ont trois religions, confucianisme, bouddhisme et taoïsme ; et par là on n’entend pas que les uns sont taoïstes, d’autres bouddhistes, d’autres enfin confucianistes, mais que chaque Chinois individuellement est un fidèle des trois religions à la fois. C’est là une de ces idées fausses comme il en court tant sur la Chine."
  • "La réalité est tout autre. Les Chinois ne sont pas plus que nous capables de croire à trois systèmes religieux distincts à la fois, à croire par exemple en même temps, comme bouddhistes, qu’il n’y a pas de Dieu suprême gouvernant le monde, les dieux étant des êtres médiocres, d’un pouvoir limité, soumis à la naissance et à la mort, inférieurs aux Bouddhas parvenus à l’illumination parfaite ; comme taoïstes, que le monde est gouverné par une triade de dieux suprêmes, personnels, tout-puissants et éternels, les Trois Purs, et enfin, comme confucianistes, que la puissance suprême qui gouverne le monde est le Ciel impersonnel, bien que doué de connaissance."
  • "Les trois religions, en tant que systèmes définis, n’ont plus depuis plusieurs siècles qu’un intérêt historique. Le peuple ne pratique ni les trois ensemble, ni chacun des trois séparément. Il s’est formé peu à peu, au cours des âges, une religion populaire qui leur a emprunté des traits divers à tous trois, mais qui en est nettement distincte et doit être considérée comme un système à part."

Extraits :

Les dieux des circonscriptions administratives : Les dieux des Murs et des Fossés. Les dieux du Lieu.
Les dieux familiers : Le dieu du Foyer. Le dieu de la Richesse.
Les deux protectrices taoïque et bouddhique des femmes : La Princesse des Nuages Bigarrés. Kouan-yin.
Les Huit Immortels

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Lire aussi

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Les dieux des circonscriptions administratives

Les dieux des circonscriptions administratives. — Henri Maspero (1883-1945) : Mythologie de la Chine moderne. — Mythologie asiatique illustrée, Librairie de France, Paris, 1928, pages 227-362.
Le dieu des Murs et des Fossés et le dieu du Lieu.

Toute circonscription administrative a son dieu protecteur, qui est chargé de s’occuper des habitants. Des dieux, qui portent aujourd’hui divers noms, sont les héritiers des anciens dieux du Sol de la religion antique, dont la hiérarchie, pareille à celle des princes, descendait depuis le dieu du Sol royal jusqu’aux dieux du Sol des villages, en passant par ceux des principautés, ceux des districts, etc. La religion officielle rend encore un culte à ceux-ci sous leur vieux nom de chö, à des dates déterminées. Dans la religion populaire, les dieux du Sol sont appelés tch'eng-houang chen, littéralement « dieux des Murs et des Fossés », dans les circonscriptions administratives de tous les degrés, ou à un rang inférieur, ceux dont la juridiction, grande ou petite, ne s’étend pas à une circonscription administrative, sont appelés simplement t'ou-ti chen, littéralement « dieux du Lieu ».

1. Les dieux des Murs et des Fossés (tch'eng-houang)

Le Dieu des Murs et des Fossés est le dieu qui joue le rôle le plus important dans la vie religieuse des villes et des bourgs chinois, dont il est le protecteur attitré. Il n’est pas le fondateur ; à celui-ci, on rend souvent un culte spécial sous des noms qui varient suivant les lieux (un des plus répandus est simplement l’Ancêtre du Village, chö-tsou. Il est le dieu que l’Auguste de Jade a chargé du gouvernement d’une circonscription ; il est le substitut moderne de l’ancien dieu du Sol, chö, qu’il a remplacé et qui a disparu presque entièrement du culte populaire pour ne plus avoir de place que dans la religion officielle. Celui-ci était, à l’origine, le plus important des dieux féodaux, la personnification, non de la terre productrice de récoltes, mais du fief lui-même, en tant que territoire délimité ayant une existence propre sous la suzeraineté du Fils du Ciel ; et, comme tel, il protégeait le peuple du territoire et la famille seigneuriale. Il y avait ainsi toute une hiérarchie divine de dieux du Sol appelés chö, en face de la hiérarchie humaine des princes. Quand le monde féodal disparut au cours du IIIe siècle avant notre ère, la hiérarchie des princes étant remplacée par une hiérarchie de fonctionnaires, ces dieux du Sol princiers devinrent des dieux du Sol provinciaux, auxquels les gouverneurs, préfets, sous-préfets rendirent régulièrement le culte. Mais la vie se retirait peu à peu de ce culte tout administratif : les chö ont bien subsisté dans le catalogue des sacrifices officiels, et, du haut en bas, de l’Empereur (ou actuellement du Président de la République) aux notables du village, il leur est fait des offrandes régulières à époque fixe ; mais c’est un culte périmé qui ne se maintient que par habitude et n’intéresse plus guère que les lettrés férus de ritualisme archaïque. Dans la religion vivante, les tch'eng-houang, nouveaux venus d’origine incertaine, les ont entièrement remplacés à tous les points de vue : ce sont eux maintenant qui protègent la ville et la circonscription où ils ont un temple ; c’est à eux qu’on demande de donner paix, bonheur, richesse, bonne récolte, etc., à toute la population. Comme le disait au début du siècle dernier le vice-roi des Deux-Hou (Hou-pei et Hou-nan) Wou Yong-kouang,

« le Dieu des Murs et des Fossés préside réellement à l’administration d’une région ; il donne du bonheur aux bons et du malheur aux méchants. »

Le Dieu des Murs et des Fossés n’est pas l’ancien dieu sous un nom nouveau : bien qu’actuellement il s’en rapproche beaucoup, il est en réalité tout autre chose, et l’influence des idées bouddhistes et taoïstes s’est exercée avec beaucoup de force sur sa formation. Comme tous les dieux du panthéon actuel, les tch'eng-houang sont considérés comme des fonctionnaires de la Cour Céleste, des hommes qui ont par leurs mérites obtenu de recevoir cette charge après leur mort pour le temps d’une existence ; mais c’est là l’interprétation générale récente de ce culte dans le système religieux actuel.

Le dieu des Murs et des Fossés de Pékin. — Henri Maspero (1883-1945) : Mythologie de la Chine moderne. — Mythologie asiatique illustrée, Librairie de France, Paris, 1928, pages 227-362.
Le dieu des Murs et des Fossés de la capitale (image populaire).

Chaque circonscription a son Dieu des Murs et des Fossés, dont le titre varie — les vieux titres autrefois décernés ont été conservés dans l’usage courant malgré les décrets et les ordonnances contraires. Ce sont souvent des personnages historiques anciens ou modernes qui remplissent ces fonctions ; mais, à côté d’eux, il y a nombre de héros locaux, réels ou imaginaires. Celui de Pékin est Yang-cheng, un fonctionnaire des Ming, exécuté en 1556, à l’âge de quarante ans ; celui de Nankin est Yu K'ien, président du ministère de la Guerre sous T'ai-tsou des Ming, qui repoussa les Mongols après l’enlèvement de l’empereur Ying-tsong (1449), mais, ayant refusé de s’occuper de la mise en liberté de l’empereur prisonnier, fut exécuté quand celui-ci revint en 1457. Celui de Sou-tcheou (Kiang-sou) fut longtemps le prince de Tch'ouen-chen, ministre du royaume de Tch'ou au IIIe siècle avant notre ère, et protecteur du philosophe Siun-tseu, qui est avec Mencius le plus célèbre des maîtres confucéens de cette époque : la capitale du fief de ce prince passe pour avoir été à Sou-tcheou ; aujourd’hui, il n’est plus Dieu des Murs et des Fossés de la ville entière, il est seulement Dieu du Lieu, t'ou-ti, du quartier oriental.

Celui de la préfecture de Ning-po (Tchö-kiang) est Ki Sin, un général du parti de Lieou P'ang, roi de Han, le fondateur de la dynastie Han, au temps où il luttait encore pour la suprématie avec Hiang Yu, roi de Tch'ou, et qui donna sa vie pour son maître en 203 avant notre ère. Lieou P'ang, qui assiégeait depuis longtemps la ville de Yong-yang (près de K'ai-fong fou), s’était vu à son tour investi par les troupes de son rival, et, dépourvu de vivres, allait être réduit à se rendre ; Ki Sin lui offrit de se faire passer pour lui ; il monta sur le char royal, dont il ferma sur lui les rideaux, puis il s’avança vers le camp adverse en annonçant que le roi de Han se rendait, et, pendant que toute l’armée ennemie, poussant des vivats, ne s’occupait que de lui, son maître put s’enfuir inaperçu avec quelques dizaines de cavaliers ; quand Ki Sin, arrivé devant Hiang Yu, fut descendu du char et eut été reconnu, celui-ci, furieux de se voir joué, le fit brûler vif.

Jugement d'un coupable. — Henri Maspero (1883-1945) : Mythologie de la Chine moderne. — Mythologie asiatique illustrée, Librairie de France, Paris, 1928, pages 227-362.
Le dieu des Murs et des Fossés jugeant un coupable (image populaire).

La fête du Dieu des Murs et des Fossés est une des principales fêtes populaires. Elle comporte de grandes processions, auxquelles tout le peuple de la ville prend part. En tête, derrière les hérauts chargés de faire dégager les rues où doit passer le dieu, s’avancent des gongs et des tambours, puis des groupes d’enfants et d’hommes portant des bâtonnets d’encens, suivis des porteurs de bannières et de parasols ; ensuite vient la statue du Dieu du Lieu, portée sur son palanquin, passant la première pour s’assurer que tout est en son ordre ; parfois, au lieu de la statue, c’est un notable travesti en Dieu du Lieu, avec une longue barbe blanche et un bâton noueux ; derrière le Dieu du Lieu, on porte, dans une sorte de grande marmite, le vinaigre dont on arrose les rues afin de les purifier sur le passage, et plus loin le grand brûle-parfum. Alors vient le cortège du dieu, ses employés figurés par des hommes ou des enfants déguisés, son cheval, ses deux satellites, Tête-de-Bœuf et Face-de-Cheval, ses bourreaux, et enfin le dieu lui-même, c’est-à-dire sa statue, dans un grand palanquin. À cette procession se joignent des cortèges divers, cortèges de pénitents, comme les Vêtus de Rouge (le rouge était la couleur des vêtements des condamnés à mort), qui s’en vont lentement, la cangue au cou, les mains enchaînées, avec des gongs et des bannières, ou des groupes d’hommes déguisés en démons. Certains s’y joignent pour accomplir un vœu : des enfants ou des jeunes gens costumés comme les anciens courriers impériaux, un petit drapeau à la main, qui vont brûler une lettre de remerciement pour la guérison d’une maladie, quelques-uns enfermés dans une petite cage comme des criminels en expiation d’une faute inconnue afin d’obtenir la santé.

2. Les dieux du Lieu (t'ou-ti)

En dessous des dieux des Murs et des Fossés, et subordonnés à eux, sont les dieux du Lieu, t'ou-ti. Ce sont de petits dieux chargés chacun d’un territoire plus ou moins grand. Presque chaque quartier, chaque rue des villes ou des villages, chaque hameau, en a au moins un, quelquefois plusieurs ; chaque temple, chaque bâtiment public a le sien. Celui des ya-men des fonctionnaires est, au Sseu-tch'ouan, enterré au milieu du premier pavillon de la salle de justice : on l’appelle le Dieu du Lieu Enquêteur, et il écoute et enregistre les témoignages et les jugements, de façon à faire son rapport chaque année sur la conduite officielle des mandarins. Il y en a pour chaque pont, il y en a pour les champs, etc. Les plus importants sont ceux des villages ; mais, en beaucoup d’endroits, bien qu’ils n’aient officiellement que le titre de Dieu du Lieu, t'ou-ti, on les désigne couramment du titre de Dieu des Murs et des Fossés, tch'eng-houang, et, bien que ce titre soit, étymologiquement, répréhensible, il répond exactement au rôle du dieu patron du village, qui est le même que celui de dieux patrons des villes administratives...

Le rôle de ces dieux est analogue à celui des dieux des Murs et des Fossés, mais ils sont subordonnés à ceux-ci. Ils tiennent le registre de toutes les personnes de leur circonscription ; c’est pourquoi on va leur annoncer tout décès qui survient : un groupe de femmes de la famille s’en vont en pleurant, le soir qui suit la mort, précédées d’un homme qui porte une lanterne, jusqu’à la pagode du dieu et brûlent de l’encens et du papier d’argent, puis elles reviennent à la maison toujours en pleurant.

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Les dieux familiers


À un degré plus bas encore, chaque maison a ses dieux, qui sont chargés de la protection des bâtiments et des habitants ; il y a non seulement, comme je l’ai déjà indiqué, un Dieu du Lieu, mais encore des dieux des diverses parties de l’habitation. L’antiquité n’en connaissait que cinq, que l’on appelait les « Cinq Sacrifices » et que seuls, hier encore, la religion officielle admettait : Porte extérieure à deux battants, men ; Portes intérieures à un seul vantail, hou ; Allées de la maison, hing ; Impluvium, tchong-lieou, vulgairement Dieu du Lieu, t'ou-ti ; Foyer, tsao.

On ne peut dire formellement que la religion populaire accepte ou repousse cette liste : tout le monde sait quels sont les dieux des « Cinq Sacrifices », ou presque tout le monde ; mais le Dieu des Portes intérieures et le Dieu des Allées ne tiennent plus aucune place dans les préoccupations religieuses, et, bien qu’on prononce encore leurs noms, quand on récite la liste, ils sont pratiquement oubliés et comme s’ils n’existaient pas. D’autre part, si certains dieux ont ainsi disparu de la conscience religieuse populaire, il y en a d’autres, qui n’existaient pas, ou plus exactement n’ont pas laissé de trace dans les rituels écrits dans l’antiquité : des divinités de certains endroits de la maison, Lit, Latrines, ainsi que d’autres chargées en général de la maison et de la famille qui l’habite, dieux de la Richesse, etc. Enfin, pour compléter la revue de tous les protecteurs de la famille, il faut ajouter les Ancêtres, dont le culte remonte à la plus haute antiquité.

Ce n’est pas seulement le nombre et les fonctions des dieux familiers qui ont changé avec le temps, c’est aussi leur rang respectif. Aujourd’hui, le plus important d’entre eux est le Dieu du Foyer, Monseigneur le Foyer, comme on l’appelle ordinairement, tandis que, dans l’antiquité, un peu dédaigné, il était considéré « comme un culte de vieille femme », suivant un dire attribué à Confucius lui-même. C’était alors le Dieu de l’Impluvium qui tenait le premier rang dans les maisons nobles et les palais princiers ; sa place était dans la rigole de la porte occupant le centre de la demeure, c’est-à-dire conduisant de la deuxième à la troisième cour du palais (les palais des princes étaient formés de trois salles de réception et audience successives, chacune au fond d’une grande cour, et c’est derrière la porte du fond de la troisième cour que s’élevaient les bâtiments d’habitation du prince et de ses femmes) ; et on craignait tant de l’offenser en défonçant sa rigole qu’il était interdit de franchir cette porte en char, sous peine de voir le cocher décapité, les chevaux abattus et le timon du char tranché sur le lieu. La ruine de la société féodale fut fatale à ce dieu aristocratique ; il perdit sa préséance quand, vers le IIIe et le IIe siècle avant notre ère, les rites patriciens, compliqués et dispendieux, durent céder la place aux coutumes plébéiennes plus simples, et le Dieu du Foyer, dieu plus populaire, prit peu à peu le pas sur lui ; il n’a guère retrouvé quelque importance que dans les régions où, se transformant complètement, il s’est confondu avec le Dieu des Richesses.

Le Dieu du Foyer. — Henri Maspero (1883-1945) : Mythologie de la Chine moderne. — Mythologie asiatique illustrée, Librairie de France, Paris, 1928, pages 227-362.
Le Dieu du Foyer, directeur du Destin.

Le Dieu du Foyer et sa femme tiennent chacun un registre où ils inscrivent toutes les actions de la famille, lui s’occupant des hommes et elle des femmes : tout ce qui se fait de bien et ce qui se fait de mal doit y être noté impartialement. Chaque mois, le dernier jour, il prend ses registres et va rendre compte au Dieu des Murs et des Fossés ; chaque année, au moment du Jour de l’An, il va rendre compte à l’Auguste de Jade ou, comme on dit vulgairement, à Monsieur le Ciel (Lao-t'ien-ye), souverain des dieux, tandis que sa femme en fait autant auprès de la Sainte Dame Auguste de Jade, Yu-huang cheng-mou. Il est en effet un fonctionnaire de la Cour Céleste qui lui donne le titre d’Intendant Familial, et, comme tout fonctionnaire, il doit aller rendre hommage au souverain chaque année ; l’Auguste de Jade prend connaissance de son rapport et, suivant qu’il constate la prédominance du bien ou du mal, il augmente ou diminue la part de bonheur de la famille pour l’année suivante.

Le dieu des Richesses.— Henri Maspero (1883-1945) : Mythologie de la Chine moderne. — Mythologie asiatique illustrée, Librairie de France, Paris, 1928, pages 227-362.
Le dieu des Richesses.

Le Dieu de la Richesse (Ts'ai-chen) a, de nos jours, une importance considérable dans la religion populaire. Toutes les familles ont au moins une affiche portant les deux caractères de son nom, Ts'ai-chen, collée sur la porte de la salle principale de la maison ; les plus riches ont son image ou même sa statue. À l’anniversaire de sa naissance, le seizième jour du troisième mois, on lui offre un coq avec le sang duquel on frotte le seuil de la porte ; de plus, bien des familles lui offrent un repas le 2 et le 16 de chaque mois. Quelquefois on distingue deux dieux de la Richesse, le Dieu Civil et le Dieu Militaire, qu’on figure tous deux côte à côte sur la même image. Des représentations de l’Arbre aux Sapèques, dont les feuilles sont des sapèques et les fruits des lingots, avec des enfants au pied qui recueillent tout ce qui tombe de l’arbre et l’entassent dans des sacs ; ou bien de la Cassette aux Joyaux, qui ne s’épuise jamais et où les lingots renaissent à mesure qu’on les enlève ; ou simplement encore des caractères désignant la Richesse sont souvent aussi accrochés ou collés dans la maison.

Le Dieu de la Richesse est assez important pour que les tao-che aient fait de lui le président d’un des ministères célestes, le ministère de la Richesse, avec toute une suite de fonctionnaires : le Vénérable Céleste qui Découvre les Trésors, Tchao-pao t'ien-tsouen ; le Vénérable Céleste qui Apporte les Trésors, Na-tchen t'ien-tsouen ; l’Envoyé qui Découvre les Trésors, Tchao-pao che-tchö ; l’Immortel des Profits Commerciaux, Li-che sien-kouan. Il y a aussi le Dieu des Richesses qui Accroît le Bonheur, Ts'eng-fou ts'ai-chen, qui tantôt, comme au Kiang-sou, est un dieu distinct, tantôt, comme à Pékin, est confondu avec le Dieu des Richesses.

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Les deux protectrices taoïque et bouddhique des femmes

Si la famille dans son ensemble, en tant que groupement, a une série de divinités protectrices, les femmes ont leurs patronnes spéciales qui s’occupent particulièrement d’elles et de leurs besoins. Suivant les régions, cette patronne est de type taoïque ou de type bouddhique : dans le premier cas, c’est la Princesse des Nuages Bigarrés ; dans le second, c’est « le Bodhisattva qui Écoute les Bruits », c’est-à-dire les plaintes et les prières des êtres vivants, Kouan-yin p'ou-sa (Avalokiteçvara) sous une forme féminine toute particulière et inattendue, « Kouan-yin donneuse d’enfants » (Song-tseu Kouan-yin).

La Princesse des Nuages Bigarrés. — Henri Maspero (1883-1945) : Mythologie de la Chine moderne. — Mythologie asiatique illustrée, Librairie de France, Paris, 1928, pages 227-362.
La Sainte Mère, Cheng mou.

1. La Princesse des Nuages Bigarrés

La Princesse des Nuages Bigarrés, Pi-hia yuan-kiun, qu’on appelle souvent simplement la Sainte Mère, Cheng mou, ou Madame la Dame, Nai-nai niang-niang, est généralement considérée comme la fille du Grand Empereur du Pic de l’Est, ce qui lui vaut souvent aussi, surtout dans le Nord, le titre de Dame du T'ai-chan, T'ai chan niang-niang.

Le culte de cette déesse est très populaire dans toute la Chine, où elle est la protectrice des femmes et des enfants : c’est en effet elle qui donne des enfants et en général préside aux accouchements. On la représente avec une coiffure spéciale faite de trois oiseaux aux ailes déployées, un de face et les deux autres sur les côtés de la tête ; et elle est accompagnée de deux assistantes, la Dame de Bonne Vue, tenant dans ses mains un œil énorme, qui préserve les enfants des maux d’yeux, et la Dame qui Apporte les Enfants, Song-tseu niang-niang, portant dans ses mains un nouveau-né. Elle a de plus une suite de six divinités secondaires qui s’occupent des diverses phases de l’enfance : la Dame qui favorise le Commencement de la Grossesse, Princesse qui Nourrit Mystérieusement et Affermit la forme de l’Embryon, la Dame qui Accélère la Naissance, Princesse qui fait Suivre la Règle et Protège l’Enfance, la Dame qui Donne la Naissance. Princesse qui Accorde la joie et Protège l’Accouchement, la Dame de la Variole, Princesse qui Garantit la Tranquillité et Bienveillante pour l’Enfance, la Dame qui Guide l’Ignorance, Princesse qui Guide et Dirige l’Enfance (celle-ci est parfois confondue avec la Dame qui Apporte les Enfants), la Dame de l’Allaitement, Princesse qui Donne à Manger et Nourrit l’Enfance.

Kouan-yin aux vêtements blancs. — Henri Maspero (1883-1945) : Mythologie de la Chine moderne. — Mythologie asiatique illustrée, Librairie de France, Paris, 1928, pages 227-362.
Kouan-yin aux vêtements blancs, d'après un tableau de Tch'en Hien, XVIIe siècle.

2. Kouan-yin.

Kouan-yin joue en grande partie le même rôle que la Sainte Mère, sauf peut-être en ce qui concerne les accouchements ; pour le reste, on lui fait apporter des enfants, les guérir, etc. La principale différence est que le culte est bouddhique et les temples desservis par des bonzes et non des tao-che...

Le nom de Kouan-yin ou Kouan-che-yin est une mauvaise traduction chinoise de celui du Bodhisattva Avalokiteçvara : il a été produit par une confusion entre les mots sanscrits îçvara, seigneur, et svara, son, bruit. Avalokiteçvara est un des deux assistants du Bouddha Amitâbha, le souverain de la Terre-Pure de l’Ouest... Il est le Très-Miséricordieux et le Très-Bienveillant, Ta-pei ta-ts'eu. On le figure avec mille yeux et mille bras pour sauver les damnés, une tête de cheval pour sauver les animaux, onze têtes chez les Asuras, portant un sceptre chez les dieux, etc.

Ce n’est pourtant aucune de ces formes bouddhiques normales qui est devenue populaire en Chine : c’est une forme féminine qu’on appelle Kouan-yin apportant des enfants, Song-tseu Kouan-yin, ou plus couramment la Dame qui apporte des enfants, Song-tseu niang-niang...

Cette Kouan-yin Vêtue-de-Blanc, que l’art avait déjà fait sortir des cadres du tantrisme, la religion populaire l’a arrachée au bouddhisme lui-même pour en faire la Kouan-yin qui Apporte des Enfants, dont les images sont si répandues. À cette formation qui ne doit pas être très ancienne, tous les grands courants de la religion chinoise ont contribué : le taoïsme y a pris part assez largement, et l’influence du personnage de la Princesse des Nuages Bigarrés, déjà nettement constitué depuis l’époque mongole, s’est certainement fait sentir très fortement...

Kouan-yin Donneuse d’Enfants. — Henri Maspero (1883-1945) : Mythologie de la Chine moderne. — Mythologie asiatique illustrée, Librairie de France, Paris, 1928.
Kouan-yin Donneuse d’Enfants. Porcelaine blanche.

Kouan-yin Donneuse d’Enfants est figurée ordinairement comme une femme entièrement couverte d’un grand voile blanc qui recouvre même les cheveux ; elle est assise sur une fleur de lotus, tenant un enfant dans ses bras. À sa droite et à sa gauche, sont placés debout ses deux attendants ordinaires, le jeune homme aux capacités excellentes, Chan-ts'ai tong-tseu, et la Fille du Roi-Dragon, Long-wang niu ; un oiseau lui apporte son chapelet, et une branche de saule est dans un vase auprès d’elle. Souvent on la place sur le rocher de P'ou-to. Quelquefois aussi le vêtement blanc est recouvert en partie d’une robe brodée, ou même il disparaît complètement pour faire place à une robe de femme chinoise : dans ce cas, c’est simplement le type de la Princesse des Nuages Bigarrés et de ses suivantes qu’on a adopté en lui imposant le nom de Kouan-yin. On en trouve dans presque toutes les maisons des images grossièrement coloriées ou même des statuettes ; au Fou-kien on leur donne même la place d’honneur dans le sanctuaire familial, entre le Dieu du Foyer et le Dieu du Lieu. À la fête de sa naissance, le 19 du deuxième mois, et, pour les familles plus dévotes, à ses deux autres fêtes du 19 du sixième et du neuvième mois aussi, les femmes lui présentent quelques plats d’offrande maigre, avec des baguettes d’encens.

En dehors de ces fêtes régulières, elles lui demandent surtout de leur donner des enfants. Mais, comme on n’en trouve pas de statue dans la plupart des temples, c’est n’importe lequel des Avalokiteçvara que les femmes vont prier, quelle que soit la forme (toujours masculine dans les temples chinois en dehors de Kouan-yin aux Vêtements blancs) sous laquelle il est représenté. Comme pour la Princesse des Nuages Bigarrés, après avoir brûlé de l’encens, elles déposent un petit soulier en ex-voto, ou bien d’autres emportent un des souliers déjà déposés. Certaines ajoutent les vœux d’abstinence de viande soit perpétuellement, soit à certains jours, qui varient suivant les dévotions particulières.

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Les Huit Immortels

Il y a des groupes de personnages, les uns bouddhistes, les autres taoïstes, dont le rôle est de protéger la religion et d’instruire les hommes. Les premiers sont les Dix-Huit Arhats, (che-pa lo-han), ou encore, en grossissant le nombre, les Cinq cents Arhats ; les seconds sont les Huit Immortels (pa-sien).

On raconte que le Bouddha commanda à certains de ses disciples de rester dans le monde sans entrer dans le Nirvâna jusqu’à la venue du futur Bouddha Maitreya, afin de protéger sa Loi. La liste originelle ne comptait que seize saints quand, au VIIe siècle, le célèbre religieux Hiuan-tsang traduisit le petit livre qui leur est consacré ; c’est en Chine, vers le Xe siècle, que deux autres furent ajoutés. On les représente ordinairement sous l’aspect de religieux dans des poses et avec des attributs divers, parfois seuls, parfois entourant Maitreya au Gros Ventre. C’est un groupe qui, en Chine, a eu plus de succès dans l’art que dans la religion même, et sauf Pindola et Bhadra, qui sont dans une certaine mesure l’objet d’un culte monastique, personne ne s’occupe d’eux, ni ensemble, ni séparément.

Les taoïstes imitèrent de leur mieux la série bouddhique en réunissant huit Immortels célèbres : c’est un assemblage hétéroclite de personnages qui n’ont rien de commun. Comme les Arhats sont chargés de protéger la Loi bouddhique, ils sont les protecteurs du taoïsme, parcourant le monde pour convertir et sauver les hommes. Chacun d’eux a sa légende, qui souvent se réduit à bien peu de chose. Du premier d’entre eux, Han-tchong Li, on dit seulement qu’il fut le maître du second d’entre eux, Lu Tong-pin ; de Tchang Kouo-lao, on sait qu’il montait un âne blanc qu’il pliait en deux comme une feuille de papier dès qu’il avait cessé de s’en servir et rangeait dans un coffret. Lan Ts'ao-ho était un chanteur, ou une chanteuse, des rues (la légende hésite sur son sexe et en fait tantôt un hermaphrodite, tantôt une jeune fille), qui, vêtu de loques, errait en chantant, et un beau jour monta au ciel. Han Siang-tseu était, dit-on, le neveu de Han Yu, un des plus grands poètes du IXe siècle, et on a prétendu retrouver dans les œuvres de son oncle des pièces de vers qui lui étaient dédiées et faisaient l’éloge de son pouvoir magique ; celui-ci se manifesta un jour que, encore enfant, il fit pousser instantanément un pied de pivoines en fleur sous les yeux de son oncle, qui le pressait de se mettre à l’étude des Classiques. Ts'ao Kouo-kieou est donné comme le frère d’une impératrice des Song qui, au XIe siècle, se retira dans la solitude pour fuir les débauches et les crimes de son frère aîné, et fut visité par Han-tchong Li et Lu Tong-pin, qui l’instruisirent. De la Demoiselle immortelle Ho, Ho sien-kou, on dit seulement qu’elle vécut longtemps dans les montagnes et fut convertie par Lu Tong-pin, qui lui donna une pêche d’immortalité. Enfin Li à la Béquille de Fer, T'ie-kouai Li, était un ascète qui fut instruit par Lao-tseu lui-même ; il était capable d’envoyer son âme hors de son corps dans des voyages qui duraient plusieurs jours. Une fois qu’il était ainsi parti en recommandant à son disciple de garder son corps six jours et de le brûler le septième s’il n’était revenu, le disciple, apprenant soudain que sa mère était malade, brûla le corps avant la date fixée, et, quand l’âme revint, il lui fallut en chercher un autre : elle ne trouva que celui d’un vieux mendiant laid et infirme qui venait de mourir de froid et dut s’en contenter.

Le seul dont la légende soit un peu plus développée est Lu Tong-pin, qui a été mis au théâtre en une pièce célèbre, le Songe du Bol de Vin de sorgho. Lu Tong-pin, jeune étudiant en route pour aller passer le doctorat à la capitale, s’arrête dans une auberge où il rencontre un Immortel déguisé. Après avoir causé avec lui, il s’endort et rêve en quelques instants toute une longue vie de dix-huit ans : il est reçu au concours et épouse la fille d’un des ministres ; puis, chargé d’aller soumettre des rebelles, il revient vainqueur, mais pour trouver sa femme dans les bras d’un amant; dans sa rage, il va la tuer, quand un vieux serviteur réussit à le persuader de l’épargner, et il se contente de la répudier ; puis, condamné au bannissement pour quelque faute pendant l’expédition, il erre misérable avec ses enfants, dénué de toute ressource, il finit par être tué par un brigand. À ce moment il s’éveille et, comprenant la vanité des plaisirs du monde, se convertit et bientôt devient Immortel.


S’ils sont restés en dehors du culte, les Huit Immortels ont inspiré souvent les artistes. Leur type est bien fixé au moins depuis l’époque mongole. [Ci-dessus (XVIIIe siècle, Musée Guimet), de gauche à droite :]
— T'ie-kouai Li (Li à la Béquille de Fer) est un vieux mendiant laid, chauve et barbu, boiteux et s’appuyant sur une béquille de fer, portant une gourde, le front ceint d’un anneau d’or que lui donna Lao-tseu pour retenir les quelques mèches qui lui restaient.
— Lan Ts'ai-ho est un adolescent mal vêtu, un pied nu, l’autre chaussé, et sortant une flûte ;
— Ts'ao Kouo-kieou est un homme mûr en costume et bonnet officiel, tenant la tablette de haut dignitaire apparenté à la famille impériale.
— Han-tchong Li, vêtu d’un grand manteau, souvent débraillé, agite un éventail de plumes ;
— Ho-sien-kou (Ho la Demoiselle immortelle) est une jeune fille en costume élégant, portant sur l’épaule une énorme fleur de lotus.
— Tchang Kouo lao est monté à rebours sur son âne (quelquefois aussi dans le bon sens), une plume de phénix à la main ;
— Lu Tong-pin est un jeune homme en costume de lettré avec un sabre en bandoulière dans le dos et un chasse-mouches à la main ;
— Enfin, Han Siang-tseu est un enfant aux cheveux encore noués en deux petits chignons sur les côtés de la tête, portant un bouquet de fleurs ou un panier de pêches.

On les place souvent sur divers animaux aquatiques, en souvenir d’un voyage qu’ils entreprirent à travers la mer, chacun ayant une monture particulière et au cours duquel ils eurent à lutter avec le fils du Roi-Dragon de la Mer Orientale.

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