Édouard JEANSELME (1858-1935)

LES THÉORIES MÉDICALES DES CHINOIS. LA PRATIQUE MÉDICALE DES CHINOIS par Édouard JEANSELME (1858-1935). La Presse médicale, Paris, 1900/1901.

 

LES THÉORIES MÉDICALES DES CHINOIS. LA PRATIQUE MÉDICALE DES CHINOIS

La Presse médicale, Paris, n° 76, 12 septembre 1900, pages 179-182, et n° 51, 26 juin 1901, pages 298-300.

Biographie

  • Depuis plus de cinq mille ans, les médecins chinois se livrent à un travail de compilation stérile sur des dogmes erronés... L'empereur Chin nong (3216 av. J.-C.) fut le père de la médecine... [L'empereur] Hoang-ti fit de la médecine un véritable corps de sciences... Les ouvrages chinois qui traitent de la médecine sont extrêmement nombreux.
  • Mais un obstacle inéluctable s'opposait au progrès de la médecine chinoise. Le culte des ancêtres, dans lequel s'incarne le respect en quelque sorte religieux de la tradition, est incompatible avec l'esprit de libre examen. Il tient en tutelle les sciences d'observation et remplit en Orient, vis-à-vis de celles-ci, le rôle qu'a joué la scholastique en Occident pendant la longue nuit du moyen-âge.

Extraits : Anatomie - Thérapeutiques
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Anatomie

J'ai entre les mains un traité fort répandu que possède tout Chinois qui se destine à l'art médical. C'est une compilation qui a été faite au XIIe et XIIIe siècle et qui a été refondue pour la dernière fois il y a deux cent cinquante ans. On y trouve quelques planches d'anatomie dont je donne les fac-similé. Elles sont des plus grossières et des plus inexactes.

Le squelette est à peine ébauché. Les os longs se terminent par des extrémités atténuées. Les épiphyses et les surfaces articulaires ne sont pas même esquissées. La colonne vertébrale est comparée par les Chinois à une tige de bambou dont les internœuds représentent très exactement les disques intervertébraux. Elle est composée de pièces en nombre indéterminé qui, au niveau de la portion cervicale, sont soudées en une tige indivise.

Le cerveau, petite masse ovoïde, sans trace de scissure et de circonvolutions, n'occupe que le tiers de la cavité crânienne. Le bulbe et la protubérance ne sont pas figurés. La moelle, dont le calibre est uniforme dans toute sa longueur, se détache directement de la base du cerveau et se termine à l'extrême pointe du coccyx.

De tout ce fatras se dégagent des notions, sinon précises, du moins raisonnables. Les Chinois ont une vague idée de la transformation des aliments dans le tube digestif et du phénomène de l'assimilation. Ils savent que les reins filtrent l'urine, et que celle-ci est formée aux dépens des matières que lui apporte le sang. S'ils pensent que le rein droit, appelé pour cette raison « la porte de la vie », est le lieu où s'opère la transformation du sang en semence, et que les testicules sont simplement les réservoirs du sperme, en revanche ils ont une idée assez exacte de la fécondation. « La liqueur séminale, disent-ils, pénètre dans un récipient nommé tsee kong (matrice, littéralement réceptacle des enfants) qui a la forme d'un bouton de fleur de nénuphar. Ce réceptacle contient un certain nombre de vésicules qui sont autant de germes (yn) et se développent par l'action de la liqueur séminale. Le premier mois, ce germe est semblable à une goutte de rosée ; le deuxième, il ressemble à un bouton de fleur de pêcher ; le troisième, il prend une forme humaine... » Le vagin s'appelle yn men, littéralement « porte des germes ».

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Thérapeutiques

Purement empirique, la thérapeutique chinoise puise les innombrables médicaments de sa pharmacopée dans les trois règnes de la nature. C'est surtout le végétal qu'elle met à contribution, mais elle fait aussi de nombreux emprunts aux deux autres. Quelle que soit leur provenance, tous les médicaments se répartissent dans l'une des trois classes suivantes : les uns sont curatifs, d'autres préparent l'organisme à recevoir les remèdes actifs, d'autres enfin sont des reconstituants, des pou io, littéralement : remèdes de réparation.

Pour faire choix de la recette convenable dans cet amas indigeste de formules, le praticien chinois n'a d'autre guide que les données d'une physiologie erronée. Telle maladie est-elle le résultat d'un excès de chaleur vitale ? c'est à un médicament réputé froid qu'il convient de s'adresser pour la combattre. Telle autre affection est-elle causée par l'humide radical, c'est-à-dire par un excès de froid, c'est un médicament chaud qui doit être mis en œuvre. Au surplus, le médecin chinois accumule dans sa mémoire un nombre incroyable de formules très compliquées sans chercher à pénétrer le mécanisme de leur action. Mais n'en est-il pas un peu de même parmi nous ?

Comme les mêmes idées, vraies ou fausses, se répètent dans toutes les races, les Chinois ne pouvaient manquer de tenir en estime la doctrine des signatures, qui à joui d'une si grande vogue en Europe aux siècles passés. Comme chacun sait, la nature se serait chargée de désigner à l'homme, à l'aide de certains indices, le profit qu'il peut retirer de l'usage de telle ou telle substance. Ainsi, le médecin chinois prescrit la luciole et le cristal de roche contre la cécité ; la garance rappelle le flux menstruel ; le gin seng, dont la racine bifurquée ressemble à des cuisses d'homme, passe pour restituer la virilité absente.

Les Chinois prisent fort les vertus mystérieuses de la corne de cerf et de la dent de tigre. La corne de rhinocéros (qui a pour habitat les îles de la Sonde) atteint des prix fabuleux. Mais la panacée la plus renommée entre toutes est sans contredit le gin seng, racine qu'on recueille en Mandchourie et en Corée. Elle guérit toutes les maladies et prévient le développement de celles qui sont en germe. Son prix excessif encourage les contrefaçons, qui sont innombrables. Les Chinois aisés et les mandarins prennent volontiers le soir, pour conserver leur santé, des pou io contenant de la corne de cerf, de la cannelle et du gin seng.

Dans les répertoires de médecine chinoise figurent pêle-mêle les substances les plus variées et les plus hétéroclites, depuis l'or en feuille, souverain contre la lèpre, jusqu'à la bile humaine et l'urine de jeune garçon. Le hài ti chè (littéralement : pierre du fond de la mer) est un conglomérat de sels ammoniacaux qu'on retire des latrines et que j'ai vu conseiller couramment, comme diurétique, au Yunnan. Voilà certes des pratiques bien répugnantes, mais si nous faisions retour d'un ou deux siècles en arrière, il nous serait facile de retrouver, parmi les écrits des médecins les plus réputés d'Occident, des mémoires vantant les propriétés mirifiques de la fiente de l'homme et des animaux.

Si la thérapeutique chinoise est encombrée de drogues, pour la plupart sans efficacité, elle possède aussi quelques médicaments précieux, tel le fer, donné comme reconstituant ; l'arsenic, conseillé contre les affections strumeuses, l'arthritisme et l'impaludisme ; les cendres de varech, vantées dans le traitement du goitre ; le mercure, prescrit sous des formes variées (calomel, cinabre, etc.), contre la syphilis, le soufre, employé à combattre les dermatoses et la gale.

Dans le Yunnan, non loin du fleuve Bleu, j'ai vu de nombreux Chinois, atteints d'affections cutanées chroniques, se baigner dans les sources sulfureuses à haute thermalité de Lan Khon Shien et de Nieou tse.

Toute formule chinoise porte un nom qui sert à la désigner abréviativement. Chacune contient au moins une dizaine de substances, feuilles ou racines, pour la plupart inactives, qui sont prescrites ordinairement, sous forme de macération ou d'infusion. Le breuvage noirâtre obtenu peut être avalé sans trop de dégoût, et — ce qui mérite considération — n'est jamais toxique.

Les Chinois connaissent de temps immémorial les propriétés abortives des ergots de riz et de maïs. Ils sont très friands d'aphrodisiaques et font abus d'excitants à base de cantharide. L'empereur Tsien fong employait pour réveiller sa virilité une poudre composite dans laquelle entraient : deux petites cornes de cerf, de la moelle de l'épine dorsale d'un chien, les reins d'un chien et les testicules d'un poulet. Le tout était réduit en poudre. Une partie était introduite dans la narine gauche ; l'autre, roulée dans du miel, servait à faire des pilules.

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