Henri Maspero (1883-1945)

Couverture. Henri Maspero (1883-1945) : Histoire et institutions de la Chine ancienne. - L’Antiquité. L’empire des Ts’in et des Han. — Annales du Musée Guimet, Bibliothèque d'études, tome LXXIII, PUF, Paris, 1967, pages 1-79.

HISTOIRE ET INSTITUTIONS DE LA CHINE ANCIENNE

L’Antiquité. L’empire des Ts’in et des Han.

Annales du Musée Guimet, Bibliothèque d'études, tome LXXIII, PUF, Paris, 1967, pages 1-79.

  • Après la mort de Henri Maspero, on trouva dans ses papiers deux manuscrits sans titre, l’un nettement plus développé que l’autre, mais tous deux consacrés à l’histoire de la Chine, et notamment de ses institutions, jusqu’à la fin des Han (220 après J.-C.).
  • Paul Demiéville confia alors le manuscrit plus développé à Étienne Balazs. Celui-ci mit au point les notes de Maspero, et compléta l’ouvrage en en composant la suite, jusqu’au XIVe siècle. L’œuvre parut sous le titre Histoire et institutions de la Chine ancienne, par Henri Maspero et Étienne Balazs.
  • Nous en extrayons les deux premières parties, expressément attribuées à Henri Maspero : L’Antiquité, et l’empire des Ts’in et des Han.


Extraits :
L'Antiquité : La religion - La pensée politique et la philosophie
Les classes sociales - Les finances
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L'Antiquité : La religion

Carte 1, VIe s. a. C. - Henri Maspero (1883-1945) : Histoire et institutions de la Chine ancienne. - L’Antiquité. L’empire des Ts’in et des Han. — Annales du Musée Guimet, Bibliothèque d'études, tome LXXIII, PUF, Paris, 1967, pages 1-79.
I. Époque des « Printemps et Automnes ». (Tchou’en ts’ieou ; VIe siècle a. C.)

La religion jouait un rôle considérable dans la vie de ce temps à tous les étages de la société, aussi bien chez le roi, le seigneur et les grands que dans le peuple ; mais c’était un rôle différent à chaque étage. La religion personnelle n’existait pas. Il n’y avait qu’une religion de groupe ; le culte était rendu, non par des individus pour eux-mêmes, mais par le chef des groupes constitués : famille, village, seigneurie, royaume, et pour ces groupes, si bien que la religion se modelait exactement sur la société, et n’en était en quelque sorte que la projection du plan profane sur le plan sacré. Dans la société antique, l’élément fondamental de l’organisation tant laïque que religieuse était la seigneurie. Dans la seigneurie, la société laïque reposait sur deux bases : le groupe familial et la possession de la terre seigneuriale ; parallèlement, la religion reposait sur deux cultes : celui des Ancêtres et celui du dieu du Sol. Ce n’était là que l’illustration des deux aspects de la société, profane et sacré. Les Ancêtres étaient la famille divinisée ; le dieu du Sol était la seigneurie divinisée. Ces deux cultes se retrouvaient à tous les degrés de la hiérarchie sociale : famille, seigneurie, royaume ; la hiérarchie divine et la hiérarchie humaine coïncidaient exactement.

Les dieux du Sol (chö) étaient la terre même divinisée, non en tant que mère nourricière, productrice des moissons, mais en tant que territoire. Chaque dieu du Sol avait son territoire délimité, dont l’importance variait avec celle du groupe humain qu’il protégeait. Le plus petit habitat formant une unité religieuse était celui de la famille ; aussi la maison avait-elle son dieu du Sol qu’on appelait le dieu de l’Impluvium (tchong-lieou). C’était un des « cinq à qui on sacrifie » (wou-sseu) ; les quatre autres étaient ceux de la grande porte de devant, de la petite porte de derrière, des celliers et du puits, sans compter d’autres dieux qui, pour n’être pas cités dans les rituels officiels, n’étaient pas les moins importants dans la dévotion populaire, comme Monseigneur le Foyer (tsao-kong). Puis l’ensemble des maisons du canton avait aussi son dieu du Sol. Un degré plus haut, chaque seigneurie avait son dieu propre, le dieu du Sol de la seigneurie, qui protégeait les habitants et leur donnait bonheur et santé ; il tenait à savoir tout ce qui se passait dans son domaine : aussi l’avertissait-on de tous les événements, commencement et fin des travaux des champs, chasse, guerre, etc. ; de plus, on lui présentait chaque année, au printemps, tous les hommes valides en une cérémonie qui finit par prendre la forme d’une grande revue. Divinité rustique, il se nourrissait de viande crue ; il n’habitait pas un temple, demeure construite de main d’homme, mais un tertre carré planté d’un grand arbre, souvent au milieu d’un bois sacré : vestige des temps où, défrichant pour la première fois un canton, les pionniers laissaient intact un coin de la brousse, ou tout au moins le plus grand arbre, comme asile et demeure du dieu seigneur de la forêt.

Au sommet de la hiérarchie divine, le Grand dieu du Sol royal (tchong-chö) protégeait le royaume entier et la famille royale, comme le dieu du Sol seigneurial la seigneurie et la famille seigneuriale. On l’appelait le Souverain Terre (Heou-t’ou). Il était le fils de Kong-kong, monstre au corps de serpent avec un visage d’homme, des cheveux vermillon et des cornes. Kong-kong passait pour avoir « mangé les neuf provinces » de la terre à l’origine des temps. Il avait essayé de résister aux héros envoyés par le Seigneur d’En-haut (Chang-ti), pour aménager le monde terrestre ; il avait même chassé le premier d’entre eux, le maître du Feu, Tchou-ying, mais avait été vaincu par le second, Tchouan-hiu, chassé par lui jusqu’au bout du monde, et avait péri alors qu’il tentait de faire crouler à coups de cornes le mont Pou-tcheou qui soutient le ciel au nord-ouest, n’ayant réussi qu’à faire pencher un peu le ciel et la terre, de telle sorte que les étoiles descendent vers le nord-ouest et que les fleuves coulent vers le sud-est. Son fils, Keou-kong, s’était soumis et avait aménagé la terre pour la culture : c’est pourquoi il était devenu le Souverain Terre, et les hommes devaient lui faire des sacrifices. Il était lui aussi un esprit « neuf fois enroulé sur lui-même », et il avait trois yeux dans une tête de tigre surmontée de cornes acérées. Il était installé sous terre, et les corps des morts lui appartenaient ; on les enterrait dans son domaine et « il aimait se repaître d’eux ». Dans les sacrifices qu’ils lui faisaient, le roi et le seigneur lui adjoignaient le Souverain-Millet (Heou-tsi), dieu des moissons, qui était le grain même divinisé.

À côté d’eux, chaque montagne, chaque fleuve, chaque lac, chaque accident de terrain avait sa divinité dont la puissance s’étendait plus ou moins loin suivant l’importance du site auquel elle présidait. Avec les divinités naturistes, le Comte du Vent, un oiseau à tête de cerf, le maître de la Pluie, la mère des Soleils, Hi-ho, et celle des Lunes, Tch’ang-ngo, c’était ce qu’on appelait « les Cent Esprits » (po-chen). Aucun d’eux n’acquit jamais une personnalité bien marquée, sauf le dieu du fleuve Jaune, le terrible Comte du Fleuve (Ho-po), que les riverains voyaient passer sur son char traîné par des tortues d’eau ; en deux endroits au moins, ils lui offraient chaque année une fille en mariage : on l’exposait sur un lit d’apparat qu’on lançait sur le fleuve et qu’on laissait dériver au fil de l’eau jusqu’à ce qu’il fût englouti.

À côté, ou plutôt au-dessus de toutes ces divinités terrestres, le Seigneur d’En-haut (Chang-ti), ou simplement le seigneur (Ti), était le souverain du ciel, où il gouvernait les âmes des morts, au moins celles des souverains et des princes, et du haut duquel il châtiait les rois et les seigneurs dont la vertu était déficiente. Il en descendait parfois pour se promener sur terre et, à la suite de son passage, des naissances miraculeuses produisaient les Ancêtres des familles princières. Les Ancêtres des rois le suivaient et se tenaient « à sa droite et à sa gauche », quand à la fin du deuil on avait fait pour eux le sacrifice ti, qui faisait d’eux des seigneurs religieux (ti) pareils au Seigneur d’En-haut (Chang-ti) ; et les âmes des ministres et des grands officiers suivaient leurs maîtres défunts pour les servir à leur tour. Dans ce monde céleste, les âmes étaient nourries par les offrandes de leurs descendants ; elles mouraient de faim quand la famille s’éteignait, les laissant sans offrandes.

Chaque famille noble avait ainsi ses Ancêtres protecteurs, dont la puissance correspondait à celle de la famille elle-même et dont la protection s’étendait, non seulement sur les descendants, mais sur tous ceux lui dépendaient d’eux, sujets, serviteurs, animaux, domaines, champs et moissons. Être mort ne suffisait pas pour être Ancêtre : il fallait encore que les cérémonies funéraires eussent été accomplies. C’était un rituel minutieux et compliqué. Les cérémonies se répartissaient en deux tours. Au moment de la mort, après le rappel de l’âme — le nom crié trois fois du haut du toit —, c’était au milieu des lamentations la toilette du mort ; puis, le lendemain et le surlendemain, on exposait le cadavre au milieu de ses vêtements funéraires, pendant que les fils, en vêtements de toile blanche non ornementée, recevaient les visites de condoléance ; venait enfin la mise en bière, avec dépôt provisoire du cercueil au pied du hall de réception et une petite offrande de grain et de viande séchée. Plus tard, quand le tombeau était achevé, avait lieu l’enterrement. C’était une procession à laquelle tous les parents, clients et amis prenaient part : en tête, un sorcier brandissait une hallebarde pour chasser les mauvaises influences, puis venait le char du cercueil, entouré de toiles blanches, suivi d’une bannière portant le nom du défunt et d’une voiture chargée de victimes. Les fils suivaient, vêtus de blanc...

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La pensée politique et la philosophie

Carte II. Henri Maspero (1883-1945) : Histoire et institutions de la Chine ancienne. - L’Antiquité. L’empire des Ts’in et des Han. — Annales du Musée Guimet, Bibliothèque d'études, tome LXXIII, PUF, Paris, 1967, pages 1-79.
II. Époque des "Royaumes Combattants" (Ve-IIIe s. a. C.) — Capitales : 1.TCHEOU=Lo-yi—2.HAN=Yang-ti—4.WEI=Ngan-yi—6.TS’IN=Hien-yang—7.YEN=Ki—8.TCHAO=Han-tan—9.TS’I=Lin-tseu—10.LOU=K’iu-fou—11.SONG=Chang-k’ieou—12.TCH’OU=Ying—15.WOU=Wou—16.YUE=Kouei-ki.

Ce n’est pas seulement dans le domaine religieux que l’action des scribes se fit sentir, elle ne fut pas moins forte dans le domaine politique, malgré leur situation dépendante. À mesure qu’ils prenaient conscience de leur rôle, ils se plaisaient à rêver d’une société où le mérite seul fît choisir les conseillers du souverain, et non la naissance. Toutefois, traditionalistes par éducation, ils cherchaient cet âge d’or non dans un avenir incertain, qu’il leur aurait fallu créer de toutes pièces sur des principes nouveaux, mais dans un passé relativement proche qu’il suffisait de faire revivre : temps légendaire des saints rois (cheng-wang) de l’Antiquité, quand Yao pour choisir un ministre se fondait uniquement sur les capacités et sur la vertu des gens qui lui étaient proposés.

En attendant de trouver le roi saint qui ramenât le bon vieux temps, les scribes s’appliquaient à définir le gouvernement parfait de l’Antiquité, et cela les amena à comparer la société contemporaine à celle des légendes. Chargés des pièces officielles, ils étaient habitués à rédiger les discours par lesquels les rois et les princes conféraient des charges, les juges prononçaient leurs sentences, les hauts dignitaires rendaient compte de leurs actes, moins en présentant des faits précis se rapportant à chaque cas particulier qu’en développant des thèmes consacrés par l’usage. Ils utilisèrent ces formes, auxquelles tout le monde était accoutumé, et s’en servirent comme de cadres pour exprimer leurs idées : ils composèrent des documents fictifs, où l’auteur exposait ses opinions personnelles ou des questions éthiques ou philosophiques, le plus souvent en les mettant dans la bouche des saints de l’Antiquité. Ils élaborèrent une théorie du pouvoir royal qui, utopique en leur temps, quand la puissance des rois des Tcheou allait s’affaiblissant de génération en génération, devait par la suite s’imposer à toutes les conceptions ultérieures de la souveraineté; en même temps, partant de la justification de la conquête du trône par les Tcheou sur les Chang, ils créèrent une véritable doctrine politique des rapports du souverain avec le peuple et avec le Ciel. Mais le problème politique n’était pas celui auquel ils s’attachaient le plus : ils s’intéressaient bien davantage au problème éthique. Comme beaucoup de peuples primitifs, les Chinois voyaient des présages dans tout ce qui se passait d’inattendu : éclipses de Soleil ou de Lune, inondations, incendies, etc. ; c’était là pour eux la manière dont les dieux manifestent leur mécontentement de la conduite des hommes. De ce problème religieux que les anciens résolvaient à force de sacrifices, les scribes firent un problème éthique en soutenant que les dieux ne se laissent pas gagner par les offrandes, et que c’est de la vertu de ceux qui accomplissent les cérémonies en y prenant part qu’ils tiennent compte ; et, remplaçant la notion vague de la conduite des hommes en général par celle de la conduite du souverain en tant que représentant des sujets, ils arrivaient à une théorie bien équilibrée. Le Ciel est impartial et ses actes répondent à la conduite des rois ; c’est du Seigneur d’En-haut que ceux-ci tiennent leur pouvoir, c’est lui qui a donné le « Mandat céleste » (t’ien-ming), la charge conférée par le Ciel à l’ancêtre de la dynastie. Mais la vertu du fondateur ne peut soutenir indéfiniment les descendants. Il faut que chacun d’eux gagne son droit à conserver le mandat en cultivant sa vertu ; autrement le Ciel, qui est impartial et dont les actes répondent à la conduite des rois, leur enlève le mandat et le donne à une autre famille : c’est ainsi que le tyran Cheou-sin, le dernier roi des Chang, l’avait perdu par ses fautes, et que le Seigneur d’En-haut l’avait donné aux Tcheou.

Cette doctrine devait avoir rapidement un grand succès ; tous les écrivains des siècles suivants la prennent pour fondement de leurs idées propres. Elle fut plutôt, pour la pensée chinoise, un point de départ qu’un point d’arrivée : mis en goût par ces spéculations, les lettrés voulurent aller plus loin et fonder sur elle une représentation complète du monde physique et moral. Ils ne créèrent pas de toutes pièces les données de cette représentation : ils les prirent parmi les notions courantes, idées religieuses, folklore, techniques de toutes sortes ; mais, sur ce point comme sur tous les autres, leur esprit ingénieux sut développer et transformer tout ce qu’il toucha. La théorie des Cinq Éléments (wou-hing) se fondait sur l’habitude, commune à tant de peuples primitifs, de classer les êtres et les choses par catégories numériques, non pas considérées comme des arrangements arbitraires, mais comme exprimant la réalité même. Celle des Trois pouvoirs (san-ts’ai) opposait le monde physique, formé du Ciel et de la Terre, et le monde moral, qui est celui de l’Homme : le Ciel et la Terre n’y sont pas un couple divin, mais simplement « le Ciel qui couvre » et « la Terre qui porte », tandis que, par un anthropocentrisme naïf, l’Homme y est conçu comme le centre de l’univers. D’ailleurs le Ciel et la Terre, d’une part, et l’Homme, de l’autre, se correspondent et tout ce qui est de l’un est de l’autre : ce qui appartient au microcosme humain a nécessairement son écho dans le macrocosme. Quant à la théorie du yin et du yang, faces opposées et complémentaires de toutes choses, elle découla de la nécessité pour les devins de classer tous les événements en deux catégories, faste et néfaste, et de tirer de ce dualisme, fondamental à leurs yeux, un principe non seulement de classement, mais d’explication de l’Univers. Tout un mouvement philosophique sortit de cet effort de recherches, et son trait caractéristique fut de tenter une transformation de catégories simplement énumératives, classificatoires, descriptives, en principes d’explication cosmologique.

L’une des œuvres les plus remarquables de ce premier effort philosophique de la pensée chinoise prenant conscience d’elle-même est un petit opuscule du VIIe ou VIe siècle, le Grand plan, Hong fan. L’auteur, utilisant diverses catégories et théories numériques, met au premier plan la grande classe des choses qui se comptent par cinq, non plus considérée comme une simple énumération, mais devenue un véritable système d’explication. Les Cinq Matériaux (wou-ts’ai) produits par le Ciel et sur lesquels l’homme exerce son activité : Bois, Feu, Métal, Eau, Terre, y deviennent les agents de l’activité du Ciel sous le nom des « Cinq Éléments » (wou-hing), sans cesser d’être des substances réelles ou constitutives dont ils sont les propriétés physiques. Ces Éléments ne se mêlent pas pour produire les choses créées par le Ciel ; ils exercent chacun à leur tour leur prédominance en des révolutions complètes et sans fin. Tous les groupes de cinq leur furent rapportés et furent considérés comme des qualités, des propriétés ou des formes du groupe fondamental des Cinq Éléments. Ainsi s’organisait le macrocosme, monde extérieur et matériel formé du Ciel et de la Terre. En face de lui le microcosme, c’est-à-dire l’Homme, devait être formé de même (et, effectivement, les Cinq Éléments constituent, dans le corps de l’Homme, les Cinq Viscères, wou-tsang) ; mais c’est surtout comme le représentant du monde éthique et politique que l’Homme s’opposait au Ciel et à la Terre, monde physique. À ce point de vue, en face des Cinq Éléments, l’Homme a les Cinq Activités (wou-che) : geste, parole, ouïe, vue, pensée, qui le régissent comme les Cinq Éléments régissent le monde physique et qui ne sont d’ailleurs qu’un aspect de ceux-ci. En poussant plus loin les équivalences, de même que, pour gouverner le monde physique, les Cinq Éléments ont pour moyen d’action les Cinq Régulateurs du temps (wou-ki) : année, mois, jour, constellation et calendrier, par lesquels tout vient en son temps, de même les Cinq Activités humaines ont comme truchement, pour régler le monde éthico-politique, les Huit procédés de gouvernement (pa-tcheng) : nourriture, marchandises, sacrifices, ministres, armée, etc., grâce auxquels la société est bien réglée. L’emploi des Cinq Activités conformément à la régularité des Cinq Éléments est le devoir du souverain : s’il les néglige, cela dérange les Cinq Régulateurs, et alors surviennent les Six Calamités (lieou-ki) ; s’il s’y attache, les Cinq Régulateurs fonctionnent normalement, et non seulement il ne se produit pas de cataclysme, mais le roi concentre en lui les Cinq Bonheurs (wou-fou) pour les répandre sur le peuple. Tel doit être le rôle de l’Auguste Faîte (houang-ki), c’est-à-dire de la royauté, centre de convergence du Ciel et de l’Homme ; c’est ce qui fait dire que « le Fils du Ciel est le père et la mère du peuple ». Ainsi s’établit la hiérarchie nécessaire entre les deux éléments constitutifs de l’univers, Ciel et Homme, monde physique et société.

Dans un milieu un peu différent, les scribes spécialisés dans la divination apportèrent moins une explication générale du monde qu’une explication scientifique de leur art. Les procédés divinatoires traditionnels leur fournissaient un moyen empirique de déterminer le faste et le néfaste : ils voulurent comprendre les causes de cette répétition de tous les événements et en vertu de quelle harmonie les hexagrammes divinatoires s’appliquaient aux choses. Ils décomposèrent les hexagrammes (soixante-quatre figures de six lignes chacune) en une série d’éléments plus simples, lignes, couples de lignes, figures de trois lignes (trigrammes), en donnant une importance particulière à ces dernières qui partageaient les hexagrammes en deux parties égales. Les Huit Trigrammes (pa-koua) constituaient une famille, qui comprenait les deux parents (deux trigrammes faits de lignes homogènes) et les six enfants (trois fils : trigrammes à ligne inférieure pleine, et trois filles : trigrammes à ligne inférieure brisée). Ces trigrammes furent considérés comme les générateurs des hexagrammes. Toutes ces figures n’étaient pas simplement des symboles ; elles avaient une existence réelle dans le monde de la divination, à côté des êtres qui existent dans le monde sensible. Mais tout cela ne représentait qu’un travail préparatoire purement technique qui, s’il était capable de faire comprendre la signification des hexagrammes eux-mêmes, n’expliquait pas la pertinence de leur application aux choses du monde sensible. L’identité admise des deux mondes, divinatoire et matériel, permettait de transférer au second l’explication du premier. De même que les soixante-quatre hexagrammes sont faits de deux espèces de lignes, pleines et brisées, les dix mille choses sont faites de deux substances antithétiques : le yin, obscur, immobile, féminin, terrestre, et le yang, lumineux, mobile, mâle, céleste (les mots yin et yang désignent au propre la pente ombragée et la pente ensoleillée d’une vallée). De même que les six lignes des hexagrammes ne se mêlent pas, mais se superposent, le yin et le yang produisent toutes choses, non en se mélangeant, mais en se succédant : l’alternance du yin et du yang, qui engendre toutes choses, fut pour eux la Voie (tao), le principe du monde, mais sans devenir une réalité à part, distincte du yin et du yang et supérieure à eux. Toutes choses dérivent du yin et du yang, entités primordiales au-delà desquels on ne conçoit rien, la théorie des devins étant restée dans sa conclusion fidèle à ses prémisses. Cette alternance produit d’abord ce qui est invisible et sans forme, puis ce qui est visible et sans forme, et enfin ce qui est visible et a forme, c’est-à-dire les dix mille choses. Cette théorie se constitua peu à peu dans le milieu assez fermé des scribes de la divination, grâce à l’enseignement de la science divinatoire ; plusieurs générations de maîtres consignèrent leurs opinions (qui ne concordaient pas toujours) dans un appendice du Yi-king, le Hi-ts’eu, petit recueil de notes concises qu’ils expliquaient oralement, et qui n’est pas facile à comprendre aujourd’hui où les leçons orales n’accompagnent plus le texte. Cet opuscule est venu s’ajouter aux formules divinatoires relatives à chaque hexagramme, à leur commentaire, aux explications techniques, et à quelques autres petits manuels de même origine, pour constituer le Yi-king, ou « Livre des Mutations », qui devint ultérieurement un des Livres Classiques.

C’est ainsi qu’autour de l’activité des scribes se formaient les premières œuvres de la prose chinoise. La variété même des pièces officielles avait produit une variété de formes littéraires : discours pour les actes officiels ; registres pour classer les pièces d’archives et qui, établis chronologiquement, forment le point de départ des chroniques historiques ; rituels des réceptions et des fêtes de cour, avec les scénarios des pantomimes qui accompagnaient les sacrifices aux ancêtres royaux ou princiers, etc. De ces formes, la première fut la plus productive, car, si les documents réels ne sont plus représentés que par quelques inscriptions, c’est en manière de documents fictifs que furent rédigées les plus anciennes œuvres philosophiques et politiques des scribes, ainsi qu’on vient de le voir. Parmi les autres formes de prose, celle du Tch’ouen ts’ieou, « Les Printemps et les Automnes », annales de la principauté de Lou (au Chan-tong) de 721 à 481, se rapproche, dans sa sécheresse, de ce que devaient être les anciens registres d’archives. Quant aux rituels anciens, un des Livres Classiques, le Chou-king ou « Livre des Documents », a conservé à peu près la moitié du livret de la Grande danse militaire (ta-wou) célébrant la victoire du roi Wou des Tcheou sur le dernier souverain des Chang. Tout cela n’est sans doute qu’un faible reliquat de la production littéraire de cette époque, mais suffit à montrer que dès la fin des Tcheou Occidentaux et le début des Tcheou Orientaux, entre le VIIIe et le VIIe siècle avant notre ère, les écrivains étaient en pleine possession de leurs moyens.

Carte 3. Henri Maspero (1883-1945) : Histoire et institutions de la Chine ancienne. - L’Antiquité. L’empire des Ts’in et des Han. — Annales du Musée Guimet, Bibliothèque d'études, tome LXXIII, PUF, Paris, 1967, pages 1-79.
III. L’empire des Han (aux alentours du début de l’ère chrétienne)

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Les classes sociales

Les paysans. — La vie des paysans était dure. Au IIe siècle av. J.-C., Tch’ao Ts’o la décrit ainsi dans un rapport à l’empereur :

« Aujourd’hui, sur une famille paysanne de cinq personnes, celles qui sont prises par les corvées officielles ne sont pas moins de deux. Ce que la famille est capable de cultiver ne dépasse pas 100 meou (5 ha), la récolte de 100 meou ne dépasse pas 100 che (20 hl). Au printemps les paysans labourent, en été ils sarclent, en automne ils moissonnent, en hiver ils engrangent ; ils vont couper du bois de chauffage, ils servent les autorités, ils travaillent aux corvées. Au printemps, ils ne peuvent échapper au vent et à la poussière ; en été, à la chaleur et au soleil ; en automne, au mauvais temps et à la pluie ; en hiver, au froid et à la gelée. Tout le long des quatre saisons, ils n’ont pas un jour de repos. Et je ne parle pas de leurs affaires privées : ils accompagnent ceux qui partent, vont au-devant de ceux qui arrivent ; ils font des condoléances pour les morts, prennent des nouvelles des malades, nourrissent les orphelins et élèvent les adolescents qu’il y a parmi eux. Quand ils ont peiné de la sorte, ils ont encore à subir les calamités de l’inondation ou de la sécheresse, les exactions cruelles d’un gouvernement exigeant, la perception d’impôts hors de saison, les ordres du matin et les contre-ordres du soir. Alors ceux qui possèdent quelque chose le vendent à moitié prix ; ceux qui n’ont rien empruntent en s’engageant à rendre le double avec les intérêts. Alors il y en a qui aliènent leurs champs et leur maison, qui vendent leurs enfants et leurs petits-enfants pour payer leurs dettes. »

Un écrivain du temps des Han Antérieurs, qui a pris comme pseudonyme le nom d’un célèbre économiste de l’Antiquité, Li K’ouei (vers 400 av. J.-C.), fait un tableau encore plus noir :

« Aujourd’hui, un paysan soutient cinq personnes. Il cultive 100 meou de terre (env. 5 ha) ; la récolte annuelle est de 1 ½ che (30 l) par meou (5 a), soit en tout 150 che de millet (30 hl). Si on retranche de ces 150 che l’impôt de la dîme, soit 15 che, il reste 135 che. La nourriture d’une personne pendant un mois est de 1 ½ che, celle de cinq personnes pendant un an, de 90 che : il reste 45 che. Comme le che vaut 30 sapèques, cela fait en tout 1.350 sapèques. Si on retranche de ces 1.350 sapèques les dépenses pour les sacrifices au dieu du Sol du village, pour les sacrifices aux Ancêtres, pour les sacrifices des prémices du printemps et de l’automne, soit 300 sapèques, il reste 1.050 sapèques. Les vêtements par homme reviennent en moyenne à 300 sapèques, soit pour cinq personnes à 1.500 sapèques par an. Il manque donc 450 sapèques, sans compter les frais de maladie, de funérailles, de deuil, ni les contributions... »

Ce tableau est sans exagération : 100 meou par famille, c’était plus que ne le permettait la densité d’une population d’environ dix millions de familles se partageant quarante millions d’hectares de terres défrichées. Sans tenir compte des grands domaines et de la répartition inégale de la population, la superficie disponible n’aurait pas suffi à procurer à chaque famille des lots égaux de cent meou. Si même dans les années moyennes une famille ne pouvait tenir sa subsistance de cent meou, même théoriquement, que devait-il en être des pauvres, de tous ceux qui avaient la malchance de vivre dans des régions surpeuplées et qui étaient réduits à la moitié ou au quart seulement de cette superficie théorique ? Toutefois le paysan à cette époque ne semble pas avoir été absolument misérable, car il ne manifeste pas son mécontentement par des rébellions ; du moins les historiographes des Han Antérieurs ne mentionnent-ils pas de troubles agraires en dehors des années d’extrême disette. Certains règnes ont même laissé un souvenir durable de prospérité, comme le milieu du Ier siècle de notre ère, au lendemain du rétablissement de la dynastie, sous les empereurs Kouang-wou et Ming des Han Postérieurs, quand « le che de grain (20 l) valait 20 sapèques ».

Les lettrés. — C’est la classe des lettrés (che ou jou), qui profita presque seule du nouvel ordre établi par le Premier empereur de Ts’in (Ts’in Che houang-ti) et maintenu par les Han. Les aristocraties des principautés soumises avaient presque entièrement disparu. Les chefs de famille et les membres les plus influents furent contraints par le Premier empereur de s’établir dans sa capitale, Hien-yang (près de l’actuel Tch’ang-ngan, dans le Chen-si). Ceux qui restèrent sur place furent ruinés : leurs apanages furent confisqués et devinrent domaine public ; certains furent réduits à la misère, comme ce petit-fils du prince Houai de Tch’ou qui s’était fait berger et gardait des moutons quand, en 208, Hiang Leang, voulant dans sa révolte contre le Second empereur des Ts’in (Ts’in Eul-che houang-ti) reconstituer les anciens États détruits par Ts’in, alla le rechercher pour le mettre sur le trône de Tch’ou. Le plus grand nombre, réduits à leurs propriétés privées, se fondirent rapidement dans la masse des petits propriétaires fonciers. L’aristocratie de Ts’in, de son côté, fut démembrée par le Second empereur pendant son court règne (209-207) et acheva de périr dans les guerres qui suivirent la chute des Ts’in. Pendant la première moitié du IIe siècle, sous les premiers empereurs Han, l’empire fut gouverné et administré par les chefs de bandes qui avaient aidé Lieou Pang (Kao-tsou) à conquérir le trône, ainsi que par leurs parents et leurs clients. Quand cette première génération eut disparu, et qu’on commença à s’apercevoir que l’exploitation rationnelle de l’empire était plus avantageuse que sa mise au pillage et qu’elle exigeait comme condition préalable sa mise en ordre, il fallut bien faire appel aux lettrés, les seuls qui eussent des principes d’administration régulière et une tradition déjà longue de loyalisme (envers quatre souverains). Ainsi la classe des lettrés sortit de la tourmente avec une autorité accrue. Il fut désormais établi qu’on ne pouvait se priver d’elle ; elle prit définitivement la haute main dans l’organisation de l’État, sans qu’aucune autre classe jouît jamais d’une autorité suffisante pour lui faire contrepoids.

L’aristocratie. — Il y avait, il est vrai, des seigneurs auxquels la cour des Han s’efforçait de donner les allures d’une aristocratie féodale : quelques personnages privés de la famille impériale, quelques hauts dignitaires recevaient de l’empereur à titre héréditaire les vieux titres de prince (roi, wang) ou de marquis (heou), avec une terre, et ses habitants, qui était érigée par eux en fief (kouo) et pour laquelle ils devaient l’hommage à l’empereur, chaque année au huitième mois. Ces fiefs formaient une unité religieuse par la création d’un dieu du Sol propre ; l’investiture en était conférée suivant l’ancien rite de la terre et des herbes. Mais ce n’était qu’une aristocratie apparente, et les seigneurs investis d’un fief par les Han ne formèrent jamais une véritable classe.

Le titre le plus élevé, celui de roi (ou prince : wang), n’était donné qu’aux fils, petit-fils ou frères d’empereur ; leurs fiefs avaient souvent l’étendue des provinces de ce temps, mais leur droit sur leurs sujets se bornait presque à un droit fiscal : ils percevaient les impôts, et versaient au trésor impérial une somme de 4 onces d’or (40.000 sapèques) par 1.000 habitants, conservant pour eux la différence, considérable, puisque l’impôt personnel par 1.000 personnes était de 120.000 sapèques. Obligés de vivre dans leurs fiefs et écartés par là des fonctions publiques, seule source d’autorité réelle, ces rois ne comptaient guère. Ils étaient d’ailleurs suspects par leur naissance même, au point qu’ils n’avaient pas le droit de régir leurs États ni de choisir leurs conseillers, et que ceux-ci leur étaient envoyés par la cour impériale, autant pour les surveiller que pour les assister. Condamnés à l’oisiveté, quelques-uns essayaient de remédier au vide de leur existence par des occupations intellectuelles, protégeant les écrivains, fondant des bibliothèques ou des écoles : le roi de Ho-kien, celui de Houai-nan se firent ainsi une renommée vers le milieu du IIe siècle av. J.-C. Mais la plupart d’entre eux s’abrutissaient dans une vie crapuleuse, buvant, organisant des combats de coqs, enlevant des femmes et des filles pour leur harem. Presque tous moururent jeunes, quelquefois emportés par des maladies consécutives à leurs excès, le plus souvent de mort violente, obligés de se suicider. Ils n’eurent aucune influence ni sur les affaires publiques, ni même sur la vie privée de la société de leur temps.

Les marquis (heou, lie-heou) étaient des membres plus éloignés de la famille impériale, ou de hauts dignitaires à qui l’empereur conférait par faveur spéciale un fief (heou-kouo). Leur autorité sur les habitants du fief était strictement limitée : ils en étaient les seigneurs, et leur sujets les appelaient respectueusement Monseigneur. Mais ni la justice, ni l’administration, ni les finances ne leur appartenaient et, de même que pour les rois, leur privilège consistait surtout en ce qu’une part des impôts restait entre leurs mains. Les marquis avaient sur les rois l’avantage de n’être pas astreints à la résidence, de sorte que les charges de cour leur restaient ouvertes. Mais aucune fonction ne leur était réservée en propre : si la plupart des ministres et grands dignitaires des Han furent des marquis, c’est presque toujours après coup qu’ils le devinrent, et ce furent leurs hautes fonctions qui les firent anoblir. Ils n’avaient même pas de privilèges spéciaux en dehors de ceux que partageaient tous les lettrés, à savoir d’échapper à la corvée et, en cas d’accusation, à la bastonnade. Ils ne formèrent jamais une classe particulière ; ils restèrent dans celle des lettrés, à laquelle ils appartenaient par leurs origines et dont ils devinrent les membres les plus riches et les plus influents.

Les commerçants. — Ainsi la classe des lettrés ne devait se heurter à aucune rivalité de la part de l’aristocratie de naissance, presque entièrement issue d’elle. Ses seuls rivaux ne pouvaient surgir que parmi les commerçants (chang) et les industriels (kong), d’origine et d’éducation toutes différentes ; encore cela n’arriva-t-il que pendant un temps très court. La pacification de l’empire, suivie de la création de routes, l’absorption de pays nouveaux dans le Midi, l’établissement de relations régulières avec les pays étrangers de l’Occident avaient créé un mouvement économique considérable. Les immenses territoires presque déserts des provinces nouvelles du Midi attirèrent des colons en nombre croissant. Riches et peu peuplés, ces territoires étaient en mesure d’exporter dans la Chine du Nord toutes sortes de denrées : c’est à partir des Han que le riz, rare dans l’Antiquité, prit une place de plus en plus grande dans l’alimentation ; l’usage du thé commença aussi vers cette époque, mais ne se répandit que plus tard, quand les invasions barbares eurent chassé la cour impériale dans le bassin du fleuve Bleu. On commença à exploiter les richesses naturelles de ces régions neuves. Les propriétaires de mines firent des fortunes énormes par exemple un certain Teng T’ong avec sa mine de cuivre, K’ong Kin avec sa mine de fer. Même dans les provinces du Nord, de grandes entreprises se fondèrent ; ainsi de grandes salines furent créées sur la côte sud-ouest du golfe de Petchili par un certain Tong-kouo Hien-yang. De florissantes entreprises de transports par chars et par bateaux s’étaient constituées, utilisant le réseau des routes impériales établi par le Premier empereur et accru par l’administration des Han pour compléter celui des fleuves et des canaux qui sillonnent la Chine du Nord. Le commerce de la soie par caravanes à travers l’Asie centrale s’organisa. Pendant un siècle, on put croire que la Chine allait voir se développer un commerce et une industrie dignes de ses richesses naturelles. Mais la nécessité de trouver des ressources fiscales nouvelles pour payer les dépenses de la conquête de l’Asie Centrale et de la pénétration dans les pays du sud et du sud-ouest fut fatale à ce mouvement. Les gains énormes des commerçants et des industriels éveillèrent l’attention et la malveillance du gouvernement impérial. Les taxes instituées sous l’empereur Wou des Han (141-87) portaient presque exclusivement sur les commerçants, et l’établissement des monopoles du fer, du sel et des transports tua les entreprises privées. Les préjugés des lettrés contre les commerçants, intermédiaires jugés inutiles entre le producteur et le consommateur, et contre les industriels qui attiraient des hommes du peuple dans leurs ateliers pour la fabrication d’objets de luxe ou tout au moins d’utilité secondaire, les détournant ainsi du travail de la terre et de la production des denrées alimentaires, ne leur furent guère moins néfastes. Les lettrés luttaient tenacement contre la formation d’une classe de commerçants et d’industriels riches, la seule qui aurait pu être assez indépendante par sa formation et par son éducation pour leur porter ombrage.

La propriété foncière. — Ainsi, pendant toute la durée de la dynastie des Han, les lettrés furent la classe dominante. Eux seuls avaient en fait le droit d’être propriétaires de domaines, car les fonctionnaires impériaux, recrutés parmi les lettrés, ayant pris dans la société nouvelle la place des anciens seigneurs, avaient hérité de ceux-ci le privilège de posséder les terres pour eux-mêmes ou pour leurs descendants ; et à plusieurs reprises ils firent interdire l’achat de domaines aux commerçants. Mais leurs domaines ne leur étaient pas donnés, comme dans l’Antiquité : la loi leur permettait seulement de les acheter, et l’étendue était réglée théoriquement d’après leur rang, bien qu’en pratique les règles restrictives fussent mal observées. En 6 av. J.-C., il fut interdit de dépasser une superficie d’environ 150 ha, sous peine de confiscation de l’excédent (la loi ne fut du reste pas sérieusement appliquée). Le commerce des propriétés était libre, et le prix ne paraît pas en avoir été élevé. On affirme qu’au IIe siècle av. J.-C. la bonne terre atteignait 10.000 sapèques par meou (environ 5 a) ; mais quand nous trouvons des faits précis, ils montrent des prix bien moindres. Le prix des terres publiques que le ministre Li Ts’ai fut accusé de s’être appropriées et d’avoir vendues à son profit était de 400.000 sapèques par 300 meou, soit environ 1.400 sapèques par meou, ce qui correspond à 28.000 sapèques par hectare (118 av. J.-C.) ; un document de 82 ap. J.-C. met le prix de 23 meou 64 pas (1,17 ha) à 102.000 sapèques, soit 4.400 sapèques par meou.

La loi ne permettait en principe d’acheter que les terres incultes ou celles qui faisaient déjà partie de domaines privés ; les terres cantonales allouées aux paysans étaient exclues puisque le paysan, non propriétaire, n’avait pas le droit de les vendre. Toutefois la loi n’était guère obéie sur ce point : c’étaient là en effet les meilleures terres, et il était tentant de profiter de la misère des mauvaises années pour les acheter. D’autre part, une partie de ces terres était constamment vacante à cause des jachères, et cela devait faciliter leur pure et simple occupation par les gens riches : cette usurpation, analogue à la dispute des communaux entre seigneurs et paysans en Occident, est dénoncée pendant des siècles par les lettrés comme une des causes de la misère des campagnes. Le domaine était mis en culture par des ouvriers salariés (le nombre des esclaves, limité par la loi, était trop restreint pour qu’on pût les employer à l’exploitation d’un domaine rural), ou encore il était loué à des métayers qui partageaient par moitié avec le propriétaire le produit de la récolte. C’étaient ainsi les paysans du village qui fournissaient la main-d’œuvre nécessaire, y trouvant une augmentation de leurs ressources. Les deux procédés étaient également pratiqués. La différence du mode d’exploitation devait tenir à la position sociale du propriétaire : fonctionnaire en activité, il était absent de son domaine, et le faisait exploiter par métayage ; retiré des fonctions publiques, il pouvait en diriger lui-même l’exploitation par des ouvriers salariés. Le temps que le propriétaire passait dans l’administration variait suivant ses goûts et ses besoins ; le plus souvent, il se contentait de passer quelques années dans les bureaux de la sous-préfecture ou de la commanderie qu’il habitait, moins pour le profit matériel qu’il pouvait en tirer (car les traitements étaient peu élevés pour les employés des bureaux provinciaux et même pour les chefs de bureaux) que pour établir des relations personnelles de collègue à collègue avec les autorités locales.

Les domaines fonciers, qu’on appelait officiellement « terres (inscrites) au nom » (ming-t’ien), parce qu’elles étaient désignées par le nom du propriétaire sur le rôle du cadastre, se composaient de deux parties : un parc de plaisance (yuan) contenant l’habitation, et des champs (t’ien) qui formaient la véritable exploitation, d’où le nom de « parc avec champs » (yuan-tien) qu’on leur donnait souvent et qui ne fut changé en ceux de « villa » (tchouang) ou de « campagne » (ye, chou) qu’à l’époque des Six Dynasties. Il n’y avait guère de différence entre les domaines des Han et ceux de l’Antiquité, sauf quelques détails qui tenaient au progrès de la civilisation et aux transformations de la société. Le parc prenait une place plus grande qu’autrefois, surtout dans les domaines importants et en particulier dans ceux des grands dignitaires de la cour impériale aux environs de la capitale. Il était parfois immense et il arrivait qu’on l’aménageât de façon à représenter des sites célèbres, fleuves, montagnes, forêts en miniature. Dans le parc que Yuan Kouang-han s’était fait à Meou-ling près de Tch’ang-ngan, des rochers entassés sur plusieurs li de long figuraient des montagnes ; il en avait fait une sorte de jardin zoologique et y élevait des perroquets blancs, des bœufs sauvages, des rhinocéros, et toutes sortes d’animaux extraordinaires. Il l’avait fait traverser par la rivière Ki dont il avait détourner le cours et qui formait des lacs artificiels avec, ça et là, des îles de sable rapporté où il avait mis des mouettes de rivière et des grues de mer ; il avait transplanté à grands frais toutes sortes d’arbres et de plantes exotiques. Des pavillons permettaient de se reposer et de jouir du paysage quand on s’y promenait. Le parc du ministre Leang Yi, qui fut mis à mort en 159 ap. J.-C., a laissé un souvenir de faste inégalé dans la littérature des IVe et Ve siècles : il était près de Lo-yang, capitale des Han Postérieurs. Là aussi on avait élevé des montagnes, avec des forêts profondes et des torrents, lâché des oiseaux et des bêtes étranges ; l’ensemble était aménagé avec tant d’art que ce paysage factice avait l’air naturel.

Tous les parcs n’étaient pas aussi somptueux ; bien au contraire, ce n’étaient là que des exceptions, et des exceptions devenues légendaires. La plupart des propriétaires avaient simplement un jardin autour de leur habitation ; mais l’art du jardin chinois, qui s’est si bien conservé au Japon, avec son effort pour imiter la nature et éviter tout ce qui a l’air arrangé, semble avoir fleuri dès cette époque et il est probable qu’il présidait déjà à l’ordonnance de tous les parcs des familles riches de ce temps. C’est toutefois sous les Six Dynasties qu’il devait atteindre son plein développement ; le type le plus célèbre en est le grand domaine du Kouei-ki, au Tchö-kiang, aménagé et décrit au début du Ve siècle par le poète Sie Ling-yun.

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Les finances

Le formidable appareil administratif des Ts’in et des Han avait l’avantage de bien tenir l’empire : il lui assura une paix relative pendant quatre siècles. Mais il avait l’inconvénient de coûter très cher. On n’arriva qu’imparfaitement à trouver les ressources nécessaires à son fonctionnement normal ; à la moindre crise, extérieure ou intérieure, elles devenaient insuffisantes ; et finalement l’accroissement constant et inévitable des charges procéda à un tel rythme que l’enrichissement pourtant réel de la population ne put le suivre et que non seulement il amena les troubles qui entraînèrent la chute de la dynastie Han, mais encore rendit impossible l’établissement d’un régime stable au cours des siècles qui suivirent.

Trésor public et Trésor privé. — L’organisation financière des Ts’in et des Han avait conservé de l’organisation antique le système de la spécialisation des impôts. Chacun d’eux était destiné à couvrir une catégorie particulière de dépenses. Il en résultait une séparation nette entre les finances privées de la maison impériale et les finances publiques de l’État. La distinction est bien marquée par Sseu-ma Ts’ien : au début des Han, rapporte-t-il,

« on fit le compte des appointements des fonctionnaires et on dressa le budget des dépenses publiques pour déterminer l’impôt de capitation pour le peuple. Mais, quant aux revenus provenant des taxes et redevances prélevées sur les montagnes et les cours d’eau, les parcs et les lacs, les marchés et les boutiques, ils étaient considérés comme des privilèges particuliers attribués à des personnes déterminées, depuis le Fils du Ciel jusqu’aux seigneurs apanagés avec les terres affectées à leur entretien personnel, et on ne les inscrivait pas dans les dépenses régulières de l’empire... »

Chacune des deux catégories avait son ministre propre, le Grand directeur de l’Agriculture (ta sseu-nong) pour les finances publiques, le Petit trésorier (chao-fou) pour les finances privées. Il fallut l’anarchie des Trois Royaumes et les invasions barbares pour effacer cette distinction.

Impôts en nature. — Le rattachement des finances publiques au Grand directeur de l’Agriculture s’explique facilement dans un pays essentiellement agricole, où les impôts sur la terre et sur ses produits constituaient les recettes fondamentales. L’impôt foncier était en effet la base de toutes les ressources de l’État. Il était perçu en nature, et payé au prorata de l’étendue de la propriété ou du lot possédé. Mais, pour conserver la forme de l’impôt antique, une dîme fictive, qui était censée suivre les variations des récoltes, paraissait plus juste aux lettrés qu’un impôt fixe. C’est en termes de dîme qu’on en exprimait le taux, avec un arrangement singulier qui supprimait précisément toute variation annuelle : l’unité de mesure, l’arpent (meou, environ 5 a), était considérée officiellement comme produisant chaque année 15 boisseaux de grain (environ 30 l), quel que fût d’ailleurs ce grain, millet, blé ou riz, ce qui était absurde ; et le taux de l’impôt était une fraction de ce rendement fictif. An début des Han, il fut, dit-on, sensiblement allégé (mais on ne sait quel était le taux sous les Ts’in) et fixé à 1 pour 15, c’est-à-dire à 1 sur 15 boisseaux du rendement théorique par arpent (2 l par 5 a) ; il resta constamment à ce chiffre, sauf diminutions ou remises temporaires locales ou même parfois générales, à la suite de mauvaises années ou au contraire de prodiges fastes. La superficie cultivée était à peu près de 4 millions de k’ing, soit environ 39 millions d’hectares. Comme on ne tenait pas compte des jachères pour l’établissement de l’impôt, le produit total peut être évalué à 800 millions de boisseaux, soit environ 16 millions d’hectolitres. La plus grande partie en restait sur place dans les provinces pour payer les dépenses locales. Ce qui était envoyé à la capitale servait à des usages multiples, entretien des troupes de la capitale, traitements des fonctionnaires de l’administration centrale (qu’on payait moitié en grain, moitié en monnaie), etc. ; de plus, c’est là-dessus qu’il fallait prélever les vivres des troupes en cas de campagne militaire. L’impôt foncier qui, avec son mode de calcul archaïque, paraissait être un impôt sur les produits agricoles et non sur la terre elle-même, se complétait par une taxe sur les bestiaux, dont on ne connaît ni la nature ni le mode d’établissement.

Impôts en monnaie. — À ces impôts en nature s’ajoutaient des impôts en monnaie. Le principal de ceux-ci était la taxe personnelle (souan fou), une capitation de 120 sapèques par personne âgée de quatorze à cinquante-cinq ans. Les enfants et les vieillards qui, au début, étaient entièrement exonérés, payaient sous les Han une taxe spéciale (k’eou fou) de 20 sapèques (portée sous l’empereur Wou à 23 sapèques) dont le produit, à la différence de la capitation, allait au Trésor privé ; les enfants de moins de sept ans restaient seuls exemptés.

La capitation était un legs de l’époque féodale : au Ts’in, on faisait remonter sa création aux réformes du ministre Wei Yang en 348 av. J.-C. ; elle existait probablement au Ts’i à la même époque et était de 30 sapèques. Ts’in Che-houang-ti devait l’étendre à tout l’empire, et surtout en unifier le montant. L’empereur Kao-tsou des Han la conserva par ordonnance de 203 av. J.-C. ; il est vraisemblable que le taux de 120 sapèques fixé par le Code des Han était déjà celui de la dynastie Ts’in. Les commerçants, envers qui le gouvernement des Han était particulièrement sévère, payaient double taxe, ainsi que les esclaves ou plutôt les patrons pour leurs esclaves ; pour les filles de plus de dix-sept ans qui n’étaient pas mariées, la famille payait le quintuple. Le montant de l’impôt resta le même pendant toute la dynastie, malgré les altérations de la sapèque qui passa d’une demi-once (env. 7,5 g) au début du IIe siècle à cinq grains (wou-tchou, env. 3 g) en 136 av. J.-C., ce qui, en un demi-siècle, diminua la valeur réelle de l’impôt de plus de la moitié.

Il est intéressant d’essayer de se rendre compte, comme pour l’impôt foncier, de ce que pouvait représenter sous les Han l’impôt en monnaie. L’empire avait entre 50 et 60 millions d’habitants ; si on laisse de côté un quart de ce chiffre pour les enfants de moins de quinze ans et un cinquième pour les vieillards de plus de cinquante-cinq ans, qui ne payaient ni les uns ni les autres la capitation, et qu’on retranche encore la population des Principautés feudataires (environ 6 millions) et à peu près autant pour celle des domaines des marquis (qui payaient l’impôt les unes au prince, les autres au marquis), il reste 20 millions de personnes soumises à la capitation, ce qui fait un total approximatif de 2.400.000.000 de sapèques, valant officiellement 240.000 livres d’or (mais en réalité beaucoup moins) ; en sapèques wou-tchou, c’était une masse d’un peu plus de 75.000 tonnes de cuivre. La totalité des monnaies wou-tchou fondues entre 115 av. J.-C. et 2 ap. J.-C. était de 2.800 milliards de pièces ; la population paya donc en 117 ans quelque 270 milliards de sapèques, c’est-à-dire que la rentrée de la taxe personnelle pendant cette période dans les coffres de l’État correspond au dixième de la fonte totale.

Les monopoles. — Un autre revenu important du Trésor public était le produit des monopoles du fer, du sel et des boissons fermentées, créés sous l’empereur Wou ; ils subsistèrent pendant les quatre siècles de la dynastie Han, sauf une courte interruption de deux ans au milieu du Ier siècle av. J.-C. (44-42). Les deux premiers de ces monopoles remplaçaient d’anciennes taxes ; le troisième paraît avoir été une création nouvelle. Les deux plus grands commerçants du sel et du fer, K’ong Kin et Tong-kouo Hien-yang, furent chargés en 119 av. J.-C. d’organiser chacun le monopole de son secteur. Ils prirent dans chaque région les principaux sauniers et maîtres de forge pour diriger le monopole sous les ordres des fonctionnaires du sel et du fer, qui étaient respectivement au nombre de vingt-huit et de quarante pour l’organisation tout entière, dépendant du Grand directeur de l’Agriculture. Le monopole du sel n’était, à strictement parler, ni un monopole de fabrication, ni un monopole de vente : l’État obligeait surtout les particuliers qui voulaient fabriquer du sel à employer pour le faire bouillir des bassins spéciaux qu’il leur louait. Pour le fer, c’était un monopole de fabrication : l’État seul avait le droit de fabriquer des instruments en fer ; même la refonte de la vieille ferraille était interdite. Des considérations d’ordre militaire, crainte d’exportation du fer et surtout crainte de fabrication clandestine d’armes, jouaient un grand rôle dans cette interdiction. Les peines les plus sévères étaient prévues contre les contrebandiers :

« Ceux qui oseront secrètement fondre des ustensiles de fer et faire bouillir du sel porteront la chaîne au pied gauche, et leur outillage sera confisqué.
»


Mais si la fabrication était interdite pour le fer et réglementée pour le sel, le commerce restait libre. Au contraire, le monopole des boissons fermentées, institué en 98 av. J.-C., supprimé dès 80 pour être rétabli par Wang Mang au début du Ier siècle de notre ère et supprimé définitivement par les Han Orientaux, était un monopole à la fois de fabrication et de vente : l’État fabriquait et vendait les liqueurs dans des débits officiels à prix imposé ; le bénéfice était important, le prix de vente étant fixé très haut.

« D’après les règlements anciens, voici comment procédaient les fonctionnaires chargés de la fabrication du vin... 20 boisseaux de riz gros et 10 de ferment donnaient 66 boisseaux de vin... On additionnait le prix de ces 30 boisseaux de riz et de ferment, en divisant le total par trois, et le tiers était le prix fixé pour 10 boisseaux de vin (ce prix de vente était donc un peu plus du double de celui des matières premières). Une fois retranché (de ce prix de vente) le prix du riz et du ferment, trois dixièmes du bénéfice servaient à payer les frais de cendre et de charbon pour la clarification, ceux de l’entretien des ustensiles et ceux du bois de chauffage ; les sept dixièmes restants entraient au Trésor. »

Taxes sur les commerçants. — Une autre grande catégorie d’impôts alimentait le Trésor public : les taxes qui frappaient les commerçants. Commerce et industrie avaient pris un grand développement à la fin des Royaumes Combattants, sous les Ts’in et au début des Han. Quand dès l’empereur Wen (179-757 av. J.-C.) les lettrés sont définitivement arrivés au premier rang, ils en profitent presque immédiatement pour taxer durement cette classe riche, d’origine différente de la leur et dont ils craignaient l’influence. En 119 av. J.-C., sous prétexte que les stocks des commerçants « s’entassaient dans les villes pour leur propre profit » et qu’il fallait empêcher les accaparements et la spéculation, une taxe de 6 % et de 3% fut instituée respectivement sur ces stocks et sur la fortune personnelle des commerçants et des industriels. C’était un véritable impôt sur le capital : le but était de forcer les commerçants et les industriels à vendre en masse pour se procurer la monnaie nécessaire au paiement de l’impôt. En même temps, la taxe de 120 sapèques sur les chars privés était doublée pour eux, et une autre taxe de 120 sapèques était établie sur les bateaux de plus de 50 pieds (12 m), ce qui pratiquement n’atteignait que les bateaux de commerce. Cette dernière mesure eut pour résultat de faire disparaître rapidement les bateaux, en sorte que les prix montèrent ; mais un des conseillers financiers de l’empereur Wou, Pou Che, qui avait proposé la suppression de cette taxe, fut disgracié, et celle-ci fut maintenue. En 110 av. J.-C., un assistant du Grand directeur de l’Agriculture, Sang Hong-yang, se décida à assurer les transports de l’État au moyen de chars construits dans des ateliers officiels ; ce n’était pas un monopole : c’était une entreprise de transports destinée à lutter contre les exigences des entreprises privées et à compenser leur insuffisance. Elle devait assurer le ravitaillement des frontières, des régions sinistrées en temps de famine ou d’inondations, etc. Cette mesure se rattachait à un essai de fixer et d’égaliser les prix dans tout l’empire en transportant les denrées des régions où elles étaient abondantes et bon marché dans celles où elles étaient rares et chères: des officiers dépendant du Grand directeur de l’Agriculture furent installés en 115 av. J.-C. dans toutes les provinces pour « transporter en égalisant » (kiun-chou). Cette tentative de commerce d’État ne réussit pas ; elle eut pour résultat de ruiner pour des siècles le commerce et l’industrie privés. Il semble que cette organisation compliquée disparut avec Sang Hong-yang (exécuté en 81 av. J.-C.), car lorsque l’idée fut reprise par Wang Mang, il ne s’agit plus que d’égalisation des prix, non d’entreprises de transports.

Des taxes spéciales moins importantes complétaient les ressources du Trésor. Une taxe militaire de remplacement de 300 sapèques était levée sur les appelés non incorporés ; le montant en était destiné à payer la solde des mercenaires de métier qui faisaient effectivement le service militaire. Il y avait aussi une taxe sur les ligatures de sapèques. Enfin la vente des offices et des charges contribuait à combler les vides quand le Trésor était à sec.

Le Trésor privé. — Les ressources du Trésor privé étaient naturellement moins importantes. Elles aussi comportaient des recettes en nature et des recettes en monnaie. Les premières étaient constituées surtout par les recettes des domaines et des parcs impériaux. Les plus importantes des taxes en monnaie étaient les impôts payés par les fiefs et apanages, et la taxe personnelle des enfants. Cette dernière (k’eou fou), comme on l’a vu plus haut, frappait les enfants de sept à quatorze ans ; d’abord de 20 sapèques, elle fut augmentée d’un dixième sous l’empereur Wou. Les princes et les marquis prenaient et gardaient pour eux la taxe personnelle de leurs sujets ; mais ils devaient au Trésor privé, les premiers 63 sapèques par personne, les seconds 4 livres d’or pour 1.000 personnes. En comptant environ quinze millions d’enfants soumis à la taxe, et une douzaine de millions d’habitants dans les fiefs princiers et les marquisats, on peut évaluer approximativement la recette du Trésor privé à 300 millions de sapèques (30.000 livres d’or au taux officiel) pour la capitation des enfants, et à quelque 600 millions de sapèques « 60.000 livres d’or) pour le revenu des royaumes et marquisats. On voit que, sans avoir l’importance de la capitation, cet impôt fut d’assez bon rapport. Enfin la vieille taxe des marchés et boutiques allait au Petit trésorier.

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