H. Doré : Recherches... Troisième partie : Popularisation des trois religions

Section II : Bouddha et le bouddhisme

A. VIE ILLUSTRÉE DU BOUDDHA ÇAKYAMOUNI

d'après les documents chinois

Recherches..., volume XV. Variétés sinologiques n° 57, Zi-ka-wei, 1929. XII+394 pages + 45 illustrations.

  • Quelle idée les Chinois se font-ils de Bouddha ? Comment ont-ils écrit sa vie et raconté ses faits et gestes ? Comment le bouddhisme fut-il introduit en Chine ? Comment s'y est-il propagé, quel genre de bouddhisme y est maintenant pratiqué ? Voilà les questions auxquelles ce modeste travail essaie de répondre le plus exactement possible. J'entreprends donc de montrer le Bouddha chinois d'après les ouvrages chinois qui font autorité en pareille matière, et le bouddhisme chinois tel qu'il fut expliqué, enseigné, popularisé, et tel qu'il existe de nos jours.

Table des matières
Extraits : Naissance de ÇakyamouniLe songe du roi SuddhodanaLa fuite du palais
Les légions de MaraL'illumination
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Naissance de Çakyamouni

La naissance de Çakyamouni
La naissance de Çakyamouni


1. Sa descente dans le sein de la reine Maya


L'hiver est passé ; une herbe tendre revêt la terre d'une charmante verdure ; partout le sol se couvre de plantes, de rejetons, où vient se jouer la brise printanière ; les arbres déploient leurs branches emperlées de fleurs et remplissent l'air d'un baume enivrant. Prabhâpâla fait un pathétique discours à tous les devas assemblés et termine en disant :

— Sachez-le bien, c'est pour la dernière fois que je renais.

A ce moment, la reine Maya vit en songe un poussah brillant comme un cristal et montant un éléphant blanc, à six défenses, descendre du haut des d'eux, entrer dans son côté droit et pénétrer dans son sein.

Une lumière mystérieuse inonda le monde et pénétra jusqu'à la racine des montagnes où règnent d'éternelles ténèbres, la grande terre trembla six fois, les monts furent ébranlés sur leurs bases, les océans se soulevèrent en vagues mugissantes, les rivières remontèrent vers leur source, tous les arbres des forêts semèrent sur le sol leur riche tribut de fleurs, et par tout l'enfer, des cris de joie succédèrent aux hurlements de rage. Le richi Asita, du fond de sa retraite de Gauganadi, s'écria :

— Un grand saint vient de naître !

Après cette vision, la reine s'éveilla et raconta à Suddhodana ce qu'elle venait de contempler. Le roi fit mander d'habiles devins et leur ordonna de lui expliquer la signification de ce songe. Ces brahmes répondirent que la reine avait conçu un fils.

— Il serait trop long d'entrer dans le détail de tous ces signes, ajoutèrent-ils, mais voici quel en est le sens. La reine a conçu un saint qui glorifiera votre race.

Au moment où il descendit dans son sein, il parut tout étincelant de lumière et entouré des saints bouddhistes : ce sont là tous les signes du vrai Bouddha. Si cet enfant ne se fait pas bonze, il deviendra un roi puissant et glorieux.

A partir du jour où Bouddha fut descendu dans les entrailles de Maya, cette reine observa les six préceptes bouddhiques ; sa nourriture et son breuvage lui étaient apportés des cieux ; elle renonça à toutes les jouissances du siècle.

A l'instant même de la conception, tous les mondes tremblèrent, tous les malades furent guéris. Cette année fut marquée par une fertilité surprenante, et le royaume jouit d'une profonde paix.

2. Sa naissance sous un palasa

Dix mois s'étaient écoulés, Maya approchait de son terme : son père Suprabuddha pria le roi de permettre à la reine Maya de se rendre dans son parc de Lumbini, qu'il avait fait aménager avec le plus grand soin pour la recevoir. Suddhodana accorda bien volontiers la requête que lui adressait son beau-père et donna ordre de faire tous les préparatifs pour le voyage à Devadaho.

La reine, resplendissante de pierreries, parfumée, revêtue de ses plus riches habits, entourée de toute sa cour, était portée par un éléphant blanc. Suprabouddha, avec tous les nobles de son entourage, vint la recevoir devant la porte de son palais.

Le huitième jour du deuxième mois du printemps, la reine entra dans le parc de Lumbini, pour faire sa promenade en compagnie des dames de sa cour, allant doucement de bocage en bocage, de parterre à parterre, pour admirer les beautés de ces jardins féeriques. Arrivée au pied d'un superbe palasa, elle leva la main droite pour saisir une branche en fleurs ; à ce moment précis, Bouddha sortit de son sein droit, pur comme une pierre précieuse tirée de son écrin.

Une lumière éclatante éclaira la terre et les cieux, tous les devas l'aperçurent ; Brahma, Mara, tous les habitants des célestes palais s'écrièrent :

— D'où vient donc cette clarté intense ?

Bouddha était né.

Je suis le plus noble des êtres
Je suis le plus noble des êtres


Le nouveau-né se tint debout, fit sept pas vers chacun des quatre points cardinaux ; à chaque pas, on vit éclore sous ses pieds une large fleur de lotus. Bouddha, après avoir regardé les quatre points de l'horizon, d'une main montrant le ciel, de l'autre désignant la terre, dit à haute voix :

— Je suis le plus noble des êtres de la terre et des cieux ; les dieux et les hommes me doivent le tribut de leur adoration et de leur service.

Alors jaillirent de terre deux sources d'eau parfumée, l'une d'eau fraîche, l'autre d'eau chaude, et neuf dragons, du haut des nuages, soufflèrent une pluie fine sur le corps du nouveau-né pour le purifier, pendant que les devas le faisaient asseoir sur un trône d'or.

Dans les cieux, on entendit d'harmonieux concerts, les habitants des divins séjours firent pleuvoir à ses pieds une multitude de fleurs d'une beauté et d'une suavité merveilleuses. La terre trembla. Les fleuves et les rivières débordèrent, le palais impérial trembla et une lumière aux cinq couleurs illumina le palais. L'empereur en demanda la cause à ses ministres. Le grand annaliste fit connaître au souverain que, dans les pays de l'Ouest, venait de naître un saint, dont la doctrine serait prêchée en Chine mille ans après. L'empereur voulut qu'on gravât le récit de cet événement sur une stèle de pierre, qu'il fit ériger dans le faubourg sud de la capitale.


*

Le songe du roi Suddhodana

Le sonde du roi Suddhodana.
Le sonde du roi Suddhodana.

La même nuit, le deva Suddhavasa, en vertu de son pouvoir surhumain, envoya une série de sept différents rêves au roi Suddhodana endormi dans son palais.

1° Il aperçut un grand étendard, semblable à celui d'Indra, une multitude de gens l'entouraient, puis ils sortirent par la porte orientale de Kapilavastu.

2° Il vit le prince héritier monté sur un éléphant blanc, sortant par la porte sud de la cité.

3° Un char magnifique, attelé de quatre chevaux et monté par Siddhartha, franchit la porte de l'Ouest et s'éloigna de la ville.

4° Un disque d'une merveilleuse beauté volait dans les airs, puis il sortit par la porte du Nord.

5° Siddhartha frappait sur un énorme tambour, placé sur la grande rue au centre de la capitale.

6° Du haut d'une tour élevée, le prince jetait des perles, des pierres précieuses ; une foule énorme se précipitait pour les saisir.

7° Il vit à une certaine distance de la ville six hommes qui se lamentaient et s'arrachaient les cheveux, de désespoir.

Sur ce, le roi s'éveilla. Profondément troublé par ces étranges visions, il n'osait regarder en face le doute terrible qui torturait sa pensée.
Dès le matin, il fit venir les plus célèbres devins et les pria de lui expliquer ce songe. Les brahmes consultés s'excusèrent et répondirent qu'ils ignoraient le sens de ces apparitions extraordinaires. Alors le deva Suddhavasa prit la figure d'un brahme distingué et de bonnes manières, puis se présenta au palais, en promettant de donner au roi la solution de ses doutes. Il fut admis et interpréta les visions de la façon suivante.

1° La première vision signifie que le prince héritier, entouré de tous les devas des deux, va quitter la capitale et embrasser la vie érémitique.

2° Le prince monté sur un éléphant blanc, sortant par la porte du Sud, vous donne le présage de son illumination future, malgré tous les obstacles.

3° Le char à quatre chevaux sur lequel il vous apparut, signifie qu'après son illumination, les quatre bravoures (Se ou-wei) rendront son courage invincible.

4° Le disque précieux roulant dans les airs, signifie qu'après son élévation à la dignité de bouddha, il "tournera la précieuse roue de la loi" pour le plus grand bien des dieux et des hommes.

5° Siddhartha battant le tambour présage l'énorme succès de sa prédication, qui, comme le son du tambour, résonnera par le monde.

6° Ces bijoux précieux qu'il jette du sommet élevé d'une tour, signifient que le prince, devenu bouddha, distribuera au monde entier, aux huit classes d'êtres, les précieux enseignements de la loi bouddhique.

7° Enfin les six personnages que Votre Majesté vit se lamentant, s'arrachant les cheveux, représentent les six chefs des sectes hérétiques, dont l'enseignement erroné sera battu en brèche par le nouveau bouddha.

— Grand roi, ajouta le brahme, bannissez de votre cœur toute tristesse et toute pensée affligeante : ces présages devraient vous combler de joie.

A ces mots il disparut.

Le roi, plutôt que de se rendre à l'évidence, tenta encore un suprême effort pour raffiner, s'il se pouvait, tous les plaisirs sensuels offerts au jeune prince, dans le but d'enrayer son désir de quitter la cour. Le jeune héritier, sans se donner la peine de réfléchir, demeura, comme par le passé, captif de la tyrannie des passions et enlisé dans la jouissance de ses brutales convoitises.


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La fuite du palais

Bouddha coupe sa chevelure
Bouddha coupe sa chevelure

Arrivé dans un lieu désert au milieu des bois, Siddhartha aperçut une source limpide ; des oiseaux voltigeaient sur les arbres d'alentour, égayant cette solitude de leurs chants joyeux. Il s'adressa à son écuyer et lui dit :

— Je resterai ici.

Puis, sautant à bas de son cheval, il poursuivit :

— Voilà la dernière fois que je descends de cheval ; cette solitaire retraite sera la dernière étape de ma vie terrestre.

Après quelques mots de caresse adressés à son coursier Kantaka, il renouvela ses remerciements affectueux à son écuyer Tchandaka.

— Mon doux prince, reprit l'écuyer, quatre motifs obligent d'ordinaire les hommes à mendier leur subsistance : les infirmités de la vieillesse, la maladie, le manque d'amis véritables ou la pauvreté extrême : ce n'est point le cas de Votre Altesse ; comment pouvez-vous vous ensevelir vivant dans cet horrible désert ?

— Mon cher Tchandaka, n'insistez plus sur ce sujet ; sachez seulement que le richi Asita a prédit clairement que mon rôle serait d'annoncer à tous les êtres la sublime doctrine.

Le prince, saisissant sa précieuse épée à pommeau d'or, coupa sa chevelure et renouvela son vœu de se faire ermite. Indra recueillit respectueusement ces cheveux et les emporta au ciel pour les exposer à la vénération des devas. L'anniversaire de cette action mémorable est annuellement célébré dans les cieux sous le nom de « Fête en l'honneur du diadème de cheveux de Bouddha ». Siddhartha remit entre les mains de l'écuyer la perle précieuse qui ornait sa coiffure et plusieurs autres joyaux ; il le pria de les porter à son père avec le collier de perles suspendu à son cou et qu'il jeta en l'air avec dédain. Venant ensuite à considérer les habits qu'il portait, il s'écria :

— Ces habits précieux ressemblent plutôt à la parure d'un deva qu'à la bure d'un solitaire ; où pourrai-je trouver un habit plus conforme à ma vocation d'ermite ?

Le deva Suddhavasa, connaissant les pensées intimes du prince, prit immédiatement la figure d'un chasseur et se dirigea vers lui, tenant en main un arc et des flèches et vêtu d'une chape de moine.

— Comment osez-vous revêtir cet habit, distinctif des anciens bouddhas, lui dit Siddhartha ; n'est-ce pas le profaner ?

— Vêtu de cet habit, je puis approcher les cerfs et les tuer, reprit le chasseur.

— Vous usez de cette chape pour tuer les êtres vivants : moi j'en userai pour les sauver. Changeons d'habits ; vous me donnerez la chape, et moi je vous passerai mon vêtement royal ; voulez-vous ?

Le chasseur s'empressa d'accepter cet échange, puis reprit sa forme divine et remonta dans les cieux de Brahma, emportant ces précieuses reliques. Siddhartha, dépouillé de tous ses bijoux, la tête rasée, vêtu en solitaire, dit tout joyeux :

— Me voilà maintenant transformé en vrai ermite mouni ; désormais ce sera mon nom.

L'écuyer ne pouvait se résigner à laisser son maître seul dans ce désert ; il pleurait, se lamentait, prosterné aux genoux du prince. Celui-ci lui adressa la parole en ces termes :

— Sur terre, ou bien c'est le corps qui refuse de suivre les bons mouvements du cœur, ou bien c'est le cœur qui refuse de suivre le corps : toi, mon fidèle Tchandaka, tu m'as suivi et de corps et de cœur ; les hommes s'attachent aux pas des riches et s'éloignent des pauvres : toi, tu m'as seul suivi dans ce désert, après mon éloignement du trône ; prends donc ces bijoux qui me restent et va les présenter au roi mon père, en l'assurant que si j'entre dans cette solitude, ce n'est point pour lui désobéir et manquer à mes devoirs à son endroit, ce n'est pas même pour renaître au ciel et jouir de toutes les félicités ; c'est pour le salut de tous les êtres vivants : je me propose d'éclairer ceux qui marchent dans les ténèbres de l'erreur, de ramener ceux qui se sont écartés du droit sentier, enfin de les tirer tous de l'engrenage de la métempsycose et de tarir ainsi les sources des chagrins et des douleurs.
Tu diras encore à Yasôdharâ, qu'en ce monde tout amour est éprouvé par des séparations ; je la quitte et me fais ascète non point dans le but de l'attrister, mais pour couper par la racine les causes de toutes nos douleurs.
Enfin, tu feras savoir à toutes les jeunes femmes de mon palais et à tous mes serviteurs, que je veux rompre le filet des perpétuelles renaissances et devenir bouddha.

Alors le fidèle Tchandaka embrassa les pieds de son maître ; Kantaka les lécha avec sa langue, pendant que de grosses larmes tombaient de ses yeux, et tous deux reprirent tristement le chemin du retour.


*

Les légions de Mara

La défaite des légions de Mara.
La défaite des légions de Mara.


À la vue de ces préparatifs inaccoutumés, le yakcha, diable gardien du lieu, avertit son compagnon, nommé l'Œil Rouge, de courir en toute hâte avertir Mara, le dieu des kamalokas, que Çakyamouni, fils du roi Suddhodana, marchant sur les traces des bouddhas du passé, s'apprêtait à la lutte décisive et avait résolu de renverser son empire. Le messager partit, rapide comme la lumière, et rapporta à Mara ce dont ils venaient d'être les témoins. Pisuna, après avoir écouté le rapport de l'Œil Rouge, lança une proclamation pour convoquer tous les devas du ciel Kamaloka et les exhorter à combattre courageusement contre Siddhartha, déjà assis au pied de l'arbre de la science, et près d'atteindre l'illumination.

Mara mobilise ses armées et leur commande de se trouver prêtes à entrer en campagne. Quel spectacle terrifiant pour un œil mortel ! Des millions et des milliards de génies et de démons à l'aspect redoutable, aux multiples visages, répandaient l'épouvante et la terreur. Ces guerriers hideux étaient armés, les uns d'arcs, de hallebardes, de haches ; les autres de lances, de javelots aux pointes de diamant ; leur tête, leurs mains, leurs pieds, toute leur personne inspiraient une invincible frayeur. Des tourbillons de flammes s'échappaient de leur tête, de leur ventre ; ils poussaient des rugissements redoutables.

Plusieurs apparaissaient avec des têtes flamboyantes, un buste enflammé, poussant des cris terrifiants, vomissant des outrages et d'obscènes malédictions, en brandissant de lourds pilons et d'énormes masses d'armes.

Que dire de leur regard ? de leurs yeux torves, fixés tantôt en haut, tantôt en bas, brillants comme ceux d'un noir et venimeux serpent ? Un infernal rictus découvrait leurs dents longues et acérées ; leurs langues pendantes, ou écailleuses, ou roulées en spirales, affectaient les formes les plus diverses.

D'aucuns portaient des serpents enroulés autour de leur cou, ou dévoraient des tronçons de reptiles sanglants, de même que les "garudas" becquètent les "nagas" à la surface des mers.

On en voyait absorber les membres livides de victimes humaines, boire des coupes de leur sang encore fumant, se repaître de leurs entrailles. D'autres démons, comme des lions furieux, avaient les yeux verts et brillants, tantôt sortant de leur orbite, tantôt rentrés dans la tête et jetant des flammes quand s'ouvraient leurs paupières. Dans les airs, ils voyageaient sur des volcans et paraissaient tout embrasés ; sur terre, ils arrachaient des arbres entiers qu'ils portaient dans leurs mains. Leurs oreilles prenaient des formes d'huîtres, de vases, dressées ou retombantes comme celles des boucs, des éléphants ou des porcs. Aux squelettes ambulants se mêlaient des monstres ventripotents ressemblant à des hydropiques. Chose horrible ! parmi ces monstres, plusieurs portaient leurs pieds et leurs mains coupés et suspendus en bandoulière, ou même tenaient leur tête entre leurs mains. Il y en avait qui paraissaient écorchés vifs ou couverts de larges taches de sang ; une écume blanche s'échappait de leur bouche, ils mangeaient les métaux les plus durs, comme le cuivre, le fer. Des spectres n'avaient que les os, dégarnis de chair et de peau. Ces êtres répugnants avaient des figures de porcs, d'ânes, de sangliers, de chevaux, de bœufs, de boucs, de rhinocéros, de buffles, de renards, de lièvres, de lions, de tigres, de loups, d'ours, de singes, de léopards, de chats sauvages, de chiens.


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L'illumination

L'illumination.
L'illumination.


Après cette victoire définitive, Çakyamouni, entré en méditation, passa par les quatre degrés d'abstraction (dhyâna) : liberté pure et joyeuse ; confirmation dans le bien ; joie dans l'éloignement de tout mal ; abstraction de toute joie, de toute peine et de toute pensée, c'est-à-dire l'impassibilité. Pendant la première veille de cette nuit mémorable, son corps atteignit la plénitude du pouvoir transcendant. Il put donc à volonté se multiplier puis revenir à l'unité, disparaître dans les airs ou dans les entrailles de la terre, traverser les montagnes, les rochers, les murs, s'enfoncer dans la terre, au sein des eaux, voler dans l'espace comme une fumée, comme un rayon de lumière, réduire en poudre les corps les plus durs en les touchant de la main, agrandir sa taille suivant son bon plaisir. Il put aussi exécuter en un instant toutes les œuvres d'art en or, en terre, en ivoire. Il acquit le pouvoir de lire dans le secret des consciences, de connaître toutes les pensées d'autrui. Toutes les péripéties de son karma et de celui de tous les êtres se déroulèrent devant ses yeux, si bien que toutes les actions de tous les êtres, pendant toutes leurs existences et durant la série inconcevable des kalpas passés, apparurent dans leurs moindres détails, devant son regard illuminé. Il vit l'époque précise de toutes les naissances, de toutes les morts, les lieux d'habitation, les occupations, tous les actes même les plus insignifiants de cette effroyable variété d'êtres. Son oreille, douée dès lors d'une mystérieuse perspicacité, entendit tous les sons émanés des enfers et des cieux, les cris des animaux aussi bien que les paroles des hommes, sans distinction de proximité ou d'éloignement ; les rumeurs des villes et des places publiques, le son des instruments de musique, des tambours et des flûtes, les chants, les rires et les lamentations, les conversations des hommes, des femmes et des enfants, les sons émis par toutes les classes d'êtres de l'univers.

Vers le milieu de la nuit, ses yeux, devenus transcendants à la suprême puissance, purent embrasser toute l'immensité des mondes, contempler les morts et les naissances, le ciel, la terre et les sombres demeures des enfers. Parmi tous ces êtres, les uns s'avançaient sur la voie du vice, les autres marchaient dans le chemin du devoir : son regard distingua dans une lumineuse clarté toutes leurs fautes, tous leurs vices et toutes leurs vertus ; les damnés tombaient dans les supplices de l'enfer, d'autres renaissaient transformés en bêtes ; ici erraient les troupes des esprits faméliques, là vivaient glorieuses les phalanges des devas, jusqu'au jour où, le lot de leur bonheur épuisé, ils rentreraient sur terre dans des corps humains. Tous ces êtres si différents par la beauté ou la difformité de leur corps, par la rectitude ou la méchanceté de leur vie, lui apparurent distinctement, sans l'ombre d'une confusion. Ainsi un homme, monté sur une tour élevée, contemple la foule s'agitant à ses pieds sur la place publique.

Remontant des effets aux causes, il reconnut qu'en fin de compte l'existence est la source de nos malheurs et que l'annihilation pratique du nirvana peut seule mettre un terme à nos maux : il était parvenu au point culminant de l'illumination, il était Bouddha.

A ce moment solennel, la terre et les cieux, les palais de Mara et de Brahma, les cieux de tous les devas furent illuminés d'une splendeur surnaturelle, qui perça même les ténèbres éternelles accumulées entre les chaînes concentriques des Monts de Fer. Une pluie fine tomba du ciel pour arroser la terre, et une brise légère souffla une fraîcheur bienfaisante. Aussitôt, les cieux résonnent des divins accords des devas, une pluie de fleurs embaumées, des bijoux, des pierreries, des parfums et de l'encens tombent de la voûte éthérée. Six fois la terre tressaillit d'allégresse ; tout l'univers fut en fête ; chacun vit ses désirs satisfaits : les malades furent guéris, les affamés rassasiés, les aveugles virent la lumière du jour, les sourds entendirent, les boiteux marchèrent, les pauvres furent secourus, les maigres devinrent gras, les prisonniers virent tomber leurs fers, les damnés furent tirés de leurs douloureux cachots, les animaux même cessèrent de craindre et les esprits faméliques furent rassasiés.


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Table des matières

Les quatre rois du ciel offrent un bol à Bouddha.
Les quatre rois du ciel offrent un bol à Bouddha.

CHAPITRE I : Naissance et jeunesse : I. Les antécédents du Bouddha. — II. Les origines de la famille Çakya. — IV. Retour du parc de Lumbini au palais .— V. Les Brahmes tirent l'horoscope du prince. Mort de Maya. — VI. La mère adoptive de Çakyamouni. Présentation à la pagode.— VII. Amusements et études. — VIII. L'élection. Excursion à campagne. Les trois palais. — IX. Pourparlers et préliminaires du mariage. Yasôdharâ. Le concours de tir. L'éléphant. — X. Le mariage. La vie de harem. — XI. Le deva Suddhavasa exhorte Siddhartha. Le songe du roi Suddhodana. — XII. Le deva Suddhavasa se présente à Siddhartha sous diverses figures. Sous la figure d'un vieillard. La rencontre d'un malade. Vue d'un cadavre. La rencontre fortuite d'un ascète.

CHAPITRE II. Fuite du palais et illumination : I. Songes de Yasôdharâ. — Fuite du palais. — II. L'ermite. — III. Le retour de l'écuyer. Voyage des deux ministres. — IV. Discussions doctrinales et voyages. Entretien avec Alara. — V. Les six années de pénitence et de solitude. — VI. Rupture du jeûne. Bain. — VII. La marche vers le lieu de l'illumination. — VIII. Mara le Tentateur et ses légions. — IX. Les filles de Mara. — X. Dernières luttes et victoire. — XI. L'illumination.

CHAPITRE III. La prédication, première période : I. Les jours qui suivirent l'illumination. Proclamation de la Voie Supérieure. Les extases. Les deux marchands et les quatre grands rois. — II. Seconde tentation. Exhortation de Brahma. — III. Débuts de la prédication . Voyage à Bénarès. Les premières déceptions. — IV. Bénarès. Le sermon du Parc des Cerfs. Conversion des richis. — V. Yasada quitte le siècle. — VI. Purna et Narada suivent Bouddha. — VII. Le départ. Épisodes de voyage. — VIII. Conversion des trois frères Kâsyapa et de leur neveu Upâsana. — IX. La première bonzerie bouddhique (la Venouvana).— X. Légende de Mahâ Kâsyapa, le premier patriarche du bouddhisme. — XI. Sariputra et Maudgalyayana.— XII. La légende des 500 marchands .— XIII. Çakyamouni rentre à Kapilavastu. — XIV. La visite du roi Suddhodana. — XV. Conversion de Upali et de 500 princes. — XVI. Rahula et la légende .— XVII. Conversion du frère de Bouddha. — XVIII. Devadatta et Ananda, les deux cousins de Bouddha .— XIX. Fondation de la bonzerie de la Jetavana. — XX. La bru de Sudatta. Condition de la femme. — XXI. Le poisson à 100 têtes. — XXII. Conversion de Çrîgoupta.

CHAPITRE IV. La prédication, période médiane : I. Champ d'action de Bouddha. — II. Second voyage à Kapilavastu. Pradjâpati prend l'habit de bonzesse. — III. Bouddha convertit les animaux et les hommes. — IV. Attentats contre la vie de Bouddha. Bouddha dompte les éléphants ivres. Devadatta tente de lui enlever la vie. — V. Origine de l'amidisme. L'invitation du perroquet. Conversion des oies sauvages, des buffles furieux. Le chien blanc. — VI. Bouddha manifeste sa puissance. — VII. Instructions de Bouddha sur l'aumône, les joies, les peines et la piété filiale. — VIII. Bouddha instruit et réforme toutes les classes de la société. — IX. Bouddha prêche les génies des cieux et des enfers. Le fils de la diablesse, la Yaksini Hariti. Délivrance des âmes faméliques. Distribution de vivres aux prêtas. Prédication dans les cieux stellaires. La branche de saule et l'eau lustrale. — X. Bouddha protège ses dévots. — XI. Devoirs des rois.  — XII. Mort de Suddhodana. — XIII. Anurudda et Bhadraka.

CHAPITRE V. Fin de la prédication ; mort de Bouddha : I. Bouddha désigne son successeur. — Son séjour au ciel d'Indra. — II. Bouddha descend du ciel. — III. Voyage à Vaisali. — IV. Vers Kusinagara, le lieu de son trépas. — V. Un prodige. Les patrons du bouddhisme. — VI. Adieux à Bouddha. — Le dernier repas. — VII. Dernières exhortations. Testament. — VIII. Mort de Bouddha. — IX. Bouddha et sa mère. — X. Les funérailles. — XI. Assemblée et patriarches.

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