Henri Cordier (1849-1925)

Histoire générale de la Chine

et de ses relations avec les pays étrangers


Tome III. Depuis l'avènement des Ming jusqu’à la mort de Kia K'ing (1820)

Librairie Paul Geuthner, Paris, 1920, 428 pages.

  • Les Ming : "Seize princes de la dynastie des Ming avaient régné sur la Chine pendant 276 ans (1368-1644). Le gouvernement des Ming marque une période d'effacement dans l'histoire de la Chine : les princes qui sont à la tête de l'empire sont ou faibles ou médiocres ; la littérature et les arts sont en pleine décadence. Le seul intérêt de l'histoire de cette époque est la lutte sans cesse renouvelée contre les envahisseurs du nord, qui finirent par triompher, et l'arrivée des étrangers."
  • L'arrivée des Européens. Les Hollandais : "Si l'on petit admirer l'esprit d'entreprise des premiers navigateurs hollandais, il faut bien reconnaître qu'ils étaient conduits exclusivement par une idée de lucre ; aucun désir de gloire dans ces expéditions lointaines, aucun idéal, mais l'espérance d'un résultat appréciable en bonne monnaie ; les Portugais n'avaient pas cherché à créer un empire aux Indes ; quelques comptoirs bien placés sur la côte pour y diriger leurs opérations commerciales leur suffisaient ; les Hollandais ne leur cédèrent en rien dans leur âpreté au gain et jamais nous ne voyons dans leurs conseils de direction percer une idée noble ou simplement désintéressée ; ils sacrifient tout, amis comme ennemis, même la religion comme ils l'ont fait au Japon en foulant aux pieds des crucifix, pour ménager leur crédit. L'histoire coloniale des Hollandais est une belle page de l'histoire du développement commercial de l'Europe, mais une vilaine page de l'histoire de l'humanité."
  • Les Ts'ing : "K'ang Hi fut incontestablement le plus grand prince de cette dynastie mandchoue qui, arrivée au pouvoir par une véritable surprise, devait, moins de trois siècles plus tard, s'effondrer de la plus lamentable manière. Non seulement il eut la tâche ardue de consolider un trône ébranlé aussi bien par les attaques de l'intérieur que par celles de l'extérieur, mais il eut en même temps à maintenir un gouvernement stable et à préparer à ses successeurs une besogne facile. Ajoutons qu'il fut en même temps un lettré et qu'il témoigna de sa tolérance à l'égard des prêtres étrangers, qui trouvèrent sous son règne une protection qu'ils n'avaient plus connue depuis l'époque mongole. Ses successeurs, Young Tcheng et K'ien Loung, dont la réputation a été surfaite par les missionnaires, ne firent pas preuve de la même largeur d'esprit. L'intolérance de ce dernier, loin de consolider le trône mandchou, en prépara au contraire la ruine : l'élément chinois vaincu au XVIIe siècle se ressaisit et de nombreux soulèvements contre le conquérant étranger en firent apparaître la faiblesse ; les révoltes du XVIIIe siècle sont le prélude des rébellions du XIXe, elles-mêmes signes précurseurs de la révolution qui jeta à terre le trône depuis longtemps chancelant des Mandchoux."


Extraits : Houng Wou, l'empereur « mendiant » (1368-1398) - Voyages dans l'ouest - Wou Tsoung Tcheng Te (1506-1521)
Arrivée des Portugais en Chine - Arrivée des Portugais à Macao - Les Hollandais et la route du Nord
L'empereur K'ang Hi et le calendrier - K'ien Loung (1736-1796) lettré
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Houng Wou, l'empereur « mendiant » (1368-1398)

Houng Wou (Kou chouei), l'empereur « mendiant », ainsi surnommé à cause de ses débuts misérables... rédigea les six maximes suivantes pour inculquer à son peuple des principes de morale :

« Pratiquez la piété filiale à l'égard de votre père et de votre mère ; respectez vos aînés et vos supérieurs ; vivez en bonne harmonie avec les gens de votre district et de votre canton ; instruisez vos enfants ; que chacun s'occupe paisiblement de sa profession ; ne faites pas le mal.»

Elles furent gravées sur pierre en 1587, pour obéir à un édit impérial, par un certain Tchoung Houa-min, contrôleur du thé et des chevaux ; elles sont le prototype des seize maximes du Saint Édit, publié en 1671 par l'empereur K'ang Hi et paraphrasé en 1724 par son fils, l'empereur Young Tcheng. Cet empereur fit construire la grande route de Nan King à Pe King par Foung Yang-fou et, en 1394, il fit dresser une carte de l'empire divisé en neuf États, à la tête desquels il plaça ses fils avec le titre de wang. Il ressuscita les usages des T'ang et en 1373, publia un Code, rédigé sur celui de cette célèbre dynastie et au lieu des quatre ministères des Youen (finances, rites, justice et guerre), il créa les six « Tribunaux Suprêmes » (Lou Pou) qui ont duré jusqu'à nos jours : Li Pou (fonctionnaires civils), Hou Pou (finances), Li Pou (rites), Ping Pou (guerre), Hing Pou (justice) et Koung Pou (travaux publics). Pour conserver la mémoire de ses généraux victorieux, il fit élever à Pe King une grande salle renfermant des niches dans lesquelles furent placées les statues de vingt-un de ses plus fameux guerriers : Su Ta le premier. Il restaura le costume des T'ang. Sous la dynastie des Ming, l'empire fut divisé en quinze provinces (cheng) : King Che, Chan Si, Chen Si, Ho Nan, Chan Toung, Nan King, Hou Kouang, Se Tch'ouan, Yun Nan, Kouei Tcheou, Kouang Si, Kouang Toung, Kiang Si, Fou Kien, Tche Kiang.

« Ce prince avait des grandes qualités, et peu de défauts essentiels. Ennemi du faste, ses habits et son train étaient des plus modestes ; doué d'un sens droit et de beaucoup de pénétration, il connaissait bientôt le génie et les talents de ceux qui l'approchaient : ce discernement faisait qu'il employait chacun suivant sa capacité et qu'il était toujours bien servi. Il saisissait avec une justesse admirable les avantages et les inconvénients d'une entreprise, et rarement il se trompait. Persuadé que l'intérêt personnel conduit toujours le peuple, il veillait à ce qu'on ne lui causât aucun dommage, et il donnait tous ses soins à lui procurer le nécessaire pour vivre en paix : cette conduite pleine de bonté engagea les peuples à se soumettre facilement à sa domination, et le fit réussir dans presque tout ce qu'il entreprit. » (Mailla)

Le caractère de Houng Wou se modifia avec l'âge. Lorsqu'il n'était encore qu'un général victorieux, Tchou Youen-tchang avait gagné tous les cœurs par sa clémence. Devenu Houng Wou, il se laissa entraîner à des cruautés qui ont terni sa réputation dans les dernières années de son règne : il eut la faiblesse d'écouter des rapports, dont quelques-uns de ses meilleurs généraux furent les victimes. La mort de Ma Che, la sage conseillère de sa vie, fut-elle en partie cause du changement peu heureux dans le caractère du souverain chinois ? Celui-ci s'apercevait-il déjà du peu de solidité de l'édifice qu'il avait laborieusement élevé ? Il semble dans ses derniers jours avoir cherché à parer à des dangers, dont il avait la vision, et de vouloir, dans ses inquiétudes, substituer à l'héritier désigné du trône, trop jeune, trop inexpérimenté, son propre fils, le prince de Yen, dont la vigueur avait été éprouvée à la guerre. Toutefois il ne montra pas l'énergie nécessaire pour résister à l'insistance de ses ministres favorables à l'adolescent, et cette faiblesse devait causer de grands malheurs à l'empire, peut-être même semer les germes de cette décadence prématurée dont la dynastie des Ming, qui n'a dû son assez longue existence qu'à l'absence d'adversaires sérieux, a souffert pendant toute sa durée. Malgré tout, Houng Wou fut un des grands souverains de la Chine, dont il chercha à étendre au loin le prestige et l'influence que lui avaient valus les succès de ses armes.

Il est bien rare dans l'histoire de la Chine qu'à la suite du fondateur de la dynastie, souvent un chef militaire heureux, vienne une lignée de princes de valeur ; le fondateur semble avoir concentré en lui toutes les qualités essentielles à un meneur de peuples, n'en laissant guère à ceux qui devaient continuer et consolider son œuvre. Que de fantoches dans cette liste fastidieuse de noms que l'histoire inscrit dans ses annales, mais que la mémoire ne retient pas. Cette dynastie purement chinoise des Ming intercalée entre deux dynasties étrangères, les Youen et les Ts'ing, n'a laissé aucun souvenir dans la mémoire du peuple chinois, qui se rappelle encore des Han Jen ou des T'ang Chan avec reconnaissance.

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Voyages dans l'ouest

Nous savons par une note sur les voyages dans l'ouest, contenue dans l'ouvrage de Tchou Yun-ming (1460-1526), intitulé Ts'ien Wen ki, qu'une expédition vers les contrées occidentales comprenant des officiers, des soldats, des pilotes et des ouvriers de toute sorte, en tout 27.550 âmes, mit à la voile le 6e jour de la 12e lune intercalaire de la 5e année de Siouen Te (commencement de 1431) de Loung Wan, près Nan King ; elle fit escale au Fou Kien, toucha ; au Tchen Tch'eng (24 de la 12e lune), au Koua wa (Java ?, 6 de la 2e lune), au Kiou Kiang (à Sumatra, 27 de la 6e lune), la péninsule malaise, et arriva à Ceylan le 6 de la 11e lune de la 7e année ; elle visita Calicut, Ormouz (26 de la 12e lune) ; mit à la voile pour revenir (18 de la 2e lune de la 8e année), via Poulo Condor, Tchen Tch'eng, et était de retour à Nan King, le 6 de la 7e lune. Je pense qu'il s'agit ici de la septième mission de Tcheng Ho que nous avons déjà signalée.

Ces expéditions, au début de la dynastie des Ming sont les dernières que les Chinois aient entreprises dans les contrées lointaines baignées à l'occident par l'Océan. Nous approchons de l'époque où les étrangers, venus de l'ouest à leur tour, cherchèrent à pénétrer dans le Céleste Empire. Au moment où Young Lo et Siouen Te organisaient leurs expéditions, le Portugal commençait dans l'extrême-ouest de l'Europe ses campagnes au Maroc et le long de la côte d'Afrique qui devaient — presque un siècle plus tard — les conduire dans l'Extrême-Orient, reprenant ainsi la tradition des voyageurs musulmans du moyen âge.

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Wou Tsoung Tcheng Te (1506-1521)

Ce triste empereur se plongea dans la débauche, poussé par l'eunuque Lieou Kin et sept autres, qui espéraient exercer ainsi le pouvoir à la faveur de la nonchalance impériale. Dénoncés par les grands, Wou Tsoung les plaça à la tête des tribunaux Toung Tchang et Si Tchang, ce qui leur permit de tirer vengeance de ceux qui avaient condamné leurs agissements. Lieou Kin, enhardi par l'impunité, songea même à s'emparer du trône pour l'un des siens, son neveu Lieou Eul-han. Le mécontentement était général dans l'empire ; des révoltes éclatèrent (1509) : dans le Se Tch'ouan avec Lan Ting-chouei, Yen Ping-ju et Leao Houei ; dans le Chen Si, vers Ning Hia avec Tchou Chi-fan, prince de Ngan Houa ; ailleurs avec Tchou Chin-hao, prince de Ning ; tandis qu'aux environs de la capitale, des brigands à cheval, désignés sous le nom de Hiang Ma, détroussaient les passants. Lieou Kin s'étant brouillé avec son collègue Tchang Young, l'un des huit eunuques composant sa bande, voulut le faire exiler à Nan King. Ce fut sa perte ; une perquisition faite dans sa demeure amena la découverte d'immenses trésors et d'une quantité d'armes ; convaincu de conspirer, Lieou Kin fut mis à mort dans sa prison (1510).

Dès cette époque on pressent que la dynastie chinoise est condamnée à succomber devant le premier adversaire sérieux qui se dressera devant elle ; elle lutte avec peine contre de médiocres ennemis ; les souverains témoignent d'une rare incapacité, et loin de profiter des leçons de l'expérience, ils retombent dans l'erreur, toujours fatale, de confier aux eunuques une part importante dans l'administration, quand elle n'est pas prépondérante. Les Ming représentent une période de décadence : dans l'art comme dans la littérature, on ne rencontre rien d'équivalent à ce que nous avons vu sous les Soung, voire sous les Youen ; ce ne sera que sous les quatre premiers empereurs mandchous que la Chine atteindra ce haut degré de puissance qui l'a conduite jusqu'au-delà des T'ien Chan et lui donna l'hégémonie au Tibet. Les Ming nous offrent peut-être la période la moins intéressante de l'histoire de la Chine alors repliée sur elle-même. L'arrivée des étrangers dans l'empire offre seule quelque importance, car elle prépare l'avenir.

... À la première lune de 1521, Wou Tsoung tombait malade à la suite d'un froid qu'il avait pris en manquant de se noyer dans un lac sur lequel il se promenait en bateau et il mourut le 14 de la 3e lune, ne laissant pas d'enfant et n'ayant pas désigné son successeur. Il avait 31 ans. Tchang Che, l'impératrice, profitant de l'absence du favori Kiang Pin, fit monter sur le trône Tchou Youen-tsoung, l'aîné des fils du prince de Hien, le second des enfants de Hien Tsoung.

Nous voyons de basses intrigues de palais diriger le choix de l'héritier au trône ; des concubines cherchent à supplanter l'impératrice en titre ; des princes ambitieux essayent de se substituer au prince héritier officiellement, désigné. Tout gravite autour d'un trône que menacent les révoltes dans les provinces, les hordes barbares à la frontière ; comme Rome, comme Byzance, la Chine est à l'agonie, mais cette agonie dure encore deux siècles à cause de la faiblesse des assaillants qui ne triompheront que grâce aux dissensions intérieures de l'empire.

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Arrivée des Portugais en Chine

Le passage de la lettre suivante du florentin André Corsali, écrite à Julien de Médicis, de Cochin, le 6 janvier 1515, ne laisse aucun doute sur l'année de l'arrivée des Portugais en Chine, c'est-à-dire 1514 :
« L'année passée noz Portugallois allèrent à la Cina, toutesfois les autres ne les laissèrent descendre en terre, disans que leur coustume est telle que nul estranger entre en leurs maissons, mais nonobstant les nostres firent bien leur proffit, vendans leur marchandise : & disent qu'il y a autant de proffit à porter les espisseries à la Cina, comme de Portugal, estât la le pays froid & les espisseries requises : en sorte que depuis Malacca jusques à la Cina, alant vers septentrion, il n'y sauroit avoir que cinq cens lieues. »

Dans son Report on the Old Records of the India Office, Londres, 1891, Sir George Birdwood écrit, p. 168 :
« En 1508 l'île de Socotra fut prise, et l'île de Sumatra visitée ; ainsi que le fut la Chine en 1508-1509, date de la première découverte de ce pays, par mer, par les Européens. »
Birdwood néglige toutefois d'indiquer la source de ce renseignement.

Un autre Italien, également au service portugais, Giovanni da Empoli, arrivé aux Indes avec les navires du nouveau gouverneur, Lopo Soares de Albergaria, successeur d'Albuquerque, dans une lettre écrite de Cochin, le 15 novembre 1515, nous dit aussi que les Portugais « ont encore découvert la Chine où de leurs hommes qui sont ici ont été ».

Jorge Alvares, une année avant que Rafael Perestrello se rendît en Chine, éleva à Tamâo ou ilha da Veniaga, un pedrão de pierre avec les armes de Portugal. Tamão (Port Namoa) est dans l'île de Hia Tch'ouan, proche de l'île de Chang Tch'ouan où mourut Saint François-Xavier, au sud-ouest du delta du Tchou kiang, rivière de Canton. Le gouverneur de Malacca, Jorge d'Albuquerque, envoya, soit à la fin de 1515, soit plutôt au commencement de 1516, pour aller « découvrir la Chine » avec une jonque marchande malaise, Rafael Perestrello, qui est le premier Portugais ayant abordé sur le continent chinois dont on ait gardé le nom ; il était allié à Christophe Colomb qui avait épousé une de ses cousines. Perestrello ayant tardé à rentrer, retenu captif avec trente Portugais, le 12 août 1516, le gouverneur de Malacca, Jorge de Brito, expédia en Chine Fernão Pères d'Andrade avec la Santa Barbara et deux autres navires montés par Manoel Falcão et Antonio Lobo Falcão, ainsi qu'une jonque avec Duarte Coelho ; celui-ci visita le Tchampa, Poulo-Condor, Patani où il signa une convention commerciale, puis retourna à Malacca, où Perestrello était revenu dans l'intervalle après avoir fait d'excellentes affaires avec les Chinois.

Fernão Perez d'Andrade
Le 17 juin 1517, Andrade organisait un nouveau voyage : il équipa quatre navires portugais portant une cargaison de poivre, et le même nombre de bateaux malais ; il était accompagné du pharmacien Pirès, désigné par Lopo Soares en qualité d'envoyé du roi de Portugal. Après avoir fait escale à Sumatra, Andrade arriva le 15 août à Tamão où il trouva Duarte Coelho qui, après avoir fait partie de sa première expédition, avait hiverné au Siam, et était parvenu à l'île chinoise un mois auparavant (juillet 1517). Laissant derrière lui six de ses bâtiments avec Simao d'Alcaçova, Andrade, malgré les protestations des autorités chinoises, remonte la rivière jusqu'à Canton, et passe à Lantao où il envoie Giovanni da Empoli demander au magistrat la permission, qui est accordée, de continuer sa route, saluant la terre de coups de canon (septembre 1517). Les navires étrangers frappèrent d'étonnement les Chinois, dont Andrade gagna les bonnes grâces par son amabilité, son honnêteté et la justesse de son esprit ; il fut logé convenablement dans le Houai yuan (maison de la poste) et ses marchandises furent emmagasinées ; Duarte Coelho fut chargé de se rendre à Malacca pour informer le gouverneur de l'arrivée des Portugais à Canton. Une épidémie de dysenterie qui emporta Giovanni da Empoli hâta le départ d'Andrade qui, laissant derrière lui Pirès, quitta Canton à la fin de septembre pour se rendre à Tamão où sa flotte venait d'être attaquée par les pirates qu'il repoussa, puis il rentra en septembre 1518 à Malacca, ayant perdu dans une tempête le Santo Andre, commandé par Pero Soares.

Pirès
Pirès qui devait se rendre comme ambassadeur à Pe King à la cour de Wou Tsoung (Tcheng Té), partit de Canton le 23 janvier 1520 et arriva à Nan King quatre mois plus tard (mai) par voie de terre, à travers les montagnes Mei Ling, perdant en route un de ses compagnons, Duarte Fernandes. Quel fut son sort ? Quand il arriva à Pe King, vers 1521, la nouvelle y parvint des événements qui venaient de se dérouler à Canton à la suite de l'arrivée de Simão d'Andrade et que nous relatons plus loin ; l'effet fut naturellement désastreux :
« D'un autre côté, un ambassadeur musulman était arrivé à Nan King, de la part du roi de Bantam, pour représenter à l'empereur que son maître avait été injustement dépouillé par les Portugais de la possession de Malacca, et pour demander qu'à titre de vassal de l'empire, il pût être placé sous la protection chinoise. Le gouverneur de Nan King avait écouté ces plaintes, et il engageait l'empereur à ne souffrir aucune liaison avec ces Francs avides et entreprenants, dont l'unique affaire était sous le prétexte du commerce, d'épier le côté faible des pays où ils étaient reçus, d'essayer d'y prendre pied comme marchands, en attendant qu'ils pussent s'en rendre maîtres. On voit que dès cette époque on connaissait assez bien le caractère des Européens dans les contrées orientales de l'Asie. Ces considérations, auxquelles la conduite toute récente des Portugais dans les Indes, leurs audacieuses entreprises et leurs rapides conquêtes donnaient beaucoup de poids, n'étaient pas de nature à favoriser les vues de Pirès. La lettre du roi de Portugal à l'empereur de la Chine, lettre dont l'ambassadeur était muni, fut un nouveau sujet de mécontentement. Cette pièce, écrite dans le style ordinaire de la correspondance des rois de Portugal avec les princes de l'Orient, ne pouvait être reçue sous cette forme à la cour du Fils du Ciel, et par l'effet d'une ruse qu'on attribua aux musulmans de Malacca, on en avait fait en chinois la traduction la plus exacte et par conséquent la plus capable de déplaire. Il n'en fallut pas davantage pour faire considérer Pirès comme un espion qui avait usurpé le titre et la qualité d'ambassadeur. » (Abel-Rémusat)

Tcheng Té se trouvait en effet à Nan King lors de l'arrivée de Pirès auquel il enjoignit de se rendre à Pe King où il était lui-même de retour en janvier 1521.
Mais Tcheng Té étant mort le quatorze de la troisième lune (1521), on donna l'ordre de reconduire Pirès immédiatement à Canton où il arriva le 22 septembre 1521, perdant encore dans le voyage un des siens, Francisco de Oudoya ; Pirès avait quitté la capitale le 22 mai.

Simão d'Andrade
Le succès de Fernão d'Andrade excita la convoitise des Portugais : Antonio de Correa, qui était sur le point de partir de Cochin pour Malacca et Canton, reçut l'ordre de borner son voyage à la première de ces villes et Simão d'Andrade obtint du gouverneur de l'Inde Diogo Lopes de Sequeira d'être envoyé pour remplacer son frère Fernão ; il quittait Cochin en avril 1519 et arrivait de Malacca à Tamão avec trois jonques commandées par Jorge Botelho, Alvaro Fuzeiro et Francisco Rodriguez, au mois d'août 1519 ; il cherchait à s'emparer de l'île et y élevait des retranchements de pierre et de bois, y dressait une potence à laquelle fut pendu un matelot, réclamait la préséance pour ses navires en même temps que par ses atrocités il excitait la colère des Chinois ; bloqué par ceux-ci, craignant de périr par la famine, Simão fut obligé de fuir (sept. 1520), probablement avec un large butin, y compris des enfants emmenés en esclavage.

En mai ou avril 1521, un navire venu du Portugal, appartenant à Nuno Manoel et commandé par Diogo Calvo, une jonque avec Jorge Alvarez qui, par suite d'une voie d'eau, n'avait pu suivre Simão d'Andrade et d'autres bateaux de Malacca, jetèrent l'ancre à Tamão. La nouvelle de la mort de l'empereur Tcheng Té étant arrivée sur ces entrefaites, ordre fut donné aux étrangers de quitter le pays : les Portugais, n'ayant pas terminé leur chargement, refusèrent d'obéir. Vasco Calvo, frère de Diogo, ainsi que d'autres Portugais qui se trouvaient à Canton, y furent arrêtés et jetés en prison ; des jonques étrangères furent brûlées ou coulées et Diogo lui-même fut avec ses navires bloqué à Tamão.

Le 27 juin 1521, deux jonques dont l'une commandée par Duarte Coelho, arrivaient à Tamão rejoindre les trois navires de Diogo ; cette petite flotte fut grossie par la venue de deux bâtiments d'Ambrosio do Rego ; les trois chefs prirent la résolution de se réfugier avec ce qui restait de leurs équipages sur trois des navires et mirent à la voile le 7 septembre, mais attaqués le 8 au matin par les Chinois, ils auraient inévitablement succombé si un coup de vent du nord n'avait soufflé d'une façon opportune pour favoriser leur fuite à Malacca où ils arrivèrent en octobre 1521.

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Arrivée des Portugais à Macao

Fondation de Macao
À quelle époque et dans quelles conditions les Portugais occupèrent-ils Macao ? Quelques historiens prétendent que les Portugais, ayant aidé les autorités chinoises du Kouang Toung à détruire les innombrables pirates (ladrones) qui désolaient l'estuaire de la rivière de Canton, obtinrent la permission de s'établir dans la partie de l'île de Hiang Chan, consacrée à la déesse A-ma, dont le port A-ma-ngao ou Ngao-men est l'origine du nom de Macao. Le Ming che, cité par Bretschneider (Mediœval Res., II, pp. 318-9), donne 1549 comme date de la fondation de Macao. D'autres historiens placent en 1557 la création de cette ville, qui reçut le nom de Cidade do nome de Deos de Macao. Suivant les Chinois, l'établissement des Portugais à Macao serait antérieur.

Robert Morrison écrit :
« Des étrangers de Macao, tribu de l'Océan occidental (Europe), commencèrent à arriver dans la trentième année de Kia Tsing. »

Abel-Rémusat donne la traduction du texte chinois relatif à l'établissement des Européens à Macao :
« La 32e année Kia-thsing (1553), des vaisseaux étrangers abordèrent à Hao-king ; ceux qui les montaient racontèrent que la tempête les avait assaillis, et que l'eau de la mer avait mouillé les objets qu'ils apportaient en tribut. Ils désiraient qu'on leur permît de les faire sécher sur le rivage de Hao-king. Wang-pe, commandant de la côte, le leur permit. Ils n'élevèrent alors que quelques dizaines de cabanes de jonc. Mais des marchands, attirés par l'espoir du gain, vinrent insensiblement, et construisirent des maisons de briques, de bois et de pierres. Les Fo-lang-ki (Francs) obtinrent de cette manière une entrée illicite dans l'empire. Ainsi les étrangers commencèrent à s'établir à Macao du temps de Wang-pe. »

Le père de Mailla ou plutôt son éditeur, raconte ainsi l'établissement des Portugais à Macao :
« Macao, en chinois Ngao-nan, est une petite île remplie de rochers qui la rendent de difficile accès ; elle servoit autrefois de retraite aux pirates qui désoloient les côtes voisines. Les Portugais qui alloient aux Indes, ayant abordé à l'île de Sancian, pour commercer avec les Chinois, & la trouvant déserte, bâtirent sur la plage quelques cabanes, qui leur servoient d'abri en attendant leur cargaison : aussitôt que leurs vaisseaux etoient chargés, ils remettoient à la voile, abandonnant ainsi leurs petites habitations. Le gouvernement chinois qui avoit à cœur de détruire les écumeurs de mer, proposa de leur céder Macao, à condition d'en chasser les pirates : ces étrangers saisirent cette occasion de s'établir en Chine, & quoiqu'inférieurs en nombre aux brigands, ils vinrent à bout de les expulser & formèrent une bourgade très peuplée. »

Dans une requête de Tchin-mao contre les Européens au XVIIIe siècle, je note les renseignements suivants relatifs aux débuts des relations des étrangers avec les Chinois :
« Pendant les années Hong-tchi (depuis l'an 1488 jusqu'en 1491), les Européens faisoient leur commerce à Canton & à Ning-po ; dans les années dites Kia-tsing (elles ont duré depuis l'an 1522 jusqu'en 1566), un pirate, appelé Tchang- si-lao, qui rodoit sur les mers de Canton, s'empara de Macao, & assiégea la capitale de la province. Les marchands européens, que les mandarins appellèrent à leur secours, firent lever le siège, & poursuivirent le pirate jusqu'à Macao, où ils le tuèrent. Le tsoung-tou manda à l'empereur le détail de cette victoire ; & S. M. fit un édit par lequel il accordoit Macao à ces marchands d'Europe, afin qu'ils pussent s'y établir. Enfin, dans la première année de T'ien-ki (l'an 1621), les pirates ayant profité des troubles qui désoloient l'empire, vinrent attaquer Macao. Les Européens furent au- devant d'eux dans une action, ils tuèrent plus de mille cinq cens de ces misérables, & firent une infinité de prisonniers. Le Tsoung-tou & le Fou-yuen rendirent compte de cette victoire à l'empereur, qui, en considération de ces services, combla d'éloges et d'honneurs ces Européens, &c. » (Mailla)

Le père Du Halde raconte les faits de la même manière et termine ainsi :
« Le tsong-tou ayant fait sçavoir à l'empereur le détail de cette victoire, ce prince publia un édit, par lequel il accordoit Macao à ces marchands d'Europe, afin qu'ils pussent s'y établir. »

Sonnerat
À la fin du XVIIIe siècle, le voyageur français Sonnerat racontait ainsi l'origine de la colonie portugaise :
« Avant que la rivière de Canton fût connue, & que les vaisseaux européens abordassent à la Chine, les caravanes alloient chercher les productions du sol & de l'industrie, pour les distribuer ensuite dans toute l'Europe ; elles en retiroient des profits considérables, & l'on trafiqua de cette manière jusqu'à ce que les Portugais, maîtres de l'Inde, virent la nécessité de fonder le commerce maritime de la Chine : c'est en 1518 que leurs premiers bâtiments mouillèrent à Canton ; à cette époque, cette province étoit infestée par des brigands qui, placés à l'entrée de la rivière sur des isles appelées aujourd'hui Isles des Larrons, sortoient de leur retraite, pour enlever les vaisseaux chinois : ceux-ci foibles & lâches n'osoient plus quitter leurs ports, ni combattre une poignée d'hommes qu'une vie dure rendoient entreprenans ; ils se contentoient de les appeler sauvages, & il fallut qu'une nation européene leur apprit que ces sauvages n'étoient point invincibles.
Intéressés à les détruire, les Portugais voulurent s'en faire un mérite auprès des Chinois. Ils offrirent leurs services, qu'on s'empressa d'accepter. Les Chinois armèrent conjointement avec eux, se réservant seulement de n'être que simples spectateurs. Les Portugais gagnèrent bataille sur bataille, & purgèrent enfin le pays de ces brigands si redoutés. Pour prix de leurs victoires, ils obtinrent une petite île sèche & aride, à l'entrée de la rivière de Canton, où ils bâtirent Macao : ils eurent aussi de très beaux privilèges dont ils ont été privés dans la suite. On leur a laissé Macao, mais les Chinois ont élevé un fort qui commande la ville & la citadelle Portugaises &, à la moindre plainte on leur intercepte les vivres. »

Barrière de Macao
Plus tard, dans la seconde année de la période Wan Li (1575), les Chinois construisirent une barrière appelée par les Portugais Porta do Cerco, pour séparer Macao du reste de Hiang Chan. Il ne faudrait pas croire toutefois que les Chinois eussent abandonné tout droit sur Macao ; en réalité, les Portugais y étaient les vassaux des Chinois. Ces derniers ne manquèrent jamais de faire valoir leurs droits : ainsi, ils s'opposèrent au débarquement des Anglais en 1802 et en 1808, époque à laquelle l'amiral Drury fut reçu à coups de canon. D'ailleurs, depuis 1582, les Portugais payaient aux autorités chinoises une redevance de 500 taels par an. En outre, il y avait une double douane à Macao : l'une chinoise, l'autre portugaise. Aucun vaisseau étranger, en dehors des Portugais et des Espagnols de Manille, n'était autorisé par les Chinois à venir faire le commerce à Macao : l'intérêt même des habitants de Macao ne pouvait que leur faire approuver cette mesure. Les Portugais étaient même obligés de payer pour leurs navires le droit d'ancrage et de mesurage. Leur avantage sur les nations étrangères était de n'avoir à payer aux douanes du Céleste empire que la même taxe que les marchandises chinoises.

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Les Hollandais et la route du Nord


La route des Indes étant fermée par les Portugais, les Hollandais comme les Anglais durent chercher par le nord le chemin de l'Asie orientale. Dès 1584, le disciple de Mercator, Plancius, prétendait qu'en allant droit au nord, on atteindrait le détroit d'Anian, le Cathay et les Indes Orientales. Le premier voyage fut accompli en 1594 par Willem Barentsz, parti le 15 juin d'Amsterdam ; il côtoya les terres de la Nouvelle Zemble ; pendant ce temps deux autres navires composant l'escadre hollandaise commandés par Cornelis Cornelisz Nay et Brant IJsbrantsz Tetgales, se rendaient par le détroit de Vaygats à la mer de Kara ; Jan Huygen van Linschoten, jadis au service des Portugais dans l'océan Indien, accompagnait ces derniers. En 1595, une nouvelle expédition destinée à se rendre en Chine par la mer de Kara et dirigée par Barentsz ne put aller aussi loin que les bateaux de Nay en 1596, à cause de l'abondance des glaces. Un troisième voyage entrepris en 1596 par Barentsz, accompagné de Jacob van Heemskerck, amena la découverte de Beeren Eiland et du Spitsberg ; Barentsz doubla la pointe Nord-Est de la Nouvelle Zemble où il hiverna ; le 14 juin 1597, laissant son navire dans les glaces, Barentsz se dirigea vers le sud dans ses canots, mais épuisé et malade, il rendit le dernier soupir six jours plus tard, le 20 juin, en vue du Cap des Glaces. L'idée d'une route par le nord ne fut pas abandonnée par les Hollandais : le médecin Heliseus Röslin, attaché au comte Johann Reinhard van Hanau-Lichtenberg, pensait qu'en naviguant au nord de la Nouvelle Zemble on rencontrerait à l'est une mer libre qui conduirait au Cathay. Comme suite à un placet présenté par Plancius aux États Généraux le 16 janvier 1611 pour exposer ses vues sur la recherche d'un passage au Nord-Est, une expédition fut organisée aux frais de l'amirauté d'Amsterdam, la même année, sous la direction de Jan Corneliszoon May, le Mensch-eter (mangeur d'hommes), qui avait fait partie en 1598 du voyage de l'amiral van Neck aux Indes Orientales. Les deux navires de May, le Renard et la Grue, quittèrent le Texel le 28 mars 1611, se rendirent à la presqu'île de Kola puis au cap Nassau (Nouvelle Zemble), mais le vent et l'état de la banquise les forcèrent à revenir vers le sud et à mettre à la voile pour le Canada ; en 1611-1612, May, pendant l'hiver, explora les côtes du Maine, de New Hampshire et de Massachussets ; il retourna ensuite vers la Nouvelle Zemble, mais les circonstances, plus défavorables encore que l'année précédente, l'obligèrent à rentrer en Hollande dès le mois d'août. Un nouveau voyage fut entrepris au Nord en 1613 par Willem Vermuyden, qui eut des démêlés avec la flotte anglaise.

C'est vers les Indes Orientales que les Hollandais, à la recherche d'un commerce lucratif, développaient leurs efforts. Croyant arrêter la résistance des Hollandais, Philippe II, maître du Portugal, voulut anéantir leur commerce, et dans ce dessein fit saisir leurs navires ancrés à Lisbonne ; l'effet produit fut contraire à ses plans, car les Hollandais, au lieu d'aller chercher dans la capitale portugaise les marchandises dont ils avaient besoin, formèrent le projet de les tirer de leur lieu d'origine, et dans ce but d'arracher à leurs ennemis le secret de leur navigation et de leur commerce.

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L'empereur K'ang Hi et le calendrier

À la suite d'un mémoire présenté en 1664 par le musulman Yang Kouang-sien, les Régents, peu favorables au christianisme, publièrent le 4 janvier 1665, un décret ordonnant à tous les Chinois d'abandonner la nouvelle religion. Schall et ses trois compagnons Verbiest, Buglio et Magalhaens furent jetés en prison, où ils restèrent six mois, ainsi que cinq fonctionnaires chrétiens qui eurent la tête tranchée. Schall fut condamné à mort et les autres missionnaires, sauf quatre, furent renvoyés à Canton. Toutefois l'impératrice, indignée de cette sentence inique, fit remettre Schall en liberté ; le vieillard survécut peu à cette persécution. Il n'allait pas tarder à trouver un vengeur dans le père Ferdinand Verbiest, Nan Houai-jen, né à Pitthem, près de Courtrai, le 9 octobre 1623, arrivé en Chine en 1659.

En janvier 1669, Yang Kouang-sien, qui avait succédé à Schall dans la charge de Président du Tribunal des Mathématiques, dénonça Verbiest, coupable, selon lui, de vouloir détruire les instruments astronomiques de Yao et de Chouen et leur substituer ceux de l'Europe, disant :

« Si les instruments de Yao et de Chouen doivent être détruits, il faut aussi supprimer le Livre des Vers, les Annales, le Mémorial des Rites, le Traité de la Musique, toutes les œuvres littéraires, les lois et les institutions des temps postérieurs à l'époque de Yao et de Chouen.

Ainsi, à dire vrai, cet homme n'est qu'un ouvrier habile et ingénieux à fabriquer des machines ; mais il ne connaît pas à fond les principes des sages. Il sait dire des paroles en l'air sur l'astronomie ; mais il ne comprend pas les lois subtiles du raisonnement et du calcul. Pour ce qui est de lui confier un emploi, votre serviteur ne le croit pas assez capable.»

K'ang Hi avait donné l'ordre à un tribunal de se réunir et de délibérer au sujet du calendrier ; il se montra irrité de ce que Yang Kouang-sien, au lieu d'attendre la décision des délégués, se hâtait de déclarer incapable un homme proposé pour un emploi. Pendant ce temps Verbiest achevait l'examen du calendrier en deux volumes que le vice-président du Bureau des Observations astronomiques, Wou Ming-hiuen avait composé à l'usage du peuple pour l'année 1669, et dont un exemplaire avait été remis le 29 décembre 1668 au jésuite pour examiner s'il contenait des erreurs, ce qui était le cas. À la suite du rapport de Verbiest, les ministres d'État donnèrent l'ordre aux membres du Bureau des Observations astronomiques, d'étudier l'affaire ; la commission spéciale, présidée par Ma Hou, Président du Tribunal des Mathématiques, déclara exacts les calculs de Verbiest et fautifs ceux de Wou Ming-hiuen. En conséquence le Tribunal des Rites demanda et obtint la destitution de Yang Kouang-sien, le 8 mars 1669 ; on lit dans la délibération du tribunal :

« La division du jour en cent parties, ayant été en usage depuis Yao et Chouen jusqu'à nos jours durant de longs siècles, a été sanctionnée par l'autorité impériale, comme les archives en font foi. Mais la division en quatre-vingt seize parties suivie par Verbiest, s'accordant avec les phénomènes célestes, à partir de la neuvième année de K'ang Hi (1670), il convient d'adopter cette division, et de confier à Verbiest le soin de tout le calendrier. »

Jadis, l'espace d'un jour et d'une nuit était divisé en dix parties, appelées che ; en 104, on établit Une division en 12 che et 100 k'o ; le jour commençait à minuit ; en 1670, sur le conseil de Verbiest, K'ang Hi décida que le jour serait divisé en 96 k'o ou quartiers, tout en conservant les 12 che dont chacun comprenait 2 siao che ; le k'o était divisé en 16 jen ou minutes ; la minute en 60 miao et le miao en 60 wei.

Dans le courant de la 8e lune de la 8e année de son règne [septembre 1669], K'ang Hi donna le décret suivant :

« Yang Kouang-sien mérite bien d'être condamné à mort ; attendu qu'il est déjà très âgé, par spéciale bienveillance nous lui faisons grâce. Nous faisons aussi grâce à sa femme et à ses fils de la peine d'exil. Li Ngan-tang [le franciscain Antoine de Sainte-Marie exilé à Canton en 1665, avec 24 autres missionnaires, lors de la persécution suscitée par Yang] et les vingt-quatre autres missionnaires ne doivent pas être emmenés à Pe King. Quant à la religion catholique, Nan Houai-jen [Verbiest] et les autres [pères, ses compagnons] sont libres de la pratiquer comme auparavant ; mais craignant que dans le Tche Li et les provinces on ne rebâtisse les églises, et que les gens n'entrent dans la religion, Nous ordonnons de nouveau aux autorités provinciales de lancer des proclamations sévères au peuple, pour lui faire savoir les prohibitions (anciennes). Pour le reste du mémoire, qu'il soit fait conformément à ce qui Nous est proposé. Respect à ceci ! »

En conséquence la mémoire de Schall fut réhabilitée, des indemnités furent accordées aux victimes de Yang Kouei-sien qui fut envoyé en exil, à Wei Tcheou, dans le Kiang Nan, son pays ; il mourut en route.



Verbiest fut nommé vice-président du Tribunal des Mathématiques (1er avril 1669) et au mois de juillet Wou Ming-hiuen fut destitué et condamné à l'exil au mois d'août ; remise fut faite de cette dernière peine ; le coupable fut frappé de quarante coups de planchette.

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K'ien Loung (1736-1796) lettré

K'ien Loung, administrateur plutôt que guerrier, fut en même temps un grand lettré. Le nombre de ses poésies, célébrant les événements de son règne, est considérable.

L'ouvrage le plus célèbre de K'ien Loung est peut-être le poème qu'il composa en chinois et en mandchou sous le titre d'Éloge de la ville de Moukden, dans lequel il célèbre le berceau de sa famille :

« Moukden est l'ancien pays de notre famille impériale, comme Pin et K'i étaient ceux de la dynastie des Tcheou, et la montagne de K'iao chan, du temps de (l'empereur) Houang ti. »

Il retrace l'origine des Ta Ts'ing :

« Notre dynastie de Taï Ts'ing a pris son origine dans les temps reculés, à la « grande montagne blanche » (Tch'ang Pe Chan) ; c'est là qu'un souffle merveilleux s'accumule, qui la rend très resplendissante et très fortunée ; il y a le lac nommé Tamoun, dont la circonférence est de 80 li, et duquel sortent les grands fleuves Ya-lou, Khôntoung (Soungari Oula, Soung Houa Kiang) et Aïkhou (Toumen Oula). Une sainte vierge, la sœur cadette du ciel, ayant pris dans la bouche et avalé un fruit rouge, mit au monde un fils saint, auquel le ciel donna le nom de famille Gioro, et dont la dénomination honorifique fut Aïsin, or. En se purifiant et se renouvelant sans repos et sans interruption, il (l'empire) acquit les pays de Yekhé, de Khôïfa, de Dïhacfian et de Fousi. Il fonda ensuite, dans le pays de Leao Yang, une ville qui devint la capitale de ce royaume oriental. Le bonheur que le ciel lui accorda s'étant accru, et ses mérites étant devenus plus vastes, dans la dixième année « de la providence du ciel » (T'ien Ming, 1616-1626), il pensa au danger, et prit ses mesures pour se fixer au milieu. La contrée de Chen Yang étant connue comme un endroit rempli d'un souffle fortuné, on y bâtit la ville de Moukden, qui ferme et défend le passage des pays de l'Occident. »

K'ien Loung fit paraître de nouvelles éditions d'ouvrages considérables comme le T'oung Kien Kang Mou, comme le Miroir ou Dictionnaire des mots mandchoux et chinois.

En 1772, par l'ordre de l'empereur, un vaste catalogue en quatre parties de la Bibliothèque impériale, K'in ting se k'ou ts'iouen chou tsoung mou t'i yao, fut entrepris par une commission de fonctionnaires présidée par le prince de Tchi ; présenté en 1782, à K'ien Loung, il fut terminé en 1790. Les quatre parties, se k'ou, comprennent les Classiques (King), 9 classes, 44 livres ; les Histoires (che), 15 classes, livres 45 à 90 ; les œuvres des philosophes et des savants (tsei), 14 classes, livres 91 à 147 ; les collections littéraires (tseu), 5 classes, livres 148 à 200, sans compter un livre préliminaire. Un abrégé de ce catalogue a été publié à la fin du XVIIIe siècle avec une notice de Youen Youen, sous le titre de K'in ting se k'ou ts'iouen chou kien ming mou lou.

Sous le règne de K'ien Loung, l'art chinois, par les navires de Canton, se répandit beaucoup en Europe ; nous renverrons au volume que nous avons publié en 1910 sous le titre de La Chine en France.

En 1761, à l'occasion de la 50e année de K'ien Loung, le père Benoist présenta à l'empereur une mappemonde tracée sur de la gaze ; elle occupait dans les 2 hémisphères, y compris la bordure, 13 à 14 pieds de longueur sur 7 de hauteur.

« L'empereur fut si satisfait de cette mappemonde, que, trois ans après, il chargea le même Européen de tracer les deux globes terrestre et céleste, destinés à être placés à côté du trône dans la grande salle d'audience de son palais de Pe King. »

 

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Archives des Missions Étrangères de Paris. http://www.mepasie.org