Albert-François-Ildefonse d'ANTHOUARD (1861-1944)

Couverture. Albert-François-Ildefonse d'ANTHOUARD (1861-1944) : La Chine contre l'étranger : Les Boxeurs Plon, Nourrit et Cie, imprimeurs-éditeurs, Paris, 1902, XI-362 pages.

La Chine contre l'étranger

LES BOXEURS

Plon, Nourrit et Cie, Paris, 1902, XI-362 pages.

  • Avant-propos : "Alors que toutes les puissances qui ont participé à l'expédition de Chine revendiquent à l'envi le mérite d'avoir accompli l'effort le plus décisif dans les opérations militaires et les négociations diplomatiques qui ont empêché l'exécution du plan des Boxeurs, massacre de tous les étrangers et de leurs adhérents, destruction de leurs établissements religieux et commerciaux, en un mot, expulsion complète de toute trace de civilisation occidentale, la France, seule, par suite d'une aberration spéciale, semble ignorer les actes de son armée et de sa diplomatie, hésite à les proclamer, à en tirer les avantages moraux et matériels qui en découlent. L'indifférence de beaucoup de Français à l'égard des questions de politique étrangère, l'insouciance qu'ils mettent à les étudier, les habitudes de dénigrement invétérées malheureusement chez nous concourent à ce résultat. Le devoir de ceux qui ont assisté à ces événements est donc de fournir à leurs compatriotes des témoignages impartiaux et véritables qui puissent servir de base à une opinion mieux raisonnée et plus juste."
  • "Telles sont les considérations qui m'ont conduit à publier le récit du siège de Tien-Tsin et de la délivrance de Pékin d'après mes notes journalières, dont une partie a déjà paru dans les journaux, l'année dernière. J'ai retracé le siège des légations et du Pei-tang d'après les renseignements recueillis et contrôlés sur place au lendemain de la délivrance. Les nouvelles de chaque jour sont relatées telles qu'elles nous parvenaient, avec les réflexions qu'elles suggéraient sur le moment."
  • "Les événements qui découlent du soulèvement « boxeur » sont tellement enchevêtrés que je crois utile d'en donner ici une très rapide analyse, qui servira de fil conducteur.
    À la fin de mai 1900, le mouvement « boxeur » prend le caractère d'un soulèvement anti étranger. Pékin est bloqué le 4 juin, le siège des légations commence le 20 juin. Les concessions étrangères de Tien-Tsin sont assiégées le 17 juin, délivrées le 23, mais bombardées encore jusqu'au 14 juillet. Le 14 août, les légations sont délivrées ; le 16, c'est le tour du Pei-tang. À cette date finit la première période des opérations militaires ayant pour point de départ l'ordre donné aux amiraux de débloquer Pékin. C'est la seule dont parle ce livre."

Extraits : La situation à fin avril 1900 - Les Chinois nous bombardent ! - Vivent les marsouins ! - Journal d'un bourgeois de Pékin
Où l'on parle, déjà, de Paul Pelliot
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La situation à fin avril 1900

La prise de Kiao-tchéou, le 15 novembre 1897, accomplie sans coup férir, avait surpris les puissances étrangères ; succédant aux victoires des Japonais en 1894-95, elle accrédita l'opinion que la Chine avait perdu toute force et toute énergie, qu'elle appartenait d'avance à qui voudrait la prendre, était résignée à toutes les exigences, qu'elle était en un mot res nullius. Le 18 décembre, la Russie s'emparait de Port-Arthur ; le 4 avril 1898, l'Angleterre obtenait Wei-hai-Wei, puis, le 9 juin, un agrandissement de territoire en face de Hong-Kong, sur le continent ; enfin, le 13 mars de la même année, Kouang-tchéou-Ouan était cédé à la France. Dans ce laps de temps les mêmes puissances exigeaient des concessions de chemins de fer, de mines et d'emprunts, l'ouverture de toutes les voies fluviales, etc. Et la Chine signait docilement tout ce qu'on lui présentait. Bien mieux, avouant sa faiblesse, elle consentait à s'interdire, par convention avec les puissances, de disposer à sa guise de telle ou telle province. Il n'y eut plus dès lors aucun frein aux convoitises. Politiciens, publicistes, financiers, ingénieurs découpèrent la carte de l'Empire du Milieu en zones d'influence savamment combinées, se partagèrent les mines et, à grands coups de crayon sur la carte, tracèrent un réseau compliqué de voies ferrées. On parlait librement du partage de la Chine, ce qui attirait à un diplomate la réponse suivante d'un mandarin :

— Excellence, le difficile n'est pas de nous manger, mais de nous digérer.

À Pékin, les représentants des puissances ne vivaient plus ; poussés par les chercheurs de concessions qu'appuyaient de solides recommandations, ils s'épiaient entre eux et, sous prétexte de tenir la balance égale dans l'attribution des privilèges, harcelaient le Tsong-li-Yamen de demandes.

Le gouvernement chinois résistait quelquefois, mais finissait par céder devant les menaces. Cependant il observait les rivalités et les jalousies des étrangers, s'en servait au besoin pour se dérober ou susciter des incidents internationaux qui lui laissaient quelque répit. Il constatait l'état de division des puissances et en profitait.

Des événements symptomatiques survenaient en province. Les sociétés secrètes s'agitaient et manifestaient une grande activité. Des menaces étaient proférées contre les étrangers, et les Chinois chrétiens, considérés eux aussi comme des étrangers, étaient maltraités ou massacrés. Avec eux tombaient des missionnaires catholiques perdus dans les localités écartées, le père Fleury au Szetchouen, le père Delbrouck au Houpé, le père Chanès au Kouangtoung. La Chine, incapable de repousser les puissances, se vengeait sur les étrangers isolés sans défense dans l'intérieur et sur leurs disciples. Un fait à noter, toutefois, car il fut plus tard la cause d'une erreur de jugement, ces attaques avaient lieu toujours loin des grandes villes et épargnaient tous les étrangers qui savaient se mettre à temps sous la protection de hautes autorités. En apparence, tout au moins, le gouvernement n'était pas de connivence ; il ne prenait pas de mesures préventives, mais à force d'insistance les légations l'obligeaient à sévir.

Au Chantoung les troubles s'étaient produits tout d'abord dans le vicariat allemand et avaient pris un caractère antiallemand. Peu à peu ils débordèrent sur le reste de la province. Les légations de France, d'Allemagne, d'Angleterre et des États-Unis, qui avaient d'abord protesté isolément, s'unirent et agirent de concert. Le gouverneur du Chantoung, Yu-Hsien, accusé d'avoir fomenté et encouragé le mouvement, fut destitué ; un édit contre les agitateurs, les Longs-Couteaux d'abord, les Boxeurs ensuite, fut promulgué. Mais ces satisfactions n'étaient accordées aux puissances que pour la forme : Yu-Hsien reçut des honneurs officiels à son arrivée à Pékin, et les termes de l'édit étaient plutôt un encouragement qu'un blâme à l'adresse des Boxeurs. L'audace de ces derniers s'accrut : ils commencèrent à envahir le Tcheli méridional.

Il devenait peu douteux que des protecteurs haut placés à la cour encourageaient la secte, et divers indices attribuaient ce rôle au prince Touan, père de l'héritier présomptif.

Le jour où la Chine avait dû céder aux étrangers, deux partis s'étaient formés, l'un conscient de la faiblesse de l'Empire et de sa décadence, reconnaissant la nécessité de traiter et penchant pour la conciliation ; l'autre aveuglé par l'orgueil et la haine de l'étranger, ignorant les leçons de l'histoire, intransigeant et poussant le gouvernement à la résistance la plus folle. Ces dissidences, qui apparurent dès 1842, s'accentuèrent après chaque intervention étrangère et à mesure que les Chinois prenaient contact avec la civilisation occidentale. Les revers de la guerre sino-japonaise, les prises de possession de territoires accomplies successivement par les principales puissances, les concessions industrielles, les réformes commerciales arrachées au gouvernement chinois, accentuèrent la division entre les deux partis, le premier arguant de tous ces événements pour proclamer l'urgence des réformes, seul moyen de sauver l'Empire de la ruine ; le second déclarant que toute concession était une faiblesse, toute réforme une atteinte aux lois fondamentales de l'Empire, et accusant en conséquence leurs adversaires de pactiser avec l'ennemi, l'étranger.

Il est très difficile de se former une idée exacte de la composition de ces deux partis. On en connaît bien les tendances générales, mais on en ignore tous les fils, car le monde où ils se meuvent est à peu près fermé aux étrangers.

Quelques hauts mandarins comme le prince K'ing, Li-Hong-Tchang, Tchang-Che-Tong, ayant l'expérience des étrangers, sont disposés à leur faire des concessions, quitte à tenter de regagner le terrain perdu à la première occasion, et préconisent de vagues réformes. Ils ont l'autorité pour être écoutés et obéis, mais ils ignorent ou connaissent mal la civilisation occidentale dont ils prétendent s'inspirer. À côté d'eux, un groupe de jeunes hommes, la plupart élèves des missionnaires, prêchent les idées nouvelles et prétendent les appliquer en bloc et sous leur forme étrangère. Ces révolutionnaires, dont un des plus célèbres est Kang-You-Wei, animés d'intentions généreuses, il est vrai, rêvent d'une transformation radicale d'après les derniers principes des sociétés modernes, dont le premier effet serait sans doute de jeter le pays dans une anarchie profonde. Capables de tout détruire, ils seraient fort embarrassés pour édifier, n'ayant ni crédit ni expérience pratique. Avec ces hauts fonctionnaires conciliants et réformateurs, mais cependant défenseurs de l'ordre établi, et ces jeunes révolutionnaires prêts à toutes les aventures, il est impossible de constituer un parti solide et influent.

La réaction, au contraire, groupe dans un sentiment unanime de haine contre l'étranger l'immense majorité des lettrés et des mandarins, tous ceux qui profitent des vices de la vieille société chinoise et par conséquent s'opposent à tout changement, tous ceux encore qu'aveuglent l'orgueil de la race, l'ignorance ou le fanatisme. Il s'y mêle aussi des adversaires de la dynastie, trop heureux de mettre les Mandchoux dans l'embarras pour les discréditer aux yeux du peuple. Plusieurs princes de la famille impériale, dont le prince Touan, en sont les chefs.

L'empereur, usé par de précoces débauches, n'est qu'un jouet entre les mains de ses conseillers. Cet homme de vingt-six ans qui paraît n'en avoir que quinze, et porte les signes irrécusables d'une déchéance profonde, est incapable d'agir par lui-même. Kang-You-Wei et ses amis réussirent à l'entretenir de leurs idées et à prendre sur lui un ascendant dont ils profitèrent pour tenter une réforme complète de la Chine. Du 10 juin au 20 septembre, la Gazette de Pékin publia un nombre considérable d'édits impériaux réformant l'enseignement et les examens des lettrés, traitant de la liberté religieuse et des rapports de la Chine avec les étrangers. En même temps les réactionnaires étaient visés et l'Impératrice douairière elle-même menacée. Mais cette femme énergique n'était pas résignée à se laisser abattre. Prévenant le coup qui lui était destiné, elle s'emparait de l'empereur avec l'aide des chefs de la réaction, l'enfermait dans un pavillon du palais et le forçait à signer une sorte d'acte de déchéance par lequel il se remettait sous la tutelle de la terrible douairière, nommée à cet effet régente de l'Empire. En possession du pouvoir, la vieille Impératrice frappe de coups redoublés les réformistes et leurs complices, annule tous les décrets révolutionnaires de la période des « cent jours », et complète son œuvre en contraignant l'empereur, reconnu incapable d'avoir un fils, à prendre comme héritier présomptif Pou-Tchun, fils du prince Touan, le plus fanatique des réactionnaires.

Le coup manqué de Kang-You-Wei, les protestations que soulèvent en Chine, en Europe et en Amérique, la répression sanglante de cette tentative de réforme, la mise en tutelle de l'empereur et la désignation de Pou-Tchun, mettent le comble à la haine des réactionnaires contre les étrangers. Dès ce moment sans doute, ils méditent de les jeter hors de la Chine. Les succès du petit peuple boër contre les Anglais, la résistance prolongée des Philippins contre les Américains, des achats considérables de matériel de guerre moderne, les rivalités des puissances, concourent à affirmer la cour dans son dessein et augmentent son audace. Dès le commencement de 1900 son attitude à l'égard des Boxeurs du Chantoung et du Tcheli, les honneurs qu'elle décerne à Yu-Hsien, les refus qu'elle oppose aux demandes des ministres, permettent de supposer qu'elle est de connivence avec cette société secrète. Cependant, dans le courant d'avril, un temps d'arrêt se produit dans la marche envahissante des Boxeurs ; et les ministres étrangers, qui protestent depuis des mois et déjà menacent, peuvent croire qu'ils ont réussi à influencer le gouvernement impérial. Au Chantoung, les dommages causés aux missions sont réparés ou en voie d'arrangement ; au Tcheli méridional il en est de même.

Telle est la situation à la fin d'avril. La sécurité paraît si complète pour les Européens que, suivant l'habitude, le personnel des légations fait ses préparatifs de départ pour passer l'été soit à la mer, soit au Japon.


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Les Chinois nous bombardent !

Tien-Tsin. Le consulat de France. A. d'ANTHOUARD (1861-1944) : La Chine contre l'étranger : Les Boxeurs.  Plon, Nourrit et Cie, imprimeurs-éditeurs, Paris, 1902
Tien-Tsin. Le consulat de France.

17 juin.

— Les Chinois nous bombardent !

Ce cri cause plus de stupéfaction que de crainte ; et pour vaincre notre incrédulité il faut la vue des flocons blancs produits par l'explosion des obus, le sifflement strident des projectiles. Mais encore le premier frisson d'émotion passe-t-il assez vite : ces Chinois visent si mal, ils ont si peu de munitions ! Alors on s'amuse à regarder en l'air les petits ballons de fumée, tout en se tenant prudemment à l'abri d'un mur. Le tir est trop long, les obus tombent au delà de la concession anglaise. Des gens renseignés affirment que les Chinois ne possèdent à Tien-Tsin que six pièces modernes approvisionnées à quatre-vingts coups chacune. Le reste de l'artillerie ne comprend que des bouches à feu sans portée. Armons-nous donc de patience et laissons passer au-dessus de nos têtes cet ouragan de fer assez inoffensif ; avec la rapidité du tir les provisions s'épuiseront bientôt. Pour passer le temps, car malgré tout les explosions et les sifflements impressionnent les nerfs, je vais avec du Chaylard surveiller la destruction du quartier chinois voisin de la concession, pendant que ma femme, demeurée au consulat, discute sur Tolstoï avec le colonel russe de Wogack.

À la longue ce vacarme assourdissant est énervant. Les passants sont tous armés et ont le coup de fusil facile. On prétend qu'il y a des Boxeurs dissimulés au milieu des maisons chinoises de l'autre rive, et du quai les volontaires tirent sur cet ennemi peut-être imaginaire.

La fusillade accompagne maintenant la canonnade ; des balles passent dans l'air avec des pchtt ! discrets, rapides, comme un vol de mouches, ou s'aplatissent sur les murs avec un bruit sec et retentissant.

À quatre heures le combat est général. Pendant que les Russes supportent le gros de l'attaque à la gare, les Français défendent les débouchés de la ville chinoise, et les Allemands, Anglais, Américains, Italiens et Japonais protègent le côté sud de la concession anglaise. De ce côté on réussit à prendre l'offensive. On s'empare de l'école militaire située sur l'autre rive. On y brûle des bâtiments et des amas de cartouches et de fusils. Les incendies flambent de toutes parts. On en voit partout : dans la ville chinoise, dans les villages voisins, allumés par les Boxeurs, autour de la gare et des concessions, allumés par nous pour chasser l'ennemi et dégager le terrain. D'énormes volutes de fumée montent vers le ciel, et une abominable odeur de brûlé empoisonne l'air. Vers six heures seulement un apaisement se produit, canons et fusils se taisent peu à peu vers huit heures. À la nuit tout l'horizon est embrasé. Autour de nous le feu détruit tout. Du haut du toit du consulat le spectacle est d'une horreur sublime. C'est bien une guerre sans merci qui commence. — guerre à mort entre deux ennemis implacables, qui engendrera toutes les atrocités.

18 juin.

À six heures et demie les premiers coups de canon nous réveillent, et alors le bombardement recommence plus régulier, mieux dirigé que la veille.

Depuis hier aucun train n'est arrivé de Takou ; la ligne doit être coupée également de ce côté, et Tien-Tsin est complètement cerné.

La défense occupe les positions suivantes : sur la rive gauche, la gare et les abords de la rivière qui couvrent le pont de bateaux ; sur la rive droite, l'extrémité du quai de la concession française au point où il touche aux maisons chinoises incendiées hier, le débouché des rues en amont du pont, l'école de médecine chinoise sur la route de Takou. Ces points protègent l'ouest et le nord de la concession française. La concession anglaise, qui fait suite, confine à l'ouest et au sud à de grands espaces découverts où l'ennemi ne peut s'avancer sans être vu, et est protégée par plusieurs barricades armées de canons au débouché des rues importantes ; mais son quai est exposé au feu de l'ennemi, qui peut se dissimuler sur la berge en face.

Les Chinois occupent tous les tas de sel en amont et en aval du pont et la plaine hérissée de tombeaux et de constructions, creusée de fossés qui entourent la gare et permettent de s'en approcher en se dissimulant. L'ennemi s'avance par les ruines du quartier chinois jusqu'à quelques mètres de l'école de médecine et de la limite ouest de notre concession. Enfin il est également établi au sud de la concession anglaise.

Tien-Tsin. Cosaques. d'ANTHOUARD (1861-1944) : La Chine contre l'étranger : Les Boxeurs.  Plon, Nourrit et Cie, imprimeurs-éditeurs, Paris, 1902
Tien-Tsin. Premier débarquement des Cosaques.


Pour tenir notre ligne de défense il y a un régiment d'infanterie, une batterie de campagne et un peloton de Cosaques sous les ordres du colonel Anesimoff, plus six à sept cents marins russes, français, anglais, américains, allemands, italiens, japonais, obéissant à autant de chefs différents et possédant quelques petites pièces de canon et quelques mitrailleuses, en tout deux mille cinq cents hommes environ. Il n'y a aucune unité de direction, aucun plan concerté d'avance. C'est au hasard et suivant l'inspiration du moment que l'on agit. On n'a même pas eu le temps d'élever des fortifications sérieuses à la gare, et on n'a pu y installer que quelques abris de fortune avec le matériel. Les barricades des concessions sont faites de même.

La gare n'est reliée aux concessions que par un pont de bateaux en assez mauvais état, sur lequel on passe à découvert, et il n'y a rien pour le mettre à l'abri des boulets que les Chinois pourraient lancer en amont ou des jonques qui viendraient à le heurter en dérivant. Le fleuve, large de cinquante mètres à peine, est encombré d'une infinité de jonques surprises en plein travail et dont les équipages se sont enfuis ou cachés à fond de cale.

La position est loin d'être brillante.

La gare est violemment attaquée, et la fusillade y crépite sans interruption. Obus et balles commencent à pleuvoir dans la concession française ; il en tombe sur le consulat dans les jardins, sur les quais, dans les rues ; la sentinelle du consulat est tuée, un autre soldat est atteint à côté d'elle. On ne peut sortir sans de grandes précautions ; il faut se défiler le long des murs et ramper par terre.

Dans l'après-midi le régiment russe débusque les Chinois de leurs positions autour de la gare et les refoule vers la ville, en en tuant un grand nombre. Mais cette lutte contre une multitude de fanatiques dissimulés dans les trous ou derrière les innombrables tombeaux de la plaine, armés de fusils, car leur confiance dans leur invulnérabilité diminue, coûte aux Russes de grosses pertes. Vingt tués et quatre-vingts blessés, tel est le bilan des pertes russes et françaises dans cette journée.

Ce soir incendies et fusillades, comme d'habitude. Il y a sur le quai quelques postes de volontaires et de soldats américains qui ont la manie déplorable de tirer continuellement sur l'autre rive du Peï-ho, où cependant il ne passe plus guère que des chiens à cette heure. Ce bruit attire l'attention des artilleurs chinois, qui répondent par des obus. Il s'ensuit des alertes inutiles. Les volontaires anglais devraient bien imiter leurs camarades français, qui sont rentrés chez eux depuis l'arrivée des troupes et ne reprendront leur fusil que sur l'ordre de leur consul.

Profitant de l'obscurité, un canot à vapeur monté par des Anglais et M. Mognier, l'officier mécanicien français, part pour aller demander des secours à Takou. La tentative est bien dangereuse pour ces braves gens, car l'ennemi doit faire bonne garde.

19 juin.

Nous avons été réveillés par un obus qui a pris en écharpe le mur extérieur de la maison et a éclaté à quatre mètres de notre lit. L'explosion nous a jetés à bas du lit, et en me précipitant à la fenêtre j'ai vu que les Chinois avaient mis en batterie deux pièces de campagne à seize cents mètres en face de la concession française. Avec une jumelle je les distingue parfaitement. Trois ou quatre obus suivent aussitôt, mais passent au-dessus de ma tête. Cette découverte nous fait dégringoler au rez-de-chaussée en attendant que des feux de salve tirés de la gare aient fait taire ces canons. La pauvre municipalité française a été la plus atteinte ; une douzaine d'obus y ont mis tout sens dessus dessous.

L'attaque commencée sur tous les points dès le matin continue pendant la plus grande partie de la journée. C'est un crépitement ininterrompu pendant plusieurs heures scandé de coups de canon. Nous sommes confondus à la pensée de la quantité de munitions qui est brûlée ; les obus et les balles pleuvent sans discontinuer sur la ville.

Le tir des Chinois s'améliore, et leur audace croît. À la gare les Russes perdent énormément de monde sans pouvoir s'abriter suffisamment et doivent tirer sans discontinuer pour maintenir à distance un ennemi habilement dissimulé. À cette guerre les hommes et les munitions s'épuiseront rapidement, et l'on ne sait quand les troupes de Takou pourront nous débloquer. Tous les chefs militaires se réunissent pour examiner la situation et arrêter les mesures à prendre.

Quelques-uns conseillent de marcher par la rive droite sur les forts pour s'en emparer ; en agissant vigoureusement on délogerait facilement les Chinois. Mais on objecte qu'il faudra traverser la rivière et livrer bataille au milieu des masures et des obstacles de toutes sortes, sous le canon des forts, avant de donner l'assaut. La batterie de campagne des Russes ne peut prétendre éteindre le feu des forts. Un échec peut s'ensuivre où resterait la plus grande partie de notre petite garnison. Ce serait la perte inévitable de Tien-Tsin. Mieux vaut se tenir sur la défensive et ménager nos munitions en attendant des secours qui peuvent encore tarder quelques jours. Telle est la décision finale.

Au plus fort du feu, vers quatre heures, un obus pénétrant dans le sous-sol de la municipalité française enfonce les reins de M. Sabouraud, chancelier adjoint, et tue deux marins. On les transporte à l'hôpital. Et le pauvre Sabouraud, malgré sa blessure horrible, vit encore quelques heures, endurant des souffrances épouvantables avec un courage qui fait notre admiration.

L'hôpital a l'aspect d'un abattoir. On y transporte aujourd'hui cinquante blessés, russes et français; cela fait cent quarante avec ceux d'hier et d'avant-hier, et il n'y a qu'une vingtaine de lits. À la hâte on a jeté sur le sol des tapis, des matelas, des nattes, des couvertures, de la paille, et l'on y dépose les malheureux blessés. Il y en a partout, dans la chapelle, dans la petite école, dans le logement des sœurs. Le sang s'est répandu en longues traînées sur les parquets et les dalles, et laisse une odeur fade mêlée de relents de pharmacie.

Trois médecins français, assistés de cinq sœurs et de quelques dames françaises, se multiplient pour soulager toutes ces souffrances. Certaines blessures sont horribles : elles ont réduit les corps en bouillie, fait des trous à y passer le poing, fracassé des membres qui pendent inertes. D'autres sont curieuses dans leurs effets. Un Russe qui, il y a trois jours, a eu le visage traversé à la hauteur des pommettes par une balle de petit calibre est déjà en voie de guérison. Un officier russe est sans blessure apparente, un obus a éclaté à quelques mètres au-dessus de lui sans l'atteindre, mais la commotion l'a privé de sentiment.

Durant cette pluie de projectiles qui s'abat sur la concession française, c'est miracle qu'aucun obus ne tombe sur l'hôpital français bien exposé cependant, puisqu'il est derrière notre consulat. Un obus éclatant dans une de ces salles y causerait des ravages épouvantables.

La nuit ne calme pas l'acharnement des Chinois. Jusqu'à deux heures du matin on se bat sans relâche à tous les avant-postes. Nous craignons sérieusement que les concessions soient envahies à la faveur de l'obscurité, et chacun veille avec des armes à portée. Et les vieux résidents racontent sérieusement que le Chinois ne sort jamais la nuit par peur des ténèbres !

Au lever de la lune la situation s'améliore, et, la fusillade cessant, on peut enfin prendre du repos.

Tout le monde est éreinté, mais surtout la petite garnison, qui se multiplie avec un courage et une énergie admirables.

Trois Cosaques et un jeune Anglais, M. Watts, se dévouent pour forcer le blocus et aller à cheval à Takou, où de nouvelles troupes russes ou japonaises ont dû débarquer. Puissent ces braves arriver sains et saufs !


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Vivent les marsouins !

Tsien men, le 16 juin 1900. d'ANTHOUARD (1861-1944) : La Chine contre l'étranger : Les Boxeurs.  Plon, Nourrit et Cie, imprimeurs-éditeurs, Paris, 1902
Incendie de Tsien men, le 16 juin 1900.

13 août.

Dans la journée, les dernières dispositions sont arrêtées entre les généraux.

Plusieurs routes conduisent de Tong-Tchéou à Pékin. La principale, pavée, suit d'abord la rive sud du canal qui relie les deux villes, et au pont de Pali-Kao passe sur la rive nord ; elle aboutit à la porte Si hoa men. La seconde route, une large piste, est tracée sur la rive nord jusqu'au pont de Pali-Kao, le franchit en sens contraire, longe la rive sud et conduit à la porte Tong pien men.

Le plan d'attaque est ainsi fixé : toutes les troupes alliées aborderont la capitale par l'est, les Japonais à droite par les portes de la ville tartare Tsi hoa men et Tong che men ; les Russes à leur gauche par Tong pien men ; les Français ensuite, puis les Américains et les Anglais, ces derniers allant jusqu'à la porte orientale de la ville chinoise. Le mouvement commencera dans la nuit du 13 au 14 ; toutes les troupes camperont à quatre ou cinq kilomètres des murs, et une conférence ultérieure sera tenue, le 14 au soir, pour décider l'heure de l'assaut si les Chinois n'ont pas, au préalable, fait des propositions pacifiques.

Les troupes alliées au départ de Tien-Tsin comprenaient : une brigade russe ; 6.000 Japonais ; 3.000 Sikhs ; 2.800 Américains ; 1.000 Français. En tout seize à dix-sept mille hommes. Mais les deux combats de Peitsang et de Yangtsoun, les marches forcées, la chaleur, les privations ont réduit ces effectifs d'un quart. Tous nos détachements ont rejoint, et le général Frey dispose de six cents hommes et de trois batteries. Jusqu'au dernier moment on a espéré que les renforts du Guichen seraient débarqués à temps pour nous rejoindre, mais il a fallu y renoncer.

Le général m'a permis d'accompagner l'officier d'état-major chargé de choisir le cantonnement, le capitaine de Lardemelle, et vers minuit, après un violent orage, nous sommes partis.

Le ciel s'est rasséréné, et la lune éclaire notre route. En sortant de Tong-Tchéou, nous suivons la route nord du canal jusqu'au pont de Pali-Kao, que nous franchissons pour changer de rive, car l'état-major russe nous a indiqué que nous devions marcher au sud du canal. (C'était une erreur, mais malheureusement nous ne le sûmes que plus tard.) Le chemin étroit, encaissé entre les sorghos, est assez bon. Des cavaliers nous précèdent à cent pas, six autres nous suivent, l'œil et l'oreille aux aguets, les armes prêtes, car les fourrés ou nous nous enfonçons sont propices aux surprises. Soudain, vers deux heures, le crépitement lointain d'une fusillade, le grondement d'une canonnade retentissent. Nous avons arrêté nos chevaux pour écouter, Pékin est à une douzaine de kilomètres, les troupes alliées en sont encore loin, croyons-nous, et nous nous demandons avec inquiétude si ce n'est pas l'attaque finale des Chinois qui doit emporter les légations. Maintenant les coups se pressent en un fracas ininterrompu, une lutte furieuse est engagée. L'anxiété nous talonne, nous pressons l'allure.

À trois heures, nous traversons un bivouac d'Américains ; tous les soldats dorment sous la protection de deux sentinelles.

À un kilomètre de là, nous sommes rejoints par le général et le détachement français, qui a activé la marche en entendant le bruit du combat. Il est trois heures et demie, le jour se lève.

À six heures, nous sommes à six kilomètres des murailles. Le bruit du combat a diminué et cesse de temps en temps. À ce moment des coups de feu partent à cent mètres de nous. Une reconnaissance est lancée dans cette direction, et dans le même temps des groupes de cavaliers américains et de lanciers du Bengale passent à côté de nous lancés au galop. Pour empêcher toute surprise, le général place ses troupes sur une éminence à cinquante mètres du canal, fait abattre les sorghos qui arrêtent la vue. Les coups de feu continuent. Des cavaliers reviennent au triple galop. Le général est perplexe. Les Russes, qu'il comptait rencontrer ici d'après leurs indications, sont introuvables. Il ignore ce qui se passe à sa gauche et à sa droite, n'ayant pas de cavaliers pour aller aux renseignements. Il se croit en flèche, et avec sa faible troupe il peut craindre d'être débordé.

Vers huit heures, le corps américain nous rejoint, et le général Chaffee explique au général Frey que la rive sud lui est réservée ; la place des Français est sur la rive nord. L'erreur est regrettable, mais peut être aisément réparée grâce à un pont que la reconnaissance signale dans un village situé à deux kilomètres et dont elle vient de s'emparer.

Les Américains ne savent rien ou ne veulent rien dire, et nous cessons le contact avec eux. La canonnade éclate à notre droite, mais le son est trop assourdi par les arbres et les sorghos qui nous environnent pour qu'il soit possible de distinguer la direction. Du haut des arbres on ne voit rien que des fourrés inextricables de verdure ! On n'aperçoit même pas les murailles, dont nous sommes assez près. Sans nouvelle de ce qui se passe, le général, se basant sur l'ordre arrêté la veille, fait reposer ses hommes pendant le fort de la chaleur et attend l'heure convenue pour la réunion des généraux.

Vers trois heures de l'après-midi, avec un officier russe arrivé de Tien-Tsin la nuit dernière et qui nous a rejoints ce matin, je vais à la découverte. En faisant un détour vers l'est, nous gagnons la grande route dallée de Tong-Tchéou à Pékin. Les Japonais l'occupent, et leur artillerie bombarde la porte de Si hoa men. Le général Foukoushima, chef de l'état-major japonais, m'apprend que l'avant-garde russe a attaqué dans la nuit la porte de Tong pien men et a pénétré dans la ville chinoise. Les Japonais ont alors bombardé la porte de Si hoa men, ont tenté de la pétarder, mais ont été repoussés avec de grosses pertes. Ils recommenceront dans un instant et, dans tous les cas, comptent enlever la position cette nuit. Nous galopons alors dans la direction des Russes, qui sont en effet à cinq cents mètres de la porte. Le général Stessel s'apprête à entrer en ville avec le gros des troupes, le général Linévitch doit être déjà dans la ville tartare.

Lorsque vers sept heures je rapporte ces nouvelles inattendues au camp français, le général Frey vient de partir à son tour à la recherche des généraux, et ce n'est que deux heures plus tard qu'il peut envoyer l'ordre d'avancer.

À dix heures du soir, notre colonne est à la porte de Tong pien men, où un encombrement l'arrête. Un bataillon russe est couché dans les maisons avoisinantes, les soldats écroulés sur le sol dans l'accablement de la fatigue. Un officier qui veille me raconte, en excellent français, la prise de la porte.

Ce matin, vers une heure, le général Linévitch s'était approché de la ville avec une forte avant-garde d'infanterie et d'artillerie. Il détacha une section des volontaires du capitaine Gorki, pour reconnaître l'état des remparts ; celle-ci s'avança jusqu'à la porte, où elle trouva un poste chinois endormi. En un clin d'œil et sans bruit on tue à la baïonnette les soldats chinois, s'approche de la porte fermée et envoie demander d'urgence des renforts. Le général Linévitch accourt avec un canon qui est mis en batterie. Mais le bruit réveille l'ennemi, qui ouvre un feu très meurtrier du haut des remparts de la ville chinoise et de la ville tartare. On réussit néanmoins à enfoncer la porte et à s'en emparer. La position est critique : à droite, des murs de la ville tartare, l'ennemi tire en plongeant, et en face une forte armée occupe la ville chinoise. Les Russes essuient un feu terrible et perdent beaucoup de monde ; un de leurs colonels est tué, le général chef d'état-major est blessé ; cependant ils réussissent à chasser les Chinois qui sont devant eux et à gagner des maisons hors de la vue des remparts. Dans la ville chinoise, aucune résistance, les réguliers fuient ; les Russes gagnent, par un détour, la grande rue qui conduit à la porte de Tsien men. À coups de canon, ils font sauter cette porte et pénètrent dans le quartier des légations.

Vers dix heures et demi l'entrée est dégagée, et nous pénétrons à notre tour dans l'enceinte chinoise. Les maisons sont étroitement closes, un silence de mort règne dans les rues, d'où les chiens se sont enfuis, et cette marche sans bruit dans cette ville morte est saisissante.

15 août.

Deux heures du matin — un orage violent nous transperce de la tête aux pieds en un clin d'œil. Impossible d'avancer, on ne voit plus rien. On s'abrite sous les auvents des maisons pour laisser passer cette trombe. Notre présence réveille les voisins, des portes s'entr'ouvrent, on nous offre du thé chaud et des cigarettes. Ces Chinois sont étonnants !

À quatre heures la pluie cesse, et, avec le jour, nous entrons dans la ville tartare par la porte de Ha ta men. L'aspect de la rue des Légations est inimaginable. Des ruines à droite, à gauche, partout des restes de maisons incendiées, éventrées. Devant nous, barricades sur barricades, un entassement de décombres sans nom. La chaussée n'existe plus ; pour avancer il faut faire des détours dans les ruines voisines où l'on a pratiqué des passages. La légation d'Italie n'est qu'un tas de briques avec quelques pans de mur encore debout. Plus loin, une barricade formidable, des excavations profondes, deux lions en pierre noyés sous des briques, marquent l'emplacement de la grande porte de la légation de France. À cent pas de là notre pavillon flotte à une hampe de fortune. La seconde porte de notre légation est masquée par un entassement de briques. Des morceaux de fils télégraphiques pendent lamentablement à des mâts hachés par les balles.

Au son des clairons des têtes de matelots apparaissent au-dessus des murailles, faces amaigries, ravagées par les souffrances, où brille la joie de la délivrance. Et la vue des uniformes français leur arrache des cris de : « Vivent les marsouins ! Vive la France ! » auxquels répondent ceux de : «Vivent les marins !»

Devant l'hôtel de Pékin, encore une barricade, puis une autre vingt mètres plus loin devant la légation du Japon. Le pont du canal est barricadé des deux côtés. De véritables remparts de plusieurs mètres de haut défendent l'entrée de la légation d'Angleterre, dont les maisons sont garnies du haut en bas de sacs de terre.

C'est là qu'habitent dans un petit pavillon le ministre de France et Mme Pichon, ainsi que tout son personnel marié. Et sous le coup d'une émotion profonde, je retrouve enfin les amis que j'ai cru perdus depuis deux mois.

Les appartements de M. Pichon, détruits. Albert d'ANTHOUARD (1861-1944) : La Chine contre l'étranger : Les Boxeurs. Plon, Nourrit et Cie, imprimeurs-éditeurs, Paris, 1902, XI-362 pages.
Les appartements de M. Pichon.


*

Journal d'un bourgeois de Pékin

"Traduction d'un document chinois trouvé au cours de l'occupation de Pékin. C'est le journal d'un bourgeois, intendant d'une famille riche, un homme de la classe moyenne. On y voit la ville livrée à l'anarchie la plus complète, les autorités faibles et irrésolues à l'égard des Boxeurs, jusqu'au jour où ceux-ci, s'emparant du pouvoir, lancent la Chine contre l'étranger et massacrent tous ceux qui veulent s'opposer à leurs desseins. Le Chinois y révèle naïvement son caractère : orgueilleux, crédule et fataliste à l'extrême, capable d'impulsion violente, mais sans énergie en face d'une résistance sérieuse, toujours disposé à s'incliner devant le plus fort, quel qu'il soit."

Le 17 de la lune (13 juillet). Les canons tonnent sans interruption et détruisent par inadvertance des maisons appartenant à la population des environs. Des balles explosives sifflent de tous côtés; ceux qui ont peur sont tous partis. C'est vraiment dangereux de demeurer par ici, tant à cause des boulets que des balles. Les Boxeurs préparent du poison pour donner aux Européens ; pendant ce temps les chrétiens sortent et brûlent les maisons désertes ; ils gagnent du terrain. Tous les voisins de l'est déménagent et abandonnent leurs chambres. Les soldats, le peuple, les Boxeurs commencent à manquer de munitions ; ils avaient l'esprit trouble, et leur ardeur guerrière tombait.

Le 18 de la lune (14 juillet), la rue est encombrée de fuyards, mes voisins d'en face font leurs paquets, tout le monde se trouble et tremble, une vieille femme vient me demander en termes touchants de protéger sa famille. Ce n'est pas le moment de prodiguer des consolations ! Je n'ose m'engager vis-à-vis d'elle ; je dis seulement que je ferai le possible. Le ciel bleu a des yeux et connaît ma bonne volonté. L'endroit où je suis est très dangereux à cause de la rapacité des soldats et de la proximité des incendies ; à chaque instant la vie même est en danger ; malgré cela je me sens disposé à garder la famille de cette bonne vieille. Dans ma maison chacun fait ses paquets, habits de soie, bijoux, argenterie, etc. ; demain j'irai habiter la boutique de Koung he tchang, à l'intérieur du Sy hoa men.

Le 19 de la lune (15 juillet), je sors mes vêtements des caisses pour les mettre en paquets et les faire porter dans la boutique de Koung ho tchang. J'ai supplié le grand intendant, je lui ai dit toutes mes difficultés, tous mes malheurs, et aussi ceux de ma famille qui se sauvait à cause de la guerre et des troubles causés par les soldats. Je ranimai en lui les sentiments de fidélité et de générosité, je lui dis que nous n'avions qu'un même cœur et beaucoup d'autres paroles suppliantes et affectueuses. Je donne à chacun de ses compagnons deux taëls pour leur peine, et leur dis de prendre dans ma maison, autant qu'ils en auraient besoin, des sapèques, des grains et de la farine ; mon seul désir était de garder ma maison. Les choses prospères et néfastes sont incertaines et dépendent du ciel : au hasard donc ! Les membres de ma famille vont partir sur des chars de louage... Au dernier moment ce fut un triste spectacle : tous pleuraient d'être obligés de quitter le foyer et de penser qu'en un instant maison et richesses pouvaient périr ; chacun se regardait les larmes aux yeux, le cœur navré. Pendant ce temps le Sy che Kou était attaqué par le côté nord et résistait comme auparavant.

Le 20 et le 21 de la lune (16 et 17 juillet), l'assaut redouble de véhémence ; on ajoute de nouveaux canons, toujours inutilement ! L'Empereur, irrité, proscrit la famille Yang li Chan et charge le tribunal des Supplices d'instruire sa cause. Le bruit de la prise de Tien-Tsin se répand de nouveau, mais la nouvelle est incertaine.

Dans la ville du nord sortirent quelques hommes qui coupaient la tresse aux gens. Il suffisait de s'attacher un cordon rouge à la tresse pour être épargné. La fusillade et la canonnade ont cessé du côté des légations. J'ai entendu dire que les Anglais avaient demandé la paix parce que l'héritier de la couronne d'Angleterre se trouvait dans la légation. La paix est faite. Le 23 de la lune (19 juillet), les chrétiens du Sy che Kou veulent mettre le feu à la plate-forme élevée du côté de l'ouest, mais ils sont repoussés par les soldats de Ou Ouée. À la pagode de Kouan houi sse, les Boxeurs se prennent de querelle et se battent ; des deux côtés il y a eu des blessés. La cause de la rixe est que l'un des groupes accusait l'autre de faire de faux prodiges ; à cause de cela ils se brouillèrent : c'est ridicule ! Le 24 de la lune (20 juillet), deux mille Boxeurs viennent donner l'assaut au Sy che Kou. Venus vite, ils s'en retournèrent plus vite encore, et leurs divers groupes assis devant la pagode Tchan tan sse prenaient le frais et n'osaient attaquer ; s'ils avaient osé, c'eût été inutile. Ma grand'mère est revenue hier, 23 de la lune (19 juillet).

Le 25 de la lune (21 juillet), une de mes tantes est revenue.

Le 26 de la lune (22 juillet), il tombe une grande pluie pendant la nuit.

Le 27 de la lune (23 juillet), les Boxeurs possédés par les héros du livre Che Koung Ngan, du temps de K'han Sy, vinrent à l'assaut du Sy che Kou, n'obtinrent pas de résultat, et se retirèrent le soir dans leur camp.

Le 29 de la lune (25 juillet), les Boxeurs de la section, réunis dans la famille Tcheng, contiguë à la mienne, décidèrent qu'ils allaient se disperser ; leur courrier n'était pas encore parti qu'un ordre vint du prince Touan Ouang les appelant à son palais où ils devaient attendre les ordres à exécuter.

Le 1er de la lune (26 juillet), nouvelle attaque du Sy che Kou ; fusils, canons, engins explosibles, rien n'y manquait. On n'obtint aucun résultat, la section songeait à fuir. À ce moment, dit-on, on a surpris des hommes de la secte du Nénufar blanc qui coupaient les plumes des poules ; ces poules, une fois déplumées, n'étaient plus mangeables, leur chair devenait noire à la cuisson, etc., etc., et d'autres stupidités ! Si pourtant cela était vrai ! Il faut faire attention !

Le même jour, les Boxeurs de la section campés à Tchouang ta hou tong, en dehors du Sy hoa men, attaquent le Sy che Kou en face de la grande porte de l'église. Un grand chef Boxeur voulait entrer à l'intérieur ; il se laissa choir dans un trou recouvert de planches disjointes ; d'un bond il fut dehors !

Hier soir, les Boxeurs envahirent la boutique d'un marchand de vinaigre nommé Inn et forcèrent ses caisses. Beaucoup d'objets furent perdus. On conduisit le propriétaire au prince Touan Ouang, qui lui demanda pourquoi lui et sa famille ne s'étaient pas sauvés et l'accusa d'être en relation avec les chrétiens, etc., etc.

Le 2 de la lune (27 juillet), un Boxeur nommé Ouang vint me dire qu'il ne fallait laisser qu'un gardien par famille, autrement cela donnerait lieu à des querelles ; de plus, ajouta-t-il, les femmes doivent être envoyées en lieu sûr. En ce moment, la section attaquait le Sy che Kou.

Hier, ma mère accompagnée de ma femme et de ma fille sont revenues à la maison.

Le 3 de la lune (28 juillet), au matin, les Boxeurs de la section [-], en compagnie d'une autre section à l'étendard noir, avec les fantassins et les cavaliers de Ou Ouée, vinrent attaquer le Sy che Kou.

Un grand mandarin, Pao mong Tao, fit braquer deux nouveaux canons, l'un à Miou Niou fang, dans le Mahoua hou tong, l'autre dans la grande rue du sud, allant au Sy hoa men.

Vers onze heures, le canon tonne ; à ce signal, la fusillade et la canonnade commencent de tous côtés : la lutte est terrible ! Pendant ce temps les soldats de Ou Ouée emportent tout ce qu'ils peuvent des maisons voisines : c'est effrayant de voir leur rapacité.

De nouveaux canons sont braqués ; on tire de tous les côtés sur le Sy che Kou ; plus de soixante chrétiens sont tués, une dizaine de soldats sont tués aussi, et beaucoup de chambres sont détruites.

Les soldats gagnaient du terrain. C'était une victoire. On s'en réjouit fort !

Cependant cette maison européenne apparaissait encore solide et d'un accès très dangereux.

Les soldats mandchoux ne peuvent être partout ; notre groupe de Boxeurs est peu nombreux, et les soldats de Ou Ouée sont occupés au pillage !

Pour moi, je suis entouré de grands dangers ; mon jardin est grand, mes appartements nombreux, mes gardiens sont en petit nombre.

Je mets ma confiance en mon vieil ancêtre Boudha, qui peut changer l'infortune en bonheur.

La lutte engagée continue ; pendant la nuit, la fusillade et la canonnade ne furent pas interrompues.

Le 4 de la lune (29 juillet), on augmente le nombre des soldats et des Boxeurs, qui continuent à attaquer. À l'est, les appartements d'un marchand de soie nommé Tchang furent incendiés. Les soldats de Ou Ouée continuaient leur pillage. C'est odieux de voir les soldats agir de connivence avec leurs chefs.

Hier, pendant toute la nuit, nous avons dû veiller avec beaucoup de soins à la garde de la maison. Le bruit des fusils et des canons s'est fait entendre toute la nuit.

Le 5 de la lune (30 juillet), le Sy che Kou n'est pas emporté, malgré les canons et l'incendie. Quelques Boxeurs prennent leur courage à deux mains et veulent entrer pour mettre le feu ; sept sont tués ou blessés par les fusils européens ; un chef de l'armée de Ou Ouée est également frappé. L'église reste debout ! C'est vraiment extraordinaire qu'elle puisse résister à cette grêle de balles et de boulets ! Un mandarin qui pointait le canon à Sy Shin sse est tué.

Le 6 de la lune (31 juillet), toutes les batteries braquées au nord tonnaient ensemble. Les Boxeurs entouraient le Sy che Kou, et tout cela sans résultat ! Au contraire, trois Boxeurs sont tués. Le soir on prépare tout pour l'incendie projeté la nuit ; du palais du prince Touan, on amène deux voitures chargées de paille et trente caisses de pétrole.

Le 7 de la lune, 1er août au matin, vers quatre heures, tous les groupes de Boxeurs envoient leurs troupes chargées de bottes de paille imbibées de pétrole, pour donner l'assaut ; ils n'avaient pas encore atteint les maisons européennes que douze d'entre eux étaient tués par les fusils européens ; à cause de cela, ils furent rappelés ; l'incendie fut inutile. Vers huit heures, les soldats de Ou Ouée se querellèrent avec les soldats des bannières mandchoues ; ils se battirent à la pagode Tchan tan sse ; un Mandchou fut tué, sept ou huit blessés à l'intérieur de la pagode. Le chef mandchou accuse Ou Ouée auprès du prince Touan ; l'après-midi, les soldats de Ou Ouée furent rappelés.

...Le 8 de la lune (2 août), les soldats mandchoux et ceux de Ou Ouée ont été renvoyés hier soir décharger leurs fusils contre le Sy che Kou. Deux de mes tantes sont revenues voir la famille.

Le 9 de la lune (3 août), on n'entend plus la fusillade ; les canons se taisent. Les Boxeurs sont allés inviter leurs plus habiles chefs pour diriger l'assaut. J'entends dire aussi qu'on creuse des mines.

Le 10 de la lune (4 août), je suis sorti et j'ai vu le quartier des Légations en ruine ; les Anglais ont demandé la paix ; le 16 on les rapatriera.

Le 11 de la lune (5 août), cinq membres de la secte du Nénufar blanc et deux malfaiteurs saisis dans le palais du prince Touan sont mis à mort. La rue des Légations et le Tsien men sont livrés à la circulation. Les soldats et les Boxeurs continuent à faire le siège du Sy che Kou.

Le 12 de la lune (6 août), j'entrai par la porte brûlée de Tsien men. À cette vue, je fus attristé et versai beaucoup de larmes.

Le 13 de la lune (7 août), un nommé Ly Fou Tch'oun, grand maître et fondateur des Invulnérables Boxeurs, s'est présenté, accompagné de sept divinités auxiliaires, en tout huit divinités, répondant chacune à l'un des signes Pa-Koua. Ils se font fort d'en finir avec le Sy che Kou et se sont enrôlés au palais du prince Touan. Chacun possède un talisman qui le rend invulnérable ; ils en imposent à tous et ont promis, sur leur tête, de détruire le Sy che Kou en trois jours.

Le 14 de la lune (8 août), on déplace l'infanterie de Tchiu chen. Malheureusement, on ignore la puissance des fusils remplis d'air et maniés par les Européens (armes à poudre sans fumée), et cinq sont tués : Invulnérables ou soldats.

Le 15 de la lune (9 août), les mines sont presque terminées ; il y en a sept. C'est vraiment une lutte à mort !

Le 16 de la lune (10 août), le prince Touan ouang défend aux Boxeurs de sortir par la porte Heou men ; même défense d'entrer et de sortir par les autres portes extérieures ; ils doivent seulement attaquer le Sy che Kou et ne pas quitter le lieu qui leur est assigné. Vers midi, le canon de la plate-forme élevée au nord de la ville Jaune (ou ville impériale) lance ses boulets ; les feux de salve des fusils allemands à tir rapide reprennent. Un peu après, les canons de l'ouest font entendre leurs détonations. Le soir, il pleut ; les chrétiens tirent de l'intérieur.

La même chose se passe aux légations. J'ai ouï dire que Ou Ouée a perdu le palais du prince Sou Ouang, qui a été repris par les troupes de Toung-fou-siang. Hier on disait que la vieille Impératrice voulait se sauver à Moukden, et on arrêtait partout les voitures. Personne ne sait où donner de la tête.

Le 17 de la lune (11 août), j'ai appris que Toung-fou-siang avait promis de protéger l'Impératrice ; dès lors, elle ne songe plus à fuir, elle avait été trompée par ses ministres ; Su Young I, président du Tribunal, fut pris et jugé ; sa famille fut proscrite par ordre impérial ; il demeurait à Pé ho yé, à l'ouest de la rue, à l'intérieur du Toung hoa men : c'est là qu'est bâtie sa magnifique maison.

Sur ces entrefaites vient la nouvelle que les soldats européens sont à Toung-tchéou, que Yu lou s'est tué, mais on n'est pas certain de la nouvelle.

Le soir, réunion de Boxeurs pour préparer l'attaque du lendemain et faire sauter la mine.

Le 18 de la lune (12 août), à six heures du matin, une très forte explosion se fit entendre et une colonne de fumée noire s'éleva vers le ciel : tuiles, ciment, pierres, briques, tout volait en éclats et retombait sous forme de pluie. J'ai appris que beaucoup de maisons européennes avaient été détruites et que la petite chapelle qui est derrière la grande église avait été détériorée. Beaucoup de chrétiens sont morts ; les soldats et les Boxeurs ont eu un certain nombre de blessés. Tout le monde est dans l'anxiété la plus vive. Le même jour on ferme la porte Ngan ting men.

Les soldats de Ou Ouée, vaincus à Yang-tsoun, sont en fuite ; ils pillent et commettent tous les crimes sur leur passage, une foule d'hommes et de femmes fuyaient, courant de toutes leurs forces vers le nord ; ils passaient en dehors de Ngan ting men.

L'effroi était peint sur tous les visages. La porte de Pin tze men est aussi fermée. Quelques soldats emmenaient cinq jeunes femmes ; on les arrête à la porte ; ils tirent sur les gardes ; alors les Boxeurs présents s'emparent d'eux et les tuent. Le même jour au quadruple arc de triomphe de l'ouest furent attachés six têtes d'hommes et de femmes.

L'Empereur fit exécuter ce jour-là Su-Young I, Ly chan et Lien Yuen ; fit incarcérer à la cour Joung-tchoun tan, dont la chaise vide fut renvoyée à la famille ; cette famille est proscrite par ordre impérial ; on dit que King-Ouang a reçu l'ordre de se donner la mort, mais on n'est pas certain.

Le 19 de la lune (13 août), un grand mandarin, Ouen, lança une flèche pour transmettre aux Boxeurs l'ordre de se retirer du champ de manœuvres parce qu'à dix heures une autre mine ferait explosion. Tous sortirent les uns après les autres.

Le même jour au matin Toung tsing rentra par la porte Heou men avec ses cavaliers et ses fantassins.

Ma in koun, qui dix fois avait envoyé des suppliques à l'Empereur sans obtenir de réponse, vint en personne dire ce dont il voulait informer Sa Majesté. On dit qu'il a été vaincu et qu'il a perdu huit corps de troupes de cinq cents hommes.

Les Européens seraient à Yang-tsoun ; Toung tcheou est dans le désarroi.

Vers dix heures une mine partit sans nuire aux maisons européennes du Sy che Kou. Le soir, à l'est, on entendait le canon.

Le 20 de la lune (14 août), au matin, à l'est de la ville, on entendait la fusillade et la canonnade. On dit que l'église du village de Kia-Kia touann fut emportée d'assaut ; les soldats européens qui étaient à l'intérieur se sont enfuis et pillent de tous côtes.

Parvenus à la porte Tchao Yang men et à la porte Toung tche men, ils se joignirent aux soldats vaincus de Ou Ouée et de Ty piao pour piller les faubourgs.

Les canons placés sur les remparts de la ville tonnaient jour et nuit ; de plus, du quartier des Légations emporte par Yu hou ngen les Européens et les chrétiens s'étaient enfuis. Les canons de Pao tze ho et de Toung pien men tonnaient aussi. La jonction des chrétiens était impossible : les portes de la ville étaient toutes fermées. Hommes et femmes se sauvaient à l'est, à l'ouest ; la plupart portaient des enfants. Tous pleuraient et poussaient des cris lamentables. Ce spectacle était si impressionnant qu'il faisait venir les larmes aux yeux. Les portes restaient fermées ; le canon tonnait toute la nuit.

Le 21 de la lune (15 août), le canon tonnait au nord-est, peu après à l'est, puis au sud. On dit que les feux de salve n'arrêtent pas à la porte de Toung hoa men, après c'est la canonnade.

L'après-midi j'ai voulu sortir ; j'ai entendu la fusillade de derrière la porte Heou men ; quelqu'un me dit que les soldats de Ou Ouée se sont joints aux chrétiens pour voler les boutiques de sapèques.

La porte de Heou men fut fermée avec une barrière, l'entrée et la sortie étaient interdites. J'ai ouï dire que les soldats de Ou Ouée se battaient avec les Boxeurs et les Boxeurs entre eux. Tous tremblaient à la vue des soldats européens. Quelle plaisanterie ! Uniformes, fusils de rempart, sabres, lances, drapeaux jonchaient le sol.

Vers dix heures l'incendie éclate en dehors du Heou men...

Pendant la nuit, les soldats de Toung-fou-siang et les autres s'enfuient pour ne plus reparaître.

En un clin d'œil la porte de Heou men fut tout en flammes : les Européens l'avaient prise ! Les Boxeurs n'avaient plus de forces mystérieuses : ils étaient renfermés à l'intérieur du Sy hoa men, que les Européens gardaient.

Le 22 de la lune (16 août), la porte Heou men était complètement brûlée. Tous les Européens étaient là. L'Impératrice prit la fuite.

On attaque la porte Sy hoa men, obstruée des deux côtés ; tout le monde avait perdu la tête. Au nord-est, une grande fumée s'élevait vers le ciel ; partout apparaissaient de gros nuages de fumée. Le soleil et la lune en étaient obscurcis. Les femmes qui se sauvaient se trompaient de chemin. La boutique de grains Koung he Kin fut pillée en un rien de temps : blé, sorgho et autres grains furent enlevés en un clin d'œil.

Alors fut prise la porte Sy hoa men (à côté du Pei-tang) ; les défenseurs du Sy che Kou brisent leurs remparts, font, sans relâche, partir leurs canons.

Les deux camps s'étaient réunis ; Les soldats mandchoux vaincus jettent à terre leurs uniformes et leurs fusils ; les Boxeurs, vaincus eux aussi, font un trou dans le mur de la ville Jaune, abandonnent leurs armes et se sauvent.

L'Empire a passé le fleuve.

L'Empereur a tout perdu.


*

Où l'on parle, déjà, de Paul Pelliot

Drapeau. Albert-François-Ildefonse d'ANTHOUARD (1861-1944) : La Chine contre l'étranger : Les Boxeurs Plon, Nourrit et Cie, imprimeurs-éditeurs, Paris, 1902, XI-362 pages.
Drapeau pris à l'ennemi par M. Pelliot, volontaire de la légation.

11 juillet.

...De grand matin, des chrétiens viennent prévenir les défenseurs de la légation de France que les Chinois pillent une maison du voisinage. M. Picard-Destelan et deux matelots y courent aussitôt et coupent la retraite à dix-huit pillards qui, se voyant pris, essayent de se défendre. Avec le secours d'un autre volontaire, M. Pelliot, on en tue plusieurs à coups de fusil et à la baïonnette. Deux sont capturés.

12 juillet.

...Durant la matinée des réguliers appartenant aux troupes de Jung-Lu pénètrent par une brèche dans la partie nord-est de la légation de France et plantent deux drapeaux sur les ruines d'une des maisons. On réussit à les chasser et l'on incendie ce qui reste des bâtiments. Au cours de cette action un volontaire, M. Pelliot, aidé de deux marins, s'empare d'un des drapeaux. C'est un beau pavillon en soie blanche... Rage des Chinois, qui hurlent et ouvrent un feu violent.

17 juillet.

...Dans l'après-midi, un volontaire français, M. Pelliot, s'approche des lignes chinoises pour réclamer les corps des matelots ensevelis sous les décombres de l'explosion du 13 juillet. Il est entraîné presque de force chez le général Ma, qui l'adresse, prétend-il, au Tsong-li-Yamen, mais en réalité le fait conduire au quartier général de Jung-Lu. Il y est reçu courtoisement, et on lui offre une collation pendant qu'on le questionne sur les intentions des puissances. Comme de juste, il répond qu'il les ignore et n'a aucune qualité pour en parler. On le renvoie, avec une escorte de réguliers précédés d'un insigne impérial, pour le protéger contre les Boxeurs. La précaution n'est pas inutile, car, en approchant de Ha ta men, une forte troupe de Boxeurs en armes se porte au-devant des soldats pour s'emparer de notre compatriote. On parlemente longtemps, et il faut la vue de l'insigne impérial pour prévenir un conflit. Toutes les rues sont barricadées comme s'il y avait une guerre civile dans Pékin. M. Pelliot est de retour à six heures du soir, après cinq heures d'absence, durant lesquelles on l'a cru perdu. Sa jeunesse excuse son imprudence : il n'a que vingt-deux ans.

La légation de France. Albert-François-Ildefonse d'ANTHOUARD (1861-1944) : La Chine contre l'étranger : Les Boxeurs Plon, Nourrit et Cie, imprimeurs-éditeurs, Paris, 1902, XI-362 pages.
La porte d'honneur de la légation de France au moment de la délivrance.


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