Henri Imbert


LES GRANDS SINGES CONNUS DES ANCIENS CHINOIS

Imprimerie d'Extrême-Orient, Hanoi-Haiphong, 1922, 11 pages

 

 

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Au moment où une mission scientifique américaine, richement subventionnée par des banquiers de New-York, arrive en Chine pour faire des recherches sur les fossiles de l'homme singe, considéré par les biologistes comme l'anneau manquant dans la chaîne d'évolution de nos ancêtres, nous pensons qu'il est utile de donner quelques renseignements sur les grands singes connus des anciens Chinois.

Nous prédisons à cette mission américaine une ample moisson de riches découvertes, car ce vaste pays chinois a été très imparfaitement exploré sur ses confins Ouest et à l'intérieur de l'île d'Hai-Nan.

Mais c'est surtout la préhistoire chinoise qui est mal connue, car sous les anciens gouvernements de ce pays, les fouilles étaient interdites. On n'avait pu faire des recherches dans les grottes ou les cavernes. Puis tous les ossements fossiles trouvés par les indigènes, et qui proviennent pour la plupart du Seu-Tchouen et du Yunnan, étaient employés dans les médicaments sous le nom d'os de dragon.

Mais les récentes découvertes, faites en 1915 dans le pléistocène chinois par le Japonais Matsumoto, d'ossements de mammouth, cheval, sanglier, bison et un sacrum humain, font naître de sérieux espoirs pour l'avenir.

Presque tous les archéologues s'accordent à dire que la Chine n'a pas connu la période paléolithique, nous en doutons, car s'il est certain que les Chinois proprement dits venus des pays de l'Ouest se trouvaient déjà dans un stade avancé de civilisation, à leur arrivée en Chine, par contre, les vieilles populations autochtones de ce pays, comme les Négritos dans le Sud, les Miao-Tzeu et les Lolos dans le centre, ont dû certainement passer par les différentes périodes de l'âge de la pierre comme tous les autres Négritos, ou Australiens, et comme les Mongols et les Sibériens au Nord du continent asiatique.

Et nous croyons que l'on a bien des chances, en faisant des fouilles habilement dirigées dans le lœss du Chen-Si, dans la partie habitée par les anciens troglodytes, de faire des trouvailles précieuses pour l'archéologie préhistorique de la Chine.

Pour en revenir aux singes, les Chinois ont connu à un moment donné plusieurs espèces de grands singes, dont voici la nomenclature d'après les Pen-tsao et les dictionnaires :
1° Le singe sing-sing. D'après le dictionnaire Tsé-yuen, ce serait l'orang-outang des îles de la Sonde. Le hé-sing-sing ou sing-sing noir, le chimpanzé d'Afrique.
D'après le dictionnaire Taranzano ce serait le chimpanzé. D'après le dictionnaire Couvreur un petit singe du Siam.
2° Le singe kio. D'après le dictionnaire Taranzano ce serait l'orang-outang. Un singe de grande taille d'après Couvreur.
3° Le fei-fei, grand singe qui ressemble à l'orang-outang, dit Couvreur. Le cynocéphale mormon (babouin) d'après Taranzano et le dictionnaire Tsé-yuen.
4° Le tchang-hou, grand singe à ceinture blanche, dit Couvreur.
5° Le tchouo, grand singe jaune, Couvreur.
6° Le kouo-jan, grand singe blanc ou gris tacheté de noir, dictionnaire Couvreur p. 577, semnopithèque nasique Taranzano p. 381.
7° Le yuen
, grand singe dont les bras sont très longs, dictionnaire Couvreur p. 576, Taranzano p. 187, gibbon (hylobates) pé-yuen, gibbon blanc.
8° Le wei, grand singe à nez retroussé et à longue queue. C'est le seul singe figurant dans le clef insecte, Couvreur p. 813.
9° Les yé-niu femmes sauvages de l'Annam, dont parlent divers Pen-tsao.
10° Le wei, espèce d'orang-outang, Couvreur p. 576.
11° Le tou, singe de grande espèce, Couvreur p. 578.

Et, comme petits singes :
12° Le mi-heou, macaque, dit Taranzano p. 244.
13° Le pan-heou, l'atèle ou singe araignée de l'île d'Hai-Nan.
14° Le ye-heou, singe de nuit ou nyctèle.

Or, les singes de la Chine les plus connus actuellement des naturalistes européens sont :
Plusieurs variétés de macaques à petite queue, mac. tcheliensis des montagnes de Pékin, du Seu-Tchouen, du Fou-Kien, mac. tibetanus dans le centre de la Chine, mac. cyclopis à Formose, le mac du Koang-Tong (ma-lao), mac. erythæus de l'île d'Hai-Nan.
Plusieurs espèces de grands gibbons (hylobates).

Rhinopithecus Roxellanæ. Henri IMBERT : Les grands singes connus des anciens Chinois Imprimerie d'Extrême-Orient, Hanoi-Haiphong, 1922, 11 pages
Rhinopithecus Roxellanæ. Femelle très adulte provenant des montagnes de la principauté de Moupine (Thibet oriental) et faisant partie des collections formées par M. l'abbé A. David.

Une variété de nyctèles, singes de nuit, dans diverses régions du Koang-Si, Seu-Tchouen, Fou-Kien.
Des cynocéphales dans le Fou-Kien, et peut-être au Koang-Si et en Annam, Tonkin.
Un grand singe noir inconnu à longue queue existerait au Yunnan et au Koei-Tcheou.

Mais le plus curieux de tous, peut-être le wei du père Couvreur, vit dans les hautes forêts du Tibet et du Kokonoor, c'est le rhinopithécus roxellana.

D'après M. Beauvais (Revue Indochinoise, p. 419 n° 15, 30 septembre 1908) ex-consul à Long-Tcheou, il y aurait au Koang-Si 3 gibbons, le gibbon blanc pe-yuen, le gibbon moucheté hoa-yuen, et le gibbon tong-pi-yuen dont les humérus non courbes servent à confectionner des flûtes.

M. Bos (R. I., n° septembre 1911) dit que le gibbon blanc appartient à la classe des anthropoïdes, sa taille est grande et sa queue développée.

L'ingénieur Brerault dans sa notice sur l'île d'Hai-Nan (R. I., p. 1477, n° 15, octobre 1905) rapporte ceci : Dans les forêts on trouve de grands singes noirs très doux et s'apprivoisant.

M. le lieutenant Baulmont dans une note d'Histoire sur l'île d'Hai-Nan (R. I., p. 1521, octobre 1906) parle de singes de couleur grise et d'autres dont la figure ressemble à celle de l'homme, mais cette espèce serait fort rare.

Les Chinois connaissaient aussi, à la suite de leurs expéditions militaires au Tonkin et au Lin-I (Annam), les divers singes de ces pays, tels que les sing-sing, les fei-fei, les yé-niu, les pé-yuen (gibbons blancs), les grands gibbons noirs.

Ils ont peut-être connu l'orang-outang qui, d'après M. Roussel, La chasse en Indochine, Plon, 1913, p. 287, existerait en Indochine mais serait assez rare.

Puis, peut-être aperçus également les diverses espèces de semnopithèques de l'Annam, aux longs membres et à très longue queue, aux fesses calleuses, comme le douc de Buffon dont le pelage aux couleurs variées ressemble à un habit d'arlequin qui vit dans le Sud-Annam et en Cochinchine; et le semnopithèque nasique à la longue queue et au grand nez et à la face humaine.

Légendes sur les hommes singes

En Chine et dans tout l'Extrême-Orient, des légendes curieuses existent sur les grands singes anthropoïdes.

Certains autochtones de l'Asie, devançant les théories de Darwin, se disaient descendre de grands singes.

M. G. Soulié dans sa traduction du Tong-Kien-Kan-Mou du chapitre des Peuples de l'Asie Centrale (R. I., n° déc. 1910, p. 557) relate ce passage tiré des annales des Souei :
« Les San-Miao étaient les Tang, les Hiang, les Kiang. Leurs groupements s'appelaient Tong-Tchang (Tchang des cavernes). Pai-lang Loups blancs. Tous se disaient descendants de grands singes. »
Leur territoire s'étendait sur une partie du Chen-Si et du Kan-Sou.

M. de Rosny traduisant sur les Annamites (Kiao-Tche), un passage du San-Tsai-Tou-Koei cite ceci:
« Les habitants de ce pays sont les descendants des singes des montagnes, des chiens à calebasses, Chan-Tsou-Hou-Kiuen. »

D'après une légende chinoise, Sou-ou, des Han, lors de sa longue captivité chez les Mongols, aurait eu un enfant d'une guenon de gibbon.

Selon Raquez, Entrée gratuite, Saïgon, 1903, p. 252, Les Laotiens disent qu'ils sont les descendants directs des tanis, gibbons.

C'est à cause de cette légende qu'il est très difficile de faire tuer de ces singes par les Laotiens.

Mais la plus remarquable de ces légendes d'Hommes singes est celle qui est répandue chez les Moïs de la chaîne annamitique et dans toute la presqu'île malaise. M. Henri Maître la cite p. 62 de son remarquable ouvrage Les Jungles Mois (Larose, Paris, 1912) :
« Les hommes sauvages du Nam-Nhuong seraient de petite taille, 1,50 m environ, une épaisse toison de poils roux les couvriraient et ils présenteraient la très curieuse particularité de ne posséder aucune articulation ni aux bras ni aux jambes qui seraient ainsi des membres entièrement rigides... Ne pouvant grimper aux arbres, ils dorment appuyés contre les troncs. Ils se nourriraient de tiges et de racines comestibles et ne sauraient pas se construire d'abris, leur vie étant la vie nomade des autres bêtes de la forêt... leurs empreintes semblables à celles des autres hommes, mais sont néanmoins de taille plus petite. »

Cette légende doit probablement provenir du souvenir des anciens Négritos qui ont, à un moment donné, peuplé toute la péninsule indochinoise.

Le père Guignard dans sa note ethnographique et historique du Laos, p. 244 du n° mars 1911, Revue Indochinoise, parle d'indigènes qui vivent dans la vallée du Nam-Nhuong. Ils sont appelés Thay pa habitant des forêts par les Laotiens. Ils s'abritent sous des cabanes de feuilles, ont un pagne d'écorce tressé comme costume et se nourrissent exclusivement des fruits de la forêt. Ils font des échanges pour avoir des coutelas et des hachettes. Ils auraient des cheveux roux, décoloration produite par leur vie au grand air. Nous nous demandons d'après cette description, si l'on a affaire à des Négritos ou à des hommes singes.

Les Chinois parlent aussi de ces hommes singes dans leurs ouvrages car voici ce que nous extrayons de la traduction de l'Histoire du Nan-Tchao (Yunnan) faite par M. Sainson, ex-consul de France à Mong-Tzeu, Leroux 1904.
Page 175, Chan-Sou :
« Les hommes portent les cheveux flottants sur les épaules ; ils marchent nu pieds. Les femmes se font un chignon en forme de marteau. Leur parler ressemble au gazouillement des oiseaux ; ils ont l'apparence de grands singes... »
le texte chinois porte les caractères yuen-heou — gibbon.

Pages 170-171, Kouo-hei :
« C'est un rameau séparé des Pou Man. Ils choisissent pour y habiter le fond des fourrés des bambous et s'y font des cabanes d'herbes entrelacées.
Abeilles, vers, rats, grenouilles, il n'est rien qu'ils ne mangent. Leurs mets de choix sont le sarrasin et le faux riz. Il y a encore les grands Kouo-hei et les petits Kouo-hei ; ils habitent sur les montagnes escarpées et dans les endroits sauvages. Ils sont de la même espèce que les singes gibbons. »
En note M. Sainson ajoute : La description de ces indigènes se rapporte assez bien à la tribu misérable appelée Ma-hei ou Mo-lei, dont un petit groupe se rencontre à Seu-Mao.

Le singe sing-sing

Sing-sing. Henri IMBERT : Les grands singes connus des anciens Chinois Imprimerie d'Extrême-Orient, Hanoi-Haiphong, 1922, 11 pages
Sing-sing. Dessin extrait du Tseng-Koang-Pen-tsao-Kan-Mou.

D'après le Pen-tsao de Li-Che-Tchen des Ming, ce singe existe dans les pays barbares des Ngai-lao (Yunnan) et au Kiao-Tche (Tonkin) dans les vallées montagneuses de la sous-préfecture de Fong-Ki-Hien (aujourd'hui province de Phuc-yên).

Ce singe ressemble au chien et au singe sien-heou (macaque). Il a les poils jaunes comme le singe yuen (gibbon). Des oreilles blanches comme celles du cochon, le visage et les pieds de l'homme, une longue crinière, un front étroit et droit, son cri ressemble au vagissement d'un enfant et à l'aboiement d'un chien.

Ils vivent en bandes et marchent inclinés.

Les indigènes Lai de la sous-préfecture de Fong-Ki, quand ils veulent les prendre, placent une jarre de vin et des sandales de paille à côté d'un sentier. Quand ces singes voient ces objets ils grimacent et s'en vont.

Un instant après ils sont de retour et goûtent au vin et chaussent les sandales. On peut alors les capturer, on les garde dans des cages et on les mange. On les fait aussi bouillir pour recueillir leur graisse que l'on emporte quand elle est figée.

Les tapis des Mongols occidentaux sont teints avec leur sang.

D'après le Chan-Hai-King ces singes sont capables de comprendre les hommes.

En général ces Pen-tsao disent qu'ils parlent comme les perroquets, qu'ils diffèrent peu des singes fei-fei et ressemblent à des femmes aux longs cheveux et que leurs jambes n'ont pas d'articulations. Ils vivent en bandes et quand ils aperçoivent un homme ils se cachent le visage avec leurs mains.

Le Nan-Yué-Pi-Ki, ouvrage écrit sous les Ming à Canton par le lettré Li-Tiao-Yuen, parle également de ces singes sing-sing, mais donne peu de renseignements nouveaux.

M. Sainson dans ses Mémoires sur l'Annam, p. 540, donne une traduction du Nan-Tchong-Tche sur les sing-sing et ajoute en note en bas de la page :
« Les Annamites croient encore à l'existence d'un grand singe de cette espèce qu'ils appellent luoi-noi. Peut-être faut-il voir là un écho des récits relatifs à l'orang-outang des grandes îles voisines. »

Sur ces singes voici la version annamite citée par Dumontier, ex-Directeur de l'Enseignement au Tonkin, dans sa mission scientifique page 150 du Bulletin de Géographie Historique et descriptive, année 1896.
« Au pays de Deo-Cau, on trouve des forêts pleines de singes de l'espèce sing-sing. Ce sont des animaux redoutables qui se nourrissent des yeux des hommes, qu'ils peuvent saisir. Quand un sing-sing s'est emparé d'un homme, il le tient dans ses 2 mains avec tous les signes de la plus grande joie, il lève sa face vers le ciel et fait entendre un éclat de rire. Il attend ensuite le coucher du soleil, puis il dévore les yeux de sa victime.
Pour échapper à ce danger, les voyageurs entrent leurs bras dans des tubes de bambou et quand l'animal les saisit il leur est facile de dégager leur bras et de s'enfuir. »

M. le colonel Bonifacy parle également de ces singes dans ses recherches sur les génies thériomorphes au Tonkin (p. 39 du Bulletin n° 28 de l'École Française d'Extrême-Orient, 1918.) À la fin de sa note, il ajoute : les auteurs chinois ne sont pas plus exacts en ethnographie qu'en histoire naturelle.

Le plus intéressant et le plus ancien de tous les récits européens sur ces singes sing-sing est celui de Guillaume de Rubrouck ; il figure p. 351 du Recueil de voyages en Asie, d'Henri Cordier, Leroux 1891 [c. a. : cf. Rubruquis, Voyage, page 108].
« Un jour je fus accosté par un certain prêtre de Cathay vêtu de rouge et lui ai demandé d'où venait la belle couleur rouge qu'il portait, il me dit qu'aux parties orientales du Cathay, il y a de grands rochers creux, où se retiraient certaines créatures qui avaient en toutes choses la forme et les façons des hommes, sinon qu'elles ne pouvaient plier les genoux, mais elles marchaient ça et là et allaient je ne sais comment en sautant ; qu'ils n'étaient pas plus hauts qu'une coudée et tout couvert de poils, habitant dans des cavernes dont personne ne pouvait approcher. Que ceux qui vont les prendre portent des boissons les plus enivrantes qu'ils peuvent trouver ; font des trous dans les rochers en façon de coupes ou bassins où ils en versent pour les attirer. Car au Cathay il ne se trouvait pas encore de vin, mais aujourd'hui ils commencent à y planter des vignes, et font leur ordinaire de boisson de riz.
Ces chasseurs demeurant donc cachés, ces animaux ne voyant personne sortaient de leurs trous, et venaient tous ensemble goûter de ce breuvage en criant chin-chin (dont on leur a donné le nom de chin-chin) et en devenaient si ivres, qu'ils s'endormaient ; les chasseurs survenant là-dessus, les attachaient pieds et mains ensemble, leur tirant 3 ou 4 gouttes de sang de dessous la gorge, puis les laissaient aller. C'est de ce sang-là, dont il me dit qu'ils teignaient cette écarlate ou pourpre si précieuse. »

Après avoir bien examiné tous ces textes et ces légendes, nous ne croyons pas que ce singe sing-sing, qui ressemble au chien et au macaque et vit en bandes et qui aurait une queue, puisse être l'orang-outang.

Nous pensons plutôt, comme l'affirme le père Taranzano, que c'est un singe cynocéphale.

Et comme les dessins des Pen-tsao le représente complètement noir, avec la houppe triangulaire de cheveux sur la tête et une petite queue, nous serions assez portés à croire que c'est le cynocephalus niger qui habite les îles de la mer des Indes, les îles Célèbes, l'archipel des Philippines.

Nous rappellerons à ce sujet que M. le marquis de Barthélémy soutient avoir vu en Annam un cynocéphale noir se rapprochant du grand mandrill africain (voir Au pays Moï, p. 153).

Nous dirons également que d'après Brehm il existerait en Abyssinie un cynocéphale plus grand que l'homme, tout à fait noir, très rouge sur les parties nues de la poitrine.

Tous ces cynocéphales aiment énormément les boissons fermentées et s'enivrent facilement. Les Chinois parlent fort bien de leur rictus particulier, car tous les cynocéphales retroussent leurs lèvres près du front.

Et nous croyons que les indigènes de la tribu dont parle le père F. Ohlinger dans le Chinese Recorder, July 1886, p. 265-266, qui vivraient au Fou-Kien et qui sont appelés « Barbares à tête de chien », ne seraient autre chose que des cynocéphales.

Le singe fei-fei

Fei-fei. Henri IMBERT : Les grands singes connus des anciens Chinois Imprimerie d'Extrême-Orient, Hanoi-Haiphong, 1922, 11 pages
Fei-fei. Dessin extrait du Tseng-Koang-Pen-tsao-Kan-Mou.

Le nom de ce singe, s'écrit aussi (Couvreur, p. 653) s'appelle aussi yé-jen, l'homme sauvage ou jen-hiong, l'ours homme.

Le lettré Kouo-Pou, 276-324 des Tsin, dit que cette espèce de singe existe au Kiao-Tche (Tonkin), dans les 2 Koang et dans les montagnes du district de Nan-keng (aujourd'hui préfecture de Kan-Tcheou, Kiang-Si). Les plus grands de ces singes, ceux dont la taille dépasse 1 tchang (3,50 m), sont appelés chan-tou. Le lettré Kien-ou-Tchong des Song raconte que l'empereur ayant demandé à un indigène lao appelé Ting-Loan à quels animaux appartenaient les 2 têtes qu'il lui avait offertes, celui-ci répondit :
— À des singes qui ont des figures d'homme très rouges et leurs poils ressemblent au mi-heou (macaque), ils ont une queue.
Ils parlent, mais le son de leur voix rappellent le gazouillement des oiseaux. Ils prévoient très bien l'avenir et ils ont la force de porter des objets pesant plus de 30 livres. Ils n'ont pas d'articulations, et pour dormir ils s'appuient contre quelque chose.
Ils ferment les yeux et grimacent quand ils capturent un homme, puis ils le mangent.
Aussi les chasseurs pour les prendre enfilent les bras dans des tubes de bambou et les excitent et au moment où ils grimacent ils saisissent ces tubes et ferment les yeux, les chasseurs retirent leurs bras et fixent sur le front leurs lèvres retroussées, puis les tuent et les emportent.
Leurs poils sont très longs, on en fait de faux chignons. Leur sang est excellent pour teindre les bottes. Mais si on le boit on voit le démon. »

L'empereur le congédia et donna l'ordre de le récompenser.

Li-Che-Tchen d'après le Fan-yu-tche dit qu'on le trouve également dans le Seu-Tchouen occidental (Tibet) et dans les montagnes de Tchou-Tcheou (Tché-Kiang), qu'on mange ses pattes et qu'on écorche sa peau.

Il vit également dans la montagne de Yeou-Chan de la sous-préfecture Cha-Hien (du Tonkin), sa taille dépasse 1 tchang (3,59 m). Il grimace quand il rencontre un homme, on l'appelle le géant de la montagne ; quelques-uns disent que c'est un homme sauvage, d'autres que c'est le démon Chan-Siao.

Nous pensons que ce singe fei-fei est peut-être une espèce de cynocéphale de grande taille qui vivrait dans les Deux Koang au Fou-Kien et au Tonkin.

Le dessin qui le représente dans le Pen-tsao que nous avons entre les mains ressemble exactement à un autre dessin chinois qui figure un aïno dans le volume de M. de Rosny, Les peuples orientaux connus des anciens Chinois.

Ce fei-fei et cet aïno ont absolument l'air d'un ours, avec leurs grands poils et leur longue chevelure, et rappellent aussi les fameux hommes chiens vus par M. Crawford et Yule en Birmanie et sur lesquels des articles avec des photographies ont été publiés dans différents numéros de la Nature, 22 nov. 1873, 23 janvier 1875 et 18 juin 1887.

Le chan-tou

D'après les annales de Wang-Keng le chan-tou ressemble aux gens du Koen-Luen (Négritos), mais il a le corps couvert de poils ; quand il voit un homme, il grimace et ferme les yeux ; il aime habiter les vallées encaissées et se nourrit de petits crabes qu'il ramasse sous les pierres.

Li-Che-Tchen d'après le Fan-Chou-I dit que le chan-tou existe dans le district de Nan-Keng ; la structure de son corps rappelle celle de l'homme mais il a plus de 2 tchang de long (plus de 7 m), ses poils sont noirs, ses yeux rouges et sa crinière jaune.

Il habite les montagnes escarpées et fait son nid dans les arbres. Il a la forme d'un œuf d'oiseau et plus de 3 tche de hauteur. L'intérieur est ajouré et pour boucher les vides il prend les plumes d'oiseau. Deux perches y sont fixées, le mâle est sur celle du haut et la femelle sur celle du bas.

Il est capable de se transformer en singe mou-ko (hôte des bois).

Cette description a l'air de se rapporter à l'orang-outang.

Le chan-kiun

Li-Che-Tchen d'après le livre des Monts septentrionaux, Pé-Chan-King, dit que le chan-kiun a le corps d'un chien et le visage d'un homme ; il aime sauter. Lorsqu'il aperçoit quelqu'un, il grimace ; quand il court comme le vent, c'est signe de pluie.

Le mou-ko

Li-Che-Tchen d'après le Yeou-Ming-Lou :
« Ces singes vivent dans les montagnes des pays méridionaux, on dit que leur tête et leur visage diffèrent peu de ceux de l'homme, ils ont les griffes très acérées. Ils résident dans les montagnes très escarpées et enterrent les morts. Ils font des échanges avec les marchands ; mais ils restent invisibles. Dans les pays méridionaux encore aujourd'hui il y a des marchés de ces singes. »

Cette légende du singe mou-ko doit se rapporter aux Weddas de l'île de Ceylan où les Chinois de toute antiquité sont venus faire du commerce. Et ces sauvages de tout temps ont eu l'habitude pour faire leurs échanges de déposer la nuit dans des endroits convenus, le miel, les peaux et de venir chercher la nuit suivante les objets mis à la place par ces marchands, fer, couteaux, glaces... etc.

Les femmes sauvages Yé-niu

Le Mong-Pou-Ou-Tche des Tang raconte qu'au Je-Nan (Annam) vivent des femmes sauvages qui vivent en bandes. Elles sont blanches et entièrement nues.

D'après le Tsi-Tong-yé-yu de Tcheou-Mi, ces femmes sauvages vivent dans le Nan-Tan-Tcheou (Koang-Si), elles ont des cheveux jaunes et un chignon, leur corps est nu et elles trébuchent en marchant ; leur aspect est celui d'une vieille femme.

Ces bandes de femelles n'ont pas de mâles. Quand elles rencontrent des hommes elles les emportent.

Mais souvent elles tombent sur des gens vigoureux qui les tuent et leur découpent au bas des reins, un morceau carré d'un pouce de leur peau qui est brillante comme du jade bleu et a des raies bigarrées. Ces gens conservent cette peau comme amulette.

Les renseignements sur ces grands singes anthropoïdes étant très contradictoires, il est vraiment difficile, dans l'état actuel de nos connaissances, de donner des noms scientifiques précis à ceux cités par les Pen-tsao chinois.

Si vraiment, comme le dit M. Roussel, l'orang-outang existe dans les forêts du Sud-Annam, ce dont nous doutons un peu, car le lieu d'habitat unique de ce grand singe, est jusqu'à présent l'île de Bornéo, les anciens Chinois auraient bien pu le connaître.

Mais certainement des surprises sont réservées aux naturalistes qui voudront bien s'occuper sérieusement de faire des recherches sur la faune des forêts de l'Annam et de la Cochinchine.

Peut-être finiront-ils par retrouver ce fameux cynocéphale noir, de grande taille, ressemblant au sing-sing chinois ou au mandrill africain que M. le Marquis de Barthélémy affirme avoir rencontré dans ses voyages d'exploration des montagnes de l'Annam.


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