George Edward MAUGER

G. E. MAUGER : Quelques considérations sur les jeux en Chine et leur développement synchronique avec celui de l'empire chinois  Bull. et Mém. de la Sté d'anthropologie de Paris, t. 6, VIe série, 1915.

QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR LES JEUX EN CHINE

et leur développement synchronique avec celui de l'empire chinois

Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, tome 6, VIe série, 1915, pages 238-281.

 

  • "Les jeux chinois remontent à une très haute antiquité, et ont suivi une évolution marquée par des événements politiques de l'Empire. Comme dans tous les pays où l'histoire commence seulement à naître, on est réduit à se fier aux traditions et au « folk lore » pour les origines de toute institution et à les citer dans leur poésie naturelle, quitte ensuite à essayer de les contrôler par le raisonnement et le rapprochement avec les autres événements concurrents. Et, ainsi, après bien des tâtonnements on croit être parvenu à quelques parcelles de vérité que plus tard d'autres chercheurs peut-être mieux outillés confirmeront ou rejetteront. Les légendes m'ont été fournies par des amis chinois : j'ai recueilli d'autres détails dans les travaux de M. Stewart Culin et de M. Wilkinson."
  • "Les jeux paraissent se ranger en quatre grandes catégories :
    1° Les jeux de bataille et d'instruction guerrière : Hommes contre hommes : le wai k'i (wei chi) ou «dames d'encerclement» ; Armée contre armée comme le ts'eung k'i ou échecs chinois, et qui tous deux semblent originaires de Chine.
    2° Les jeux de position, avec les quatre directions et le centre où les dés déterminent le nombre et par le nombre déterminent la place ; tels que le nyout, un jeu d'origine divinatoire de Corée : le shin kun to ou promotion d'officiels ; et dont les jeux actuels de jacquet et d'oie sont des types familiers.
    3° Les jeux nettement de divination venant de l'Inde, où ils existaient, si l'on en croit la tradition, quatre mille ans avant J.-C. donc antérieurs au wai k'i, les dés et leurs dérivations postérieures.
    4° Les cartes et les dominos.
    En fait ces groupes ne sont pas aussi nettement séparés ; tantôt ils s'enchevêtrent, tantôt au contraire le même jeu semble avoir des origines différentes et parallèles."

Extraits : 1er groupe. Le wai k'i, représentant la période individualiste de l'Empire
1er groupe. Le ts'eung k'i, le jeu du général - Le ciel, la terre et l'homme
Résumé
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1er groupe. Le wai k'i, représentant la période individualiste de l'Empire

La tradition chinoise assigne au wai k'i la date la plus ancienne parmi ses jeux, plus de 2.300 ans avant J.-C. Elle en attribue l'invention à l'empereur Yao que certains auteurs regardent comme le fondateur de l'Empire chinois.

En elle-même la légende est jolie comme illustration de la pensée orientale, qui cherche à attacher des idées d'une conception haute et magistrale aux premières traditions du début de leur existence comme nation.
Une dispute de race étant survenue à cette époque entre les Haÿn (jaunes) ou Chinois et les Miao, l'empereur des Chinois chassa les Miao vers le sud du fleuve Yang-Tsi Kiang ou fleuve Jaune et s'établit avec son peuple sur les deux rives du Ho-Hang-Ho.
Ayant subjugué ses ennemis il se mit à consolider son royaume et créa toute une administration avec des ministres responsables ayant chacun leurs attributions respectives : instruction publique, justice, agriculture et astronomie, musique, (parmi les Chinois la musique représente en effet les suprêmes bonnes mœurs et dans le Li ki, il y a un essai particulier sur l'effet de cet art), et de guerre.
Puis il ordonna des travaux d'endiguement pour régler les courants des fleuves Jaune et Bleu, et d'empêcher les grandes inondations habituelles et leurs désastreuses conséquences.
Mais son fils Tan Chu qui devait lui succéder, ne montrait pas l'aptitude militaire nécessaire pour assurer la sécurité de l'Empire ; dans l'espoir de l'instruire dans cet art l'Empereur inventa le wai k'i « dames d'encerclement » car en cette période primitive l'art de la guerre consistait à essayer d'entourer les terres et d'encercler ses ennemis. Malheureusement pour le jeune prince il ne sut pas profiter suffisamment de ces leçons et son père n'hésita pas à choisir un successeur plus capable parmi les chefs de son entourage. Son choix tomba sur un nommé Sven qui lui fut présenté par ses ministres et chefs de groupes et en même temps il déclara : « Que si le fils est capable il a droit à la succession, mais que dans le cas contraire il est du devoir de l'Empereur de choisir un successeur plus digne. »

Une autre légende attribue l'invention de ce jeu à l'empereur Shun 2225 avant J.-C. dans le but d'instruire son fils qui était ignorant.

Dans le Kwan pou wuk Chi, une encyclopédie de cinquante livres par Tung sze Chung terminée en 1607, le jeu est attribué à un sujet de Kieh nommé Wi Ts'au.

Dans toutes ces légendes le jeu est toujours attribué à des Chinois et il n'y a aucune suggestion d'une origine étrangère. Au contraire il est intimement lié à leurs plus belles conceptions morales et politiques.

M. Culin dans son livre sur les jeux de Corée donne une description très longue et très claire de la façon dont ce jeu s'y joue actuellement. Le tableau (Fig. 1) est bien divisé en sections et directions N. S. E. O. et un centre, disposition que nous trouvons particulière au Nord de la Chine, même dans la disposition des villes pendant la dynastie de Song, et dans d'autres jeux de Corée. De plus les quatre angles sont déterminés par des signes représentant les quatre tons chinois, mais rien ne nous prouve que ces signes ne sont pas modernes et n'ont pas été introduits pour faciliter la notation du mouvement des pièces dans le jeu.

Le Chinois qui m'a décrit le jeu m'a assuré que ces symboles n'étaient pas connus de lui.

Et même si on suppose que le tableau ainsi divisé représentait les quatre villes de la province et le centre la ville centrale vers laquelle se dirigent, lors de la conscription, les jeunes gens, futurs soldats, cela ne nous donnerait pas deux armées ou tribus en face l'une de l'autre et désireuses d'accaparer autant de territoires et d'hommes que possible ce qui est le but du wai k'i.

Plus tard peut-être quand le jeu fut adopté par les Coréens et devint leur jeu national, ceux-ci l'ont-ils modifié selon leurs idées cosmiques, avec un but de divination superposé au but originel.

Mais, actuellement aussi, il y a une forme du jeu pratiquée au Japon, où il est joué spécialement par les militaires qui le considèrent comme un exercice dans les tactiques militaires et un moyen d'instruction dans l'art guerrier.

L'idée militaire est prédominante, et non celle de divination, et la notation du tableau servirait surtout aux érudits pour faciliter le calcul mathématique des positions.

Parlant du jeu japonais dans un ouvrage japonais le Wan kan san sai dzu e, l'auteur affirme que le jeu était nommé d'après Wang chung ling, de Tsin, une dynastie qui dura de 2565 à 322 av. J.-C.

Il donne au jeu le nom de go, en chinois tsoyan. Cependant il le considère comme une forme moderne d'un jeu plus ancien.

Dans le I King écrit par Chun de Hantau on dit que le tableau ancien n'avait que dix sept lignes verticales et dix-sept lignes horizontales faisant deux cent vingt-neuf positions ce qui représente soixante et onze positions de moins que sur le tableau actuel. Il ajoute qu'il croit que avant la dynastie de Han et Wei (20 av. J.-C. à 265 A.D.) tous les tableaux étaient ainsi.

Chinois et Japonais ont beaucoup écrit sur ce jeu ; dans le Wei ts'ah tsu', l'auteur dit que « parmi les jouets des temps modernes et des temps anciens il n'y a rien de plus antique que le go (wai ki) et, qu'après le vin et la femme il n'existe rien d'aussi puissant pour perdre les hommes. Si ceux-ci le considèrent comme difficile, alors, même les garçons de village et le peuple le moins instruit peuvent le jouer avec art ; mais, si au contraire on le considère comme étant très facile à jouer, alors même les plus intelligents peuvent l'étudier pendant des générations sans jamais apprendre à le jouer. »

Fig. 1. G. E. MAUGER : Quelques considérations sur les jeux en Chine et leur développement synchronique avec celui de l'empire chinois. Bull. et Mém., Sté d'anthropologie de Paris, t. 6, VIe s., 1915.
Fig. 1.

Le jeu actuel tel qu'il est décrit par M. Culin se joue en Corée sur un tableau (Fig. 1) à trois cent soixante et une positions de croisement constituées par dix-neuf lignes verticales et dix-neuf lignes horizontales, comportant les indications de position déjà notées.

Les pièces sont de deux couleurs, noires et blanches et chaque joueur en a 180 à sa disposition.

Ce chiffre de trois cent soixante correspond au nombre de jours de l'année ; et les quatre directions N. E., S. E., N. O., S. O., avec le centre et les cinq tons des angles donnent le chiffre de neuf, correspondant aux neuf lumières du ciel : le soleil, la lune, et les sept étoiles de la constellation de Tau (Ursa major). M. Z. Volpicelli donne une description de ce jeu dans le Journal du Royal Asiatic Society (Shanghai 1894).

Il nous dit que les tableaux sont imprimés sur du papier et ainsi peuvent servir ou à jouer dessus ou à écrire la notation du jeu.

Pour faciliter cette notation des points, les Chinois ont divisé le tableau en quatre quartiers égaux qu'ils nomment les coins, chacun d'eux étant désignés par un signe situé sur chacune des diagonales du tableau à égale distance des angles extérieurs.

Les joueurs sont assis en face l'un de l'autre et jouent alternativement leurs cent quatre-vingt pièces, le but du jeu étant d'occuper la plus grande partie possible du tableau, et en même temps de faire prisonniers le plus grand nombre des pièces de l'adversaire.

On peut conquérir l'espace de deux manières : en plaçant ses hommes sur des points d'intersection des lignes verticales et horizontales en empêchant l'ennemi de les entourer avec les siens, ou, en entourant complètement avec ses pièces des espaces qu'on appelle « yeux », ces espaces ainsi acquis devenant son propre territoire.

La plus simple clôture qu'on puisse faire est d'entourer avec quatre hommes (Fig. 2a) un cinquième point « ngan » ou œil.

Fig. 2a. G. E. MAUGER : Quelques considérations sur les jeux en Chine et leur développement synchronique avec celui de l'empire chinois. Bull. et Mém., Sté d'anthropologie de Paris, t. 6, VIe s., 1915
Fig. 2a.

Après celle-ci le plus simple est d'entourer deux points avec six (Fig. 2b).

Fig. 2b. G. E. MAUGER : Quelques considérations sur les jeux en Chine et leur développement synchronique avec celui de l'empire chinois. Bull. et Mém., Sté d'anthropologie de Paris, t. 6, VIe s., 1915
Fig. 2b.

De la même façon on peut faire de larges clôtures avec un nombre plus grand de pièces.

L'adversaire naturellement cherche à empêcher ces clôtures en interposant ses pièces.

On peut encercler non seulement l'espace non occupé mais aussi des hommes non protégés de l'adversaire qui sont ainsi faits prisonniers.

Une pièce peut être prise quand elle est complètement entourée, mais lorsque un groupe de pièces entourent deux ou plusieurs « yeux » elles sont assurées contre toute attaque.

À la fin du jeu il peut y avoir des espaces entourés en partie par des pièces noires et en partie par des pièces blanches que, ni l'un ni l'autre des joueurs ne peuvent réclamer. Mais chaque joueur peut à tour de rôle y placer ses hommes disponibles afin de pouvoir les compter.

Est vainqueur celui qui a le plus grand nombre de pièces sur le tableau, le plus grand nombre d'« yeux » et le plus grand nombre de prisonniers.

On peut considérer ce jeu comme représentant la période individualiste de l'Empire. Alors le grand chef prédominant par sa volonté et par sa force n'a qu'un but : conquérir le plus large espace possible de territoire pour son peuple.

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1er groupe. — Le ts'eung k'i, le jeu du général

Mais bientôt l'Empire se développe ; les territoires sont devenus plus considérables et nécessitent une organisation plus compliquée ; la féodalité apparaît, le grand chef dirige de son palais ses vassaux qui combattent pour lui et nous avons les échecs.

Le ts'eung k'i qui signifie en chinois le jeu du général est le prototype de nos échecs actuels. L'invention de ce jeu est attribuée par les Chinois à Wu Wang, 1169-1116 avant J.-C., fondateur de la dynastie de Tch'eou.

Sous cette dynastie l'Empire avait pris une extension beaucoup plus considérable. Les simples tactiques que l'on réalise au moyen de combattants d'un seul genre dans le wai k'i furent remplacées par d'autres combinaisons où se montre toute une hiérarchie féodale.

Un grand perfectionnement dans les arts et les lettres fut le résultat de la protection que de puissants seigneurs accordaient aux individus. La tradition, en nous racontant qu'un frère de l'Empereur s'occupa des affaires internes et organisa le gouvernement, obéit à cette tendance de l'esprit de féodalité qui veut toujours attribuer le travail du nombre au seul génie d'un chef connu.

Le conseil de l'Empereur se composa de six ministres.

Le premier ministre ou chancelier de l'Empire, chef des ministres et président du Conseil ; un ministre de l'intérieur ; un ministre de l'instruction publique et des cérémonies ; un ministre de la guerre ; un ministre de la justice et enfin un ministre des travaux publics, commerce, industrie, et agriculture.

« Pendant cette période, dit un écrivain chinois, il n'y avait pas de ministre des Affaires Étrangères. Aucune des puissances voisines n'était assez forte pour qu'on puisse la considérer comme un État. Elle n'était qu'une protégée inférieure, une vassale, ou bien une colonie sous la direction immédiate de l'Empire. »

C'est le langage de la suprême fierté féodale qu'on retrouve plusieurs siècles plus tard chez les écrivains normands. Néanmoins il y avait la dynastie gênante des Ying et les échecs représentent selon la tradition, la tactique employée pour la subjuguer.

Nous nous trouvons en présence de deux grands chefs féodaux avec leur cour et leur armée et séparés par un fleuve ou frontière.

La présence de ce fleuve ou frontière nous semble un point capital dans la distinction entre les échecs chinois proprement dits, traditionnels, féodaux et historiques, et le chaturanga ou échecs indiens et même ceux de Corée où le fleuve n'est pas marqué et où les cinq directions divinatrices sont plus ou moins en évidence, et les échecs du Japon vraisemblablement copiés sur ceux de Corée.

Une autre différence importante consiste dans la façon de disposer les pièces : dans le jeu chinois et dans celui de Corée on les dispose sur l'intersection des lignes et, non dans les carrés formés par ces lignes comme cela se fait dans le jeu indien.

M. Wilkinson dit aussi dans son Manuel des échecs chinois que les relations du jeu chinois au jeu indien sont obscures, et il suppose qu'il a du être introduit très tôt de l'Inde, mais il ne cite aucune preuve décisive à l'appui de son allégation.

L'auteur allemand Himly est d'avis qu'il y a eu des jeux précurseurs des échecs mais que le vrai jeu a eu son origine dans les Indes comme symbole de guerre et que de là il s'étendit du IIIe au VIIe siècle vers l'ouest en Perse, vers l'est en Cambodge.

Il ajoute que le nom « chaturanga » dérive évidemment du sanscrit chaturanga, c'est-à-dire les quatre divisions de l'armée.

Mais, comme l'a remarqué M. Wilkinson dans le jeu chinois, ni le nom du tableau, ni la méthode du jeu, ni les hommes ne rappellent une origine étrangère, non plus que la tradition qui ne donne aucun renseignement pour faire croire à celle-ci.

Selon l'auteur allemand la première trace certaine des échecs en Chine se trouve dans le Yew Kwae lùh, un livre de contes de fées écrit vers la fin du VIIIe siècle ; mais la tradition qui m'a été fournie par un ami chinois, tirée d'un livre classique scolaire, le fait remonter à onze siècles avant J.-C.

Pour nous il nous semble que l'idée du jeu aurait pu aussi bien être introduite et adaptée en se simplifiant dans l'Inde venant de Chine, que le contraire, si l'un et l'autre n'a pas eu une origine indépendante.

...La ressemblance de ce jeu avec les échecs chinois repose principalement sur ce que c'est un jeu de tactique militaire.

Pour nous l'origine des deux jeux a été une nécessité commune d'étudier pratiquement les mouvements des armées et ensuite le jeu a évolué différemment dans chaque pays.

...En Chine, pays féodal, nous n'avons qu'un seul chef (par côté), le roi dans son palais, assisté de quatre ministres dont deux sont attachés à sa personne et, comme lui ils ne peuvent pas quitter le palais, un cheval et un canon et c'est le chariot qui peut franchir n'importe quelle distance parce qu'il n'y a pas d'obstacle plus fort en bataille.

Selon le Cheu King ... les chars de guerre faisaient la principale force des armées. Chacun d'eux était attelé de quatre chevaux de front munis de cuirasses et portait trois hommes également munis de cuirasses, le tout escorté par quatre-vingt-dix-sept fantassins (I. XI. 3 et II. III. 4).

On ne connaissait pas encore la cavalerie dont l'usage ne remonte qu'au IIIe siècle de notre ère.

La date de ces odes, 1166-1122 avant J.-C., concorde avec notre date de Wu Wang, 1169-1116 avant J.-C., et constitue une forte présomption en faveur de l'origine chinoise de ces échecs.

Fig. 3. G. E. MAUGER : Quelques considérations sur les jeux en Chine et leur développement synchronique avec celui de l'empire chinois. Bull. et Mém., Sté d'anthropologie de Paris, t. 6, VIe s., 1915.
Fig. 3.

Le ts'eung k'i ou échecs chinois se jouent sur un tableau qui se distingue nettement de tous les autres par la présence du fleuve ou frontière entre les deux camps. Toute l'histoire primitive des Chinois se concentre autour de leurs fleuves ; le serment féodal l'introduisait dans sa formule.

La personne principale est le chef, le grand seigneur, le général, le roi, celui à qui on doit obéissance ; il est flanqué à droite et à gauche par les personnages de son armée et de sa cour ; il est dans son palais avec ses deux chambellans ou chanceliers, personnages moitié valets, moitié conseillers, entouré également par ses deux ministres, les chevaux et les chariots, en avant les canons ou à cette époque plutôt des lance-pierres ou catapultes : p'au, et encore plus en avant ses soldats.

Dans les échecs actuels la reine a remplacé les deux chambellans, le palais a disparu ; les deux ministres se sont transformés en évêques, les chevaux se sont combinés avec les canons pour former des chevaliers qui peuvent sauter, alors que le canon seul ne pouvait avancer que s'il y avait un obstacle à franchir, et que le cheval ne pouvait pas sauter du tout puisqu'il cassait une jambe ; les chariots ont donné naissance aux tours aussi puissantes qu'eux et au lieu de cinq pions (un pour chaque cheval, un pour chaque ministre et un pour le roi), il y en a huit, un pour chaque pièce ; les neuf lignes sont devenues huit carrés, et toutes les pièces au lieu d'être distribuées et espacées sur quatre lignes n'en occupent plus aujourd'hui que deux.

Le tableau (Fig. 3) généralement en papier est divisé en soixante- quatre carrés, trente-deux de chaque côté du fleuve.

Les pièces sont posées sur l'intersection des lignes et non dans les espaces formés par elles.

Au centre de la ligne qui forme le cadre du tableau se trouve le roi ayant à droite et à gauche les deux chambellans ainsi limitant deux carrés qui, avec les deux carrés au-dessus forment le camp ou palais, lequel est traversé par deux diagonales partant des chambellans aux angles opposés.

En jouant le roi ou les chambellans peuvent occuper chacun des cinq points.

Les pièces sont des disques circulaires revêtus d'une inscription en caractères chinois qui indique leur nom. Ces caractères sont de deux couleurs généralement rouge et bleu ; une couleur pour chaque côté et non plus deux comme dans le chaturanga.

Elles se nomment :

Ts'eung, ou général.
Sz', chambellan ou chancelier.
Ts'eung, ministre.
Ma', cheval.
Ch'e, chariot.
P'au, canon ou catapulte.
Ping ou tsut, soldat d'infanterie.

La planche montre les positions des pièces et on joue à peu près comme dans les échecs actuels sauf les différences déjà signalées.

Le roi ou le général ne peut avancer qu'un pas à la fois sur une ligne perpendiculaire ou horizontale sans quitter le palais.

Les chambellans marchent sur les lignes diagonales toujours à l'intérieur du palais.

Les autres pièces peuvent aussi le traverser.

Les ministres quelquefois appelés éléphants d'un côté pour distinguer entre les deux côtés avancent deux carrés diagonalement, mais ne peuvent pas traverser la frontière.

Le cheval se meut comme le chevalier sauf qu'il ne peut pas sauter au-dessus d'une pièce qui se trouverait dans le coude de son mouvement.

Le chariot peut franchir en ligne directe n'importe quelle distance.

Le canon au contraire doit aider quelque chose, il faut pour qu'il puisse bouger qu'il y ait un obstacle en avant.

Le soldat marche comme notre pion et il peut traverser le fleuve. Cette traversée compte pour un mouvement.

À Canton et dans quelques autres parties de la Chine on trouve aussi un échec à quatre directions comme dans le chaturanga ; et on trouve la même idée dans les cartes qui en dérivent et qui sont en quatre couleurs. Il y a deux types d'échecs comme il y a deux types de cartes qui en dérivent.

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Le ciel, la terre et l'homme

Le chat t'in kau le jet des cieux et des neuf, nous fait entrer dans le domaine des p'ai — dés, cartes et dominos — que certains auteurs regardent aujourd'hui comme origine des tarots italiens.

Ce jeu est très ancien. Il y a un passage dans le Chung tsa t'ung (s. v. pai) très souvent cité et interprété diversement mais dont M. Wilkinson donne une traduction fidèle :

« Aussi il y avait les ya p'ai maintenant les instruments d'un jeu. Une légende très répandue dit que la deuxième année de Hoüan Ho de la dynastie de Song un certain officier présenta un mémoire au trône pour lui demander que chaque jeu de ya p'ai (cartes en ivoire) comprenne désormais trente deux pièces composées de deux cent vingt sept points afin qu'elles concordent avec l'expansion des étoiles et des constellations.

La combinaison 6/6—6/6 consista en deux dominos ayant vingt quatre points, les figurants des vingt quatre périodes solaires ; la terre 1/1—1/1 en deux pièces ou quatre points qui sont les quatre points du compas ; l'homme 4/4—4/4 seize points, les vertus de l'humanité, l'amour du prochain, la bienséance, et la sagesse, répétées quatre fois ; l'harmonie 1/3—1/3 huit points, l'esprit d'harmonie qui pénètre dans les huit divisions de l'année. Les autres combinaisons avaient chacune leur nom. On jouait à quatre : chaque joueur avait huit cartes et il gagnait ou perdait suivant que le nombre des points était plus ou moins important : le gagnant recevait comme récompense des jetons. »

Dans le temps de Kao Tsung (1127-1163), un édit impérial vint ordonner la fabrication de paquets types. Ces jeux furent connus sous le nom de ku p'ai (p'ai en os) partout dans l'empire. Mais en réalité le jeu ne date pas du règne de Hoüan Ho comme l'auteur nous le dit soigneusement : seulement il y avait un tel développement qu'on a cru nécessaire de fixer un type de p'ai et des règles uniformes et de sanctionner ces mesures par une décision impériale.

Le chat t'in kau nous conduit dans ce domaine où les bornes entre les dés, cartes et dominos s'atténuent par des empiétements réciproques de telle façon qu'une distinction nette entre eux devient impossible.

Chat t'in kau signifie le jet des cieux et des neuf. Une seule paire de dés peut donner vingt et une combinaisons, avec seize noms différents.

En Chine une simple tablette revêtue d'une inscription peut prendre la place d'un tableau ou même d'une statue et représenter un personnage.

C'est cette idée qui se retrouve ici dans toutes les représentations de ces combinaisons de points, par exemple le double six représente le ciel ; le double quatre, l'homme.

La combinaison cinq quatre, ou six trois représentent le neuf dans les trois jeux.

Dans les dominos et les cartes il y a un troisième neuf, le neuf suprême formé de 2/4 et 1/2.

De plus ces combinaisons ont été divisées en deux séries distinctes : les man ou civils et les mo ou militaires.

Pour les civils il y a onze combinaisons ayant chacune un nom ; pour les militaires il y en a dix.

Les onze combinaisons man sont :

Pour les mo au contraire on a conservé le nom du chiffre.
Dans les dés nous avons deux neuf, le cinq quatre et le six trois.
Dans les cartes et dominos en plus un « neuf suprême »
Quatre deux et un deux (kau)

Puis dans tous les trois on trouve :
Cinq trois ; six deux = huit (pat)
Quatre trois ; cinq deux = sept (t'sut)
Quatre deux = six (luk), (le cinq un forme partie des civils).
Trois deux ; et un quatre = cinq ('nq)
Un deux = trois (sam kai)

Dans les dés, vingt-et-une combinaisons ; dans les cartes et dominos, le « neuf suprême » donne un de plus formant vingt-deux.

Lorsqu'on jette les deux dés, les combinaisons que l'on obtient sont l'effet du pur hasard, tandis que sur les dominos et cartes les combinaisons sont déjà marquées ; de plus les militaires peuvent se combiner entre eux alors que les civils ne le pourraient pas si l'on n'y avait remédié en les doublant ; en outre pour restaurer autant que possible l'élément de chance, on a imaginé le mélange dans les deux cas (dominos et cartes).

Si on consulte le tableau comparé (Fig. 6) des dés, dominos et cartes on voit leurs affinités.

Fig. 6. G. E. MAUGER : Quelques considérations sur les jeux en Chine et leur développement synchronique avec celui de l'empire chinois. Bull. et Mém., Sté d'anthropologie de Paris, t. 6, VIe s., 1915.
Fig. 6.

Les vingt-et-une combinaisons possibles avec les dés sont représentées sur les dominos et aussi sur les cartes ; seulement ici pour faciliter le jeu on les reproduit sur chaque bout de la carte, il en est encore ainsi dans nos cartes modernes pour les personnages (roi, dame, valet).

En doublant les onze combinaisons « civils » et en y ajoutant les dix militaires nous obtenons un jeu de trente deux cartes, le plus simple parmi les jeux de cartes chinois.

Pour déterminer le premier joueur dans les dés, ou le donneur des cartes dans les cartes et les dominos, on jette les dés comme dans le sing luk et les autres joueurs posent leur mise sur la table.

Le premier joueur ainsi déterminé jette les dés dans le cas du chat t'in kau et son jet détermine l'atout ou série, soit militaire soit civile qui sera de rigueur pour la partie (comme nous atouts dans certains jeux actuels) ; et chaque joueur doit continuer de jeter les dés jusqu'à ce qu'il obtienne une combinaison qui rentre dans la série soit militaire soit civile que le premier joueur a déterminée.

Si le premier joueur obtient le six trois ou le cinq quatre en mo c'est-à-dire le neuf, ou s'il obtient le double six ou « ciel » en man chaque joueur doit lui verser sa mise ; au contraire s'il obtient le chiffre le plus inférieur, un deux mo ou cinq un man, c'est lui qui doit payer tous les autres joueurs.

Si son chiffre est autre que le plus haut ou le plus bas le jeu continue ; les autres joueurs lui disputent leurs mises, et paient ou reçoivent selon que leur chiffre est inférieur ou supérieur au sien.

Quand c'est un des autres joueurs qui a jeté un chiffre supérieur à celui du premier joueur la main passe au deuxième joueur et le jeu continue jusqu'à ce qu'il passe au troisième et ainsi de suite.

Dans les dominos et cartes les principes dominants sont les mêmes ; au lieu d'un jet on tire un domino ou on donne une carte ; en plus il y a quelques petites variations.

Comme nous l'avons déjà vu les civils ont été doublés, le nom ta t'in kau s'applique à une combinaison de quatre au lieu d'une paire 6/6 6/6 3/6 4/5 « les ciels » et les « neuf ».

Les dominos se nomment en chinois kwat-p'ai (tablettes en os) en opposition aux chich-p'ai (tablettes en papier) mais tous les deux sont quelquefois appelés u p'ai ou tablettes étrangères.

Le fait qu'il y a quatre combinaisons permet une variation que nous avons déjà indiquée, c'est la combinaison de 6/6 6/6 1/2 2/4 ou neuf suprême qui s'appelle chi-t'sun.

Ce chi-t'sun ainsi composé représente la carte la plus haute, pendant que les deux dominos séparés 1/2 et 2/4 représenteront la combinaison la plus basse rappelant ainsi l'as de certains jeux européens actuels qui peut compter tantôt pour un tantôt pour onze.

Le neuf en Chine est un chiffre très important, car il signifie « le principe de la vie ».


Le chat t'in kau se jouait assez comme le baccarat actuel contre un banquier ; dans le ta t'in kau au contraire nous voyons des levées de cartes que l'on calcule pour des points comme dans le poker ou whist.

Les joueurs avant de commencer se mettent d'accord sur la valeur en argent des points mais l'argent ne figure plus sur la table.

C'est un pas en avant dans la civilisation. Le crédit du jeu.

À la fin de la partie les joueurs paient le gagnant selon le nombre de points qu'il a fait en prenant plus ou moins de levées.

Celui qui a fait quatre levées ou plus ne paie rien, celui qui n'en a eu que deux perd deux points, s'il n'en a eu qu'une il perd trois points ; et s'il n'en a eu aucune il perd cinq points.

Le premier joueur ou tso chung cependant paie toujours le double quand il perd et reçoit le double quand il gagne ce qui rappelle le vingt-et-un en certains cas.

S'il gagne la dernière levée il reste premier joueur pour la seconde partie et ses gains et pertes au lieu d'être doublés sont triplés ; pour une troisième partie consécutive ils seront quadruplés et ainsi de suite.

Si l'un des autres joueurs gagne une partie avec la paire deux quatre, et un deux (le chi t'sun), le donneur de cartes ou tso chung doit payer quatre fois et les autres joueurs deux fois le prix du point ; mais si le tso chung gagne lui-même une partie avec cette combinaison les autres doivent lui payer deux fois la valeur d'un point.

Si un des joueurs autre que le tso chung gagne une partie avec quatre pièces de deux paires correspondantes, le premier joueur lui paie huit fois, et les autres joueurs quatre fois la valeur d'un point. Mais si au contraire c'est le tso chung qui gagne, il reçoit la valeur de huit points de chacun des autres.

Si un joueur gagne deux levées avec le chi t'sun ou avec paires correspondantes dans deux parties successives, les sommes qu'il doit recevoir sont doublées, et s'il gagne trois fois de suite avec des paires correspondantes elles sont triplées.

Ce jeu est très ancien et a probablement été joué dans sa forme actuelle au commencement du douzième siècle.

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Résumé

De cette étude très sommaire il ressort que la Chine a suivi une évolution très logique dans ses jeux depuis la plus haute antiquité jusqu'au point culminant de son développement littéraire et artistique dans les dernières années de la dynastie des Song où la littérature et les arts, en même temps que l'imprimerie, avaient atteint un tel épanouissement que les savants du temps les ont cristallisés dans leurs ouvrages et ont réuni le fondement de leurs classiques pour l'instruction des générations suivantes.

Alors les connaissances acquises formèrent un bloc qu'on conserva jalousement et sur lequel on vécut désormais ; le peuple chinois fatigué de son effort, gêné par des invasions de nouvelles races, voulut jouir de cette récolte classique et l'influence vivante et novatrice de la Chine fut éclipsée par des nations plus jeunes ; la vague de la civilisation militante quitta la Chine rendue paisible par la culture et les belles manières et se transporta vers l'ouest où elle prit une forme plus vigoureuse, plus batailleuse avec les croisades et les incursions musulmanes. Mais la philosophie chinoise s'était infiltrée dans l'Asie et de l'Asie sous une nouvelle forme en Europe.

Même en ne faisant qu'un petit examen très superficiel des légendes et des livres chinois on rencontre une foule de choses qu'on a connues sous une autre forme en Europe où on en attribue la découverte à des contemporains de l'époque du XVIe et XVIIe siècle. Viennent-elles de Chine ou ont-elles évolué dans des conditions et des situations analogues selon la loi de Lamarck ? Il est difficile de le dire. Mais plus on fait de recherches, plus on rencontre des choses qui tirent leur origine de Chine et quand on se rappelle le grand développement du commerce chinois en Asie et sur les côtes africaines au moment même où les Romains combattaient contre les peuples d'Afrique ou plus tard lorsque les chevaliers féodaux partirent combattre accompagnés de suites nombreuses en Terre Sainte, on doit moins s'étonner de retrouver des influences et des idées nées chez un peuple essentiellement féodal adoptées et assimilées par un peuple également féodal.

Le jeu basé sur le hasard, sur l'inconnu, l'esprit d'imitation et une certaine singerie et espièglerie parmi les soldats, tout s'est trouvé combiné pour faciliter la reproduction et l'introduction chez nous des idées asiatiques qui se trouvaient sur place déjà modifiées et altérées mais qui étaient pourtant souvent venues directement de Chine. On a voulu attribuer l'introduction des cartes en Europe à Marco Polo ou à un des Polos ou autres aventuriers qui sont allés en Chine ; un autre auteur au contraire a voulu les faire venir d'Égypte, d'autres de l'Espagne ; mais il faut remarquer qu'elles font toutes leur apparition assez simultanément avec l'imprimerie en Europe.

On trouve dans la Bibliothèque Nationale parmi les manuscrits un très vieux livre chinois de cent problèmes des échecs chinois (Nouveau fonds 1089).

Abel Rémusat favorise la théorie que les cartes modernes ont dérivé de celles de Chine. Merlin et suivant lui M. Henri d'Allemagne sont d'opinion contraire.

Singer (recherches 1816) est d'avis que l'art de graver sur le bois et les cartes a pu être introduit de Chine en même temps, ce qui paraît très possible.

Il peut aussi se faire que les négociants chinois ou juifs établis déjà depuis longtemps en Chine eux-mêmes ou les mariniers les eussent apportées avec eux. Ce qui est certain toutefois c'est qu'on attribue l'invention de l'imprimerie à l'Allemagne et qu'actuellement la plus ancienne description de cartes authentiques en Europe nous vient d'un manuscrit allemand écrit par un certain Johannes Moine en 1377 dans le manuscrit (Eq. 2419) conservé dans le British Museum. Il s'intitule De moribus et Disciplina Humana conversationis ; et il contient une description de « ludus cartorum » introduit vers la même année dans son pays.

De ce M. S. il apparaît que même alors que la composition exacte du jeu n'était pas encore fixée définitivement il contenait cinquante-deux cartes seulement avec les signes italiens, et était pratiquement identique à la succession moderne du whist.

Un peu plus tard (1450-1470) dans un volume de sermons que possède actuellement M. Robert Steele, l'auteur de ces sermons prêche contre les jeux de hasard dont les favoris à ce moment étaient les dés, cartes et triomphes. Et il décrit les cartes comme étant composées de quatre séries coppa, spada, danari et bastone pendant que les triomphes étaient les vingt-deux emblèmes des tarots sans chiffre.

De ces documents, M. O'Donoghue écrivant en 1901, arrive à la conclusion que pendant longtemps il avait existé un jeu de triomphes ou tarots en Italie contemporain d'un jeu de cartes avec numéros mais distincts l'un de l'autre, et que la fusion ne s'est faite que beaucoup plus tard vers le XVe siècle.

Fig. 15. G. E. MAUGER : Quelques considérations sur les jeux en Chine et leur développement synchronique avec celui de l'empire chinois. Bull. et Mém., Sté d'anthropologie de Paris, t. 6, VIe s., 1915
Fig. 15.

M. Wilkinson a publié dans l'Anthropologia en 1895 une communication intitulée The Chinese Origin of Playing Cards où il exprime l'opinion que les cartes européennes dérivent des cartes chinoises d'une part du t'ienkiu (le t'in kau de Culin) et d'autre part d'une variété de lieh chieh le lok. Suivant Singer croit-il que le jeu put être introduit par les Polos et il donne une ingénieuse théorie pour démontrer que les danari ont pris origine dans les sapèques, les bas-toni dans les cordons (Fig. 15b) les spade dans les rouleaux (Fig. 15c) et enfin que les coppe ne sont que le chiffre wanza des myriades à l'envers.

En vue des faits nouveaux cités par M. O'Donoghue et ses conclusions, il nous semble permis de modifier et d'étendre quelque peu cette théorie.

Nous savons qu'à son apogée le commerce chinois avait pénétré partout en Asie et que ses marins fréquentaient les côtes d'Égypte, et qu'un peu plus tard les Croisés pénétraient en Terre Sainte. Il est permis de croire que ces soldats ou marins ont pris connaissance de ces jeux si naturellement qu'ils n'ont pas cru nécessaire de noter le fait.

Le jeu de tarocco consiste en un jeu de 56 cartes et vingt-deux tarots représentant les vertus et les emblèmes comme les cartes « civiles » du t'in kau. Le double quatre l'« Homme » pouvait très bien suggérer l'« Empereur », autres l'« Harmonie », la « Justice » et ainsi de suite.

Dans le t'in kau il y a vingt-deux civils et dix militaires, mais c'est le jet du dé qui décide quelle série des deux on emploie et l'autre est laissée à part. Les noms des civils étaient faciles à retenir pour les étrangers ; au contraire les chiffres militaires étaient plutôt difficiles. On les négligea. Cependant il y avait la petite carte 1/2 servant de prime car si elle gagnait la dernière levée, elle comptait double, et en plus, elle avait la qualité spéciale de prendre partie à la plus haute combinaison (le neuf suprême) aussi bien que de pouvoir être la plus petite carte du jeu comme l'as l'est actuellement en certain jeu. Alors on l'a conservé comme le 22e tarot sous le nom de matto et nous avons les « Triomphes ».

Il y avait un autre jeu ayant un air d'affinité avec le t'in kau ; c'était les échecs sous la forme de Keemapow, où on rassemblait un plus grand nombre de cartes, en faisant de vrais tableaux ; par exemple : roi, un chambellan, un ministre d'une même couleur et quatre soldats de couleurs différentes. Un pas en avant est facile, si on quadruple les figures Rey Caballo Solo pour les quatre couleurs des soldats, comme Tin et on prend neuf soldats de chaque couleur comme Kau. Nous avons les 46 cartes du jeu naturel espagnol.

Il reste les quatorze cartes en quatre séries des tarots, le jeu de 56 cartes. M. Wilkinson nous fait remarquer que, dans la variété lok du lieh chieh venant de Tapu près de Swatow, on trouve quatre cartes spéciales « fleur blanche », « cent myriades », « mille myriades », et « myriades myriades » (vieux mille).

Avec les souvenirs du roi (vieux mille), chambellan, ensuite reine (100.000), ministre, ensuite chevalier (10.000) on pourrait considérer fleur blanche comme 1.000 (dix cents) et de là tirer la carte dix ; puis par une espèce de pléonasme, oubliant que fleur blanche était déjà représentée par le dix, on l'a réintroduit sous la forme d'une autre figure « le page ».

Sans « le page », nous avons le jeu de 52 cartes dont parle Johannes, moine en 1377, l'ancêtre de nos cartes actuelles ; avec « le page », les 56 cartes et qui avec les attuti compose le jeu de tarocco. Au XVe siècle, quelque souvenir a pu très bien rappeler les dix militaires du t'in kau aux Italiens, qui, sans se souvenir de l'histoire, ont simplement adjoint un jeu de lok sous sa forme italienne aux Triomphes et ont ainsi produit le jeu de famille de tarocco, dont les origines étaient disparues dans l'antiquité.


Ainsi nous avons suivi le développement des jeux les plus simples aux plus compliqués ; nous l'avons vu le plus souvent coïncider avec les événements saillants de l'histoire politique de l'empire chinois ; puis, dépassant les frontières, venir probablement constituer les premiers fondements sur lesquels se sont édifiés la plupart des jeux européens du XVe siècle, pour se fondre ensuite dans les quelques jeux actuels en y perdant leurs caractères primitifs.


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