Albert Maybon (1878-19xx)

LA PEINTURE CHINOISE AU MUSÉE GUIMET

L'Art et les artistes,
Revue d'art ancien et moderne, Paris, n° 103, octobre 1913, pages 47-60 de 72.

  • "Monsieur Guimet a conté comment l'idée d'une exposition de peintures chinoises lui était venue : « Lorsque le prince Taï-Tsèh, cousin de l'empereur de la Chine, visita le musée, il remarqua deux sceaux en jade que j'avais achetés après la dernière guerre et qu'il reconnut pour avoir appartenu à l'impératrice douairière Tseu-Hi. Tous deux avaient été faits pour l'empereur Kien-Long, l'un quand il eut soixante-dix ans, l'autre pour célébrer ses quatre-vingts ans. Le prince me demanda de les acquérir pour les présenter à l'impératrice. Comme ils faisaient partie de ma collection personnelle, il ne pouvait être question d'achat, mais je me fis un devoir d'aller les porter le lendemain à l'hôtel où logeait le prince. La réception qui me fut faite me montra l'importance que l'on attachait à la restitution de ces objets historiques et, quelques mois plus tard, Sa Majesté daigna m'envoyer quatre peintures datées des Song et des Youen. » Et M. Guimet a « considéré comme un devoir de montrer ces peintures en les entourant d'autres œuvres qui puissent donner un ensemble chronologique ».
  • Cette initiative a été des plus heureuses, et nous avons eu enfin à Paris, où la peinture chinoise est si mal connue, une base sérieuse de documentation. Les curieux, les chercheurs, tous les orientalistes qui ont étudié avec attention les différentes pièces de comparaison exposées auront pu ensuite compléter leur science en consultant les travaux, estimés dans tous les milieux sinologiques, de M. Chavannes, le savant professeur au Collège de France, et les ouvrages de MM. Giles et Hirth.
  • Nous nous contenterons ici de commenter brièvement quelques-unes de ces peintures."

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La peinture chinoise au musée Guimet, par Albert Maybon (1878-). Revue d'art ancien et moderne "L'Art et les artistes", Paris, n° 103, octobre 1913. Fig. 1.
Les génies se réunissant au-dessus de la mer. Par Ma Lin, XIe-XIIe siècles.

Les « Génies se réunissant au-dessus de la mer » sont de Ma Lin, qui produisit surtout dans les dernières années du XIIe siècle et dans les premières du XIIIe ; cet artiste s'était formé à l'école de son père Ma Yuan qui, à la cour, de 1190 à 1224, avait composé, à la satisfaction de l'Empereur et des lettrés, et suivant la tradition des paysagistes, des scènes de plein air animées d'oiseaux et de fleurs. Des critiques chinois ont dit qu'il « aurait signé souvent du nom de son fils ses propres peintures afin de lui créer une bonne réputation.»

Quoiqu'il en soit, la peinture sur soie exposée au Musée Guimet — un des quatre dons impériaux — a toujours été regardée comme étant de la main de Ma Lin ; elle mesure 0,65 m sur 1,45 m.

« C'est un vrai chef-d'œuvre, dit une notice ; on voit que le soleil qui vient de se lever est entre la mer et le ciel. La mer est immense, et les vagues y forment des rides. Sur la terrasse toute de pierres précieuses, des génies font de la musique. Ils sont très bien représentés, il n'y a dans tout cela rien de vulgaire. Le talent de l'auteur est très grand.»

Et l'académicien qui fait ces remarques ajoute que les montagnes et les rochers sont de telle école, les arbres et les plantes de telle autre, le coloris d'une troisième.

« Les montagnes sont dessinées de telle façon, écrit encore un académicien, qu'on y discerne leur chaîne comme si l'on se trouvait en face de la nature ; les arbres poussent comme des dragons sortant de l'eau, les collines s'étagent naturellement. Le soleil se levant à l'horizon éclaire les îlots où se trouvent des grues. Quant aux personnages, ils ont un aspect radieux et indolent. Le secret de l'art consiste à peindre des scènes ordinaires en y apportant des conceptions élevées.»

Il y a, en effet, dans cette œuvre une haute inspiration. Cette architecture, ces groupes de génies sur cette terrasse, devant l'abîme, cette mer infinie, tout cela compose un ensemble saisissant ; nous sommes loin du petit réalisme poétique qui caractérise l'ensemble de la peinture chinoise.

La peinture chinoise au musée Guimet, par Albert Maybon (1878-). Revue d'art ancien et moderne "L'Art et les artistes", Paris, n° 103, octobre 1913. Fig. 2.
Peinture sur étoffe (détail). Attribuée à Tchao Mong-fou, 1254-1322.

Le tableau de Tchao Mong-fou est d'une tout autre nature. Ce peintre, né vers 1254, se rattache à l'école des grands animaliers de la dynastie des Song (960-1260), école illustrée au VIIIe siècle par les peintres de chevaux Ts'ao Fa et Han Kan-si. Le maître de l'école du Midi, dans le Yang-tseu supérieur, Wang Wei (699-739), a eu également une influence visible sur Tchao dont certains paysages sont des copies de celui dont « les poèmes étaient des peintures et les peintures des poèmes ». M. Guimet, dans son exposition, a réuni six peintures de cet artiste, trois paysages et trois études de chevaux ; celles-ci, sur étoffe, font connaître admirablement le style qui a fait la réputation de Tchao Mong-fou. Comme les nombreux amoureux des formes chevalines des époques précédentes, il observe avec passion les allures, les pelages, toutes les caractéristiques, toutes les parties des montures ; mais il évite de rendre ses observations sèchement, analytiquement. Il imagine toujours une scène à laquelle le cheval donne un sens.

La peinture chinoise au musée Guimet, par Albert Maybon (1878-). Revue d'art ancien et moderne "L'Art et les artistes", Paris, n° 103, octobre 1913. Fig. 3.
Les Lo-han marchant sur la mer (détail). De Tcheou-t'ing, XVIe siècle.

Une peinture bouddhique du XVIe siècle ne peut guère avoir été inspirée par une foi sincère, car le bouddhisme — qui, en passant de l'Inde en Chine, par la voie maritime et par l'Asie centrale, apporta les formules et les modèles d'une esthétique étrangère et renouvela, dès le IIe siècle de l'ère chrétienne, l'art extrême-oriental, — sous la dynastie des Song tomba en défaveur ; il s'ensuivit une décadence de la peinture religieuse qui alla en progressant du XIe au XIIIe siècles. Aussi ne faut-il pas voir dans « Les Lo-han (c'est-à-dire les sages ayant atteint la perfection) marchant sur la mer », peinture du XVIe siècle, l'œuvre d'une âme pieuse. Ce n'est qu'une fantaisie, spirituelle d'ailleurs, et traitée avec agrément, avec cette légèreté de touche où excellent les artistes de l'époque des Ming. Les grands dictionnaires de peintres chinois ne font que mentionner Tcheou-t'ing, l'auteur des Lo-han.

La peinture chinoise au musée Guimet, par Albert Maybon (1878-). Revue d'art ancien et moderne "L'Art et les artistes", Paris, n° 103, octobre 1913. Fig. 4.
Glycines. Peinture de Yun Cheou-p'ing, 1633-1690.

Cette dynastie des Ming marque le déclin de la peinture ; il n'y a plus d'observation directe de la nature ; on se borne à faire des rééditions des œuvres anciennes, à acquérir une dextérité manuelle, à apprendre des formules. Ce qui n'empêche pas la production d'œuvres charmantes.

Les célèbres fleurs sur papier de soie de Yun Cheou-p'ing ne sont, d'ailleurs pas faites de chic ; les remarques qu'il a lui-même formulées en vers sur ses œuvres l'attestent suffisamment. Dans le coin d'une de ses études il écrit :

« l'aspect (de la fleur) est simple, (sa couleur) claire est réfléchie dans l'eau. Le parfum se répand au loin. Je dessine cette fleur en prenant pour modèle un lotus qui est dans un vase et j'imite le coloris (des peintres) de la dynastie des Song. Je voudrais faire apprécier mon dessin par des connaisseurs. »

Au bas des glycines que nous donnons on lit :

« C'est un rideau de perles devant les lueurs violettes du soir. En voyage à Tchou-hou (lac de perles), district de Kouai-yin, habitant dans une maison en face du lac et entourée de fleurs, je bois du vin, je dessine étant un peu ivre. »

Ainsi, encore que sous le poids d'une longue tradition, de tyranniques conventions, la sensibilité chinoise ne laissait pas d'être fraîche et vive, et l'homme cultivé, en face des divers aspects de la nature, employait tour à tour, selon la coutume ancienne, pour traduire ses émois, les deux grands moyens d'expressions, la peinture et la poésie. Yun Cheou-p'ing vécut de 1633 à 1690 ; M. Guimet possède un album signé de lui. Mais, si cet artiste, en quête de sensations, observait de près la nature, il est visible que son dessin parfait, que son coloris délicat ont été acquis par l'étude de ses prédécesseurs ; Yun dut longtemps copier les fleurs, les bambous, les oiseaux de Siu Hi, le maître des esquisses, des pochades de la dynastie des Song.

La peinture chinoise au musée Guimet, par Albert Maybon (1878-). Revue d'art ancien et moderne "L'Art et les artistes", Paris, n° 103, octobre 1913. Fig. 5.
Échassier. Par Si-Yuan, XVIIIe siècle.
La peinture chinoise au musée Guimet, par Albert Maybon (1878-). Revue d'art ancien et moderne "L'Art et les artistes", Paris, n° 103, octobre 1913. Fig. 6.
Oiseaux et fleurs. Par Si-Yuan, XVIIIe siècle.

A cette époque d'imitation servile des modèles classiques, les oiseaux et les fleurs abondent. Parmi beaucoup d'autres, Si Yuan, avec ces éléments, cherche des effets décoratifs ; son échassier et ses passereaux huppés — le trait est à l'encre de Chine — n'avaient plus, peu après leur exécution, l'attrait de la nouveauté pour des yeux européens ; les relations plus fréquentes entre l'extrême Asie et l'Occident firent largement connaître ce style sino-japonais.

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La peinture chinoise au musée Guimet, par Albert Maybon (1878-). Revue d'art ancien et moderne "L'Art et les artistes", Paris, n° 103, octobre 1913. Fig. 7.
Portrait de Tsai Wên Chi. Par Tung Chi Chang.