Le Petit Journal, Supplément illustré

Couverture. Le Petit Journal, Supplément illustré, et la Chine  1890-1913, 1921-1931.

Le Petit Journal, Supplément illustré, et la Chine

1890-1913, 1921-1931

  • Le Petit Journal est un quotidien parisien fondé en 1863. Bon marché, populaire, distrayant, il se lance en 1869, mais non exclusivement, dans le fait divers. Un supplément du dimanche commence à paraître en 1884. Les tirages vers 1900 sont alors les plus forts au monde, autour de deux millions d'exemplaires quotidiens.
  • Gallica présente la quasi-totalité des numéros parus de 1863 à 1944 : Quotidien, Supplément du dimanche à compter de février 1884, devenant Supplément littéraire en avril 1887, puis, à compter du 29 novembre 1890, Supplément illustré de huit pages, avec des illustrations couleurs en première et dernière pages, complétées d'un titre et d'un court commentaire. Ce supplément deviendra plus tard Le Petit Journal illustré (années disponibles : 1920-1937).
  • L'idée de chineancienne dans la préparation du présent recueil est la suivante : retrouver dans le Supplément d'un journal qui eut longtemps le plus fort tirage au monde, toutes ses illustrations en couleurs concernant la Chine, leur thème, leur traitement, leur commentaire, et de là mettre à même d'essayer de saisir la perception de la Chine dans un journal à grand tirage fin XIXe, début XXe.

Extraits (dates de parution) :
1895. M. Gérard, ambassadeur de France, reçu par l'empereur de Chine - 1896. Le vice-roi Li Hung-chang, ambassadeur extraordinaire de Chine - 1900. Les Boxers - Assassinat du baron de Ketteler, ministre d'Allemagne - Li-Hung-Chang escorté par les troupes russes et japonaises - Quatorze têtes de Boxers aux murs de Tchio-Tchao - 1904. La conquête du Thibet. Entrevue d'officiers anglais avec les Thibétains - Nouveaux massacres en Chine - Au Thibet. Le dalaï-lama de Lhassa fuit la domination anglaise - 1907/1921. La famine en Chine - 1911. La Chine se modernise - La peste en Mandchourie - La discussion de la loi sur le costume européen en Chine.


Lire aussi

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20 janvier 1895. M. Gérard, ambassadeur de France, reçu par l'empereur de Chine

20 janvier 1895. Le Petit Journal, Supplément illustré, et la Chine  1890-1913, 1921-1931.

Un fait qui paraîtra considérable à ceux qui connaissent tant soit peu les mœurs extrême-orientales vient de se produire à Pékin ; l'empereur de Chine a reçu officiellement à sa cour les diplomates européens et notamment notre ambassadeur.

Comme nous n'assistions pas à cette visite, nous nous en rapporterons à la relation qu'en a faite dans un journal de Shang-Hai le chargé d'affaires de Suède et de Norvège.

La réception avait pour but de présenter des adresses de félicitation à l'empereur et à l'impératrice douairière à l'occasion du soixantième anniversaire de la naissance de cette dernière.

Ce qui frappa d'abord l'ambassadeur en entrant dans la « ville interdite » fut la propreté extraordinaire qui y régnait, contrairement à ce qu'il avait observé dans les autres villes chinoise qu'il avait visitées. On y trouva de nombreux endroits de récréation et de jeux disséminés partout.

À leur arrivée au palais, les ministres furent conduits, au milieu d'une foule d'eunuques et d'officiers, dans un magnifique pavillon où des rafraîchissements étaient servis. De là, on les mena dans un autre pavillon moins beau, construit à environ cinquante mètres du palais, et où ils attendirent qu'on les introduisît, chacun à son tour, en présence de l'empereur, car ils devaient avoir audience avec lui séparément. Ces audiences eurent un caractère officiel bien marqué et ne durèrent pas longtemps. Elles eurent lieu dans la salle où Sa Majesté a coutume d'entendre exposer et commenter la doctrine de Confucius, salle absolument vide, sans aucun ameublement.

L'empereur était assis, les jambes croisées, sur le trône du Dragon, entouré d'une foule de princes et de fonctionnaires. En face de Sa Majesté était placé une petite table couverte de satin jaune, qui cachait la partie inférieure de la personne du souverain. Celui-ci ne se leva point quand les ministres entrèrent ou sortirent. La prochaine fois, probablement, il se lèvera.

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26 juillet 1896. Le vice-roi Li Hung-chang, ambassadeur extraordinaire de Chine

26 juillet 1896. Li Hung-chang. Le Petit Journal, Supplément illustré, et la Chine  1890-1913, 1921-1931.

Un homme d'État de situation exceptionnelle en Extrême-Orient fait en ce moment une tournée en Europe.

Li Hung-chang, vice-roi du Petchili, n'a point toujours été très heureux, notamment dans la récente guerre contre le Japon, et son empereur l'a successivement vêtu et dépouillé de la casaque jaune, insigne de suprême faveur, absolument comme dans l'opérette fameuse la Grande duchesse de Gerolstein donne et reprend le panache au général Boum.

En ce moment, il a la casaque ; la lui retirera-t-on à son retour ? Il est impossible de rien savoir.

Pour préjuger du succès de sa mission, il faudrait avoir une idée de ce qu'elle est ; or, c'est là le point délicat.

L'envoyé du Céleste Empire voit tout, inspecte tout, et garde le silence.

Les Allemands lui ont offert des fêtes magnifiques, au cours desquelles ils se tenaient, le carnet à la main, attendant les commandes d'armes, de munitions, et d'officiers instructeurs.

Li Hung-chang s'est montré satisfait mais froid sur le chapitre des acquisitions.

Chez nous, on l'a conduit à la revue de Longchamp ; il s'y est, paraît-il, légèrement assoupi ; on lui a fait voir la tour Eiffel, l'Opéra, que sais-je encore ? On l'a reçu à l'Élysée ; il a assisté au dîner sans y prendre part, ne mangeant que de la cuisine chinoise, et cette abstention gastronomique est comme un symbole : il visite et ne se mêle pas.

Au reste, par interprète, il a causé avec le Président auquel il a remis de magnifiques présents de la part de son maître et de la sienne ; il s'est entretenu avec nos ministres actuels ou anciens, tel M. Constant ; tous ont été enchantés de lui, mais aucun n'en a tiré une parole importante.

Ce seigneur au bouton de cristal ne se déboutonne pas.

Quand il passait par nos rues, les curieux l'ont acclamé et, comme il est très fin, il a dû se demander pourquoi. Nous n'avons jamais eu, en effet, à nous louer extraordinairement de lui.

Quoi qu'il en soit, son ingratitude serait forte s'il n'emportait point une excellente impression de sa réception parmi nous.

La France a été comme toujours hospitalière à ses hôtes, peut-être Li Hung-chang de retour en Chine s'en souviendra-t-il ; il faut l'espérer sans trop y compter.

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24 juin 1900. Les Boxers

24 juin 1900. Les Boxers. Le Petit Journal, Supplément illustré, et la Chine  1890-1913, 1921-1931.

Il se passe pour le moment en Chine des choses terriblement compliquées mais que l'on peut sommairement tenter d'expliquer.

Tant qu'elle l'a pu, la Chine est restée fermée aux autres nations, vivant d'elle-même, sur elle-même, refusant tout commerce, massacrant, missionnaires ou autres, les étrangers indiscrets.

À coups de canon les Anglais et nous, il y a quarante ans bientôt, leur apprîmes la politesse et quelques ports s'ouvrirent aux navires européens.

Le coin était enfoncé, on le poussa plus énergiquement il y a quelques mois. À la suite des victoires remportées par les Japonais, la France, la Russie, l'Angleterre, l'Allemagne, les États-Unis et le Japon obtinrent des Chinois, qui n'étaient point en état de les refuser, des concessions de territoire, c'est-à-dire que l'on commença doucement le partage de l'immense Céleste Empire.

Les Chinois sont les plus fourbes des hommes ; leur gouvernement, trop faible et trop lâche pour lutter, fomenta, encouragea et soutint l'insurrection des Boxers.

Ce sont des hommes décidés à tout, surtout au pillage, dont les efforts tendent à débarrasser leur pays de la présence des étrangers. Ils vont massacrant, volant, incendiant dans tout le Nord de Pékin et dans la capitale même.

Sur les représentations des consuls, l'impératrice a feint une grande colère, elle a envoyé des troupes contre les Boxers, mais avec des instructions secrètes et spéciales aux chefs, de façon que sa duplicité étant bien établie, les puissances vont faire leurs affaires elles-mêmes.

Elles auront facilement raison de l'insurrection et la Chine touche à une heure grave de son histoire. Pourvu ensuite qu'il n'y ait rien de fâcheux au moment où on réglera les comptes !

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22 juillet 1900. Assassinat du baron de Ketteler, ministre d'Allemagne

22 juillet 1900. Ketteler. Le Petit Journal, Supplément illustré, et la Chine  1890-1913, 1921-1931.

La sauvagerie chinoise s'est affirmée par le massacre d'un grand nombre d'Européens. Nous ne saurons pas avant longtemps combien périrent sous les coups de ces abominables Boxers soutenus par le gouvernement du Céleste Empire.

On connaît cependant l'une des victimes les plus importantes, celle dont la mort tragique a produit, dans l'Europe entière, une si vive sensation.

Il s'agit du baron de Ketteler, ministre d'Allemagne à Pékin.

Comme il passait dans la rue à cheval, il fut assailli par les rebelles, renversé et massacré ; son corps même fut déchiqueté par les soldats à coups de baïonnettes.

M. de Ketteler était un ancien officier entré dans la diplomatie & la suite d'un désappointement financier; un héritage sur lequel il comptait lui échappa.

Il avait toujours fait preuve d'intelligence et d'énergie.

L'empereur allemand a juré de venger la mort de son représentant et il est homme à tenir sa promesse.

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14 octobre 1900. Li-Hung-Chang escorté par les troupes russes et japonaises

14 juin 1900. Li Hung-chang. Le Petit Journal, Supplément illustré, et la Chine  1890-1913, 1921-1931

La campagne chinoise se poursuit sans événements bien saillants ; les nations coalisées ont tout l'air de se laisser duper en ce moment par ces fourbes extraordinaires que sont les Chinois.

On négocie avec une lenteur savamment combinée par les Célestes qui savent que la mauvaise saison arrive et qu'elle entravera les opérations militaires.

N'en déplaise à ceux qui croient avoir toujours devant eux les Chinois d'il y a 40 ans, ces guerriers naïfs qui s'imaginaient terrifier les Européens en leur montrant des figures de dragons, et qui s'enfuyaient affolés au premier coup de canon, les soldats d'aujourd'hui ont à lutter contre un peuple innombrable et dont une importante partie est supérieurement armée, grâce aux soins des Anglais et des Allemands, lesquels, assoiffés de négoce, ont fourni des canons et des fusils perfectionnés maintenant tournés contre eux.

On infligera des échecs pénibles aux Chinois, on n'en finira pas avec eux, aussi les Russes ont-ils émis la proposition la plus sage en conseillant le retrait des troupes moyennant des conditions à débattre.

Il importe de voir la vérité telle qu'elle est et, — autant que l'honneur le permet, — de s'abstenir de rêves et de sentiments.

Il faut songer aussi que nous n'avons point d'intérêt, bien au contraire, à faire le jeu des Allemands, infiniment plus engagés que nous dans la question, et qu'il serait niais, allant au-delà de nos engagements, de faire des sacrifices exagérés pour le roi de Prusse.

Ce qu'il faut, c'est, suivant l'expression des Chinois eux-mêmes, sauver notre face et particulièrement se méfier du fameux Li-Hung-Chang, diplomate ultra-retors qui fit tant de dupes lors de son voyage en Europe et voudrait continuer son œuvre en Extrême-Orient.

C'est lui qui donnait aux représentants de l'Europe le conseil, non suivi heureusement, d'arrêter les débarquements de troupes sous prétexte que cela entraverait les négociations. Il se prétend aujourd'hui dûment qualifié pour traiter ; mais ses adversaires ont une juste méfiance.

Lorsque tout récemment il a éprouvé le besoin d'aller à Pékin pour traiter de la paix, on lui a fourni, sous couleur de l'honorer, d'assurer sa sécurité, mais surtout pour le surveiller, une solide escorte de troupes russes et japonaises.

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4 novembre 1900. Quatorze têtes de Boxers aux murs de Tchio-Tchao

4 novembre 1900. Têtes de Boxers. Le Petit Journal, Supplément illustré, et la Chine  1890-1913, 1921-1931.

La diplomatie poursuit son œuvre en Chine et tout fait espérer dans un délai plus ou moins rapproché, une solution pacifique.

Mais comme en attendant il importe de prouver aux Chinois que, suivant le vieil axiome, quand on veut la paix, il faut pouvoir faire la guerre, tandis que leurs plénipotentiaires s'attardent en d'interminables préliminaires, des colonnes armées parcourent le pays, pourchassant de leur mieux les Boxers.

Il arrive que les troupes alliées soient bien reçues par les Chinois, qui ne voudraient point se créer de méchantes affaires.

On leur prodigue des avances d'une nature parfois un peu brutale ; c'est ainsi que dernièrement une colonne expéditionnaire s'étant approchée de Tchio-Tchao, trouva accrochées aux murailles quatorze têtes de Boxers ; pareil fait se reproduisit à Pékin. C'est ainsi que les Célestes témoignent leur sympathie aux Européens.

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14 février 1904. La conquête du Thibet. Entrevue d'officiers anglais avec les Thibétains

14 février 1904. Anglais au Thibet. Le Petit Journal, Supplément illustré, et la Chine  1890-1913, 1921-1931.

Deux influences adverses se disputent en ce moment le Thibet : l'influence russe au Nord, l'influence anglaise au Sud.

Cet immense territoire, qui représente plus du double de la France mais qui ne compte guère que deux millions et demi d'habitants, est encore mal connu et est demeuré fermé à la civilisation européenne. Pourtant, il y a une douzaine d'années, les Anglais avaient obtenu du dalaï-lama, qui est à la fois le chef temporel et spirituel du pays, l'autorisation de faire pénétrer leurs marchandises de l'Inde dans les vallées thibétaines tributaires du Brahmapoutre. Mais, depuis, les Thibétains se sont ravisés et ont fermé leurs portes aux trafiquants anglais.

De là un commencement de conflit, et un prétexte tout trouvé, et attendu, pour l'insatiable Albion de s'emparer, avec sa mauvaise foi habituelle, de ces vastes territoires et d'établir son influence sur toutes les innombrables peuplades de religion bouddhique, lesquelles obéissent aux ordres venus de Lhassa, la ville sainte du Thibet.

Une expédition anglaise, comprenant 200 hommes, armée de quelques canons et commandée par le colonel Younghusband, a donc envahi le sol thibétain et s'est retranchée à Khambajong.

Le Grand lama, de son côté, a armé ses montagnards, et fait savoir qu'il n'ouvrirait aucune négociation avec l'Angleterre tant que celle-ci n'aurait pas évacué le territoire qu'elle occupe indûment.

Qu'adviendra-t-il de cet ultimatum ?

Pour le moment, les officiers anglais, sous prétexte de négocier avec les Thibétains, s'efforcent de gagner du temps. Les routes à travers les montagnes sont impraticables en hiver. Mais, le printemps venu, le colonel Macdonald amènera des renforts, prendra la direction de l'expédition et pénétrera dans la vallée du Tchembi, la clef du Thibet. Et le tour sera joué.

On peut déjà prévoir l'époque prochaine où le léopard britannique aura posé sa griffe sur cette terre vierge...

Reste à savoir, toutefois, si l'ours moscovite, qui veille là-haut, au Nord, mais qui, heureusement pour les Anglais, est très occupé par le conflit avec le Japon, le laissera faire ?

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6 mars 1904. Nouveaux massacres en Chine

L'impératrice douairière présente à l'empereur les têtes des mandarins accusés d'avoir favorisé les intérêts russes

6 mars 1904. Têtes de mandarins. Le Petit Journal, Supplément illustré, et la Chine  1890-1913, 1921-1931.


Le bruit avait couru ces jours derniers de la mort de l'impératrice douairière de Chine, Sy-Tay-Héou. La nouvelle était fausse. Cette cruelle femme vient de prouver qu'elle est encore bien vivante en faisant procéder à de nouveaux massacres de ses sujets.

En 1900, lors du soulèvement de la Chine contre les Européens (soulèvement dont elle fut l'instigatrice), nous avons donné le portrait et rappelé la vie de cette virago couronnée.

S. M. Sy-Tay-Héou a aujourd'hui soixante-dix ans : son énergie morale et physique ne l'a point abandonnée. Elle est toujours la véritable souveraine du pays, et c'est elle qui ordonne, tandis que son neveu, le malheureux empereur Kouang-Su, qu'elle terrorise et tient sous son étroite dépendance, ne règne sur la Chine que de nom.

L'approche de la mort n'a point amené la pitié dans cette âme farouche. L'impératrice demeure l'irréconciliable ennemie de ceux que les Chinois appellent « les diables d'Occident ». On se rappelle que le maréchal Sou a payé de la prison, de la ruine et de l'exil sa loyauté à l'égard de la France. Aujourd'hui, l'impératrice s'en prend aux Russes.

L'horreur qu'elle a voué aux Européens, et aux Russes en particulier, s'étend à tous ceux qui ont favorisé leurs intérêts dans l'empire chinois. Ces jours derniers encore, S. M. Sy-Tay-Héou a ordonné la mort d'un certain nombre de hauts fonctionnaires mandchous accusés de s'être montrés trop conciliants, trop favorables aux intérêts et à l'influence russes.

« Devant son impérial neveu épouvanté, disent les journaux d'Extrême-Orient, l'impératrice a fait apporter au bout de piques les têtes des mandarins exécutés, et, longuement, elle a repu ses yeux de cet horrible spectacle. »

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20 novembre 1904. Au Thibet. Le dalaï-lama de Lhassa fuit la domination anglaise

20 novembre 1904. Dalaï-lama en fuite. Le Petit Journal, Supplément illustré, et la Chine  1890-1913, 1921-1931.

Les Anglais, gens actifs, sinon scrupuleux, savent diriger les actes de leur politique extérieure avec un esprit d'à propos qu'aucune considération sentimentale ne saurait affaiblir.

Leur « raid » au Thibet en est un nouvel exemple éloquent.

Seuls, les Russes eussent pu s'opposer au coup de main que, de longue date, les fils d'Albion projetaient sur l'immense région thibétaine, encore si peu connue, dont Lhassa est la capitale.

Or, les Russes se trouvant suffisamment occupés en Mandchourie, l'Angleterre, sans s'arrêter à de vains scrupules, a saisi l'occasion propice de se jeter sur ce pays.

Le colonel Younghusband, à la tête de contingents anglais, se mit en route vers Lhassa, à l'effet d'imposer la domination britannique au dalaï-lama, qui règne en cette cité des moines.

Le 25 juillet dernier, les Anglais franchissaient le Brahmapoutre ; Le 1er août, ils étaient en vue de Lhassa ; Le 3, l'expédition entrait dans la ville sainte.

Peu de coups de fusil avaient été tirés contre elle par les troupes thibétaines. Mais la tactique du dalaï-lama de Lhassa, Grand prêtre bouddhique, n'en était pas, cependant, plus favorable a l'influence anglaise.

Pendant toute la marche de l'expédition, il avait envoyé au colonel Younghusband message sur message pour l'adjurer de ne pas pénétrer dans la capitale.

Le colonel n'en ayant tenu aucun compte, le dalaï-lama se refusa formellement à entrer en négociations avec lui.

À l'approche des Anglais l'homme-Dieu quitta la ville sainte et se réfugia dans un monastère, à une vingtaine de milles de Lhassa.

Mais, se trouvant encore trop près des envahisseurs et ne voulant à aucun prix subir leurs exigences, il a pris la détermination de quitter le Thibet et de se réfugier en Mongolie.

C'est ainsi que notre gravure de première page le montre en route — en fuite pourrait-on dire — avec sa suite. Il se rend, près d'Ourga, au couvant de Ghendane, où il sera à l'abri des menées de l'ambitieuse Angleterre.

Cette fuite a bouleversé d'abord tous les projets des Anglais. Ce n'était pas tout d'avoir pris Lhassa : il fallait encore régulariser la situation. Or, le Grand lama ne voulait pas traiter, et les Anglais, s'ils tenaient à imposer leur influence, se refusaient à la conquête effective.

Cette fois encore, les scrupules, d'ailleurs, n'arrêtèrent pas longtemps les envahisseurs. Ils trouvèrent aisément un bonze ambitieux pour constituer un conseil de régence et signer un traité.

Reste à savoir comment le peuple thibétain, si attaché aux choses de sa religion, si respectueux de l'autorité de son grand pontife, accueillera les termes d'un traité conclu en dépit de sa volonté, d'un traité signé avec les envahisseurs impitoyables qui ont, de leur présence impure, déshonoré Lhassa, la cité défendue ?...

Quant à la diplomatie européenne, elle ne semble pas s'être autrement émue de cette violation flagrante des traités, de cette audacieuse atteinte à l'intégrité de l'empire chinois, dont, ne l'oublions pas, le Thibet est une des provinces principales. Un de nos parlementaires demandera-t-il compte à M. Delcassé de son silence et de son désintéressement dans cette importante affaire ? Est-il besoin de lui rappeler que la France, à son tour, est en droit d'exiger une compensation en Extrême-Orient ?

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La famine en Chine

3 mars 1907. Famine 1. Le Petit Journal, Supplément illustré, et la Chine  1890-1913, 1921-1931.

3 mars 1907.

La famine sévit cruellement, en ce moment, dans certaines parties de l'empire du Milieu. La neige a empêché les semailles ; les décès dus au froid et à la faim augmentent, et la population, les enfants surtout, sont en proie à de grandes souffrances.

Des mandarins ont été envoyés dans les régions désolées par la famine, avec mission de distribuer des secours. Certains d'entre eux ont eu à affronter d'effroyables colères de la part des populations minées par la faim.

Les comité de secours créés par les étrangers, pour venir en aide aux malheureuses victimes du fléau, s'accordent à déclarer que l'organisation indigène chargée de le combattre a manqué à sa mission. Le fonctionnarisme chinois est lent et compliqué.

Les autorités locales ont fait preuve d'un aveuglement sans excuse. Elles savaient que la dernière récolte avait été insuffisante ; néanmoins elles attendirent que la famine causât les plus grands ravages pour s'apercevoir, enfin, qu'il y avait des mesure à prendre. Le formalisme extrême-oriental demeure immuable, même lorsque des existences humaines sont en jeu.

10 avril 1921. Famine 2. Le Petit Journal, Supplément illustré, et la Chine  1890-1913, 1921-1931.

10 avril 1921.

Dans certaines contrées de l'immense empire, la sécheresse prolongée a réduit la population à une affreuse misère. La disette d'aliments et le typhus ont déjà fait plus de 50.000 victimes.

« Dans un grand nombre de provinces, disait récemment un correspondant du Temps, les habitants, par milliers, meurent d'inanition. Les récoltes ont été très mauvaises : il a été impossible d'amener du riz et du millet en quantité suffisante. Tous ceux qui peuvent fuir les districts maudits s'empressent d'émigrer. Les autres se nourrissent de paille, de feuilles desséchées, d'herbe, de détritus de toute sorte. Les parents, quand ils trouvent un acquéreur, vendent leurs enfants ; le choléra et le typhus ont déjà fait leur apparition ; des familles entières se suicident dans un accès de désespoir. »

Le même auteur raconte que ce qui l'a frappé partout où sévit la famine, c'est la résignation fataliste des populations en face du fléau.

« Nulle part le moindre sentiment de révolte, le moindre désordre. C'est une chose stupéfiante pour un Occidental. Puisqu'ils ne trouvent plus de nourriture, ils n'ont qu'une ressource : mourir. Telle est, en un mot, l'attitude et la mentalité de tous les Chinois.

Il m'arriva, ajoute-t-il, de causer avec un pauvre homme qui avait mis en gage ce qui lui restait de vêtements. Que deviendrait-il, une fois dépensé le dollar qu'il avait reçu ? Il se mit à rire d'un rire triste, comme si je lui posais une question ridicule. — Que faire, répondit-il, sinon mourir ? — Mais n'y a-t-il pas moyen de trouver une autre issue ? De nouveau le rire reparut : — Quelle issue peut-il y avoir ? Pas de nourriture et pas d'argent pour en acheter. Aucun autre endroit où aller. Donc, il n'y a qu'à attendre ce qui doit nécessairement arriver. »

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5 février 1911. La Chine se modernise.

À Shanghaï, des Chinois font en public le sacrifice de leur natte.

5 février 1911. Nattes. Le Petit Journal, Supplément illustré, et la Chine  1890-1913, 1921-1931.

L'évolution de la Chine vers la civilisation occidentale ne se manifeste pas seulement dans l'ordre militaire et administratif.

Un mouvement considérable se produit en ce moment dans les grandes villes chinoises en faveur du costume européen, et surtout contre la vieille tradition de la coiffure chinoise.

C'est ainsi que ces jours derniers, à Shanghaï, cinq cents Chinois héroïques, réuni sur une place publique, sont montés l'un après l'autre sur une estrade et, en présence de quatre mille de leur compatriotes, ont renoncé à l'appendice chevelu et natté qui, de temps immémorial, a fait l'ornement du chef et du dos des fidèles sujets du Fils du Ciel.

De telles manifestation de la part d'un peuple si attaché naguère à ses coutumes et à son costume ne doivent pas nous intéresser seulement par leur pittoresque. Elles caractérisent un état d'esprit nouveau, de nature à nous faire réfléchir, car le triomphe de la civilisation occidentale, transformant la Chine en puissance industrielle et militaire, n'irait probablement pas sans faire courir à l'Europe les plus graves dangers.

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12 février 1911. La peste en Mandchourie.

Les populations, fuyant devant le fléau,
sont arrêtées par les troupes chinoises aux abords de la Grande muraille.

12 février 1911. Peste mandchoue. Le Petit Journal, Supplément illustré, et la Chine  1890-1913, 1921-1931.

La peste fait en ce moment une guerre sans merci aux habitants de la Mandchourie. Nous avons, dans notre « Variété », résumé l'histoire des dernières épidémies en Extrême-Orient. Celle qui sévit en ce moment comptera parmi les plus implacables.

On estime qu'il meurt environ mille personnes par jour dans la Mandchourie du Nord, et si les efforts de vingt-deux médecins ont réussi à arrêter le développement du mal à Kharbine, la ville chinoise de Foudziadian n'est plus qu'une cité des mort. Tout esprit de lutte ou de résistance à disparu chez les habitants qui y demeurent encore. Ils y attendent stoïquement leur sort.

Des rues entières ont été incendiées et l'on croit qu'il sera nécessaire de brûler toute la ville. Dans les maison encore debout, le habitants cachent les décès, dans la crainte de se voir transportés dans les camps d'isolement, ce qui équivaut à une mort certaine. Tous les matins, les rues sont jonchées de cadavres jetés là pendant la nuit.

La marche foudroyante de la maladie a quelque chose d'effroyable. On cite nombre de cas de gens qui, paraissant bien portant lorsqu'ils se présentèrent à l'inspection des médecins, chancelèrent tout à coup au milieu des rangs et tombèrent morts avant même que les médecins eussent eu le temps d'arriver jusqu'à eux.

Dès les premières manifestations du fléau, une foule de coolies chinois épouvantés ont fui de Moukden et des villes environnantes et ont gagné le Sud ; mais le gouvernement chinois avait pris des dispositions pour les empêcher de franchir la Grande muraille. Et tous ces malheureux viennent se heurter aux cordons de troupes qui défendent le passage, et demeurent là, privés de tout, dans les campagnes désolées.

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15 septembre 1912. La discussion de la loi sur le costume européen en Chine.

Un Parlement transformé en salon d'essayage.

15 septembre 1912. Loi et costume. Le Petit Journal, Supplément illustré, et la Chine  1890-1913, 1921-1931.

Les parlementaires sont bien partout les mêmes. Ils négligent volontiers les questions vitales pour le pays et passent leur temps à discuter de ce qui les intéresse personnellement ou de ce qui les amuse.

C'est ainsi que le Parlement chinois vient de donner une importance considérable à la discussion d'une loi sur l'habillement européen. Ils ont traité cette question du costume avec un formalisme minutieux digne des plus beaux jours du Céleste Empire.

Alors que tant de problèmes urgents, vitaux, devraient s'imposer à leur attention, ils ont discuté de l'habillement pendant une dizaine de séances. Notez que ces parlementaires laborieux siègent neuf heures par jour.

Une semaine durant, la Chambre fut transformée en atelier de modes parisien. On y voyait étalés des complets d'hommes et des toilettes de femmes de toutes coupes. Une trentaine de modèles de chapeaux étaient posés sur des porte-manteaux. Les députés se livraient à des essayages successifs.

Entre temps, les orateurs faisaient étalage de leur érudition. L'un d'eux essaya de démontrer que la jaquette chinoise, actuellement à la mode, est d'origine tartare. Un autre cita les anciennes lois concernant les costumes.

Enfin, l'Assemblée a voté la loi suivante :

Art 1. — Tous les fonctionnaires, quelque soit leur grade, portent des vêtements à l'européenne, à savoir une redingote noire, un chapeau haut de forme en soie chinoise et des bottines vernies. Dans la vie ordinaire, ils portent le chapeau Derby en feutre.

Art 2. — Le Chinois sans titre doit également porter chapeau haut de forme et redingote à l'occasion de grandes cérémonies.

Art. 3. — Les militaires, les policiers, les magistrats et les étudiants portent leurs uniformes.

Art. 4. — Les femmes se coiffent de chapeaux à l'européenne, mais, pour le reste, elles gardent les costumes en usage jusqu'ici.

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