Léon Wieger (1856-1933)

Couverture400. Léon WIEGER (1856-1933) : Rudiments. Morale et Usages

RUDIMENTS.    4. MORALE ET USAGES

Imprimerie de la Mission catholique de l’orphelinat de T’ou-sé-wé, Chang-hai, deuxième édition, 1905, 548 pages.

  • Préface : "Ce volume comprend deux parties distinctes. Il contient 1° des échantillons d’exhortations au bien, gloses empruntées aux trois sectes confucianistes, bouddhistes, taoïstes ; morale vulgaire, la morale savante ayant sa place dans les Textes théo-philosophiques... 2° des notions sur les usages populaires, tels du moins qu’ils sont dans le Tchêu-li, car les usages chinois varient avec les provinces... Toutes ces choses sont bonnes à savoir."
  • Henri Cordier : "Le R. P. Wieger vient de faire paraître un nouveau volume de ses Rudiments, qu’il appelle une œuvre de vulgarisation et que nous appelons une grande œuvre, qui rend d’immenses services au public européen, quoiqu’elle ne lui soit pas destinée".
  • C. B. Maybon : "Depuis le premier volume des Rudiments, nous savons que le père Wieger n’écrit point pour les sinologues ; il n’écrit pas davantage pour le general reader ; il écrit uniquement pour les missionnaires... Il sait bien cependant, malgré qu'il en ait, que ses ouvrages ne rendent pas des services aux seuls missionnaires, et sont lus par tous ceux qui, de près ou de loin, s’intéressent aux choses chinoises."

Table des matières

  • MORALE : Gloses confucianistes sur : la piété filiale - la concorde entre frères - la concorde entre covillageois - la nécessité de travailler pour vivre - l’économie - la conservation de la vie - la nécessité des écoles - le devoir d’instruire ses enfants et ses cadets - les rits - les sectes. - les impôts.
    Gloses hybrides : Garder son cœur - Régler sa conduite - Régler sa famille - Actes méritoires - Les trois préceptes - Rituel des enfants.
    Gloses taoïstes : Catéchisme. - Gloses bouddhistes : Catéchisme.
  • USAGES : Fêtes annuelles - Noces - Adoptions, etc… - Funérailles.

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Concorde entre villageois

Depuis les temps anciens jusqu’à présent il y a eu des villages et des hameaux ; ceux qui y habitent juxtaposés sont covillageois.

Ces hommes qui habitent le même village, cultivent la terre ensemble, travaillent ensemble ; en sortant et en rentrant ils ne cessent de se voir ; les coqs s’entendent chanter, les chiens s’entendent aboyer ; vivant ainsi enchevêtrés les uns dans les autres, unis, les uns par la parenté, les autres par l’amitié, tous sont liés les uns aux autres. Y a-t-il un incendie, tous vont travailler au sauvetage. Y a-t-il un voleur, tous courent après. Quelque affaire qu’il y ait, on s’aide mutuellement.

Arrive-t-il un bonheur, tout le village y participe. Arrive-t-il un malheur, tout le village en souffre.

Quand le village est petit et la population peu nombreuse, tous sont aisément intimement unis. Quand le village est devenu grand et les habitants nombreux, si les enfants jouant ensemble en viennent à se disputer, il est inévitable que les parents n’aient des altercations. Il y a aussi les poulets et les chiens qui causent des dégâts. Puis on médit ; en causant on dit des choses qui ne conviennent pas. Il y a des débiteurs qui ne restituent pas ; des emprunteurs qui ne rendent pas. Je ne saurais énumérer toutes les occasions, mais c’est, la plupart du temps, pour un motif de ce genre que l’on est en discorde, que l’on se dispute, que l’on se bat, que l’on ne se parle plus. Hai ! pensez donc au proverbe : Le mot fût-il au bout de la langue, retiens-en la moitié ; eusses-tu parfaitement droit, cède cependant de trois dixièmes : Si vous en agissiez de la sorte, en moins de deux ou trois jours ces querelles seraient apaisées. Mais vous ne savez rien endurer. Dès que vous voyez chose qui ne vous va pas, dès que vous entendez un mot qui déplaît à votre oreille, aussitôt il vous faut aller frapper et maudire. Eh, n’y songes-tu pas ? Si toi tu sais maudire, les autres aussi ont des bouches ; si toi tu sais frapper, les autres aussi ont des mains ; si tu sais chercher, ton avantage, les autres eux aussi ne sont pas des imbéciles. Que si de la dispute il résulte un procès, il faudra débourser. Si tu perds, tu n’auras plus la face. Si tu gagnes, eux chercheront à se venger. Si tu te bats et tues quelqu’un par maladresse, il te faudra subir la peine du talion. Le proverbe dit : Plutôt être mal avec un parent éloigné qu’avec un proche voisin ; plutôt être mal avec un proche voisin qu’avec son vis-à-vis !

Figure-toi que les gens d’un même village en viennent à s’entre-détester et à se haïr toute leur vie d’une haine qui, transmise à leurs fils et petits-enfants, ne pourra pas encore être éteinte ; n’est-ce pas là semer pour ses descendants une moisson de malheurs ? A mon avis, il faudrait que les gens d’un même village, voisins, attenants et vis-à-vis, soient tous bons amis et se souviennent du proverbe, que l’on n’est pas puni pour avoir fait mourir de rire. Ah si dans les affaires grandes et petites, on savait se céder. Si, quand on se rencontre, on se traitait avec respect. Si, quand il y a un enterrement ou une noce, on allait aider, contribuer, féliciter. Si, en cas de malheur, on s’entre-secourait. Si, en cas de maladie, on se visitait. Si, en cas de dispute, on allait exhorter les combattants à en finir, la concorde régnerait bientôt. N’aidez pas les processifs à faire des procès ; ne poussez personne à la dispute ; ne laissez pas vos animaux endommager les moissons d’autrui ; n’apprenez pas aux enfants à voler ce qui est aux autres ; n’usez pas d’un cadavre pour nuire au prochain ; oisif, n’allez pas jouer avec de mauvais drilles, ou faire de mauvais coups avec des vauriens. Quand vous verrez quelqu’un de vos covillageois dans le malheur, aidez-le. Si vous placez à intérêt, ne prenez pas plus de trois dixièmes. Si un débiteur insolvable vous doit une dette arriérée, ne l’exigez pas trop impitoyablement, et ne lui faites pas payer d’intérêts composés. N’allez pas, fort de votre richesse et de votre influence, vexer les faibles et les pauvres !

Et vous gradués, bacheliers, kien-cheng, licenciés, docteurs, civils ou militaires, gardez-vous de vexer les laboureurs. Songez-y bien, jadis quand vous avez obtenu votre degré, et que le courrier en a apporté la nouvelle, tous vos concitoyens sont venus vous féliciter avec respect. Ils se disaient en eux-mêmes : Dans le rayon d’un grand arbre, on n’est pas atteint par la gelée. Et encore : Un brave homme est la protection de trois villages ; maintenant que notre village a produit un notable, bien sûr que désormais il aura soin de nous. Et voilà que, tout au contraire, fort de ton grade, tu usurpes les terres et les femmes d’autrui, tu escroques leur argent, tu recèles pour les voleurs et organises le jeu, lésant en tout tes concitoyens. Dans ces actes de tyrannie, tu comptes sur l’indulgence du mandarin avec qui tu es bien ; mais le ciel te pardonnera-t-il ?

Il est vrai que les pauvres, quand ils ont emprunté l’argent des riches, ne devraient pas attendre à tel ou tel jour, mais bien rendre avec empressement dès qu’ils ont de quoi. Le proverbe dit : Si on met le même zèle à restituer qu’à emprunter, on ne trouvera aucune difficulté à emprunter une autre fois. Gardez-vous d’emprunter avec l’intention de ne pas rendre.

Si dans le village il y a des mauvais drôles, il faut les éviter avec soin et avoir peu de rapports avec eux. Que si on ne peut les éviter, il faut leur céder, et dans les discussions, et dans les affaires ; s’ils t’offensent quelque peu, il n’y faut pas prendre garde ; alors comment te feraient-ils du mai ? Ne dit-on pas : Passe encore d’offenser dix honnêtes gens, mais ne vous frottez pas à un gredin... Si tu pratiques cet axiome, il paraîtra que tu as de l’expérience. Quand on a affaire à des brutaux, il ne faut pas pointiller sur la politesse. Quand on a affaire à des sots, il ne faut pas l’être comme eux.

Mais voilà que les chercheurs d’affaires répliquent et disent : Si on me fait tort, et que je lui laisse passer la chose ; si tous mes covillageois, l’un après l’autre, viennent ensuite me vexer, comment pourrai-je encore vivre ?

Eh ! as-tu oublié ce que disent les anciens, que ce sont ceux qui savent supporter un dessous qui s’en tirent ? Et cet autre axiome, dénouez mais ne nouez jamais d’inimitié ! Hai ! tout cela vient de ce que tu ne peux te résoudre à avoir le dessous ! Dès que tu n’es pas content, il te faut contester avec les gens. Quand il s’en sera ensuivi une affaire, vouloir alors te désister, ne te servira de rien ; la chose ne finira, que quand tu auras souffert de gros dommages. Auparavant, si tu avais cédé quelque peu, à la vue de ta générosité et de ta patience, peut-être qu’il se serait repenti de sa faute. Que s’il avait continué à te vexer, tout le monde l’aurait flétri comme un mauvais drôle, oppresseur des braves gens. Tu vois bien que, si tu souffres ce petit tort, il n’y a pas de quoi l’en affecter. Tout le monde le voit de bon œil, et personne ne te taxe de faiblesse ; chacun a envie d’avoir des rapports avec toi. Si l’argent te manque, on t’en donnera. Si tu as quelque affaire, on t’aidera. N’est-ce pas là, par un petit dommage, acheter un grand avantage ?

Jadis un homme achetait une propriété. Comme on en demandait mille taëls, il dit : Elle ne vaut que cinq cents taëls... Le vendeur répondit : Cinq cents taëls pour la propriété, et cinq cents pour le voisinage !.. D’où il appert, que l’important n’est pas tant la propriété, que son voisinage. Si parmi les voisins, gens demeurant ensemble, il y a des coquins, on ne peut vivre en paix. Si, au contraire, tous sont de braves gens, chacun profitera de la bonté de l’autre, et deviendra meilleur par son exemple. Le proverbe dit : Avec les bons on devient bon, avec les méchants on devient méchant.

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Économie

Comme les hommes doivent vivre, manger, se vêtir, et avoir des relations, il leur faut chaque jour dépenser, et, par conséquent, il n’est pas de jour où ils puissent se passer d’argent. Il y a deux espèces de dépenses ; celles qui sont quotidiennes, et celles dont on ne sait pas quand il faudra les faire. Combien il faudra de pièces de toile pour s’habiller durant l’année, combien de grains on mangera durant l’année, cela peut se calculer. Mais pour ce qui est des frais à faire pour la naissance d’un enfant, pour les relevailles de la mère, pour une noce, pour le mariage d’une fille, pour une maladie ou une mort, pour un enterrement, dans toutes les familles cas pareils se présentent continuellement, mais on ne saurait les calculer d’avance. Que si tu n’as aucune économie dans tes dépenses, si tu ne mets rien de côté, quand pareille affaire se présentera, avec quoi t’en tireras-tu ? Le proverbe dit fort bien : Le jour où tu as de quoi, pense au jour où tu n’auras rien, de peur qu’au temps de la pauvreté tu ne regrettes le temps de la richesse. Cela revient à dire que, au temps où l’on a de l’argent, il faut savoir épargner sur sa dépense, et mettre un peu de côté, en prévision des occasions de dépenser qui se présenteront ensuite ; que si l’on attend, pour y penser, que la dépense soit urgente, ce sera trop tard.

Mais les hommes ne veulent pas prêter l’oreille à ces bons enseignements et répondent étourdiment : Quand on a du vin, il faut le boire ; car, à la mort, il faudra le laisser... Et, ce disant, ils dépensent follement au gré de leur caprice.

Pareille conduite est bien différente de celle que tenaient les anciens. Au temps jadis, à cinquante ans seulement on pouvait se vêtir de soie, à soixante-dix seulement on permettait de manger de la viande. Le gouvernement ne permettait pas de tuer sans motif suffisant les porcs ou les bœufs. Il s’ensuit que, en ces temps-là, le peuple vivait de thé et d’aliments communs. Ils donnaient, comme raison de leur frugalité, que le lot de jouissance alloué par le destin à chaque homme pour la durée de sa vie, est limité ; que retrancher sur le manger ajoute au bonheur, retrancher sur les habits ajoute à la durée de la vie ; que si on excédait dans la jouissance, il était à craindre qu’on ne brisât son bon destin, et que, devenu vieux, on n’eût plus que des misères. Ce n’était pas comme de nos jours, où les paysans, dès qu’ils ont eu une bonne année, boivent du vin, chantent la comédie, bâtissent des pagodes, tiennent des réunions, vaines dépenses après lesquelles il est naturel qu’ils soient à sec. Si, quand l’année est bonne, on dépense tout, quand viendra une mauvaise année, ne sera-ce pas une misère ?

Et ceux qui sont nés riches, auxquels leurs ancêtres ont, à force d’économie, en rognant sur leur nourriture et leurs habits, amassé une fortune ; n’entendant rien de rien, ils dépensent cet argent follement ; s’ils voient quelqu’un vêtu de sole, il leur faut aussitôt s’habiller de satin ; s’ils voient quelqu’un à cheval, il leur faut aussitôt un palanquin ; en un mot, il leur faut primer, être admirés, voilà tout ; leur crainte continuelle est d’avoir le dessous et d’être moqués... Eh ! Si aujourd’hui tu aimes la dépense, si demain tu aimes jeter l’argent, à force de dépenser, tu auras dissipé en peu d’années les richesses gagnées par les ancêtres ; après cela tu vendras tes maisons et tes terres ; quand tu auras fini de vendre, alors que dépenseras-tu ? Avec quoi entretiendras-tu ton train ?.. Toi dont la bouche est si gourmande et les mains si paresseuses ; toi qui ne sais ni porter un fardeau sur l’épaule, ni un panier à la main ; quand tu seras tombé dans cette misère, comment la supporteras-tu ? Si tu es de mœurs paisibles, il te faudra mendier ; si tu n’obtiens pas de quoi, il te faudra mourir de faim au bord d’un chemin. Si tu es hardi, tu te feras peut-être voleur ou brigand ; si tu es pris, tu seras battu et décapité. De ceux qui te verront dans cet état, personne qui ne glose sur ton compte. Même tes ancêtres, par concomitance, y perdront leur honneur. Si donc tu as si peur d’être moqué, eh bien épargne un peu, mets de côté, pourvois à l’avenir, et tout ira bien.

Mais comment faire pour pratiquer l’économie ?.. Pratiquer l’économie, ce n’est pas être pingre. C’est dépenser ce qui convient, et ne pas dépenser ce qui ne convient pas. Cela revient à ne pas excéder son degré, en ce qui concerne le vêtement et la nourriture, et voilà tout. Mieux vaut qu’on dise de toi, que tu ne sais ni jouir, ni poser, que de ruiner ta maison en cherchant à être bien vu.

Même dans le cas d’une noce ou d’un enterrement, il faut s’en tenir à ce dont on est capable ; il ne faut pas, en cherchant à toute force à avoir la face, gaspiller vainement son argent. Si la famille de la fille achète en excès des nippes et des bijoux ; si la famille du garçon fait chanter une comédie et donne un festin par trop luxueux, des deux cotés on fera bien des dettes. Tu dis que tu en agis de la sorte par amour pour tes enfants. Eh ! Si de la vie tu n’arrives à acquitter les dettes que tu as faites ; si elles passent à ces enfants et les mettent à l’étroit, pour toute leur vie, est-ce là les aimer ?

Il est vrai que, pour les enfants, quand ils ont perdu leurs parents, leurs funérailles sont chose de première importance : aussi doivent-ils, pour être pieux, mettre tous leurs soins à acheter le cercueil, les habits, et à déposer leurs parents en paix. Mais pourquoi dressez-vous une baraque splendide ; pourquoi louez-vous un corbillard somptueux ; pourquoi appelez-vous des bonzes, des taocheu, des bonzesses, des comédiens, des prieurs, des musiciens ; pourquoi faites-vous des figures en papier ; pourquoi tirez-vous des feux d’artifice ; pourquoi inviter des cérémoniaires, exagérer les rits et les marques du deuil, engager des écuyères, chanter la comédie, payer des baladins pour monter à l’échelle de sabres et faire des tours, tant et si bien que, à force de musique, de danses, de jeux et de bruit, les funérailles de vos parents en viennent à avoir l’air d’un grand festival ?! Le proverbe dit : Un pauvre ne doit pas avoir de riches funérailles ! Il faut faire autant qu’on peut et puis fini. Gardez-vous de dépenser de telle manière que vous soyez ensuite réduits à la misère !

De même, lors du nouvel an et des autres fêtes annuelles, quand on invite des parents ou des amis, il faut se contenter de faire comme font les autres ; il faut suivre l’usage local et ne pas s’efforcer de primer ! Faites comme il faut et puis suffit ! Ne faites pas de l’argent le cas qu’on fait de l’eau que l’on verse sans la mesurer !

Si chaque année, par vos économies, vous mettez un peu en réserve, bientôt vous ne serez plus pauvres, et peu à peu vous en viendrez à être aisés.

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Garder son cœur

Il en est du cœur de l’homme, comme de la racine des arbres et du pédoncule des fruits. Il faut en avoir le plus grand soin, et prendre garde qu’il ne se gâte. Si on agit en tout conformément à cette participation de la li céleste qui constitue la bonté originelle, on agira tout naturellement bien, on sera tout naturellement, comme il faut, un brave homme en un mot. Que si le cœur est souillé et les penchants viciés, tout naturellement on ne pourra faire aucune bonne action ; que si parfois on fait quelque peu de bien, ce ne sera, au fond, que pour en imposer aux gens, et se donner l’apparence d’un brave homme ; mais, à la longue, on découvrira bien la feinte. Car un arbre dont la racine est gâtée, eût-il quelques rameaux et quelques feuilles, il ne sera cependant jamais aussi luxuriant, qu’un autre dont la racine est saine. Et le fruit dont le pédoncule est brisé, quoiqu’il tienne encore, si on ne fait que le toucher de la main, il tombera aussitôt. C’est pourquoi je vous exhorte à entretenir avec soin votre cœur, de peur qu’il ne se gâte. Comment cela ? Les lettrés, par exemple, en se conformant soigneusement à la doctrine exprimée dans les livres. Il faut, quand on lit un beau trait, se dire, désormais j’en ferai autant ; quand on lit une chose mauvaise, il faut se dire, je ne ferai certainement pas cela. Quand on voit un brave homme, il faut s’ingénier à l’imiter ; quand on rencontre un méchant, du plus loin il faut l’éviter ; ainsi, tout naturellement, on aura le cœur grand et lumineux, et on agira correctement.

Songez-y bien, qu’y a-t-il qui ne vienne originairement du cœur ? Ne lisons-nous pas continuellement dans l’histoire les louanges prodiguées par tous les âges à certains hommes pour leur fidélité ou leur piété filiale ; et d’un autre côté, les malédictions dont, de génération en génération on en accable d’autres, à cause de leurs fourberies et de leurs impudicités ; ces bonnes actions des uns, ces mauvaises actions des autres, ont eu leur source dans leur cœur. C’est pourquoi je vous le dis à présent, avant tout il faut garder son cœur bon. Le cœur de l’homme est mobile. Quand on le fait bon, il devient bon ; quand on le rend mauvais, il devient mauvais. Si en toutes choses vous suivez la bonté de votre cœur, vous serez équilibré comme une balance, et ne pourrez faire le mal. Dans l’enfance il faut garder à son cœur l’amour de l’étude ; devenu grand il faut lui conserver l’émulation pour le bien ; sous la tutelle des parents il faut lui conserver ses sentiments de piété filiale ; en charge, sa fidélité ; à la vue d’un pauvre, ses instincts bienfaisants ; à l’aspect du malheur d’autrui, sa compassion ; à la vue du bien d’autrui, rejetez ses convoitises ; à l’aspect de la femme ou de la fille d’autrui, ne lui laissez pas concevoir de désirs impurs ; à la vue du talent d’autrui, ne concevez pas de jalousie ; quand le prochain obtient des grades, n’en ayez pas de ressentiment ; dans vos pensées de chaque jour, conservez votre droiture ; dans les actes de toute votre vie, conservez votre honnêteté. Si en tout vous suivez la bonté de votre nature, quoique à présent vous n’en retiriez aucun avantage, vous en aurez plus tard. L’adage dit : L’auguste ciel ne laisse pas sans récompense les hommes dont le cœur est bon. Les chênn et les koèi vous protégeront invisiblement, et, par suite, tous vos malheurs disparaîtront.

Si, sous prétexte que le cœur étant caché dans le ventre, et personne ne voyant si on le garde bon ou non, vous vous laissez aller librement au dérèglement de vos convoitises, peut-être que, de fait, vous arriverez assez facilement à tromper les hommes, mais vous ne pourrez jamais tromper le ciel, la terre, les koèi et les chênn ; chaque mauvaise action que vous aurez faite, invisiblement ils vous la noteront ; chaque bonne œuvre que vous aurez faite, secrètement ils vous l’inscriront ; au jour des comptes, quand on examinera votre livret, peut-être que vous n’arriverez pas à vous disculper mais alors il sera trop tard pour vous repentir.

Il y a plus. Le cœur est comme la racine de la prospérité ; les actions en sont comme les germes ; le corps de l’homme est comme le vase qui doit la renfermer. Si on commence par rendre bons, à force de soins, la racine et les pousses, tout naturellement il en sortira de bons rameaux et de bonnes feuilles, la floraison et la fructification seront aussi excellentes. Que si de plus vous perfectionnez par de bons soins votre personne, il n’est rien sur la terre que vous ne puissiez accomplir. Hélas, les hommes, sans s’occuper le moins du monde de leur cœur et de leur personne, ne pensent qu’à devenir opulents, à acquérir gloire et prospérité. À mon avis, les lots de richesse et d’opulence sont déterminés d’avance en ce monde ; demandez donc seulement d’être préservés de malheur ; pourquoi songer follement et chercher à vous hisser à un bonheur auquel vous n’êtes pas prédestinés et que vous ne devez pas obtenir ? A-t-on jamais vu quelqu’un semer de l’herbe, pour récolter du sorgho ou du millet ; ou bien vouloir transporter de lourdes charges, dans un bateau brisé ? De tout temps il y a eu du bonheur pour les hommes de ce monde ; est-ce que, pour toi seul, il n’y en aurait pas ? Si tu vis en homme à qui le bonheur soit dû, il y en aura pour toi. Or, sache-le bien, le capital avec lequel on achète la prospérité, ce sont les bonnes actions. Aie sans cesse en mémoire et devant les yeux les bonnes œuvres que tu dois faire chaque jour ; sois-y continuellement appliqué des pieds et des mains ; ne recule pas devant la peine et l’humiliation ; car, pour une bonne œuvre tu recevras un bonheur, pour dix biens tu recevras dix bonheurs ; si donc tu t’appliques au bien de toutes tes forces, il n’est bonheur que tu ne puisses gagner.

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Les trois préceptes

Les anciens disaient, ne pas détruire une seule lettre, c’est le chemin de la considération ; ne pas gâter un grain de riz, c’est la racine de la richesse ; sauver une vie, si petite soit-elle, c’est un brevet de longue vie. Si vous enseignez cette doctrine aux enfants, et faites en sorte qu’ils en conservent soigneusement la mémoire et ne l’oublient pas de toute leur vie, ce sera pour eux un grand bonheur. Je vais donc vous entretenir de ces trois sujets si importants.

Le premier est, comme nous venons de le dire, le respect que l’on doit avoir pour le papier couvert d’écriture. N’importe où vous en aurez vu un morceau, il faut le ramasser, le brûler aussitôt, ou le conserver dans un panier. Chaque école à un meuble à cet usage ; sur les murs des villes sont fixés des tonnelets appelés king-tcheu-teou. Quiconque a ramassé un millier de caractères, a allongé sa vie d’un an. Un vieux proverbe dit : Ramasser une feuille de lettres, c’est mieux que de brûler un paquet d’encens.

Si vous voulez arriver à connaître les lettres, il faut commencer par leur porter respect.

Après avoir amassé une quantité notable de papier couvert d’écriture, et l’avoir réduit en cendres, il faut porter ces cendres à la rivière, ou bien creuser une fosse et les y enterrer.

Si on aperçoit quelque écrit dans la fosse d’aisances, il ne faut pas, parce qu’il est souillé, omettre de le ramasser, mais il faut le laver proprement, puis le sécher et le brûler.

Si vous traitez l’écriture avec irrévérence, vous aurez beau aller à l’école et étudier, vous ne serez jamais qu’un sot.

Il ne faut pas non plus permettre aux femmes de se servir d’un livre comme étui de leurs patrons de couture ; c’est là chose qui porte malheur. Continuellement on voit des accouchements laborieux ; cela vient d’avoir abusé des livres pour y serrer des patrons ; remplacez vite le livre par un autre objet sans lettres, et la femme sera sauvée. Chacun a des filles et des brus. Il faut leur apprendre cela.

Il ne faut pas non plus se servir d’écrits pour essuyer ceci et frotter cela ; ou bien pour coller les fenêtres, pour faire du carton ; car tout cela est mal.

En résumé, il ne faut pas feuilleter un livre avec des mains malpropres. Il ne faut pas jeter un écrit dans un endroit malpropre. Il ne faut pas, de dépit, déchirer un feuillet couvert d’écriture. Il ne faut pas se servir d’écrits pour faire une couverture à un livre. Il ne faut pas éparpiller des bouts de papier couverts de caractères. Il ne faut pas laisser gisant un feuillet de lettres. Il ne faut pas couper le papier couvert de lettres, avec des ciseaux ou avec un couteau ; si on le fait, on renaîtra muet. Il n’est pas licite de se servir d’écrits pour tapisser les huches à grain. Il ne faut pas les mâcher puis les cracher par terre. Il ne faut pas écrire sur du papier fait de paille. Il ne faut pas mettre près d’un livre des objets malpropres. Il ne faut pas, quand on a brûlé des écritures, en jeter les cendres à terre, il ne faut pas écrire de mauvaises paroles. Il ne faut pas frotter des écrits sur le mur pour en faire une boule. Il ne faut pas essuyer la table avec du papier écrit, ni jeter un cahier à terre, ni se faire un oreiller avec des livres, ni envelopper des objets dans du papier écrit, ni s’en servir pour allumer sa pipe. Il ne faut pas écrire des lettres sur la terre ou sur les murs. Quand on marque la ponctuation dans un livre, il ne faut pas le barbouiller à tort et à travers. Voilà la première chose importante.

La deuxième c’est de ne pas abuser du grain. Songez que les céréales sont le trésor qui entretient la vie des hommes ; que le ciel leur a donné naissance pour que les hommes s’en nourrissent, et non pas pour qu’ils en abusent. Il faut en considérer les grains comme autant de perles, et, quand on en aperçoit un par terre, le ramasser aussitôt. Il faut aussi faire, en présence du génie de l’âtre, le vœu de ne jamais abuser du grain. Je vais vous expliquer la matière de ce vœu. Il faut battre jusqu’à ce qu’il ne reste absolument plus de grains dans l’épi. Quand la moisson est encore dans le champ, il faut la botteler avec des liens en paille de sorgho, pour éviter qu’on ne la foule aux pieds. Il faut balayer avec soin les grains épars autour de l’étable des bêtes de trait et du parc aux cochons. Si, parmi les grains écorcés, il y en a qui ne le soient pas, il faut les trier à la main. Si, dans la balle, il reste des grains, il faut les retirer en vannant. Chaque année, après la moisson, il faut balayer les grains épars dans le champ. Si, dans l’eau qui a servi à laver le riz, il reste des grains, il faut les retirer. Il faut ramasser chaque grain tombé par terre. Il ne faut pas se servir de bouillie pour coller, mais bien de salep. Il ne faut pas se servir d’empois de farine pour empeser les habits, mais encore de salep.

Que si vous ne cessez de faire peu de cas et d’abuser du grain, le ciel vous aura en haine, et vous serez tué par la foudre.

Le troisième point capital, comme nous avons dit plus haut, c’est de ne pas tuer d’êtres vivants. Les anciens ont dit : si tu veux vivre longtemps, il faut donner la liberté à des animaux vivants. Aimer les êtres vivants, c’est s’aimer soi-même. Si tu les sauves de la mort, le ciel te sauvera dans le malheur. Méditez avec soin ce quatrain.

Et cependant on voit tous les jours les enfants dénicher les moineaux, prendre les abeilles, attraper les mantes, piquer les grenouilles, prendre des sauterelles ou des papillons ; tout cela ce sont des tueries, que les parents doivent empêcher, de peur que les enfants en ayant pris l’habitude, n’aient pas, devenus grands, le respect voulu pour les êtres vivants. Il est dit dans les livres : En marchant, prends garde aux fourmis !... Voyez, les fourmis sont des êtres extrêmement petits, et cependant il n’est pas permis de leur nuire ; a fortiori n’est-il pas permis de nuire à ceux qui sont plus grands... Je vous le dis, tâchez que vos enfants gardent quelque chose de leur bonté native ; quand ils verront des moules hors de l’eau, qu’ils les y rejettent ; quand ils verront des marchands de poisson vivant, qu’ils les leur achètent et les remettent dans la rivière ; tout cela ne coûte guère d’argent, et chacun peut le faire. À Sou-tcheou il y avait un certain Han qui aimait à donner la liberté à des êtres vivants ; chaque jour il prenait un balai et allait se promener sur le bord de la rivière ; voyait-il des animaux aquatiques sortis de l’eau, vite il les y rejetait ; aussi ses descendants obtinrent-ils tous des grades. Un autre, nommé P’eng, qui sauvait aussi tous les êtres qu’il voyait en danger de périr, passa premier à la licence. Vous voyez, par ces exemples, combien grande est la récompense de ceux qui délivrent des vivants. Alors pourquoi, pour manger une bouchée, n’avez-vous pas égard à la vie de tant d’êtres ?!

J’ai encore d’autres bonnes choses à vous dire. Tous les hommes ont été engendrés pat leurs parents. Il faut enseigner aux enfants, qu’il ne leur est pas permis de les maudire. C’est là une des pires coutumes des villageois. Si l’enfant prend l’habitude de maudire étant petit, quand il aura grandi, il ne pourra plus s’en défaire. Le nombre de ceux que cet abus a rendu malheureux n’est pas petit. Il faut donc s’y prendre à temps pour leur apprendre qu’il ne faut parler que proprement, et ne pas semer ses discours de paroles ordurières.

Il faut aussi leur apprendre à vénérer le ciel et la terre, les koèi et les chênn. Que, pour leurs grands ou leurs petits besoins, ils se détournent du soleil et de la lune ; il ne faut pas non plus qu’ils les fassent en pleine route, car si quelque chênn ou quelque génie passait, cela l’offenserait et il y aurait péché. Et puis, quand on bâtit des lieux d’aisances, il faut les couvrir d’un toit et ne pas les laisser à ciel ouvert, de peur que le chênn du ciel ne s’en offense. Les anciens ont dit : Avoir brûlé pendant mille jours des parfums de première qualité, est moins méritoire qu’avoir pendant un seul jour couvert une fosse d’aisances... Alors pourquoi les hommes lésinent-ils sur ce point ?

Et puis encore. Qu’à la chaude saison, les gens dorment tout nus dans leur cour ou dans la rue, cela n’est pas seulement vilain, c’est encore offenser les chênn, et il y a certainement péché. Sous les rayons du soleil ou de la lune, à la lueur de la lampe, en présence du Génie de l’âtre, il faut éviter de se mettre à nu. La nuit si, pour une nécessité, on est contraint de se lever, il faut jeter sur soi quelque vêtement, et passer son pantalon, avant de descendre du k’ang. Tout cela, pour marquer son respect au ciel, à la terre, aux koèi et aux chênn.

Souiller l’eau, faire ses besoins grands ou petits dans la rivière, est mal aussi ; ne tombez pas dans ce défaut.

Le premier et le quinze de chaque mois, le jour anniversaire de la mort de vos parents, brûlez des parfums. Sinon, vous serez puni dans votre vieillesse.

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Fêtes annuelles

Dès le commencement de la douzième lune, les boutiques grandes et petites font toutes leurs comptes. Elles commencent par envoyer à leurs débiteurs un billet ainsi conçu, un tel, un tel, doit tant d’argent ; suit la date, puis, au bas, l’enseigne de la boutique, avec deux petits cachets ; vers le quinze, muni d’un sac à sapèques, on va demander payement à domicile. Ceux qui sont à l’aise, paient aussitôt. Ceux qui n’ont pas la somme sous la main, promettent de payer tel jour. Ceux qui prévoient qu’ils ne pourront pas s’acquitter, se cachent quand on vient réclamer, et ne rentrent à la maison que le trente, pour passer l’année. Dès que la première lune est commencée, on ne réclame plus les dettes ; il faut attendre le 5 de la cinquième ou le 15 de la huitième lune pour en reparler.

Le vingt de la douzième lune, les mandarins de tous les prétoires renferment leur sceau. On dépose le sceau sur le tribunal, et tous les satellites et les scribes étant réunis, sous la direction de quatre cérémoniaires, le mandarin lui fait des prostrations. La cérémonie terminée, on écrit sur une bande de papier : le sous-préfet a avec respect, à telle date, à telle heure, renfermé son sceau ; grande prospérité !.., on y applique le sceau, puis on la colle à droite de la seconde porte. Après que le sceau a été renfermé, s’il ne s’agit pas d’un meurtre ou autre cas extraordinaire, on ne s’occupe d’aucune affaire ; ce n’est que l’an d’après, le 20 de la première lune, quand le sceau a été retiré, qu’on reçoit de nouvelles accusations.

Le 23 de la douzième lune, on sacrifie au Génie de l’âtre. Les brus qui seraient dans leur propre famille, doivent absolument être revenues pour ce jour-là dans la famille de leur mari ; il ne leur est pas licite de sacrifier à l’âtre dans leur propre famille ; celles qui sont prévoyantes, sont revenues quelques jours auparavant. Pour le sacrifice à l’âtre, on se sert de bonbons, pour emmieller la bouche du Tsaowang, afin qu’il ne dise pas de mal au Laot’ienye. On offre aussi de la paille et du grain pour le cheval du Tsaowang. On offre aussi un bol d’eau pour abreuver le cheval. Après avoir allumé trois baguettes d’encens et fait la prostration, on allume le Tsaowang. Pendant qu’il flambe, on prie ainsi : Monsieur le Tsaowang, quand vous serez arrivé au ciel, ne dites pas de mal de nous : pendant l’année que vous avez passée ici, vous avez été enfumé et flambé, vous n’avez guère mangé ; bon vieux, si en entrant ou en sortant on vous a parfois manqué, ne nous en veuillez pas. Nous n’entendons rien aux manières. Vous êtes généreux. Quand vous serez arrivé chez Laot’ienye, de grâce parlez en bien de nous !.. Ces prières faites, on mange les bonbons et c’est fini. Il y a un couplet ridicule, ainsi conçu : Quand on offre des bonbons au Génie de l’âtre, le nouvel an est venu ; la petite fille veut des fleurs, le garçon des pétards, la vieille un chignon neuf, si bien que le vieux casse son bol de dépit. Le rit du sacrifice à l’âtre se fait, sans distinction de riches et de pauvres, dans toutes les familles. Il n’est personne qui ne le fasse (il se fait en grande pompe au palais impérial).

Après le 20 de la douzième lune, dans toutes les familles on balaie la maison. Cela se fait au jour indiqué chaque année par le calendrier impérial ; si on ne prenait pas cette précaution, on offenserait peut-être le chênn de la poussière, et il y aurait des maladies. Une fois le 23 passé, inutile de choisir un jour spécial, car on ne saurait plus offenser le T’oukiao ; en effet, il est allé au ciel avec le Tsaowang et les Mênn-chenn pour déposer son mandat ; il n’y a donc plus rien à craindre.

Après le 20 de la douzième lune, on se met aux préparatifs du nouvel an. Ceux qui ont des dettes, après avoir décidé s’ils en paieraient tout le montant ou la moitié seulement, voient combien il leur reste d’argent, puis vont au marché faire leurs emplettes, de la viande, des légumes, des noix, des jujubes confites, du papier rouge, des dieux tutélaires, un Tsaowang, du papier-monnaie, des pétards ; du piment, de la badiane, des oignons, du gingembre, de l’ail ; il faut une masse de choses. Quand les achats sont terminés, il faut encore réserver quelque monnaie pour les pourboires du jour de l’an. Quand dans la maison il y a une jeune bru, il faut que les beaux-parents lui donnent ce jour-là quelque argent, selon leurs moyens. Puis on égorge les porcs, on moud de la farine, on cuit du pain à la vapeur, on fait des beignets à la viande ; tout le monde est affairé.

Quand les préparatifs sont terminés, on découpe le papier rouge qu’on a acheté, en autant de paires de bandes qu’il y a de portes ; on découpe aussi deux grands losanges par porte, puis on prie un calligraphe de vous les écrire, et le 28 ou le 29 on les colle. Quand les toéi-ze sont collés, on colle sur les battants, ou des losanges, ou des images des génies protecteurs : Sur le rouleau à broyer, sur le moulin, sur la voiture, sur l’auge des animaux, un peu partout, on colle des billets de prospérité. Sur ces billets sont écrits ces mots : nouvel an, grande prospérité et profit. Sur le rouleau on écrit : dragon vert, prospérité et profit. Sur le moulin on écrit : tigre blanc, bonheur et gain. Quand tout est collé, on colle le nouveau Tsaowang. Alors, dans toute la cour, dans toute la maison, tout est neuf et brillant ; vraiment tout a un air de nouvel an.

Quand les toéi-ze, les Mênn-chenn et le Tsaowang sont collés, on colle des lanternes. Quand elles sont collées, on y trace des lettres ou non, ad libitum. Par exemple : abondance des cinq graines ; paix et prospérité ; ou bien on y écrit des énigmes.

Enfin le 30, quand tout est terminé, avant de dormir on étend dans la cour une couche de paille de sésame, opération appelée ts’ai-soei. On fait cela pour entendre si quelque chênn ou koèi approchait. Cette nuit-là P’ihouze a coutume de voler les beignets. Il vole ceux des pauvres pour les apporter aux riches. C’est que les pauvres, ayant toute l’année vécu des riches, il y a là une espèce de rétribution. Avant de dormir, on tire des pétards dans la cour, on allume une lampe sur la console du Tsao-wang qui doit brûler toute la nuit. Il y en a qui font réveillon en mangeant des beignets et buvant du vin, puis se couchent. Si cette nuit-là quelqu’un frappe à la porte, on ne répond pas, de peur que ce ne soit un koèi. À minuit, tout le monde se lève pour passer l’année.


En Chine, le premier de la première lune, est le jour capital dans toute l’année. Sans distinction de pauvres et de riches, tout le monde se lève à la cinquième veille pour passer l’année. On commence par faire des offrandes au ciel, à la terre, au génie de la propriété, au Tsaowang. Quand on les fait, on tire des pétards multiples et simples, on brûle de l’encens et on se prosterne. Puis les enfants de la famille, pour souhaiter la bonne année aux parents, leur font une prostration, mais sans offrande ni encens. Après ces souhaits de nouvel an, on mange des kiào-ze.

Le mandarin du district souhaite la nouvelle année à l’empereur dans le temple de Confucius.

Quand on a fini de manger les kiào-ze, toute la famille, hommes et femmes, jusqu’aux petits enfants, tous vêtus de rouge et de vert, et portant des fleurs, sortent, afin que ceux des générations inférieures souhaitent la bonne année à ceux des générations supérieures ; les familles se visitent réciproquement, et les uns font la prostration, les autres la révérence, selon que les rits l’exigent. Dans la rue, quand on se rencontre par groupes, on se salue en disant : Grande joie en ce nouveau printemps ! Puissiez-vous devenir riche !.. Quand les femmes se rencontrent, elles se saluent aussi, en disant : Le nouveau terme est arrivé !.. Quand Tchang-san rencontre les enfants de Li-sen, il leur donne quelques sapèques ; c’est ce qu’on appelle tai-soei-ts’ien.

Quand on a fini de se promener ainsi, on va au cimetière avec du papier-monnaie et des pétards. Quand on y est arrivé, on allume le papier, on tire les pétards, on fait la prostration devant les tombes. Ceux qui ne peuvent se rendre au cimetière, font ces cérémonies à la maison, devant les tablettes des ancêtres. Ensuite ceux qui ont des parents par alliance demeurant non loin d’eux, vont le jour même leur souhaiter la bonne année ; ceux qui sont trop loin, y vont le 2 ou le 3, le 4 ou le 5.

Ceux qui aiment jouer aux sapèques, cherchent ensuite un tripot de jeu, et jouent, soit à la roulette, soit aux gros dés, soit aux dominos. Les femmes jouent aux cartes ou aux dés. Il y a des réunions d’hommes seulement, il y en a de femmes seulement, il y en a où les deux sexes sont mêlés, assis en rond, par trois ou six, par sept ou huit ; à force de jouer, pour une petite chose de rien on finit par se disputer. Le proverbe dit : Le vin rend amis, et le jeu ennemis ! La plupart des honnêtes gens ne jouent pas pour de l’argent. Les tripots sont bondés de monde, grandes personnes et enfants, au point que le vent et la pluie n’y pourraient pas passer ; tous crient sans désemparer, as, deux, etc. On joue ainsi jusqu’au 16 ou 17, puis c’est fini. Si on joue plus longtemps, on fait chose défendue, et le mandarin peut saisir. Mais il y a des désœuvrés qui jouent toujours en cachette. Les braves gens se remettent au travail vers le 16 ou le 17 ; les maîtres rouvrent alors leurs écoles, les ouvriers reprennent leur ouvrage.


Le 15 de la première lune est le principal terme de l’année, que l’ont fête partout. Le matin de ce jour, beaucoup remangent des kiào-ze ; on tire aussi des pétards, on offre des mets, on brûle de l’encens. Quand on a fini de déjeuner, grands et petits s’en vont, dans leurs plus beaux atours, brûler de l’encens à la pagode. Il y a foule dans la rue, tous menant avec eux leurs enfants, pour voir des tours ou jouer aux sapèques. Il y a des tours de toute espèce. Le jour ce sont les échassiers, les équilibristes, des baladins, des panoramas ; le soir on allume les lanternes.

Le jeu des échasses est donné par les garçons, habillés les uns en hommes, les autres en femmes ; les hommes ont le visage peint, portent une fausse barbe et des habits semblables à ceux des comédiens ; ceux qui représentent des femmes, ont des costumes de femmes comme à la comédie, portent un bonnet et sont coiffés comme des femmes ; tous ont des bâtons de trois pieds de long et épais comme une tasse à thé, attachés aux pieds, et s’avancent ainsi en gesticulant et faisant des contorsions. Ils sont accompagnés d’hommes qui frappent sur des instruments, cymbales, tamtam et tambours. Quand ils ont fini de parcourir le village, ils vont encore faire un tour dans les autres villages. Les spectateurs de ces exhibitions sont sans nombre, et l’on passe ainsi la journée. Le soir on allume les lanternes dites lóu-teng, on tire des feux d’artifice et des fusées, on manœuvre le dragon et le bateau sec. Dans toute la rue on suspend des lanternes vénitiennes et des oriflammes.

Les lóu-teng sont des bouts de moelle de sida, dont une extrémité est entourée de coton trempé dans l’huile. Tandis que les musiciens et les baladins suivent par derrière, tout en marchant, on pique ces falots par-ci par-là. On dit généralement qu’on les allume pour les morts. Tous ceux qui meurent avant le temps, Yen-wang ne les ramasse pas. Ne trouvant pas le chemin du monde inférieur, ces âmes errent sur la terre, et y font des désordres. Les gens piquent pour elles, au bord des chemins, aux carrefours, à l’ouverture des puits, au bord des mares et des rivières, ces falots qu’on allume, et qui luisent un instant puis s’éteignent. Au moyen de cette lueur, les âmes errantes peuvent trouver le chemin pour aller se réincarner.

On suspend aussi des lanternes dans les rues. Il y en a en verre, en gaze, de carrées, de rondes ; elles sont éclairées avec des bougies ou avec de l’huile, et ne sont pas pour les morts.

Les feux d’artifice de village, consistent à bourrer un tube en fer de poudre d’artifice. Cette poudre est faite avec du charbon, du soufre, du salpêtre et de la limaille de fer ; quand on y met le feu, il s’élève une flamme pleine de fleurs de poirier, haute comme une maison.

Les fusées sont une espèce de pétard, mais bourré avec de la poudre d’artifice ; quand on y a attaché un roseau et qu’on l’a allumée, la fusée s’envole dans l’espace, laissant après elle une traînée de feu.

Qu’est-ce que le dragon lumineux ? C’est une peau de dragon, langue de deux toises, faite avec de la toile jaune ; on peint dessus des écailles, on y ajoute une queue en filasse, on étend le tout sur une carcasse en bambou, on dispose des lanternes allumées à l’intérieur, on attache le tout au haut d’une dizaine de perches, que dix hommes portent en gesticulant de manière à faire serpenter le dragon.

Pour le tour de l’équilibriste, deux hommes portent par les bouts une grande barre de porteur, sur laquelle se tient à cheval, en équilibre, un homme coiffé d’un chapeau d’été surmonté d’une azerole en guise de bouton, un corbeau mort dans la main gauche, un éventail de plumes déchiré dans la main droite, vacillant à chaque pas, à la grande joie des spectateurs.

Pour ce qui est du bateau à sec, c’est un simulacre de bateau fait en bambou recouvert de toile. Un homme déguisé en femme semble être assis dans le bateau, de telle manière qu’on ne lui voit que le haut du corps, tandis que ses pieds touchent la terre. À côté de lui se tient un homme qui, armé d’un bambou, semble manœuvrer la barque ; chaque fois qu’il donne une poussée, la fausse femme de la barque court. On s’amuse à ces jeux jusqu’à minuit, puis on se disperse.

Quand aux panoramas européens, ce sont des verres dans lesquels on voit toute sorte de choses. Pour regard une fois, on paie trois grandes sapèques.

Le lendemain seize, on s’amuse encore tout le jour et toute la nuit ; le 17 et le 18, on visite encore les villages d’alentour ; vers le 19, on n’a plus le temps, et l’on se remet à travailler.


Le 20 de la première lune, dans tous les prétoires on tire les sceaux. On remet encore le sceau sur le tribunal, et le mandarin lui fait les quatre saluts et les quatre prostrations d’usage. Tous les satellites et scribes sont à leurs postes. Quand le mandarin a terminé les rits, il s’assied. Alors les satellites se prosternent devant lui en disant : Puissiez-vous obtenir un degré d’avancement !.. Puis, s’étant levés, ils font trois tours, s’agenouillent et disent : Puissiez-vous monter comme le soleil !.. Puis, s’étant encore relevés et ayant fait trois tours, ils s’agenouillent et disent : Grande prospérité pour l’ouverture du sceau !.. On écrit alors une grande bande rouge, portant ces mots.. Le sous-préfet a avec respect, en l’an X de Koangsu, le 20 de la première lune, à l’heure mào, repris le sceau. On applique le sceau sur la bande, que l’on colle à gauche de la seconde porte, et l’affaire est finie.

Le 25 de la première lune, dans toutes les maisons grandes et petites, on fait les rits pour obtenir que les greniers et les paniers soient remplis cette année-là. Si une bru est chez ses parents, il faut qu’elle revienne pour ce jour-là chez son mari ; car la jeune femme fait partie de la famille du mari, laquelle doit être au complet pour cette cérémonie. Après le lever, ce jour-là, on fait avec de la cendre, dans la cour et sur l’aire, de grands cercles dans lesquels on inscrit des croix, et à l’intersection des croix on dépose une poignée de grains, recouverte d’une brique, sous laquelle est fixé un bout de tige de sorgho portant un bâton d’encens ; on dépose encore sur la brique un peu de bouillie et de légumes, puis on tire des pétards. Le sens de ce rit est de demander une bonne récolte. Il y a des incrédules qui appellent ce jour, pour rire, la fête des poules et des chiens ; car les poules et les chiens mangent la poignée de grains déposée sous la brique, et les mets déposés dessus.

La veille du premier jour du printemps (4 février), dans chaque prétoire on fait un bœuf en papier jaune, le bœuf du printemps ; on fait aussi un homme de papier armé d’un fouet, appelé Yao-ma, qui pousse le bœuf par derrière. Si le Yao-ma a des souliers, il fera sec cette année-là ; s’il a les pieds nus, l’année sera pluvieuse. Quand le collage est terminé, on porte le bœuf et le Yao-ma à l’est de la ville, où une baraque avec table et chaises a préalablement été dressée. Le mandarin, le seu-ya, le petit mandarin militaire, les uns en palanquin, les autres en voiture, d’autres à cheval, sortent tous à l’est de la ville. Il y a une foule de spectateurs. Les petits métiers sont tous de corvée ce jour-là. Un tailleur est déguisé en femme, avec un chignon. Le préposé de la gabelle porte sur le dos un grand panier plat, simulant une écaille de tortue. Des paysans suivent avec des claies et des charrues. Il doit y avoir des représentants de toutes les professions. Actuellement ils paient le mandarin, pour être dispensés de cette mascarade. Avant de partir du prétoire, on fait l’appel dans la grande salle, puis le mandarin monte en palanquin, suivi de tout le personnel du tribunal. Quand le mandarin est sorti du prétoire, un cavalier l’arrête ; se jetant à bas de son cheval, il s’agenouille devant le mandarin et dit : J’annonce !.. Les valets lui ayant demandé : Qu’annonces-tu ?.. Il répond : J’annonce grande joie pour le Lào-ye en ce nouveau printemps !.. Alors un valet prenant un paquet en papier rouge, contenant une centaine de sapèques, le lui jette en criant : Récompense ! L’autre, sautant sur son cheval, reprend les devants et arrête de nouveau le cortège. À l’arrivée du mandarin, il démonte de nouveau, s’agenouille et dit : J’annonce !.. Quoi ?.. J’annonce de l’avancement à notre Lào-ye... Un valet lui jette derechef un paquet de sapèques en criant : Récompense ! L’homme remonte vite à cheval, et va attendre à la porte de l’est. Quand le mandarin va sortir de la ville, il démonte, s’agenouille, et dit encore : J’annonce !.. Quoi ?.. Que notre Lào-ye montera comme le soleil !.. Un valet jette de nouveau un paquet de sapèques en criant : Récompense ! On annonce ainsi trois fois de suite, et on récompense trois fois. Les trois paquets de sapèques sont à qui les attrape. Après cela, on va là où est dressé le bœuf du printemps. Les mandarins s’asseoient dans la baraque, boivent le thé et mangent des bonbons, tandis qu’on sert un dîner au bœuf. Quand les mets sont disposés devant lui, quatre cérémoniaires viennent se mettre à genoux devant les mandarins pour les inviter. Alors tous trois s’agenouillent devant le bœuf. Puis, au signal donné par les cérémoniaires, ils font des prostrations, offrent les mets et font des libations au bœuf ; ils se lèvent et se prosternent, se prosternent et se relèvent, selon l’usage. Le rit fini, tous s’en reviennent au prétoire. C’est ce qu’on appelle aller à la rencontre du printemps. Le lendemain, des satellites vont démolir le bœuf à coups de fouet, et l’affaire est finie. On appelle cela taper le printemps. Ce jour-là, les paysans observent le temps. Si le ciel est clair, l’année sera bonne ; s’il est couvert, l’année sera mauvaise. Le proverbe dit : C’est une rare fortune que le ciel soit serein tout le jour du tà-tch’ounn.

Les trois jours qui précèdent le ts’îng-ming (5 avril) s’appellent hàn-cheu-tsie (terme du manger froid). Au temps de Tsinn-wennkoung, un mandarin fidèle nommé Kie-tcheut’oei l’accompagna dans une expédition lointaine. Dans le voyage les vivres vinrent à manquer. Kie-tcheut’oei se coupa un morceau de chair, l’apprêta et le servit à Tsinn-wennkoung. Quand on fut de retour, on récompensa les officiers qui avaient accompagné le prince. Tsinn-wennkoung ayant en vain cherché Kie-tcheut’oei, l’envoya quérir chez lui. Il était allé avec sa mère se cacher dans les monts Mienchan, Tsinn-wennkoung l’ayant fait vainement chercher par toute la montagne, y fit mettre le feu pour l’obliger à se découvrir. Quand les broussailles et les herbes furent en feu, la mère et le fils, s’étant obstinés à ne pas sortir, furent brûlés vifs. Tsinn-wennkoung attristé de leur mort, publia, dans le village où il se trouvait, un édit ordonnant qu’on lui rendit un culte ; il défendit aussi d’allumer du feu durant les trois jours qui précèdent le ts’îng-ming. On garde encore mémoire de ces choses, mais on n’observe plus cette coutume.

Le jour du ts’îng-ming (5 avril), tout le monde va au cimetière. Les familles qui ont des terres communes dont les revenus sont affectés au cimetière, font un banquet ce jour-là ; chaque mâle de chaque famille, fût-ce un petit-enfant, reçoit une part ; les filles et les femmes ne comptent pas. Après le déjeuner, tous s’en vont au cimetière avec des pelles et des pioches, brûlent du papier-monnaie, remblaient le tumulus, et déposent sur le sommet deux feuilles de papier-monnaie chargées d’une grosse motte de terre. Après cela on revient, et on prépare le dîner en commun ; après le repas, chacun revient chez soi. À ce terme, on dégage aussi les terres hypothéquées, dont le contrat est périmé. Une fois le ts’îng-ming passé, il n’est plus permis de les racheter pour cette année, parce que c’est le temps des semailles, où personne ne vend ni n’achète plus de terres.


Le terme du 5 de la cinquième lune date de K’iu-yuan de la principauté de Tchou. Comme le prince de Tch’ou ne se conduisait pas bien, il alla l’exhorter. Le prince ne l’ayant pas écouté, il donna sa démission et se suicida en se jetant à l’eau. Plus tard, comme les hommes, en lui rendant leur culte, lui jetaient du riz dans la rivière, les poissons mangeaient tout, sans qu’il en pût rien attraper. Il apparut alors en songe à quelqu’un, et demanda qu’on lui enveloppât son riz dans des feuilles de bambou. Plus tard on appela cela tsoúng-tze. Au tribunal, dans les écoles, aux médecins, les tsoúng-tze s’envoient en cadeau ; on s’en sert aussi pour les offrandes rituelles. On les fait soi-même, ou on les achète ; tout le monde en mange. Le proverbe dit : Quand le 5 de la cinquième lune on a mangé des tsoúng-tze, on ne s’impatiente pas. Ce terme est un des plus considérables, et est fêté par tout l’empire. Dans toutes les écoles on festoie ; les paysans aussi font un petit extra. Les obligés envoient des présents ; on se fait mutuellement des cadeaux, échange de bons procédés. Les marchands réclament le paiement des dettes à cette époque.

Entrée dans la canicule. Le chou-fou ne tombe pas un jour fixe de l’année lunaire ; il suit les termes solaires. C’est le troisième jour keng après le solstice d’été, qu’on appelle chou-fou. Il est marqué dans le calendrier, mais ce n’est pas un grand terme. Le proverbe dit : On fête la première décade de la canicule avec des kiào-ze, la seconde avec du vermicelle, la troisième avec des galettes et de l’omelette. Quand on est dans la troisième décade, l’automne est déjà commencé (7 août). Le proverbe dit : Il y a encore une décade de canicule en autômne. Quand le chou-fou est arrivé, le prétoire prend ses vacances d’été ; on ne traite pas alors les petites affaires.


Tout le monde appelle le 15 de la septième lune, terme des koèi ; tous vont au cimetière, brûlent du papier-monnaie, et offrent des pastèques. Dans les villes, le soir de ce jour, le Tch’êng-wang sort faire sa ronde. Des satellites le portent, les mandarins des divers tribunaux suivent par derrière, des bonzes et des taocheu font de la musique, c’est un beau tapage. De temps en temps on le dépose, et on lui offre des mets. Au signal des cérémoniaires, les mandarins font des offrandes et des libations, les prostrations et les rits d’usage. Les marchands étrangers qui, éloignés de leurs familles, ne peuvent pas ce jour-là aller au cimetière, brûlent du papier-monnaie pour leurs ancêtres défunts devant le palanquin du Tch’êng-wang ; leur idée est que le Tch’êng-wang enverra des koèi le leur porter. Il y a des brûleurs de papier en quantité. Après quelque temps, on le porte plus loin, on le dépose encore, ou lui ressert des mets, on lui refait des rits, on brûle encore du papier. Quand on a été partout, on le rapporte, et on le réinstalle dans sa pagode, fort avant dans la soirée. On appelle cette cérémonie Ramasser les koèi. On allume aussi, cette nuit-là, des lanternes ; elles se composent d’une demi-écorce de pastèque dans laquelle on pique une lumière, puis on fait flotter ces lampes sur les étangs et les rivières, afin que les âmes des noyés trouvent le chemin pour aller se réincarner. Tout le monde dit cela, mais il n’y a pas moyen de savoir sil y a quelque chose au fond.


Le 15 de la huitième lune est un terme encore plus considérable que le 5 de la cinquième ; on le célèbre partout. Au prétoire, dans les écoles, en s’envoie des présents. Les fils et filles nominalement adoptés, envoient aussi leur corbeille. Les médecins reçoivent beaucoup de cadeaux, des pastèques, des gâteaux de la lune, des raisins, des poires, du vin, de la viande. Ce soir-là on boit du vin, au clair et en l’honneur de la lune ; les hommes invitent les femmes, les femmes provoquent les hommes à boire. On offre aussi des haricots verts. Car on dit que dans la lune il y a un petit lièvre, qui aime les haricots. À Pékin on l’appelle t’ou-eullye. On vend ses images. Chaque famille en achète une, et lui fait ses offrandes, avec pétards et prostrations, après quoi on la brûle. À cette époque on réclame aussi le paiement des dettes.


Le 9 de la neuvième lune, est un terme scolaire ; il est inconnu aux paysans. Le maître et ses élèves, portant avec eux du vin et de la viande, sortent du village, cherchent une éminence, et montent si haut qu’ils peuvent monter, de manière que rien ne gêne la vue, puis font des vers et des compositions lyriques, parlent des vieux textes, et puis fini. On donne, comme origine de cette coutume, l’histoire suivante ; un devin dit à un individu, que tel jour il lui arriverait malheur, s’il ne se mettait en garde. Cet homme sortit avec toute sa famille, et resta un jour entier dehors. Quand il revint, les poules et les chiens de sa maison étaient tous morts de mort violente ; l’infortune qui le menaçait était passée. De là vint la coutume, pour n’être pas chez soi ce jour-là, de sortir et de monter sur une éminence. Les pelletiers observent avec soin, ce jour-là, si le temps est couvert ou clair. Si le ciel est couvert, l’hiver sera tiède et les pelleteries seront bon marché. Si le ciel est serein, l’hiver sera froid et les peaux seront chères. Le proverbe dit : Si le 9 de la neuvième lune il a fait clair, l’hiver sera rigoureux ; si non, l’hiver sera doux.


Le premier jour de la dixième lune, est aussi un terme des morts. Tout le monde achète du papier pour habits d’hiver dont on fait toute sorte d’habits, et des kaki. Puis, on va au cimetière, on brûle du papier-monnaie et ces habits de papier, on offre les kaki. On a ainsi remonté la garde-robe des morts.

Le Tch’êng-wang fait aussi sa ronde ; les mandarins lui font les mêmes cérémonies que le 15 de la septième lune. Cela s’appelle lâcher les koèi. On brûle aussi du papier-monnaie devant le Tch’êng-wang ; d’autres vont en brûler aux carrefours.


Le matin du 8 de la douzième lune, tout le monde mange la bouillie du 8 de la douzième. On met dans cette bouillie plusieurs espèces de grains et de fèves, des macres et des jujubes. Quand elle est à point, on en applique un peu sur la porte, pour les Mênn-chenn. Puis on en frotte un peu sur les jujubiers, pour qu’ils portent beaucoup de fruits.

Une fois ce jour passé, les jeunes femmes retournées dans leur famille, doivent revenir au foyer. Dans les familles où jamais on ne mange de bouillie, on en fait ce jour-là. L’empereur lui-même députe un grand mandarin pour la faire, et en envoyer aux princes du sang et aux hauts fonctionnaires. On dit que cette bouillie chasse la froidure, et qu’après l’avoir mangée, de tout l’hiver on n’a pas froid.

N’importe quand une épidémie éclate, le peuple fait le simulacre de passer les fêtes du nouvel an. On dit qu’on trompe ainsi le chênn qui préside à cette année, et qu’on le fait s’en retourner pour déposer son mandat, ce qui met fin à l’épidémie. On fait tout comme le jour du nouvel an ; on se la souhaite, on mange des kiào-ze, on ne travaille pas.

Chaque année l’observatoire impérial instruit l’empereur de la date des éclipses de lune. L’empereur en avise les vice-rois des provinces. Ceux-ci le font savoir à tous les préfets et sous-préfets. Quand le moment est arrivé, le mandarin revêt son costume officiel, et se met en devoir de sauver la lune ; il allume des bougies et de l’encens ; au commencement du phénomène, il s’agenouille trois fois, faisant trois prostrations à chaque fois ; au maximum de l’éclipse, il refait le même rit ; item à la fin, quand la lune est sortie de l’ombre. Les paysans observent, durant l’éclipse, l’image de la lune reflétée dans un bol d’eau exposé à ses rayons ; dès qu’ils voient l’image trembloter, les uns frappent sur des bassins de cuivre, les autres sur des tamtam. La théorie est qu’un certain hei-cha-t’ienchenn est en train de dévorer la lune. Quand on fait un beau vacarme, il prend peur, la crache, et n’ose pas l’avaler.

Quand une comète paraît, tout le monde dit que c’est d’un mauvais augure pour l’empire. L’observatoire en avertit l’empereur. C’est que, dans les chroniques, on dit toujours que, si telle ou telle dynastie a eu tel et tel malheur, c’est qu’il avait paru une comète, après laquelle ce malheur arriva.

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Adoptions, etc.

Qu’est-ce que l’usage dit ītzeu leang poutsûe (par un seul fils éviter deux extinctions) ?.. Soit deux frères ; le cadet a un fils unique ; l’aîné n’en a pas ; on s’arrange pour l’élever à deux ; il passe pour appartenir à moitié à son oncle, à moitié à son père. Puis son propre père lui donne une femme, son oncle lui donne aussi une femme ; il a ainsi deux femmes légitimes de même rang, appartenant à des branches différentes. Après sa mort, on enterrera cet homme aux pieds de son oncle et de son père, au milieu, entre les deux. Par après, les fils que lui aura donnés la femme reçue de l’oncle, seront comptés à cet oncle et enterrés devant lui ; les fils que lui aura donnés la femme reçue de son père, seront comptés au père et enterrés devant lui. Voilà ce qu’on appelle empêcher l’extinction de deux familles au moyen d’un seul garçon. Ce mari hérite naturellement, et de son oncle, et de son père.

Qu’appelle-t-on koúo-ki ?.. Soit une famille de trois frères ; le cadet a des fils ; le puîné a des fils ; seul l’aîné n’a pas de fils. Un fils de l’un de ces deux frères, peut et doit être adopté par l’aîné, mais il faut voir qui en a plusieurs. Car, si le puîné n’en a qu’un, le cadet deux, c’est un fils du cadet qui devra être adopté, le puîné n’aura rien à dire. Si le cadet n’en a qu’un, le puîné deux, c’est un fils du puîné qui doit être adopté, le cadet n’ayant rien à dire. Si le puîné et le cadet en ont un égal nombre, c’est un fils du puîné qui doit être adopté ; le cadet n’a rien à dire. Si le puîné et le cadet sont sans enfants, et que l’aîné en ait trois, il doit en donner un au puîné et un au cadet, de sorte que tous en aient autant, qu’aucune lignée ne soit éteinte, et que tous aient qui leur porte le guidon et leur casse la tuile. Si le puîné a un fils unique, l’aîné aucun, le cadet aucun, de sorte qu’ils n’ont qu’un descendant à trois, il faut qu’il soit donné à l’aîné, et que le puîné et le cadet adoptent ailleurs, ou laissent éteindre leur branche, s’ils ne le peuvent. C’est là le sens de l’axiome... les cadets peuvent s’éteindre, mais pas les aînés ; c’est là une loi absolue. Il n’y a pas pareilles adoptions seulement entre propres frères ; des consanguins proches ou éloignés, à quelque degré que ce soit, sont tous susceptibles d’être adoptés, mais il faut que cela se fasse par ordre de branche, et qu’on adopte qui on doit adopter, sans qu’il soit licite à l’adoptant de faire des passe-droits et d’adopter qui il lui plaît ; il y a des règles inflexibles pour tous les cas. Les procès pour cause d’adoption, sont chose commune. Dans toute adoption, il faut qu’il y ait un contrat écrit. Alors l’adopté ne peut plus se rétracter, l’adoptant ne peut plus se dédire. Chaque famille garde un exemplaire de l’accord en témoignage.

Adoption d’un enfant étranger, dite paoygàng. Ces adoptions se font en dehors de sa propre famille ; un Tchang peut adopter ainsi un Li, enfant de son village ou étranger, ayant des parents ou n’en ayant pas. Si l’enfant a ses parents, il faut passer un contrat avec son père, chaque famille en gardant un double, de peur que plus tard les collatéraux de l’adoptant défunt, ne cherchent à ravir à l’adopté son héritage. Mais si l’enfant est orphelin, avec qui faire le contrat ?.. Il n’y a alors qu’à attendre ce qui en adviendra ; ou bien l’on s’entend avec les collatéraux pour leur abandonner une partie de l’héritage, de sorte que, moyennant cet avantage qu’on leur fait, ils laissent l’adopté en possession du reste ; autrement tôt ou tard ils chasseront l’adopté.

Ce qu’on appelle adoption sèche, est une pratique ridicule et superstitieuse. Ainsi, si les Tchangsan ont un enfant, garçon ou fille, qu’ils craignent de voir mourir prématurément par suite d’un mauvais destin attaché à leur famille, ils le font adopter nominalement à la famille Li-seu. Cet enfant appelle alors Li-seu son père sec, Madame Li-seu sa mère sèche, et les enfants de la famille Li-seu ses frères et sœurs secs. Le jour de l’adoption, Tchang-san cuit cent petits pains, appelés symboliquement cent ans de vie, et les porte aux Li-seu. La famille Li-seu donne à l’enfant des Tchang un petit panier pour les y renfermer, et lui change son petit nom. Puis on prend autant de sapèques que l’enfant a d’années, et on les passe à un cordonnet de fil bleu qu’on noue au cou de l’enfant, pour le lier à l’existence. Puis chaque année on ajoute une sapèque, jusqu’à l’âge de 15 ans. Alors on lui fait un habit neuf. Les riches envoient aussi des présents ; l’usage varie. Les deux familles sont nominalement apparentées.

Il y a encore un autre usage. Soit une famille où il est mort à la file plusieurs garçons ; s’il en naît un nouveau, on lui donne un nom de fille, et on l’appelle ya-t’eou ; on lui perce aussi les oreilles, pour lui faire porter de petites boucles. On dit que cela fait, le malin génie qui a mis à mort les précédents, ne sachant pas que celui-ci est un garçon, ne viendra pas lui nuire.

Il y a encore un usage. Quand plusieurs garçons sont morts de suite, on coupe la main du dernier. Car, dit-on, tous ces garçons étaient des réincarnations d’un même koèi vengeur ; quand on l’aura ainsi maltraité, il ne viendra plus se réincarner.


Les frères jurés. Tout homme, sur la terre, a ses amis. L’adage dit : Les hommes qui se ressemblent s’assemblent, les êtres se divisent d’après leurs catégories. Donc, covillageois ou étrangers, éloignés ou rencontrés par hasard, si on s’entend, si on s’agrée, on se jure fraternité à trois, à cinq, à huit, à dix, etc. Le jour de cet acte, on prépare un festin, et l’on invite un écrivain pour écrire le contrat. Quand les écritures sont finies, on broie de l’encens, on fait la prostration tourné vers le nord, puis on fait bombance. Après avoir fait le compte des âges, on s’appelle aîné ou cadet selon le cas ; vulgo on appelle les aînés laots’ieull. Quand on parle de ces gens-là, on dit, tels ou tels sont frères, pour avoir fait la prostration au nord, ou frères jurés. Les lettrés les appellent aussi quasi-frères ; le vulgaire les appelle mongpaze, ou bien frères qui ont échangé un billet. Quand plus tard l’aîné donne un festin, il y invite ses cadets. Puis c’est le tour du puîné. On s’invite ainsi à la ronde, ce qu’on appelle mongpazehoei. Quand le tour est fini, on recommence. Quand il y a une noce, des funérailles, qu’on marie son fils ou sa fille, on se rend visite. Tous les parents des frères jurés, sont appelés par eux, oncle par serment, aïeul par serment, etc. Ils appellent de même les enfants les uns des autres. Il arrive aussi que des hommes dépourvus de ressources, après avoir juré fraternité, ne pouvant, pour cause de pauvreté, suffire aux frais de ces relations ; ou bien par suite de médisances ou d’autres désagréments, rompent avec la bande. On appelle cela retirer son bâton d’encens. Il faut savoir aussi que ces contrats de fraternité sont mal vus des autorités, les sociétés secrètes se dissimulant facilement sous ces dehors ; mais c’est la coutume ; il n’y a pas moyen de la faire cesser. Entre femmes, le même usage existe et s’appelle contrat sororal sec. On tient à deux, par les deux bouts, deux chaumes, et on va au-dessus du puits prendre la déesse T’aohoaniu à témoin.

Qu’est-ce qu’on appelle envoyer une missive jaune ?.. Si par exemple, entre deux personnes, il y a un différend pas clair, ou s’il court des bruits, ou s’il y a une affaire d’argent litigieuse, ou pour un vol, et autres choses pour lesquelles on est en désaccord ; ou bien le premier ou le quinze du mois, simplement pour honorer les chênn ou faire un vœu, on peut envoyer la feuille jaune, ou fa-chou, comme on dit. Pour cela on prend une feuille de papier jaune que l’on plie en cornet, dans lequel on met l’écrit fait sur papier blanc, portant en tête l’indication du fou, du hien, du village, du nom, puis le sujet de la missive, la pagode et le chênn à qui on l’offre. S’il s’agit d’un serment, on écrit à peu près ainsi : Si j’ai fait telle et telle chose, que je meure avec le soleil couchant ! Ou bien : Si je mens, que je ne puisse pas me relever ! Pour d’autres choses, on emploie d’autres termes ; par exemple, si on désire une bonne récolte, on dit : Laot’ienye, si cette année il tombe beaucoup de pluie et que l’année soit fertile, excellent vieux, nous vous chanterons une comédie en automne : S’il s’agit d’un malade, on dit : Laoye, faites-le vite guérir, et nous vous brûlerons de l’encens, vous aurez un dîner et une écharpe en ex-voto ! Pour d’autres demandes, il en est de même. Quand on a fini d’exprimer ses désirs en priant, on allume le cornet jaune ; c’est ce qu’on appelle l’envoyer, fa-chou. Quand il est consumé, on dit : Le chênn a reçu notre écrit.

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