Suen Wen (Sun Yat-sen) (1866-1925)

LE TRIPLE DÉMISME de SUEN WEN
traduit, annoté et apprécié par Pascal M. D'ELIA S. J.

Bureau sinologique de Zi-Ka-Wei, Imprimerie de T'ou-sè-wè, Shanghai, 1930.

  • Préface du traducteur : "Non, ce "...isme" ne vient ni de la Grèce, ni de Rome ; il vient de la Chine, bien qu'il ait été emprunté à tous les pays démocrates ou démophiles de l'ancien et du nouveau monde. Il s'agit du livre désormais fameux du grand révolutionnaire chinois Suen Wen [Sun Yat-sen, Sūn Yìxiān], livre connu sous le nom de San Mintchoui. Tous ceux qui s'intéressent à la Chine en ont souvent — trop souvent peut-être — entendu parler et se sont demandé quelle doctrine ésotérique il pouvait bien contenir, pour que tout un peuple — et quel grand peuple — le tienne pour la norme suprême de sa vie racique, politique, et économique. En voici l'origine et l'importance."
  • "Depuis l'avènement de la République, l'histoire de la Chine n'a enregistré qu'une longue suite ininterrompue de luttes et de guerres civiles.... Là-dessus, voici que surgit — ou plutôt ressuscite — le Parti cantonais, qui prend très vite l'étiquette enviée de "nationaliste". Il veut, lui, se battre pour un idéal. L'idéal qu'il poursuit est le bonheur du "peuple de la Grande République chinoise". Le "leader" porte un nom bien connu. On l'appelle Suen Wen ou Sun Yat-sen. L'occasion est belle pour le grand champion de la démocratie de se remettre au travail, qui fut le travail de toute sa vie. Il veut maintenant cristalliser — le mot est de lui — les idées démocratiques qu'il avait répandues au loin sur presque tous les continents, quand il était traqué partout par la police impériale. Il se met à l'œuvre et élabore un vaste plan d'ensemble sur "La reconstruction nationale de la Chine". Il publie tour à tour La reconstruction matérielle de la nation et La reconstruction sociale de la nation. Pour faire œuvre complète, entre 1918 et 1922 il se met à écrire La reconstruction de l'État. Pour lui, l'État c'est le peuple. Le démocrate, qui depuis trente ans déjà avait trouvé sa formule, se prépare maintenant à lancer dans le grand public la cristallisation de sa pensée, son San Mintchoui ou Triple démisme : le démisme racique, le démisme politique, et le démisme économique.
  • "En 1922, Le Triple démisme est presque achevé et prêt à être livré à l'impression, au moins en partie. Mais voilà que la révolte de Tcheng Kiongming cause un incendie à Canton et le précieux manuscrit périt dans les flammes. "Perte on ne peut plus regrettable" ! s'écrie Suen Wen.
    Il se rend vite compte que le Parti nationaliste, qui grandit et se fortifie, a de plus en plus l'impérieux besoin de ces fortes doctrines, de ces principes qui seront la base de la Chine de demain. Sans attendre plus longtemps, le "leader" toujours infatigable, se remet à l'œuvre. S'il n'a pas le temps de recomposer son ouvrage, il parlera ; si les loisirs lui font défaut pour rédiger, il se laissera aller à l'improvisation du moment. De mémoire, vaille que vaille, sans livres et sans notes, dans l'espace de quelques mois, du 24 janvier au 24 août 1924, il donne devant le grand public de Canton une série de conférences sur ce qu'il a de tout temps regardé comme "le principe sauveur de la Chine". Il en fait six sur le démisme racique, six sur le démisme politique et quatre sur le démisme économique. D'autres étaient "à suivre", mais ne suivirent jamais.
    Quelques mois après, en effet, le 12 mars 1925, Suen Wen mourait.
    Sa mort était nécessaire pour son apothéose. Des disciples fidèles recueillirent avec un respect religieux les notes sténographiées des conférences faites à Canton. Et ce sont ces seize conférences qui, mises en volume, ont été répandues à profusion à travers toute la Chine sous le titre de Triple démisme.

  • Peu de livres ont eu un succès pareil. Les éditions se sont succédé nombreuses les unes après les autres. Le Triple démisme est devenu, comme on l'a dit, la Bible ou l'Évangile des nationalistes. Tout jeune patriote le regarde comme le critérium suprême de sa foi politique. Ce qui s'y trouve est sacro-saint ; ce qui ne s'y trouve pas est non avenu.

Extraits : Shanghai - Ma jonque - La passe - Tchentou
Feuilleter
Télécharger

 

*

Coup d'œil d'ensemble sur le triple démisme

(Texte préparé par le traducteur).


Lincoln dans sa Gettysburg Oration avait parlé du "gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple". La Révolution française avait pris pour devise "Liberté, Égalité, Fraternité". La Chine, qui est la première nation civilisée du monde, n'a pas cru devoir se laisser distancer par ces deux républiques sœurs. Aussi a-t-elle amalgamé ces deux points de vue différents et trouvé son trinôme. Le "gouvernement du peuple" et la "liberté" ont été fondus dans le "démisme racique" : le "gouvernement par le peuple" et l'"égalité" se sont fusionnés dans le "démisme politique" ; le "gouvernement pour le peuple" et la "fraternité" ont donné naissance au "démisme économique". La réunion des trois, c'est-à-dire "Le triple démisme", fera surgir une nouvelle Chine et un monde nouveau, basés sur une double liberté, égalité, et fraternité. L'une est celle de tous les citoyens à l'intérieur d'une même race, au triple point de vue, national (nationalisme), politique (démocratie), économique (sociologie) ; l'autre est celle de toutes les races entre elles (cosmopolitisme).

Qu'est-ce donc que le triple démisme ? C'est "le principe sauveur'' de la Chine et du monde.

Et de quoi donc la Chine et le monde ont-ils besoin d'être sauvés ? D'une triple inégalité : inégalité des races, inégalité du pouvoir, et inégalité des richesses.

À cette triple inégalité correspond, de la part des Puissances, des rois, des capitalistes, une triple oppression au point de vue de la liberté ; oppression ethnique, oppression politique, et oppression économique. La fraternité doit donc niveler ces inégalités et briser ces liens qui enchaînent la liberté.

La fraternité des citoyens à l'intérieur d'une même race donnera naissance au nationalisme, et la fraternité interraciale produira ce nationalisme sans frontières qui est le cosmopolitisme. La fraternité politique fera surgir la démocratie. Enfin la fraternité économique résoudra la question sociale.

Ainsi on en est amené naturellement à la division tripartite. Los trois parties n'ont cependant pas de cloisons étanches. Elles s'appellent et se compénètrent mutuellement. Ce sont trois anneaux qui s'enchaînent l'un l'autre.

Le démisme racique ou racial vise à la liberté et à l'égalité internationale de la race et de la nation chinoise : "la nation est possédée en commun par tout le peuple". Il peut se résumer ainsi. À bas les inégalités de races ! À bas les oppressions de toute sorte ! La Chine doit être traitée sur le pied d'égalité par les Puissances : elle doit être libre de toute entrave venant du dehors. Libre et puissante, elle doit ensuite prêter main forte aux peuples faibles pour leur permettre à eux aussi de jouir de la liberté et de l'égalité.

Le démisme politique ou gouvernemental vise à la liberté et à l'égalité de tous les citoyens à l'intérieur de la même race et de la même nation : "le gouvernement est administré en commun par tout le peuple". Il peut se résumer ainsi. À bas les inégalités du pouvoir ! À bas les oppressions des puissants : nobles, rois, empereurs ! Tous les citoyens doivent être égaux et jouir des mêmes droits civiques. Le peuple doit être souverain, soit dans la législation, soit dans l'administration.

Le démisme économique ou vital vise à la liberté et à l'égalité des classes sociales et à leur bien-être matériel : "tous les profits sont pour la jouissance en commun de tout le peuple". Il peut se résumer ainsi. À bas les inégalités économico-sociales ! À bas l'oppression des capitalistes et des riches ! Tous les citoyens doivent jouir également des biens matériels. Le peuple doit pouvoir vivre et bien vivre.

Ainsi donc, liberté, égalité, et fraternité, sur toute la ligne, racique, politique, et économique.

Voilà les grandes lignes du triple démisme.

*

Comparaison du portefaix qui jette à la mer son billet de loterie

Quel dommage qu'une race aussi grande que la nôtre ait perdu l'idée nationaliste ! C'est parce que nous avons perdu l'idée nationaliste que l'oppression étrangère politique et économique nous a ruinés. Si l'idée nationaliste n'était pas perdue, l'oppression étrangère politique et économique, n'aurait pas pu nous nuire.

Mais comment avons-nous perdu l'idée nationaliste ? Il est très difficile de s'en rendre compte par l'examen (des faits). Je vais me servir d'une histoire, en guise d'exemple.

Il peut se faire que cette histoire (semble) n'avoir aucune ressemblance, et n'avoir absolument rien à faire avec la doctrine que nous sommes en train d'expliquer ; mais je vais l'emprunter pour mieux montrer ce qui a causé (la perte de l'idée nationaliste). J'ai été moi-même témoin oculaire de cette histoire à Hongkong.

Il y avait autrefois un portefaix qui, tous les jours, au débarcadère, transportait les objets des voyageurs au moyen d'un bambou et de deux cordes. Transporter des objets tous les jours c'était le gagne-pain de ce portefaix. Dans la suite, il amassa plus de dix dollars. C'était l'époque où la loterie de Luçon avait de la vogue. Avec l'argent qu'il avait amassé, il acheta un billet de loterie de Luçon. Ce portefaix n'ayant pas de maison où rentrer, n'avait pas d'endroit où cacher ce qu'il avait. Il n'avait donc pas où cacher le billet de loterie acheté. Tout son gagne-pain c'était son bambou et ses deux cordes. Partout où il allait, il portait avec lui ce bambou et ces deux cordes. Donc il cacha dans son bambou le billet de loterie qu'il avait acheté. Ayant caché le billet de loterie dans le bambou, et ne pouvant pas le regarder à chaque instant, il se fixa fortement dans la mémoire le numéro du billet de loterie, et se le répétait à chaque instant. Le jour du tirage dee billets, il se rendit à la boutique des billets de loterie pour comparer les numéros. Dès qu'il vit les numéros, il s'aperçut qu'il avait gagné le premier prix, et qu'il pouvait s'enrichir de 100.000 dollars. Il fut ravi de joie : il fut sur le point de devenir fou de joie. Pensant que désormais il n'avait plus besoin de se servir de son bambou et de ses cordes pour (faire le métier) de portefaix, mais qu'il ferait à jamais le richard, dans (un accès) de joie, il jeta à la mer le bambou et les cordes qu'il tenait à la main.

Faisons l'application de cet exemple. Le billet de loterie de Luçon représente le cosmopolitisme, (un moyen) de s'enrichir. Le bambou représente le nationalisme, un moyen de gagner sa vie. Le moment de gagner le premier prix représente l'époque de la plus grande prospérité de l'impérialisme chinois, l'époque où (l'impérialisme) allait devenir cosmopolitisme. Nos ancêtres crurent que la Chine était une puissance mondiale, et c'est ce qu'ils signifiaient par des expressions (comme celles-ci) : "(De même) que le Ciel n'a pas deux soleils, (de même) le peuple n'a pas deux rois", et "Les gens respectables de tous les pays honorent (notre) couronne". (D'après eux), à partir de ce moment-là, le monde allait être en paix et on ne parlerait plus désormais que de cosmopolitisme, (puisque) les hommes de l'univers entier viendraient offrir leurs tributs ; donc, plus besoin de nationalisme à partir de ce moment.

C'est pour cela que, n'ayant plus besoin du bambou, ils le jetèrent à la mer. Mais, quand (la Chine) fut anéantie par les Mandchous, non seulement elle ne réussit pas à devenir maîtresse du monde, mais elle ne put même pas garder en sûreté ses propres biens de famille. Toute l'idée nationaliste des "cent familles" fut anéantie. Cela ressemble au bambou jeté à la mer.

Lorsque les Tsing mandchous pénétrèrent en Chine à la tête des soldats, Ou Sankoei alla au devant d'eux. Bien que Che Kofa qui prêchait le nationalisme pour soutenir le prince Fou, désirât restaurer (l'empire des Ming) à Nanking, le Mandchou Durgan dit à Che Kofa :

— Notre empire n'a pas été enlevé aux grands Ming, mais au brigand fougueux. [cf. note.]

Il voulait dire par là que l'empire de la dynastie des Ming avait été perdu par la dynastie des Ming elle-même, tout comme le portefaix avait jeté lui-même le bambou.

En ces derniers temps les étudiants qui expliquent la nouvelle culture, prêchent aussi le cosmopolitisme, croyant que le nationalisme n'est pas adapté au courant mondial. Si ce sentiment provenait de l'Angleterre, de l'Amérique, ou de nos ancêtres, il conviendrait tout à fait. Mais venant des Chinois actuels il ne convient pas du tout. Lorsque l'Allemagne autrefois n'était pas encore opprimée, (les Allemands) ne parlaient pas de nationalisme mais de cosmopolitisme. Je vois que l'Allemagne d'aujourd'hui peut-être ne parle (plus) de cosmopolitisme, mais parle pas mal de nationalisme.

Si nos ancêtres n'avaient pas jeté le bambou, nous pourrions encore regagner le premier prix, mais ils jetèrent le bambou trop tôt, ignorant que le billet de loterie qui devait nous enrichir était encore caché à l'intérieur. Donc notre nation sera subjuguée et notre race s'éteindra, dès que nous aurons souffert de l'oppression étrangère politique et économique (s'ajoutant) à l'avenir à la sélection naturelle.

Si après cela, nous autres Chinois, nous trouvons moyen de ressusciter le nationalisme, si nous pouvons retrouver le bambou, alors quelle que grande que soit l'oppression étrangère politique et économique, notre race ne disparaîtra certainement pas, même dans mille, même dans dix mille ans. (Malgré) la sélection naturelle, notre race pourra survivre (encore) longtemps. Puisque le Ciel, après avoir donné la vie à nos 400.000.000 d'habitants, a pu nous conserver jusqu'ici, (c'est une preuve) que le Ciel n'a jamais pensé à anéantir la Chine. Si la Chine périt un jour, la faute en sera à nous-mêmes, et nous serons les (plus grands) pécheurs du monde. Puisque le Ciel a placé de grosses responsabilités sur nous autres Chinois, si les Chinois ne s'aiment pas entre eux, c'est ce qu'on appelle "aller contre la volonté du Ciel". Si donc la Chine en est arrivée à cet état, c'est nous qui en portons la responsabilité. Puisque le Ciel ne veut pas nous rejeter, c'est que le Ciel veut développer l'évolution du monde. Si la Chine périt, c'est évidemment parce que les Puissances voudront détruire la Chine. Dans ce cas, les Puissances arrêteront l'évolution mondiale.


Note : Li Tsetcheng, fameux brigand et chef de la révolte qui aboutit à la chute de la dynastie des Ming. Il fut désigné sous le titre de "Li le fougueux" ou de "le prince fougueux".

*

Suen Wen et le consul anglais au sujet de l'impérialisme

Cet épisode — s'il est historique — doit se placer entre 1917 et 1918, car la "période pro-constitutionnelle" ne commence qu'en 1917. Mais est-il vraiment historique ? L'invraisemblance du rôle attribué à ce consul anglais — que Suen Wen du reste se garde bien de nommer — nous donne quelque droit d'en douter.

— J'ai encore, Messieurs, une autre histoire très intéressante que je veux vous raconter.
Pendant la période la plus critique de la guerre européenne, j'établis au Kwangtung le "gouvernement proconstitutionnel" . Un jour, un consul anglais vint au palais du généralissime pour me voir et pour discuter avec moi (sur la question de savoir) si le gouvernement sudiste allait se joindre aux Alliés et envoyer des troupes en Europe. Je demandai immédiatement à ce consul anglais :

— Et pourquoi envoyer des troupes ?

Il me dit :

— Je viens vous prier d'aller combattre l'Allemagne, parce que l'Allemagne a envahi le territoire chinois et occupé Tsingtao : la Chine doit (donc) aller la combattre pour recouvrer ce territoire.

Je répondis :

— Tsingtao est encore bien loin de Canton. Ce qui est bien plus près de Canton, c'est Hongkong, ce qui l'est un peu moins, c'est la Birmanie, le Boutan, le Népal. Or tous ces pays à quelle nation appartenaient-ils autrefois ? Et maintenant vous voulez encore nous prendre le Tibet. Notre Chine, pour le moment, n'a pas la force de reprendre ces possessions. Si elle avait cette force, peut-être qu'elle voudrait commencer par recouvrer les possessions occupées par l'Angleterre. Tsingtao, que l'Allemagne a occupé, est un bien petit pays. Mais la Birmanie est plus grande que Tsingtao et le Tibet est encore plus grand que Tsingtao. Si nous voulions reprendre nos possessions, il faudrait commencer d'abord par les plus grandes.

Quand il entendit ma rétorsion, il ne put contenir sa colère et me dit :

— Je suis venu ici parler d'affaires officielles.

À quoi je répondis immédiatement :

— Et moi aussi je parle d'affaires officielles.

Pendant longtemps nous nous regardâmes bien en face, sans qu'aucun des deux voulût lever la séance.

À la fin, je recommençai à lui dire :

— Notre civilisation est antérieure à la vôtre de plus de 2.000 ans. Nous pensons maintenant que vous allez nous suivre, et nous attendons que vous nous ayez atteints. Nous ne pouvons ni reculer, ni vous permettre de nous entraîner en arrière. En effet, voilà plus de 2.000 ans que nous avons rejeté l'impérialisme et que nous avons prêché la paix. Actuellement les idées des Chinois ont parfaitement atteint ce but. Maintenant votre guerre a aussi pour but affiché la paix ; en soi, nous avons fait à cela un très bon accueil. Mais, en réalité, vous parlez encore de guerre, vous ne parlez pas de paix ; vous ne parlez que de la force, vous ne parlez pas du droit. Puisque vous ne parlez que d'actes brutaux, je pense que c'est très sauvage. Nous vous laissons donc aller vous battre ; il ne faut pas que nous nous joignions à vous. Peut-être que, quand vous vous serez bien battus, un jour viendra où vous parlerez sérieusement de paix. Quand ce temps-là sera arrivé, nous nous mettrons de votre côté, et ensemble nous chercherons la paix du monde. De plus, il y a encore une autre grande raison qui fait que je m'oppose à ce que la Chine se joigne (aux Alliés) et envoie des troupes. C'est que je ne veux pas du tout que la Chine devienne une puissance injuste comme la vôtre. Si, suivant votre proposition, la Chine se joignait aux Alliés, vous pourriez envoyer en Chine des officiers pour instruire les troupes. Avec vos officiers expérimentés et à l'aide d'armes très perfectionnées, en six mois, vous pourriez certainement instruire les troupes et avoir de 300 à 500.000 soldats exercés à expédier en Europe pour faire la guerre et battre l'Allemagne. Mais alors tout se gâterait.

Le consul anglais (me) dit :

— Et pourquoi (donc) tout se gâterait-il ?

À quoi je répondis :

— Avec plusieurs dizaines de millions de soldats, et pendant plusieurs années (de guerre), vous n'êtes pas arrivés à battre l'Allemagne. Il ne (vous) faut qu'y ajouter quelques centaines de milliers de Chinois pour la battre. Cela pourrait bien exciter l'esprit guerrier chinois ; ces quelques centaines de milliers de soldats serviraient de base, et de là (cet esprit) se répandrait sur des millions de soldats exercés. Et cela ne ferait pas du tout votre compte. Le Japon, qui maintenant s'est mis de votre côté, est déjà devenu une des Puissances du monde. Son militarisme domine l'Asie. Son impérialisme est comme celui des Puissances. Vous en avez grand'peur. Et pourtant la population du Japon et ses sources de richesse sont bien loin de valoir (celles) de la Chine. Si, suivant la combinaison dont vous parlez aujourd'hui, notre Chine se mettait de votre côté, avant dix ans la Chine deviendrait un (autre) Japon, et, comme la population de la Chine est nombreuse et son territoire vaste, la Chine deviendrait au moins dix Japons. Une fois ce temps arrivé, toute votre puissance du monde entier ne suffirait peut-être pas pour une guerre contre la Chine. Mais nous sommes plus de 2.000 ans en avance (sur vous), ayant abandonné les habitudes sauvages de la guerre et étant arrivés maintenant à la véritable paix ; mon espoir est que la Chine gardera éternellement le moralisme de la paix. Voilà pourquoi nous ne voulons pas nous joindre à cette Grande guerre.

Le consul anglais qui, une demi-heure auparavant, avait failli se battre avec moi, après avoir entendu ces paroles, me dit (d'un ton) particulièrement respectueux :

— Si moi aussi j'étais Chinois, certainement que j'aurais les mêmes idées que vous".

*

Extrait 4

*

Extrait5

*

Extrait 6

*

Téléchargement