Jean-Pierre Abel-Rémusat (1788-1832)

Mélanges asiatiques, Jean-Pierre ABEL-RÉMUSAT (1788-1832)  Librairie orientale de Dondey-Dupré père et fils, Paris 1825. Deux tomes, 456 et 428 pages.

Biographie

MÉLANGES ASIATIQUES

ou choix de morceaux de critique et de mémoires
relatifs aux religions, aux sciences, aux coutumes, à l'histoire et à la géographie des nations orientales

Librairie orientale de Dondey-Dupré père et fils, Paris 1825. Deux tomes, 456 et 428 pages.

  • Avertissement de l'éditeur : "M. Abel-Rémusat, l'auteur de ces Mélanges, s'est placé en effet au premier rang parmi ceux de nos écrivains qui ont le plus contribué, depuis douze ans, à ranimer ce goût, presque général aujourd'hui en Europe, pour tout ce qui se rattache à l'antiquité des nations de l'Asie Orientale. Ce n'est pas seulement par des ouvrages de longue haleine, ou par des livres d'enseignement classique, que l'on peut se flatter d'atteindre ce but : de nombreuses dissertations sur des points de critique ou de philosophie, des mémoires d'une étendue peu considérable, des fragments tirés des ouvrages écrits dans les langues de l'Asie, et livrés à la connaissance des Européens, tels sont, à notre avis, les moyens les plus sûrs de faire bien connaître et bien apprécier tout ce qui a paru de plus remarquable dans les contrées lointaines où l'on cultive le plus la littérature orientale"
  • "[L'auteur] a refondu plusieurs articles pour les mettre en rapport entre eux : de sorte que cette réunion d'opuscules, si variés par leurs sujets et par les circonstances qui les ont fait naître, constituent, en quelque sorte, un ouvrage unique, où l'on trouvera, distribués et disposés systématiquement, un très grand nombre de faits intéressants et de particularités curieuses, sur les croyances, les mœurs, les langues et l'histoire des principaux peuples de l'Asie."
  • "Chargé le premier d'un enseignement qui n'avait jamais été pratiqué en Europe, [M. Abel-Rémusat] a dû s'occuper sans relâche du soin de dissiper les erreurs et de lever les difficultés dont avait été entourée jusqu'à lui l'étude que son devoir était de propager. Presque tout était à réformer dans cette matière, depuis les notions les plus vulgaires qu'on s'était faites de l'écriture et du langage, jusqu'aux opinions qui avaient cours au sujet de l'esprit philosophique et du génie littéraire de la nation chinoise. "


Extraits : L'étude du chinois en Europe - État et progrès de la littérature chinoise en Europe
Explication d'une énigme chinoise
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Sur l'origine, les progrès et l'utilité de l'étude du chinois en Europe

Discours prononcé à l'ouverture du cours de langue et de littérature chinoises, au Collège Royal, le 16 janvier 1815

Messieurs,

Si, comme les célèbres professeurs dont les savantes voix ont coutume de retentir dans cette enceinte, j'étais appelé à parcourir avec vous ces séries de faits auxquelles la rigoureuse précision de leurs résultats a mérité le nom de sciences exactes ; si je devais exposer à vos yeux les beautés des grands écrivains de Rome ou de la Grèce, enfin s'il me fallait diriger vos pas dans le champ déjà fertilisé de la littérature des Persans ou des Arabes, ma tâche, sans doute, serait plus difficile que cette qui m'est imposée ; mais aussi la marche que j'aurais à suivre serait tracée d'avance. Instruit par les leçons et guidé par les exemples du maître auquel j'aurais à succéder, tous mes efforts tendraient à me rapprocher du modèle qu'il m'aurait offert ; et si l'insuffisance de mes talents me forçait à rester loin derrière lui, l'intérêt du sujet, et cette sorte de caractère classique que portent des études depuis longtemps accréditées, me dispenseraient d'user d'aucune précaution pour prévenir vos esprits en faveur de l'objet de nos travaux communs ; il me suffirait d'entrer en matière pour être assuré d'une attention qui serait une ample récompense de mes efforts.

Telle n'est pas, à beaucoup près, la situation où je me trouve. Admis, par une grâce inespérée du Souverain, dans ce Collège Royal, noble et durable monument de la munificence du Restaurateur des lettres, dans ce Collège où ce que la France a de plus illustre est réuni pour enseigner ce que les belles-lettres ont de plus difficile, et les hautes sciences, de plus relevé ; déjà pénétré du sentiment de ma faiblesse en me plaçant à côté de tant d'hommes supérieurs, une autre cause vient ajouter encore à mon embarras. Nous allons aborder une terre déserte et encore en friche. La langue dont nous nous occuperons dans ce cours, n'est connue que de nom en Europe. À peine, depuis deux cents ans, quatre ou cinq savants laborieux, dans cette partie du monde, en ont acquis une entière connaissance, et c'est pour la première fois qu'elle est l'objet d'une réunion de personnes studieuses. Parmi les gens de lettres actuellement vivants, deux ou trois tout au plus y ont fait des progrès réels : de grandes distances les séparent de nous. Nous n'avons aucun modèle a suivre, aucun conseil à espérer ; nous devons, en un mot, nous suffire à nous-mêmes, et tout puiser dans notre propre fonds. Biet plus, l'approche de cette branche de la littérature orientale a, jusqu'à ce jour, été défendue par mille préjugés capables d'en écarter tout ceux que n'animaient pas une volonté bien ferme et un courage à toute épreuve. Une prévention générale, le dirai-je même, une sorte de ridicule s'est attachée au nom seul du peuple dont nous allons étudier la langue. L'idée qu'on se forme de la difficulté de cette langue, n'est égalée que par celle qu'on a de sa bizarrerie. Et qui pourrait s'empêcher de taxer d'imprudence et de témérité l'homme qui s'engagerait dans une étude si épineuse, sans être assuré d'y faire quelques progrès, et d'être un jour suffisamment récompensé de ses peines ? Avant donc de hasarder les premiers pas dans cette carrière si peu fréquentée, il convient de jeter un coup d'œil rapide sur ces différentes opinions, afin de juger ce qu'elles ont de réel ou d'exagéré. C'est à cet examen que sera consacrée notre première séance.

En remontant aux motifs dont furent animés ceux d'entre les Européens qui, les premiers, se livrèrent à l'étude de la langue des Chinois, on reconnaît que les principaux et les plus puissants de ces motifs ont été le désir de propager le christianisme chez une nation célèbre, et le besoin d'approfondir ses opinions religieuses et morales, pour les combattre ou les épurer. Aussi la connaissance du chinois fut-elle d'abord le partage exclusif des missionnaires. Plusieurs savants très distingués, qui avaient entrevu l'utilité qu'on pouvait retirer d'une littérature si nouvelle pour l'Occident, se contentèrent d'en exalter le mérite par leurs éloges, ou n'ajoutèrent que des erreurs aux documents fournis par les ouvriers évangéliques.

Mais, vers le milieu du dix-septième siècle, la querelle qui s'éleva entre les jésuites et les dominicains, au sujet des cérémonies pratiquées à la Chine en l'honneur de Confucius et des ancêtres, ayant donné naissance à une foule d'écrits contradictoires, la renommée des Chinois devint populaire ; les questions qui les concernaient passèrent des religieux aux savants du siècle. À cette époque, un hasard heureux avait réuni, dans la mission de la Chine, un nombre considérable d'hommes non moins recommandables par leur science que par leur piété ; et ces hommes, nous pouvons le remarquer ici, étaient presque tous Français. Les pères Bouvet, Gerbillon, Lecomte, Couplet, Gaubil, Visdelou, Prémare, Parrenin, et beaucoup d'autres, donnèrent à la mission un éclat scientifique qu'elle n'avait pas encore eu. Leurs ouvrages attirèrent l'attention du public et des gens de lettres, sur cette Chine dont ils racontaient tant de merveilles. La défiance même qu'inspira l'enthousiasme de quelques-uns d'entre eux, eut son utilité, en ce qu'elle fit sentir la nécessité de comparer, de discuter et d'approfondir ce que leurs relations semblaient contenir de hasardé, de contradictoire, ou de peu judicieux. En un mot, c'est aux missionnaires de notre nation, ou plutôt c'est à la France, que la littérature chinoise est redevable de ses premiers succès en Europe ; mais elle ne tarda pas à lui avoir des obligations encore plus grandes.

Un monarque, au nom duquel se rattache toute la gloire littéraire de la France, Louis XIV, près de qui rien d'utile ne demeura sans protection, peut être regardé comme le véritable fondateur de la littérature chinoise en Europe. Il voulut qu'on profitât de la présence d'un lettré, amené à Paris par suite des dissensions des missionnaires, pour composer et publier des ouvrages élémentaires propres à répandre dans l'Occident la connaissance du chinois. Il la regardait avec raison, cette connaissance, comme un moyen sûr de faire cesser des querelles théologiques, qui ne reposaient que sur des malentendus, et de faire produire des fruits plus abondants encore et plus variés à cette mission si brillante alors. Les avantages que les marchands français qui trafiquaient à Canton, ne pouvaient manquer d'en retirer, et les nouvelles lumières qui devaient en rejaillir sur l'histoire, la géographie, les mœurs, les opinions philosophiques et religieuses des nations de l'Asie orientale, furent, pour ce prince, autant de motifs de plus de soutenir et de favoriser une branche naissante de littérature. Fourmont, sorti par l'ordre du roi de sa docte obscurité, s'occupa de travaux préparatoires, qui, s'ils eussent été achevés, auraient évité à ses successeurs une grande partie des peines qu'il avait eues lui-même.

Sous quelques rapports, Fourmont eut l'honorable tort d'avoir voulu trop entreprendre. Les dictionnaires dont il avait conçu le plan, auraient formé dix-huit volumes in-folio ; la mort le surprit avant qu'il eût pu seulement ébaucher ce prodigieux ouvrage ; mais il laissa quelque chose de plus précieux dans la personne de ses deux disciples, Deshauterayes et Deguignes, les seuls Européens qui aient pu, sans avoir fait le voyage de la Chine, se mettre en état de lire et d'entendre les auteurs chinois ; car que sont auprès d'eux les Muller, les Hyde, et Bayer lui-même, qui, vers la fin de sa vie, avouait, avec une noble ingénuité, que son chef-d'œuvre en ce genre lui faisait honte ?

C'est, comme on voit, à Louis XIV, c'est encore à la munificence de ses successeurs qu'il faut rapporter la publication des beaux et importants ouvrages qui honorent notre nation, et ont fréquemment excité l'émulation des autres ; tels que la traduction des œuvres de Confucius, l'histoire des Huns, celle de la Chine, les Mémoires de nos missionnaires, les Lettres Édifiantes, et la compilation de Duhalde si souvent mise à contribution par les étrangers et par nos propres écrivains. C'est Louis XIV qui a ajoute à nos trésors littéraires cette mine d'un produit si riche, si elle était exploitée ; cette mine qui nous appartient par le plus noble des droits, et qui est devenue nationale par les travaux de nos compatriotes, mais que nous serions en danger de perdre et de voir passer à nos voisins, sans l'activité prévoyante d'un gouvernement qui ne veille pas moins à notre gloire qu'à notre bonheur, parce que l'un et l'autre sont également son bien et son ouvrage.

Le dernier des élèves de Fourmont, Deguignes, était mort à la fin du dix-huitième siècle, sans laisser de successeur. Alors, des hommes d'un talent distingué en Allemagne et en Angleterre, songèrent à mettre à profit nos anciens travaux, à cultiver ce champ que nous abandonnions, et à moissonner là où nous avions semé. On fut même sur le point de voir un savant, très estimable à la vérité, mais étranger à notre patrie, appelé pour suppléer à ce que Fourmont n'avait pas eu le temps d'exécuter, et donner au monde savant le dictionnaire chinois qu'il attendait de nous depuis tant d'années. Consultait-on mieux l'intérêt national, il y a huit ans, quand, au lieu d'un dictionnaire complet et digne de notre réputation en ce genre, on ordonnait l'impression du vocabulaire d'un religieux italien, ouvrage utile sans doute malgré ses imperfections, mais où rien ne nous appartient que le mérite des gravures et la beauté matérielle du livre, et qui, par conséquent, fait peu d'honneur à notre érudition, s'il en fait beaucoup à notre typographie ?

Autrefois les Français étaient de tous les Européens les mieux accueillis des Chinois, qui les trouvaient supérieurs à eux en franchise, et presque leurs égaux en politesse. Une interruption de près de vingt-cinq ans, dans les voyages que nos négociants faisaient annuellement à Canton, nous aura sans doute fait perdre une partie de cette bonne opinion, et nos voisins auront profité de cette longue absence, pour recueillir encore notre héritage. La célèbre ambassade de 1793 a laissé sans succès le principal objet de la mission dont elle était chargée ; mais son effet certain a été d'inspirer aux Anglais ce goût général pour la Chine et ses productions, que nous avons jadis poussé jusqu'à l'engouement. Elle leur a d'ailleurs fait voir par leurs yeux une partie de ce qu'ils n'avaient jusqu'alors aperçu que par l'entremise des missionnaires catholiques. Les nouvelles relations formées par les provinces britanniques de l'Inde avec les contrées limitrophes de l'empire chinois, ont nécessité, il y a quelque temps, l'établissement d'une école à Sirampour, au Bengale. Là se forment des interprètes pour le commerce, et des ministres qui, peut-être, profiteront des restes de nos anciennes chrétientés, s'il en existe encore quelques- unes, pour en attirer les membres à leur communion. Ainsi tout, dans l'intérêt des lettres, des missions et de notre commerce, se réunit pour nous commander de nouveaux efforts, si nous ne voulons perdre à jamais nos anciens droits, et nous voir devancés dans cette carrière que nous avons ouverte, si nous voulons seulement demeurer simples rivaux, où nous étions jadis seuls et paisibles possesseurs.

Recherchons maintenant pourquoi la littérature chinoise, forte de la protection des souverains, n'a pourtant fait, en France même, que des progrès très bornés, et comment il s'est fait que le nombre des savants qui s'y sont distingués, ait toujours été si peu considérable. Nous en trouverons les raisons dans les obstacles qui se sont opposés et s'opposeront longtemps encore à l'avancement des études orientales en général, et dans les préjugés particuliers qui ont pris racine en Europe contre la langue chinoise et le peuple qui la parle.

Parmi les premiers, il faut compter la rareté des livres, et la difficulté de se procurer des textes à étudier. Si les auteurs grecs et latins n'eussent pas été publiés en original, croit-on que la connaissance des langues latine et grecque eût jamais été fort répandue ? Aurait-elle pu, comme il est arrivé, servir de base à nos littératures modernes, si les monuments écrits dans ces deux langues fussent demeurés enfouis dans les bibliothèques, et accessibles seulement à ceux que le hasard avait placés dans leur voisinage ? Les personnes qui ont des manuscrits entre les mains, ne sont pas toujours celles qui en font le plus grand ou le meilleur usage. Ce n'est que quand les copies d'un même ouvrage sont multipliées, quand il est mis, pour ainsi dire, sous les yeux de tout le monde, qu'il trouve des lecteurs, et qu'il finit par être complètement entendu. Quelle utilité n'a-t-on pas retirée de cette collection des notices et extraits des manuscrits, collection dont la première idée, due à l'illustre et vénérable secrétaire de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, a tant fructifié par sa savante et utile influence, et qui peut être regardée comme un des plus grands services qu'on ait rendus depuis longtemps aux études historiques et philologiques dont il est parmi nous le doyen et le modérateur ? Qui pourrait contester les avantages qui sont revenus aux étudiants de la lecture des textes épurés, interprétés, et publiés par M. de Sacy ; par ce savant infatigable, que tous ceux qui cultivent les lettres orientales se glorifient d'avoir pour maître ou pour modèle, et que des étrangers mêmes ont proclamé le prince des orientalistes de notre siècle. Cependant, il faut en convenir, l'art typographique n'a pas encore assez fait pour les langues de l'Asie occidentale ; pour la langue chinoise, on peut dire qu'il n'est pas né encore. L'édition que je prépare, d'un des livres moraux de Confucius, édition qui servira de texte à la suite de ce cours, sera le premier ouvrage original publié en Europe. Je ferai tous mes efforts pour qu'elle soit suivie de plusieurs autres, car je regarderai toujours l'impression textuelle des bons livres, comme le plus puissant moyen de répandre la connaissance du chinois, et les soins qu'elle exigera comme un des devoirs attachés à l'emploi que le Roi a daigné me confier.

Mais ce qui peut surtout avoir contribué à éloigner de l'étude de cette langue, ceux-là même qui peut-être y auraient fait les progrès les plus rapides et les plus considérables, c'est l'opinion généralement peu favorable qu'on a conçue des Chinois dans ces derniers temps. Les récits des missionnaires ont été taxés d'exagération par des écrivains, qui, pour paraître impartiaux, ont cru devoir se jeter dans l'excès opposé. On pourrait, avec moins de vingt volumes, prendre sur les Chinois des renseignements positifs et authentiques : ces volumes sont presque ignorés, et l'on aime mieux s'en rapporter à quelques voyageurs superficiels ou prévenus, qui n'ont rien vu ou rien appris, et qui ne peuvent avoir, aux yeux de certaines personnes, que le mérite de n'être pas missionnaires. Vingt fois les reproches adressés aux Chinois ont été repoussés et réfutés victorieusement par des hommes instruits et respectables : on ne lit point ces réfutations, et l'on persiste dans les mêmes accusations. Ce n'est pas ici le lieu de les discuter, mais il est pourtant indispensable de nous arrêter à quelques assertions qui concernent la langue et la littérature des Chinois, et qu'il est intéressant d'examiner, en commençant un cours qui a cette langue et cette littérature pour objet.

La longue chinoise est, dit-on, la plus difficile de toutes les langues ; le nombre de ses caractères s'élève à près de cent mille ; les lettrés passent toute leur vie à les étudier, et quand ils sont venus à bout d'en retenir un certain nombre, l'obscurité d'un idiome entièrement dépourvu de formes grammaticales arrête encore ceux même qui en savent le plus. C'est ainsi qu'on fait violence aux expressions de quelques missionnaires, pour en tirer des conséquences exagérées ou entièrement fausses. Qu'il me soit permis de répondre à ces assertions par des faits. Peu de temps après son arrivée à la Chine, avant qu'on eût composé un seul ouvrage élémentaire, le célèbre Mathieu Ricci, fondateur de la mission de cet empire, savait déjà assez bien le chinois pour composer en cette langue des traités qui sont encore estimés des lettrés eux-mêmes, pour la pureté du style et l'élégance de la diction. Des exemples de ce genre ne sont pas rares : il n'est presque pas un seul missionnaire qui ne soit revenu de la Chine, après quelques années de résidence, avec une connaissance suffisante de cette langue, et tous n'étaient pas des Gaubil, des Verbiest ou des Prémare. Que si d'autres personnes, après avoir habité quelque temps à Canton, se sont trouvées, à leur retour en Europe, hors d'état d'entendre le moindre livre, on ne doit l'attribuer qu'à leur inaptitude particulière, ou au genre des occupations auxquelles elles se sont livrées, ou enfin à leur séjour dans une ville toute commerçante, presqu'entièrement privée de secours littéraires, et où les usages nationaux ne leur permettaient guère de fréquenter que des hommes absolument illettrés.

Pour le nombre des caractères, qu'importe qu'il soit presque infini, s'ils sont pour la plupart inutiles, s'il suffit d'en connaître deux ou trois mille pour lire avec plaisir les livres ordinaires, si de bons et savants dictionnaires nous présentent les autres dans un ordre où il soit facile de les retrouver ? S'imaginerait-on d'ailleurs que ces caractères soient entre eux sans analogie, et que la connaissance des uns ne fasse rien pour celle des autres ? Ne sait-on pas au contraire que, réduits par l'analyse à un petit nombre de clefs ou de racines, ils se recomposent d'après des procédés moins variables, et par conséquent plus aisés à retenir, que ceux qui président à la formation des dérivés dans les langues les plus savantes ? Croirait-on l'écriture chinoise plus difficile à apprendre, parce qu'elle représente des idées, au lieu de figurer des sons ? Mais cela même la rend à mon avis plus facile à graver dans la mémoire. L'esprit avec elle n'a qu'une opération à exécuter, au lieu que dans toutes les autres langues, on n'a rien appris quand on ne sait que le son d'un mot, parce qu'il ne conduit presque jamais à la signification. Savoir lire n'est rien dans les langues ordinaires : c'est tout dans la langue chinoise ; sans compter qu'il est plus facile à la mémoire de retenir des symboles ingénieux et pittoresques, que des prononciations bizarres ou insignifiantes ; de même que l'imagination est plus frappée d'une action figurée sur un tableau par un peintre habile, que de la même action imparfaitement rendue par des paroles même aidées de l'art du musicien.

Quant au défaut de formes grammaticales allégué par les détracteurs de la langue chinoise, je souhaiterais qu'il fût aussi réel qu'ils se plaisent à le représenter. Des trois styles que reconnaît cette langue, le plus ancien est le plus clair et le plus beau, parce qu'il est le moins chargé de ces ornements frivoles, ou de ces règles superflues, qui font en grande partie la difficulté des autres langues. Au surplus, ceux qui les croient nécessaires pour l'intelligence du discours, et qui se plaisent à voir dans une phrase, au lieu d'idées, les rapports des mots les uns avec les autres marqués par de signes exclusivement consacrés à cet usage, et leur arrangement déterminé par des conventions compliquées, étudieront avec plaisir la langue des livres modernes, et surtout cette langue parlée assez riche en règles grammaticales, contre l'opinion commune, et où de vingt mots qui composent une période, la moitié sont destinés à lier ou à arrondir les membres de phrases, ou bien à marquer les circonstances de l'action.

Cette nature singulière de l'écriture chinoise, qui consiste à représenter immédiatement les idées par des symboles convenus, au lieu de les rappeler à la mémoire par l'intermédiaire des sons, lui appartient exclusivement, depuis que les hiéroglyphes égyptiens ont cessé d'être en usage ; et c'est un des rapports sous lesquels elle peut davantage piquer la curiosité. Si, dans les langues ordinaires, l'étymologie et l'analyse donnent quelquefois lieu à des résultats intéressants, en rendant sensibles dans les mots l'origine et la progression des idées, quel attrait ne doit pas avoir l'examen de ces caractères antiques, où un peuple qui touche aux premiers âges du monde a renfermé tant de traditions, et tracé, sans le vouloir, l'histoire de ses plus anciennes pensées et des opérations les plus secrètes de son entendement ! Quel plaisir pour un métaphysicien de retrouver, en analysant l'un des caractères du Yi-king ou du Chou-king, quelqu'un de ces rapprochements, d'autant plus singuliers, qu'ils tiennent moins à la nature des choses ; d'assister comme par intuition aux méditations de Tcheou-koung ou de Confucius, de réaliser, en un mot, le vœu de Buffon ou de Condillac, en suivant les premiers pas de la raison humaine, et en la surprenant, pour ainsi dire, dans ses premiers écarts !

Combien d'Occidentaux seraient portés à croire que les Chinois en sont restés à ces premiers pas, à ces premiers écarts ! Dussé-je encourir le reproche d'enthousiasme et de partialité en faveur d'un peuple à la littérature duquel je me suis dévoué depuis plusieurs années, j'essayerai de ramener les esprits à une opinion moins défavorable. Il est peu d'Européens qui ne sourient en entendant parler de la géométrie des Chinois, de leur astronomie ou de leur histoire naturelle. Mais, s'il est vrai que les progrès que ces sciences ont faits parmi nous depuis deux siècles, nous dispensent de recourir aux connaissances de ces peuples éloignés, doit-on pour cela renoncer à constater exactement quel est leur état actuel, et surtout quel a été leur état ancien chez une nation qui n'a jamais cessé de les cultiver et de les honorer ? Les propriétés du triangle rectangle étaient connues à la Chine deux mille deux cents ans avant l'ère chrétienne. Les travaux du grand Iu, pour contenir deux fleuves égaux en impétuosité et presque en largeur aux grands fleuves de l'Amérique, pour diriger les eaux de cent rivières, et ménager leur écoulement sur un terrain de plus de cent mille lieues carrées, en sont une preuve plus que suffisante. Si les théories astronomiques ou physiques de ces peuples sont défectueuses, leurs catalogues d'éclipses, d'occultations, de comètes et d'aérolithes n'en sont pas moins intéressants, et si l'on veut que les Chinois se trompent dans leurs calculs, du moins on avouera qu'ils ont, comme nous, des yeux pour observer. D'ailleurs, l'économie rurale et domestique est assez perfectionnée chez eux, pour qu''ils puissent nous apprendre à nous-mêmes beaucoup de choses utiles : c'est du moins ce qu'assurent ceux qui ont fait de cette science l'objet de leurs études. Quant à leurs descriptions des êtres naturels, outre que rien ne peut y suppléer, tant que les Européens n'auront pas un libre accès dans leur pays, elles ne sont point à dédaigner chez un peuple aussi exact et aussi minutieux ; et j'espère prouver, par divers extraits de leurs livres, relatifs à la botanique et à la zoologie, que leurs écrivains en ce genre sont autant au-dessus des naturalistes latins ou du moyen âge, qu'ils sont inférieurs aux Linné, aux Jussieu ou aux Desfontaines.

Mais si des sciences exactes et naturelles nous passons aux belles-lettres, à la philosophie, à l'histoire, ces mêmes Chinois, qui soutenaient à peine avec nous un instant de comparaison, pourront prétendre à nous servir de modèles. Une littérature immense, fruit de quarante siècles d'efforts et de travaux assidus ; l'éloquence et la poésie s'enrichissant des beautés d'une langue pittoresque, qui conserve à l'imagination toutes ses couleurs ; la métaphore, l'allégorie, l'allusion concourant à former les tableaux les plus riants, les plus énergiques ou les plus imposants ; d'un autre coté, les annales les plus vastes et les plus authentiques que nous tenions de la main des hommes, déroulant à nos yeux les actions presque ignorées, non seulement des Chinois, mais des Japonais, des Coréens, des Tartares, des Tibétains ou des habitants de la presqu'île ultérieure de l'Inde, ou nous développant les dogmes mystérieux de Bouddha, ou ceux des sectateurs de la Raison, ou consacrant enfin les principes éternels et la philosophie politique de l'école de Confucius ; voilà les objets que les livres chinois offrent à l'homme studieux, qui, sans sortir d'Europe, voudra voyager en imagination dans ces contrées lointaines. Plus de cinq mille volumes ont été rassemblés à grands frais à la Bibliothèque du Roi : leurs titres ont été à peine lus par Fourmont ; quelques ouvrages historiques ont été entr'ouverts par Deguignes et par Deshauterayes ; tout le reste attend encore des lecteurs et des traducteurs.

Pour les avantages que doivent retirer les voyageurs de la possibilité de puiser ici les principes élémentaires du chinois, ils sont si palpables que je ne m'arrêterai pas à les exposer en détail. Le temps que les missionnaires arrivés à la Chine ont toujours été forcés de dérober à leurs fonctions apostoliques pour le donner à l'étude, les difficultés qui entravent les moindres négociations chez un peuple dont on ignore la langue, les embarras qu'entraîne l'emploi des interprètes, tous ces inconvénients communs au missionnaire et au négociant seront considérablement atténués par des études préliminaires faites à loisir et au milieu de tous les secours littéraires qu'une capitale offre en abondance. Familiarisé d'avance avec l'écriture, le style de la conversation et la connaissance des bons auteurs, connaissance qui est à la Chine la plus puissante de toutes les recommandations, l'homme ainsi préparé n'aura plus besoin que d'une étude de quelques semaines, pour saisir la véritable prononciation et cet accent musical propre au chinois, qui ne peuvent s'apprendre qu'au milieu des naturels.

Quels que puissent être, au reste, les avantages religieux, littéraires, commerciaux ou même politiques de l'étude du chinois en France, il fallait, pour qu'ils fussent convenablement appréciés, une réunion bien rare et un concours de circonstances que le Ciel n'accorde pas souvent aux vœux des peuples. Un monarque doué du génie le plus pénétrant et des lumières les plus étendues, et qui, comme on l'a dit d'un des plus grands empereurs de la Chine, s'il n'était le premier prince de l'Univers, serait le premier homme de lettres de son empire, a confié le ministère de la paix et des arts à des mains capables de les faire fleurir. Sage dispensateur des grâces royales, un nouveau Colbert sait les diriger sur les études qui ont le plus besoin d'encouragements et de secours. Il sait que la supériorité de la France n'est pas bornée aux armes, et qu'à côté de la gloire qui épouvante la terre, nos princes ont toujours fait asseoir celle qui l'éclaire et qui la console. Achevant après cent ans ce que Louis XIV avait projeté en 1716, le roi accorde à la littérature chinoise le bienfait d'un enseignement public ; en l'assimilant par là aux autres branches de la littérature orientale, il lui permet d'espérer qu'elle aura quelque jour aussi ses Golius et ses Silvestre de Sacy. Heureux et fier d'être leur précurseur, si, mon zèle et mes efforts suppléant à mes talents, je puis contribuer à hâter les progrès de quelques personnes studieuses, toute mon ambition sera satisfaite, et j'oserai même me flatter de n'avoir pas été tout à fait indigne de l'honneur que j'ai reçu.

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Lettre au rédacteur du Journal Asiatique,

Sur l'état et les progrès de la littérature chinoise en Europe

J'approuve beaucoup votre idée, Monsieur, et je crois que le public vous saura gré de lui présenter annuellement, dans le premier cahier du Journal Asiatique, un résumé des travaux qui auront été exécutés, et le tableau des progrès qu'aura faits, dans le cours de l'année précédente, chacune de ces branches de connaissances qu'on réunit chez nous sous la dénomination de littérature orientale. Je serai très empressé de vous remettre, pour la partie dont je m'occupe, les notes dont vous pourrez avoir besoin, et je commencerai, dès aujourd'hui, à m'acquitter d'une tâche que je m'impose avec plaisir. Il faut seulement, pour cette fois, que vous me permettiez de vous entretenir un peu plus longuement que cela ne sera nécessaire à l'avenir. J'ai à vous rendre compte des travaux de plusieurs années ; et d'ailleurs la littérature chinoise a éprouvé depuis peu un mouvement progressif si marqué, elle est maintenant dans un état si différent de celui où elle était il n'y a pas plus de dix ans, que je ne puis me refuser à la satisfaction de vous rappeler les circonstances qui ont amené cette heureuse révolution.

Vous n'ignorez pas, Monsieur, combien l'étude de la langue chinoise a été mal dirigée pendant deux siècles. Les missionnaires, qui y avaient fait de très grands progrès, n'avaient pas donné leur secret aux savants d'Europe. Quelques-uns des premiers avaient laissé accréditer l'idée que la vie d'un homme était trop courte pour apprendre à lire les caractères, et néanmoins plusieurs d'entre eux démentaient, par leur propre exemple, cette opinion si absurde en elle-même. Quant à ceux qui, sans aller en Chine, avaient voulu marcher sur leurs traces, ils avaient pour la plupart suivi une si mauvaise route, que c'eût été merveille si, dans toute leur vie, elle les eût conduits au but. L'analyse la plus simple, la méthode la plus naturelle leur étaient inconnues. On avait fait des caractères chinois comme des hiéroglyphes mystérieux, qu'on ne pouvait entendre que par une sorte de divination. Aussi la découverte la plus insignifiante en ce genre était-elle payée par l'admiration générale. Si l'on eût parlé d'expliquer Confucius ou de traduire un roman chinois, les lettres de Cuper ou de Lacroze, d'Holstenius ou de Peiresc eussent annoncé ce prodige au monde savant. Une centaine de caractères, dont la forme et le sens étaient défigurés comme à l'envi par les graveurs et les dissertateurs, faisaient une réputation brillante en ce genre. C'est ainsi que Spizelius, Menzelius, Tenzelius, André Muller, Masson, ont passé dans leur temps pour savoir le chinois ; leurs essais si vantés alors sont maintenant tombés dans un oubli mérité. Hyde, Bayer, Étienne Fourmont, mieux servis par leurs correspondants de la Chine, avaient acquis des connaissances un peu plus étendues ; mais leurs ouvrages, dont l'imperfection est maintenant bien reconnue, ne pouvaient servir à répandre du jour sur une matière où de si faibles progrès leur avaient coûté tant de peines. Fourmont même fit tort à ses travaux à force d'en exagérer l'importance et les difficultés. On le laissa jouir tout seul d'une conquête qui avait épuisé ses forces, et dont on ne le voyait tirer aucun fruit. Ses deux élèves furent ses meilleurs ouvrages : dirigés par lui vers l'étude du chinois, Deguignes et Deshauterayes acquirent une connaissance assez approfondie du kou-wen, et surent en tirer parti pour des recherches historiques d'une grande utilité. On ne voit pas qu'ils se soient occupés du kouan-hoa, ni par conséquent de la littérature proprement dite. On ne voit pas surtout qu'ils aient rien fait pour se donner des successeurs ou des collaborateurs. Il semblait que le mérite de savoir le chinois fût plus grand tant qu'on le possédait seul. On s'en montrait jaloux, comme d'un trésor qui eut perdu à être partagé. Aussi quand, des deux seuls Français (sans compter les missionnaires) qui eussent été en état de lire les ouvrages chinois, Deguignes mourut le dernier en 1800, il ne se trouva personne pour recueillir son héritage littéraire. L'étude du chinois redevint ce qu'elle avait été avant lui, une étude mystérieuse, vague et insignifiante. On s'occupa de minuties ; on annonça des dictionnaires sans avoir lu un seul livre ; on vanta les beautés de la langue sans la savoir ; on disputa sans fin sur la forme et l'orthographe des caractères ; on en inséra dans de petites dissertations, pour éblouir les lecteurs et en imposer sur la nullité du fonds par la magie de ces brillants accessoires. De Murr et Hager, hommes d'ailleurs d'un grand mérite, me paraissent avoir trop cédé à cette disposition puérile. Il semblait alors à quelques personnes que l'emploi des caractères exotiques devait donner un certain relief à leurs ouvrages, comme si la connaissance d'une langue difficile était un titre de gloire, lors même qu'on n'en fait aucun usage. M. Montucci ne tarda pas à appeler les amateurs de la langue chinoise à des travaux plus judicieux, et M. Klaproth donnant des exemples au lieu de préceptes, montra, par d'heureux essais, comment on pouvait faire tourner la connaissance de cet idiome au profit de l'histoire et de la géographie. Je commençais alors à recueillir les fruits de six années d'études, que le défaut de secours, et d'autres circonstances que je ne veux pas rappeler, m'avaient rendues fort pénibles. J'avais, comme dit Confucius, fait en cent ce qu'un autre eût pu faire en dix. À cette époque, quatre ou cinq personnes pouvaient se flatter en Europe d'avoir acquis, à force de peine et de patience, l'intelligence des livres chinois. Mais le moment approchait où elle devait être ouverte à tous ceux qui voudraient la mériter par un peu de zèle et d'application. Deux circonstances hâtèrent ce moment : la publication du Dictionnaire du père Basile de Glemona, que M. Deguignes le fils prit la peine de faire imprimer, et la création d'une chaire de langue et de littérature chinoises au Collège royal.

J'aurais maintenant à vous rendre compte des efforts qui ont été faits depuis huit ans pour étendre et propager en France la connaissance du chinois ; mais la part que j'y ai prise est le motif même qui m'empêche de m'y arrêter. On n'aurait pu prévoir, il y a quelques années, le succès dont ils ont été couronnés, et dont le Journal Asiatique a déjà offert les preuves incontestables. Il en coûtera moins maintenant de traduire un livre entier, qu'il n'en eût coûté aux Muller et aux Menzelius pour donner l'analyse de quatre ou cinq caractères. C'est qu'enfin l'étude de la langue a été dirigée d'après une méthode philosophique, et qu'on a cessé de s'attacher aux accessoires, en négligeant le principal. Qu'il me soit permis de remarquer qu'un cours public était le meilleur, et peut-être le seul moyen d'atteindre ce résultat. Il est impossible qu'une douzaine d'hommes studieux s'assemblent régulièrement pour s'occuper d'un objet quelconque, sans que leurs idées ne s'étendent et ne se rectifient. C'est l'effet de toute réunion peu nombreuse, que la vérité s'y découvre, et que l'erreur et les préjugés s'y dissipent comme d'eux-mêmes, J'ai eu d'ailleurs ce bonheur particulier dans mes leçons, qu'attirés par l'importance des questions de métaphysique et de haute littérature qui se rattachent à l'étude de la langue chinoise, des hommes d'un esprit supérieur sont constamment venus m'apporter leurs lumières et m'imposer l'heureuse nécessité d'être toujours clair, précis et méthodique. Je ne sais s'ils ont appris de moi un peu de chinois ; mais je leur ai, moi, une bien plus grande obligation, puisqu'ils m'ont instruit à enseigner ce que je savais, et m'ont fait un devoir d'apprendre ce que je savais pas. De tels disciples m'ont été fort utiles quand j'ai rédigé, sous la forme d'une grammaire, les éléments qui offrent le précis de mes dictées, et qui seront désormais le texte de mes leçons. Ce petit volume, dont le plan a reçu quelque approbation, doit contribuer à répandre au dehors l'intelligence du chinois, s'il m'est permis de juger de l'avenir par le passé, et du public par mes auditeurs.

Une circonstance heureuse a concouru avec celles dont je viens de parler. À l'exemple de l'honorable traducteur du code pénal des Mandchous, les Anglais, maîtres du commerce de Canton, ont commencé à s'occuper de littérature chinoise. Un missionnaire protestant (dans toutes les communions le zèle de la religion marche de concert avec le zèle de la science) a entrepris, et partiellement achevé de grands ouvrages. Le dictionnaire de M. Morrison, supérieur sous plusieurs rapports à celui du Père Basile, est surtout préférable à celui-ci pour l'intelligence de la langue vulgaire. L'un et l'autre réunis peuvent être d'un grand secours aux étudiants. Par malheur, les livres imprimés aux Indes seront toujours peu répandus sur le continent, et leur utilité restreinte à un petit nombre de personnes. Il eût toutefois été fort injuste de passer ceux-là sous silence. Les Anglais ont plus fait que nous dans ces derniers temps ; car leurs travaux sur la langue chinoise sont maintenant presqu'au niveau des nôtres, et nous avons beaucoup à travailler pour soutenir la réputation de supériorité que nos missionnaires nous avaient acquise, et que W. Jones lui-même avait reconnue.

La position des savants anglais, les moyens pécuniaires dont ils disposent, et qui sont tels qu'on croirait faire un singulier acte de munificence en accordant pour un ouvrage d'érudition la centième partie de ce que leur coûte, à Macao, l'impression d'un seul dictionnaire ; tout cela donne quelque désavantage aux littérateurs d'Europe, qui sont souvent plus embarrassés de publier un livre que de le faire. Mais si nous pouvons être devancés par ces heureux émules dans la publication des textes, et de tout ce qui exige de grands frais d'impression, nous avons pour dédommagement la critique historique, où nous conserverons longtemps l'avance que nous ont procurée les travaux des Gaubil, des Mailla, des Visdelou, des Deguignes, des Klaproth. En marchant sur leurs traces, que de choses ne pouvons-nous pas faire à Paris, à la Bibliothèque du Roi, qu'on ne pourrait tenter, dont on ne s'aviserait même pas à Canton, ou au collège anglo-chinois de Malacca ! Les savants des deux nations peuvent se partager la tâche, et s'acquitter chacun de leur côté de la portion qui leur sera dévolue, au grand avantage des lettres et de la vérité. Moins bien placés pour découvrir et pour recueillir des matériaux, nous sommes plus en état de comparer et de discuter. Nous sommes surtout plus disposés à dédaigner une futile rivalité, à rendre justice aux efforts de nos concurrents, et par conséquent à en profiter. L'avantage en pareil cas reste toujours au moins partial. Nous nous servirons du Dictionnaire de M. Morrison pour traduire, et peut-être dans dix ans fera-t-on encore à Macao des tables chronologiques de l'empire chinois, sans avoir lu l'histoire des Huns.

Toutefois, il est juste de le dire, un honorable changement s'est opéré dans l'esprit de ceux qui cultivent la littérature chinoise. Ils sentent le besoin d'avoir des collaborateurs, et ils les appellent de toutes leurs forces. Les premiers qui avaient abordé cette étude voulaient garder tout pour eux, parce qu'ils possédaient peu de choses. Ceux d'à présent veulent communiquer ce qu'ils ont acquis, parce qu'ils sont riches, et qu'ils sentent qu'ils le deviendront davantage en partageant. Que de travaux, en effet, dont un seul homme ne saurait se charger, et qu'une réunion de personnes laborieuses peut seule entreprendre sans témérité ! Tirer des livres chinois les matériaux d'un dictionnaire historique et géographique, comme la Bibliothèque orientale de d'Herbelot ; compléter l'histoire de la Tartarie, du Tibet, de l'Inde au-delà du Gange, du Japon ; étendre et rectifier nos connaissances géographiques sur l'intérieur de toutes ces contrées ; traduire les livres sacrés de Bouddha, dont les originaux indiens sont vraisemblablement perdus pour nous, ceux des adorateurs du Logos (tao-sse), que nos missionnaires ont pour la plupart traités avec un dédain si injuste et si mal entendu ; extraire des ouvrages encyclopédiques ou spéciaux les notions relatives à l'histoire naturelle, aux arts utiles, aux procédés mécaniques ; faire connaître, par des traductions complètes ou des analyses étendues, les pièces de théâtre, les meilleurs romans, les recueils de poésie : voilà une partie de ce qu'il faudrait faire, et, j'ose le dire, de ce que nous ferons, si nos efforts pour aplanir la route et ouvrir l'accès aux étudiants, ne demeurent pas absolument infructueux.

Je tirerai cette assurance du changement même qui s'est opéré dans les idées, et de la multitude des notions fausses qui ont disparu depuis quelques années. Rappelez-vous, Monsieur, ce qu'on pensait encore des Chinois en 1812 ; les disputes dont ils étaient l'objet ; l'ignorance et les préjugés que les écrits mêmes des missionnaires n'avaient pu complètement effacer. L'étude de la langue et de l'écriture chinoises exigeait, disait-on, la vie d'un homme : or, je ne parlerai ici ni de sir Georges Staunton, ni de M. Klaproth, dont les travaux sont hors de rang, et ont d'ailleurs devancé l'époque dont je parle ; mais MM. Morrison, Milne, Marshman, M. Thoms, imprimeur de la Compagnie à Macao, et plusieurs autres, les ont apprises en quelques années ; et, pour ne citer parmi les Français que celui qui a enrichi votre dernier numéro d'une intéressante traduction, M. F. Fresnel n'a pas mis deux années pour être en état de lire et d'interpréter des ouvrages aussi difficiles que le sont les romans. On vantait beaucoup le mécanisme de l'écriture, et bien des gens l'admiraient sur parole : trois grammaires, autant de dictionnaires, un excellent supplément au vocabulaire du père Basile, ont réduit l'idée qu'on s'en formait à sa juste valeur ; et des règles pratiques, restreintes à ce qu'elles ont d'utile et d'applicable, ont remplacé les suppositions vagues et les notions erronées. On a déchiffré la plus antique inscription de la Chine, recherché dans les écritures modernes ce qui restait de vestiges des plus anciennes, et tracé par les faits l'histoire de l'invention des caractères chinois, et de leur diverses transformations, depuis la représentation directe des objets matériels, aux époques les plus reculées de l'histoire, jusqu'aux moyens postérieurement imaginés, par les Japonais et les Coréens, pour exprimer des syllabes et constituer un alphabet. Sur la parole d'un missionnaire peu instruit, on répétait sans cesse que les Chinois étaient le plus ignorant des peuples en géographie, et qu'avant les jésuites, ils ne connaissaient pas même les pays situés au nord de la Grande muraille et des déserts de Sable. On les a vengés de ce reproche, toujours par des faits, en montrant que leurs frontières avaient été portées jusque sur la mer Caspienne ; que des provinces de Perse avaient été réunies à l'empire, qu'ils avaient connu jusqu'aux Lupones de la carte de Peutinger ; et qu'en un mot c'était chez eux qu'il fallait chercher des renseignements précis sur l'histoire et la géographie physique et politique de la Boukharie et du Mawarennahar. On a tiré d'un de leurs livres la description la plus complète qu'on possède encore du Camboge ; on s'est servi de leurs cartes et de leurs relations pour éclaircir un grand nombre de points obscurs de la géographie de l'Asie, dans le moyen âge ; et le plus beau travail qu'on ait encore exécuté en ce genre, aura pour base les descriptions et les itinéraires des Chinois. On a déjà vu deux exemples remarquables du parti qu'on en pouvait tirer. Deux archipels, inconnus à nos navigateurs, ont passé des cartes chinoises sur les nôtres, et cette double découverte est un résultat plus avantageux à la géographie, et il a été obtenu à moins de frais que ceux de certains voyages de long cours. On disait que ces peuples avaient toujours négligé l'étude des langues étrangères ; mais le nom qu'ils donnent à la langue samskrite ayant été reconnu, on a trouvé qu'ils avaient des dictionnaires samskrits ; que leurs savants avaient fait des traductions d'ouvrages indiens et tibétains ; on a appris aussi, non sans quelque étonnement, qu'ils possédaient des dictionnaires polyglottes, et qu'il y avait, depuis six siècles, à Peking, un collège pour l'enseignement des langues occidentales, ainsi qu'une institution pour les jeunes de langues et les interprètes. On a fait plus : on s'est aidé des documents renfermés dans leurs livres historiques, pour tracer, avec le secours des langues, l'origine et la descendance des tribus de races diverses dans la haute Asie ; et votre précédent numéro annonçait un nouveau travail, où l'emploi des mêmes moyens amènera sans doute des résultats encore plus précis. On supposait que les Chinois avaient toujours été sans communication avec les nations de l'Occident ; mais on n'a pas seulement retrouvé dans leurs livres les détails les plus exacts sur ce commerce de la soie, dont le terme oriental était inconnu et livré aux disputes des savants ; on a découvert, dans la liste des patriarches, successeurs de Bouddha, un monument du plus haut intérêt pour la chronologie orientale et l'histoire ancienne de l'Hindoustan. On a montré les principes pythagoriciens et platoniciens enseignés par leurs philosophes avant l'époque de Platon et de Pythagore, le nom ineffable de JEHOVAH, le dogme du Logos et celui de la triade platonique, j'ai presque dit le secret des mystères, dans un ouvrage chinois du cinquième siècle avant notre ère. Les idées qu'on s'était formées des mœurs, des habitudes et des institutions du peuple chinois, n'ont pas été moins complètement réformées par la traduction des ouvrages de législation, de philosophie ou de littérature qui ont paru depuis dix ans, soit en France, soit en Angleterre. Généralement, et en toute matière, c'était sur des passages extraits des livres chinois et traduits par les missionnaires qu'on avait raisonné. Le sens en était toujours incertain, et l'interprétation sujette à la controverse. Maintenant ce sont les originaux que l'on consulte et que l'on cite, avec autant de facilité que de sécurité.

Ces ouvrages sont devenus l'une des sources qu'il n'est plus permis à la critique de négliger.

Je n'ai d'autre objet, Monsieur, en vous rappelant tous ces faits, que de répondre à votre question sur les progrès que la littérature chinoise a pu faire depuis dix ans. Vous voyez que ces progrès sont immenses, et que, par leur nature, ils ne peuvent manquer d'en amener d'autres plus considérables encore. Cette étude a pris un des premiers rangs parmi les branches de la littérature asiatique, et il est désormais impossible qu'elle le perde. On étudiera le chinois, comme le samskrit ou l'arabe, si l'on veut acquérir des idées nouvelles, des notions justes, des connaissances positives sur l'homme et sur la nature, sur le présent et sur le passé, dans un espace qui embrasse la moitié de l'Asie, et qui comprend le tiers de la race humaine ; on l'étudiera pour compléter l'histoire des émigrations des peuples, des révolutions de l'ancien monde et du moyen âge, de la marche et des aberrations de l'esprit humain, et pour tracer, sur un plan plus vaste, le tableau des croyances et des doctrines, et le catalogue des erreurs, bien plus riche et presque aussi intéressant que celui des vérités. Les motifs qui ont appelé à cette étude Gaubil, Prémare, Deguignes, qui, malgré les difficultés dont on la croyait entourée, sollicitèrent tant de fois Leibnitz et Fréret, ces motifs subsistent tout entiers, ou, pour mieux dire, ils se sont accrus et multipliés par le progrès même des connaissances : les obstacles seuls ont disparu. Et ce ne sont pas les faibles et incertains produits d'une mine à peine entr'ouverte, ou les restes d'une mine épuisée, qui s'offrent aux amateurs de la langue chinoise ; c'est une littérature toute entière, toute neuve, une matière riche et comme inépuisable aux découvertes les plus intéressantes. Ne vous étonnez donc pas si le zèle du prosélytisme nous anime, et si, empressés de voir exécuter ce que nous avons projeté, nous aspirons au moment où la langue chinoise sera aussi généralement connue que le sont dès à présent l'arabe ou le persan. Ceux qui lui accorderont la préférence, auront un avantage entre mille autres : celui de pouvoir plus aisément atteindre et dépasser leur guide.

Je suis, etc.

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Explication d'une énigme chinoise

Jean-Pierre ABEL-RÉMUSAT (1788-1832) : Mélanges asiatiques. Choix de morceaux de critique et de mémoires. Librairie orientale de Dondey-Dupré père et fils, Paris 1825. Deux tomes, 456 et 428 pages.
Une énigme chinoise.

M. Morrison, dans son Dictionnaire anglais-chinois, donne, au mot enigma (part. III, page 142) la transcription d'une énigme chinoise dont le sens doit se tirer de la forme accidentellement donnée à certains caractères. Il n'y a joint aucune explication, parce que, dit-il, les personnes versées dans le chinois la comprendront aisément. Effectivement, cette énigme n'est pas très difficile à deviner, mais il faut quelques détails pour la rendre généralement intelligible. On la trouvera sur la planche lithographiée ci-jointe.

Elle consiste en douze caractères diversement altérés pour indiquer un sens différent de celui qu'ils auraient s'ils étaient écrits correctement. À côté de chaque caractère, j'ai mis, à gauche, le signe correct ; et à droite, la valeur nouvelle qu'il acquiert en chinois par l'effet des changements qu'on lui a fait subir.

N° 1. Ye, nuit. Ce caractère est fort allongé ; il faut entendre ye tchhang, une longue nuit.

N° 2. Tching, oreiller, traversin. Ce caractère est couché horizontalement, houng tching, l'oreiller étant mis en travers.

N° 3. Yi, pensée. Ce signe composé renferme l'image de cœur, qui est ici déplacée et rejetée à gauche, yi sin waï, le cœur de yi dérangé, pour le cœur et les pensées troublées.

N° 4. Youeï, lune, écrit obliquement sie youeï, la lune inclinée (à l'horizon).

N° 5. Keng, veille, répété trois fois, san keng, trois veilles, pour à la troisième veille.

N° 6. Khaï, ouvrir. On n'a écrit que la moitié de ce caractère qui est formé de l'image de porte ; men pan khaï, pour la porte à moitié ouverte.

N° 7. Ming, vie, écrit en raccourci, touan ming, la vie courte.

N° 8. Kin, maintenant, renversé, tao kin ; mais le mot qui exprime le sens de renversé, tao, signifie aussi jusque, jusque maintenant, jusqu'à présent.

N° 9 Sin, croire. Dans ce caractère doit entrer l'image de bouche ; on l'a supprimée : c'est donc sin sans bouche, wou kheou sin, nulle nouvelle.

N° 10. Kan, foie, l'organe de l'âme, tracé d'une manière très allongée, kan tchhang, sentiments prolongés, éternels.

N° 11. Wang, espoir, écrit en deux parties séparées, wang touan, espoir interrompu, détruit.

N° 12. Laï, venir. Ce caractère doit contenir deux fois l'image d'homme, mais on l'a omise, ce qui fait un laï sans homme, wou jin laï, c'est-à-dire, personne ne vient.

On voit qu'il y a à proprement parler douze énigmes ou logogriphes, et que chaque signe altéré est le sujet d'une petite phrase qui s'applique et au signe altéré, et à un autre objet qu'il faut deviner. Il en résulte les quatre vers suivants, qui sont réguliers :

Ye tchhang, houng tchïn, yi sin waï ;
Sie youeï, san keng, men pan khaï ;
Touan ming, tao kin wou kheou sin,
Kan tchhang, wang touan, wou jin laï.

Dans une longue nuit, couché sur l'oreiller, mon cœur est troublé de pensées.
La lune s'abaisse, on est à la troisième veille ; ma porte est à moitié entr'ouverte.
La vie est courte ; jusqu'ici je n'ai pas de nouvelles.
Mes sentiments sont durables, mais j'ai perdu l'espoir ; personne ne vient.

Rien n'est plus commun que cette espèce de griphe, où l'on fait allusion à la forme des caractères, considérés avec ou sans altération. Puisque j'en suis venu à parler de ces bagatelles difficiles, difficiles nugæ, j'en donnerai quelques autres exemples. Dans le caractère se (Pl., n° 13), volupté, la partie supérieure ou la tête ressemble au caractère qui signifie couteau (n° 14) ; de là l'expression tao-theou (n° 14 et 15), tête en couteau, qui signifie voluptueux.

On demande quelle est la chose que Thang (n° 16, l'empereur Yao) et Iu (n° 1, l'empereur Chun) avaient, et que cependant Yao (n° 18) et Chun (n° 19) n'avaient pas ; que les dynasties de Chang (n° 20) et de Tcheou, (n° 21) avaient, et que leurs fondateurs Tang (n° 22) et Wou-wang n'avaient pas ; qui se trouve dans l'ancienne littérature (Kou-wen, n° 24), et qui n'existe pas dans la nouvelle (Kin-wen) ; on répond : la bouche (n° 26), qui se trouve dans les noms de thang, de iu, de chang, de tcheou, et dans le mot kou, et qui ne se trouve pas dans les mots yao, chun, tching, wou, kin.

Du haut en bas, de droite à gauche, deux debout, deux couchés, en tout, quatre croix et huit têtes : c'est le caractère tsing (puits, n° 27), qui satisfait à ces conditions. Remarquez qu'il y a une double équivoque, parce que le caractère qui a la forme d'une croix signifiant dix, on peut lire quarante-huit têtes.
Quel est le caractère qui a quatre bouches et un dix ? Quel est celui qui a quatre dix et une bouche ? Le premier est thou (carte, n° 28), le second pi (fin, n° 29.)

Il y a un caractère qui est l'objet d'un jeu semblable : un trait de plus, il est froid (ping, glace, n° 31). Deux traits de moins, il est petit (siao, n° 32) ; changez un trait, c'est du bois (mou) ; redressez-le, c'est un ruisseau (tchhouan). Ce caractère est chouï (eau, n° 30). Il y a un autre petit conte au sujet du même caractère : Deux bossus se tournaient le dos ; un mauvais plaisant vint dresser une perche entre eux, et dit : Voilà de l'eau. La raison de cette impertinence se voit dans la forme du caractère chouï.

En voilà assez sur ces puérilités, dont je n'aurais jamais dit un mot s'il ne s'était présenté une occasion d'en parler une fois pour n'y revenir jamais. Ces allusions à la forme des caractères n'ont aucun sel pour nous, et il est même difficile de les faire bien comprendre ; sans cela j'aurais pu en offrir de moins insignifiantes.

Les Chinois ont aussi des énigmes proprement dites, dans lesquelles il entre un peu plus d'invention. Ce sont des définitions qu'on laisse incomplètes à dessein, pour que le lecteur puisse suppléer ce qui y manque. Par exemple :

Qu'est-ce qui distingue clairement la succession des affaires, et qui se souvient nettement des paroles des hommes ?
— L'histoire.

Qu'est-ce qui suit un homme à cent lieues, habite avec lui, n'a besoin ni de thé ni de riz, ni de fleurs, ne craint ni l'eau ni le feu, ni les armes, et disparaît quand le soleil est couché ?
— L'ombre.

— Qu'est-ce qui est tourné vers le nord quand vous regardez vers le midi, qui s'afflige et se réjouit avec vous ?
— Un miroir, etc.

Les plus difficiles parmi ces bagatelles sont celles où l'on fait entrer des allusions à des traditions ou à des anecdotes peu connues, ou des substitutions de mots homophones. Ce sont les turlupinades du dix-septième siècle, et les calembours du dix-neuvième. Les Chinois ont de ces recueils, comme ils en ont d'ana, de rébus, de quolibets, et de mille autres sortes de futilités. Sur ce point même, ils peuvent soutenir la comparaison avec les Européens.


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