Nicolas Prjévalski

DE ZAÏSSANSK AU THIBET ET AUX SOURCES DU HOANG-HO (FLEUVE JAUNE)

Troisième voyage en Asie centrale 1879-1880

 

Revue Le Tour du Monde, Paris : volumes 53, 1887/01, pages 1-80  , et 54, 1887/02, pages 209-240, illustrées de 77 dessins et compositions d’Y. Pranishnikoff, d’après l’édition russe, et de 2 cartes. Texte condensé par J. Riel, sur la traduction de Mme Jardetsky.

 

Quelques gravures - Table des matières
Extrait : Les Kara-Tangouts
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Quelques gravures


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Table des matières


  1. — Zaïssansk, le lac Oulioungour et le fleuve Ouroungou.
  2. — De l’Altaï au Tian-Chan
  3. — De Barkoul à Khami
  4. — L’oasis et le désert de Khami
  5. — Oasis de Sa-tchéou — Localités voisines du Nan-Chan
  6. — Le Nan-Chan
  7. — Notre séjour sur le Nan-Chan
  8. — Le Tsaïdam
  9. — Le Thibet du Nord
10. — Voyage à travers le Thibet septentrional
11. — Suite de notre voyage à travers le Thibet du Nord
12. — Halte près du mont Boumza
13. — Retour au Tsaïdam
14. — Du Tsaïdam au Koukou-nor et à Sinin
15. — Exploration des sources du fleuve Jaune
16. — Exploration du cours supérieur du fleuve Jaune
17. — Séjour d’été aux bords du Koukou-nor. Seconde exploration du Nan-chan oriental.
18. — Voyage à travers l’Ala-chan et le Gobi central.


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Les Kara-Tangouts

Les Kara-Tangouts forment toute la population de la partie du bassin supérieur du Hoang-ho que nous avons explorée. Une minime partie d’entre eux est établie à demeure fixe dans la région voisine de l’oasis de Gouï-Douï : les autres sont nomades. Les premiers sont généralement désignés sous le nom de Djakhou, et les seconds sous celui de Rounva. Ceux-ci se subdivisent en nombreuses tribus, qui reconnaissent peu l’autorité des gouverneurs chinois et ne payent aucun impôt. Il est impossible d’en indiquer le nombre ; il doit être considérable, car on en rencontre partout. Ces tribus sont entre elles dans un état de guerre permanent au sujet de la possession des pâturages. Par leur physionomie, les Kara-Tangouts se distinguent facilement des Thibétains et de ceux de leurs congénères que nous avons été à même d’observer. Chez eux la face est plus large, les oreilles plus détachées, les yeux plus obliques, surtout chez les jeunes gens ; en un mot ils se rapprochent plus du vrai type mongol. On rencontre des figures supportables chez les petits garçons et les jeunes gens ; mais les vieillards sont fort laids, d’autant plus que leur teint, généralement couleur cannelle, fonce beaucoup en vieillissant. Ils ne portent ni barbe ni moustaches ; il est probable que chez eux cet ornement pousse mal. Ils se rasent la tête, en laissant parfois une tresse sur la nuque. Ils ont tous un long sabre passé dans la ceinture et portent souvent un fusil à mèche ou une lance. Les femmes sont de taille moyenne : dans leur jeunesse elles ne sont quelquefois pas désagréables. De même que les hommes, elles ont toutes les yeux et les cheveux noirs ; elles recherchent les ornements et les bijoux. Elles séparent leurs cheveux au milieu de la tête et en forment deux longues tresses qu’elles garnissent de grains de corail, de plaques d’argent ou de cuivre, de coquillages, et qu’elles attachent par derrière au moyen de larges rubans. Leur costume, identique à celui des hommes, consiste en une vaste pelisse de peau de mouton, en un caftan de drap ou de dalemba, un pantalon de même étoffe et une paire de bottes chinoises. Les deux sexes se couvrent la tête de bonnets en dalemba ou en peau de mouton et parfois d’étroits chapeaux de feutre.

Des tentes de feutre noir servent de demeures aux Kara-Tangouts ; elles ne diffèrent de celles des Thibétains que par la disposition du foyer intérieur. Il est à remarquer qu’ils ne brûlent que de l’argal, quoique le bois soit abondant dans le pays. Sans doute pour plus de sécurité, ils établissent toujours plusieurs tentes à proximité l’une de l’autre, et de préférence sur une hauteur. Chaque groupe est gardé par plusieurs chiens assez semblables à nos terre-neuve ; ces animaux, très farouches, surveillent aussi les troupeaux, seule richesse de leurs maîtres.

Les Kara-Tangouts n’élèvent guère que des yacks ou des moutons ; ils ont peu de chevaux et point du tout de bœufs ni de chameaux. Dans leurs montagnes ils trouvent d’excellents pâturages ; mais ils ne peuvent passer l’hiver sur les plateaux, sans doute à cause de l’abondance des neiges, et en automne ils transportent leurs tentes dans les défilés les plus profonds. Leurs troupeaux leur donnent la nourriture, viande, beurre et lait, auxquels ils ajoutent du thé et du dzamba que leur vendent les Chinois.
Les Kara-Tangouts sont en général d’un caractère morose et cupide ; jamais chez eux nous n’avons vu un air aimable, ni entendu un éclat de rire ; les enfants mêmes ne jouent pas. Ils se livrent souvent au pillage : les Mongols du Koukou-nor et du Tsaïdam les redoutent et leur donnent le nom d’Oroughyns, comme nous l’avons vu ; mais les Kara-Tangouts n’attaquent jamais que là où ils ne rencontreront pas de résistance : ils sont très poltrons, comme tous les Asiatiques, en outre indolents et malpropres ; de même que tous les nomades, ils abandonnent leurs morts dans les champs, pour servir de pâturage aux animaux ; ils ne brûlent que leurs lamas.

Les Tangouts nomades n’ont qu’une seule femme, qui est souvent une Mongole ravie dans leurs incursions. Ceux qui sont sédentaires, sans doute par économie, n’ont généralement qu’une femme pour deux ou trois hommes ; nous avons déjà rencontré cette coutume au Thibet. Cette femme est maîtresse au logis, seulement elle a toute la charge du ménage et du bétail. D’après ce qu’on nous a dit, la langue des Tangouts diffère beaucoup de celle des Thibétains. Ils sont tous bouddhistes, mais nous ne savons pas de quelle secte.

Quoique fort enclins au brigandage, ces gens sont très pieux ; on rencontre fréquemment des hommes tenant un chapelet et marmottant des prières ; il y a un lama dans chaque tente, et les chapelles ne sont pas rares, même dans les montagnes les plus sauvages. On offre dans ces temples une partie des objets pillés, pour obtenir la rémission du péché. A côté de la stricte observation des pratiques religieuses, les sortilèges ont aussi leur place ; ils sont pratiqués par des chamans appartenant à la classe des lamas, que leur bizarre coiffure distingue des autres. Comme les sorciers africains, ces chamans ont la réputation de faire tomber la pluie, d’éloigner la grêle et la foudre. On raconte partout leurs miracles. Les chamans ont une très grande influence sur les Tangoutes ; on les respecte, on leur sert les meilleurs plats, et l’on craint fort de les blesser par quelque parole inconsidérée.


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