Gabriel Devéria (1844-1899)

Biographie

LA FRONTIÈRE SINO-ANNAMITE

Description géographique et ethnographique
d'après des documents officiels chinois traduits pour la première fois

Ernest Leroux, Paris, 1886.

  • Introduction aux notes ethnographiques : "Dans la partie méridionale du Céleste Empire habitent des peuplades de race non-chinoise qu'il importe d'autant plus de mieux connaître que plusieurs d'entre elles se trouvent en contact avec nous au Tong-king. Bien que les noms que leur donnent les Chinois soient loin d'avoir une signification ethnique et qu'ils puissent même varier avec les localités tout en désignant les individus d'une même race, nous avons pensé qu'à défaut de renseignements plus précis, les descriptions de ces peuplades puisées aux sources chinoises pourraient offrir quelque intérêt."
  • "Les notices que nous publions aujourd'hui en les annotant sont extraites d'un recueil ethnographique intitulé Houang Tsing tche-kong t'ou, c'est-à-dire Tableau descriptif des peuples tributaires de la dynastie Tsing. C'est en 1761 que l'empereur Khien-long ordonna par décret à ses vice-rois et gouverneurs provinciaux d'envoyer au Conseil privé les documents nécessaires à la composition de cet ouvrage qui n'a été terminé qu'en 1773 et forme neuf livres. Chacune des descriptions qu'il donne est accompagnée de deux planches."
  • "Ce tableau des peuples tributaires ne compte pas moins de dix-neuf peuplades différentes dans les huit préfectures chinoises dont les territoires confinent au Tong-king septentrional. Nous n'avons pas tenté de les classer d'une manière ethnique ; ce n'est que plus tard que leur histoire mieux connue et leur philologie permettront peut-être de les grouper méthodiquement ; nous n'avons tenu compte pour le classement de leurs descriptions que des lieux qu'occupent ces peuplades sur la frontière sino-annamite en procédant de l'est à l'ouest."

Extraits : Préface. [Cartographies de la frontière sino-annamite]
Notes ethnographiques : Les Yao - Les Pa-y ou P'ô-y - Les P'o-la - Les Miao Lolos - Les Lolos blancs et les Lolos noirs
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Préface. [Cartographies de la frontière sino-annamite]

Carte 5, in Gabriel Devéria (1844-1899). La frontière sino-annamite. Ernest Leroux, Paris, 1886.
Carte n° 5. — Carte de la préfecture de Taï-ping fou, publiée dans la grande Géographie impériale chinoise.

Trouvant incomplètes, dans leur partie chinoise, les cartes du Tong-king publiées ces dernières années, j'ai voulu y pointer plusieurs places omises dont certains ouvrages chinois me donnaient la position ; j'eus ainsi l'occasion de constater que ces cartes étaient non seulement incomplètes mais encore inexactes en différents points ; pour les contrôler j'ai dû remonter aux seules sources vraies de notre cartographie chinoise, c'est-à-dire aux travaux de triangulation que les missionnaires ont exécutés de 1708 à 1718 par ordre de l'empereur de la Chine. Aucun des voyageurs qui, depuis cette époque, se sont rendus dans les provinces méridionales du Céleste Empire n'ont renouvelé ou complété les observations qui avaient été ainsi faites sur place au XVIIIe siècle, si ce n'est M. de Kergaradec, en 1877, à Lao-kaï seulement. Les travaux géographiques des missionnaires sont donc, encore à l'heure qu'il est, ce que nous possédons de plus nouveau sur les parties du territoire chinois qui bordent le Tong-king : ils se trouvent résumés dans un grand atlas contenant trente et une cartes gravées dressées au méridien de Péking avec légendes en caractères chinois.

Carte 6, in Gabriel Devéria (1844-1899). La frontière sino-annamite. Ernest Leroux, Paris, 1886.
Carte n° 6. — Carte de la préfecture de Taï-ping fou, publiée dans la grande Encyclopédie administrative chinoise.

D'Anville, le premier et peut-être le seul de nos géographes qui en tira parti, publia, en 1729, en les laissant au méridien de Péking, les cartes des provinces du Kouang-tong, du Kouang-si et du Yun-nan, cartes qui étaient l'œuvre des jésuites Cardoso et du Tartre pour le Kouang-tong et le Kouang-si, Fridelli, Bonjour et Régis pour le Yun-nan ; ces trois cartes françaises de l'atlas de D'Anville ont les mêmes proportions que les cartes chinoises des jésuites ; elles ont eu deux éditions, l'une de La Haye, l'autre de Paris. Ayant constaté quelques désaccords entre ces deux éditions, j'ai dû examiner les cartes manuscrites de d'Anville qui se trouvent à la Bibliothèque Nationale et j'ai pu établir de la sorte qu'elles n'étaient fidèlement reproduites que par l'édition de Paris mais que malheureusement d'Anville avait commis certaines erreurs que nos géographes n'ont cessé de reproduire et même aggraver, faute d'avoir pu examiner par eux-mêmes, comme je viens de le faire, notre seule base cartographique pour la Chine méridionale, c'est-à-dire l'atlas chinois des jésuites que possède le Département des Affaires Étrangères.

Carte 7, in Gabriel Devéria (1844-1899). La frontière sino-annamite. Ernest Leroux, Paris, 1886.
Carte n° 7. — La préfecture de Taï-ping fou d'après la carte du Kouang-si dressée par les jésuites (moins les montagnes marquées à la chinoise). Agrandissement et transformation au Méridien de Paris.

De plus, sans doute pour ne pas surcharger ses cartes faites à une petite échelle, d'Anville a volontairement négligé la légende de presque tous les points que les jésuites ont marqués d'un simple cercle ; or, ce signe indique indifféremment les postes-frontières, gorges, cols, passes ou défilés donnant accès de Chine au Tong-king, les stations militaires et les villages, distinctions qu'on ne peut établir que par la traduction de ces légendes qu'il ne faut plus laisser de coté si l'on veut se rendre compte, mieux qu'on ne l'a fait jusqu'ici, de ce qu'est la frontière sino-annamite.

Telles sont les considérations qui m'ont fait juger nécessaire de refaire au méridien de Paris, une carte reproduisant, en l'agrandissant, toute la partie du travail cartographique des jésuites ayant trait à la frontière méridionale du Céleste Empire. À cette carte j'ai ajouté sous le titre de « Description de la frontière sino-annamite » un recueil de notes destinées à compléter dans une certaine mesure les cartes des jésuites faites à une trop petite échelle pour ne pas offrir elles-mêmes bon nombre de lacunes et quelques imperfections qu'il importait au moins de signaler. Ces notes sont pour la plupart empruntées au texte officiel de deux ouvrages géographiques chinois qui jouissent de la plus grande autorité auprès des fonctionnaires du Céleste Empire : la grande Géographie Impériale et la grande Encyclopédie administrative chinoises.

Ce double travail que nous publions m'a permis de faire les constatations suivantes :

Carte 8, in Gabriel Devéria (1844-1899). La frontière sino-annamite. Ernest Leroux, Paris, 1886.
Carte n° 8. — Partie sud-ouest de la carte de la préfecture de Nan-ning fou publiée dans la grande Géographie impériale chinoise.

1° La grande Géographie Impériale chinoise donne la distance qui sépare de la frontière annamite les villes chinoises qui en sont les plus voisines ; on peut donc dire que, au moins d'une manière générale, cette frontière existe : on en voit le tracé sur toutes les cartes chinoises et elle est suffisamment bien indiquée tant par la carte des jésuites que par les descriptions de la grande Géographie Impériale chinoise, pour qu'il soit possible de dégager de leur étude la liste un certain nombre de points pouvant servir de jalons au tracé ou à la reconnaissance de cette frontière existante.

2° Même dans les plus récentes éditions des ouvrages géographiques purement chinois la cour de Péking ne pourrait rien trouver qui pût corroborer ce qu'ont allégué quelques-uns de ses fonctionnaires, c'est-à-dire que la frontière de Chine est fort mal connue ou délimitée et qu'il existe entre les deux pays une vaste région qu'on ne sait auquel attribuer.

Carte 9, in Gabriel Devéria (1844-1899). La frontière sino-annamite. Ernest Leroux, Paris, 1886.
Carte n° 9. — Partie sud-ouest de la carte de la préfecture de Nan-ning fou, publiée dans la grande Encyclopédie administrative chinoise.

Entre les préfectures ou sous-préfectures chinoises du Yun-nan les plus voisines de l'Annam et les préfectures ou sous-préfectures annamites les plus rapprochées de la Chine se trouvent vraisemblablement quelques territoires occupés en partie par des tribus semi-indépendantes de race non chinoise ; tout au plus serait-ce sur le partage de quelques-uns de ces territoires que pourrait s'élever quelque contestation si, dès le siècle dernier, la cour de Péking n'en avait accaparé ce qu'il lui fallait, c'est-à-dire la plus grande partie, pour se créer des marches frontières qui l'ont mise en possession plus ou moins réelle des montagnes et des défilés constituant aujourd'hui les limites naturelles du Céleste Empire. La grande Géographie Impériale nous donne le nom de ces marches, de ces montagnes et de ces défilés ainsi que leur position par rapport à des points connus. Par contre cet ouvrage qui a toute la valeur d'un document officiel, ne fait pas même allusion à aucune des préfectures ou sous-préfectures que les descriptions, statistiques et cartes annamites nous ont fait attribuer jusqu'à présent aux cinq provinces septentrionales de l'Annam qui sont limitrophes de la Chine, c'est-à-dire celles de Quang-yên, Lang-son, Cao-bang, Tuyên-Quang et Hung-hoa.

La Chine ne pourrait donc, sans se mettre en contradiction avec ses propres descriptions géographiques officielles ou autres, réclamer comme lui appartenant aucune parcelle des préfectures ou sous-préfectures annamites dont notre appendice n° 1 donne la liste.

Carte 10, in Gabriel Devéria (1844-1899). La frontière sino-annamite. Ernest Leroux, Paris, 1886.
Carte n° 10. — Fragment de la carte des jésuites représentant le même territoire que les deux cartes précédentes.

3° La ligne frontière qu'ont tracée les jésuites sur leurs cartes des provinces du Kouang-tong, du Kouang-si et du Yun-nan est plutôt maxima que minima : au lieu, par exemple, de partager les défilés, cette ligne semble les déborder pour s'arrondir au profit de la Chine.

C'est le fleuve Tieh-lang kiang que la grande Géographie Impériale chinoise assigne comme limite à la province du Kouang-tong du côté du Tong-king, or, les jésuites, sur leur carte, ont avancé vers l'ouest cette limite jusqu'à un cours d'eau qu'ils appellent Ngan-nan kiang (c'est-à-dire fleuve Annamite) et que ne mentionne aucun des textes officiels que nous avons consultés.

Dans la préfecture yunnanaise de Khaï-hoa fou la rivière Tou-tcheou doit, selon la Géographie Impériale, franchir isolément la frontière annamite, or, les jésuites ont fait descendre celle-ci au-dessous du confluent de la rivière Tou-tcheou et de la rivière P'an-long kiang.

Ces erreurs dans le tracé de la frontière yunnanaise peuvent sans doute s'expliquer par ce fait que les jésuites, mathématiciens de l'empereur Kang-hi, n'ayant peut-être pas dépassé dans leurs explorations du Yun-nan les villes les plus méridionales de cette province, ont dû préférer tricher en plus qu'en moins lorsqu'ils ont eu à déterminer au sud des places dont ils avaient observé les hauteurs, une ligne frontière pour le tracé approximatif de laquelle ils n'avaient, disent-ils eux-mêmes, que des indications fournies par quelques voyageurs chinois.

4° Contrairement à ce que nous montrent la plupart de nos cartes, tous les cours d'eau qui, sortant des provinces annamites de Tuyên-quang, Thaï-nguyên et Lang-son, arrosent la partie nord-est du Tong-king, c'est-à-dire la province de Cao-bang, se rejoignent pour couler dans le bassin chinois où ils forment la rivière Long appelée aussi Li-kiang) ; celle-ci déverse ses eaux dans le Tso-kiang ou rivière de Gauche qui elle-même par le Si-kiang ou fleuve Occidental rejoint la mer à Canton.

Long-tcheou, point de concentration des forces chinoises du Kouang-si lors du conflit franco-chinois, se trouve donc mis en communication avec Canton par cette série de cours d'eau dont aucun ne se déverse dans le golfe du Tong-king.

5° Les cartes des jésuites, telles que les Chinois les ont reproduites par leur procédé xylographique, sont trop défectueuses au point de vue orographique pour qu'il nous ait paru utile de reproduire les montagnes telles quelles y figurent. C'est au jugé, d'après la direction des cours d'eau, que d'Anville, en copiant ces cartes, a pris sur lui de tracer les montagnes qui figurent sur les siennes.


Notices ethnographiques

extraites du Houang Tsing tche-kong t'ou, Tableau descriptif des peuples tributaires de la dynastie Tsing (1773)


Les Yao

Les Yao de la préfecture de Lien-tcheou laissent croître leurs cheveux pour en faire un chignon, ils s'entourent la tête d'un morceau d'étoffe rouge et y ajoutent, les jours de fête, une plume de coq. Ils sont d'un caractère violent et indocile. Il en est parmi eux qui connaissent les caractères chinois. Quelques-uns viennent parfois dans les marchés apporter des fruits cueillis dans les montagnes. Les femmes yao de Lien-tcheou coupent et ornent elles-mêmes leurs vêtements, elles s'attachent un foulard noir autour de la tête. En fait de bijoux elles ont des épingles de cheveux et des pendants d'oreilles, elles mettent des chaussures faites de la plante appelée mang pour aller chercher du combustible dans les montagnes. À l'occasion des mariages on chante des chœurs à deux parties. Leur demeure est à quarante li de la ville de Lien-tcheou.

Les Yao sont de la race de P'an-hou. Ils émigrèrent du Tchéou (Hou-nan) dans les sous-préfectures cantonaises de Sin-ning, Ts'eng-tcheng, Kiu-kiang, Lô-tchang, Jou-yuan, Tong-ngan et Lien-tcheou. Sous la dynastie des Ming, dans les années Hong-vou (1368-1399) et les années Yong-loh (1403-1424), un chef Yao nommé P'an-kouei et d'autres vinrent successivement faire des visites d'hommage à la cour de Chine ; on commença dès lors à nommer des administrateurs indigènes parmi leurs congénères. Postérieurement aux années Tcheng-t'ong (1436-1449) ils commirent des troubles et au XVIIe siècle, faisant acte d'indépendance, ils opérèrent des razzias dans le pays ; on les réduisit en différentes fois. L'empereur Kang-hi, ayant enfin obtenu en 1703 leur complète soumission, les répartit sous l'administration préfectorale de différents hien et tcheou.

Yao, in Gabriel Devéria (1844-1899). La frontière sino-annamite. Ernest Leroux, Paris, 1886.
Les Yao. Illustration extraite du recueil : Houang Tsing tche-kong t'ou, Tableau descriptif des peuples tributaires de la dynastie Tsing (1773).

Observation n° 1

Le nom de Tch'ou qui désigne actuellement la province du Hou-nan s'appliquait autrefois à un État feudataire qui a existé sous la dynastie des Tcheou de l'an 740 à l'an 330 av. J. C. sous l'administration de vingt princes; il occupait le territoire des provinces du Hou-kouang et partie du Ho-nan et du Kiang-sou avec King-tcheou fou, sur le Yang-tze, pour capitale.

L'Ethnographie des peuples étrangers de Ma-touan-lin (traduite par M. le marquis d'Hervey de St. Denys) nous fournit sur les Yao et leur ancêtre P'an-hou les renseignements complémentaires suivants :

« ...Ils aimaient à porter des vêtements de cinq couleurs, disposées et mélangées de diverses manières. La coupe de ces vêtements figurait toujours une sorte de queue. Le langage des P'an-hou tchong était très difficile à entendre. Quand ils se furent multipliés on les appela Man-y...

On lit dans l'ouvrage intitulé Kouei-haï-yu-heng tchi de l'auteur Fan chi-hou (qui vivait au milieu du XIIe siècle) :

« Les barbares appelés Yao sont les descendants de P'an-hou, ils habitent les hautes montagnes et les vallées profondes qui s'étendent depuis les pays de Pa (partie orientale du Sse-tchouen) et de Chou (partie des provinces actuelles du Hou-pei, du Hou-nan et du Kiang-si) jusqu'aux extrêmes limites du Hou-kouang sur une étendue de plusieurs milliers de li. Ils nouent leurs cheveux au sommet de la tête en forme de marteau et ne font point usage de chaussures. Ils portent des vêtements de toile ou de laine aux couleurs variées... Les familles Yao se réunissent en communautés qui forment autant de villages... Ils portent de lourds fardeaux sur leurs épaules; ils les maintiennent au moyen d'une corde qui passe sur le front et, bien que courbés, ils marchent très vite... Dès qu'un jeune garçon commence à marcher on lui brûle le talon et la plante des pieds avec un fer ou avec une pierre fortement chauffés afin de les lui rendre insensibles : aussi marchent-ils sur des épines et sur des cailloux aigus sans se blesser...

« Au commencement de l'année ils sacrifient à leur auteur P'an-hou en mêlant de la viande, du poisson, du riz et du vin dans un mortier de bois pour ce sacrifice. Au premier jour de la dixième lune chaque village célèbre la fête du grand roi Tou-pei ...

« P'an-hou, dont il est question dans ces notices, aurait vécu vers l'an 2457 av. J. C. Si l'on en croit la tradition, dit Ma-touan-lin, l'empereur Ti-kou qui régna de l'an 2457 à l'an 2367, s'affligeant des maux que causaient à ses sujets les incursions des barbares placés aux frontières occidentales de la Chine, fit publier dans tout l'empire que, s'il se trouvait un homme capable de lui apporter la tête de leur chef, il donnerait à cet homme sa fille cadette en mariage pour le récompenser dignement. Or, Ti-kou comptait parmi ses serviteurs un barbare nommé P'an-hou qui apporta la tête mise à prix et devint l'époux de la jeune princesse... il l'emporta sur ses épaules dans les montagnes de la préfecture actuelle de Tch'en-tcheou du Hou-nan et fut l'ancêtre de la race P'an-hou... »

à laquelle, selon les Chinois, appartiennent les Yao de la sous-préfecture de Lien-tcheou, les Tchouang des monts Che-ouan chan, les Miao-tze et les Tchouang jen ou Tchouang kia, dont il sera parlé plus loin.

Le célèbre Ts'aï-chen (1167-1230), dans son commentaire de la deuxième partie du Chou-king, en parlant des Miao-tze, semble porté à croire que les peuplades désignées d'une manière générale sous ce nom sont de la même race que les Yao, car les prisonniers que l'on faisait de son temps parmi les Yao du Hou-nan disaient pour la plupart s'appeler Miao.

Un autre auteur chinois, Houang-yuan-tche, parlant des Miao-tze du Kien-tchong, dit qu'on ne peut comprendre ni leur langage ni leurs signes d'écriture pour la plupart de forme carrée. Le territoire de Kien-tchong comprenait une grande portion du Hou-kouang, du Sse-tchouen oriental et du Kouei-tcheou supérieur.

Observation n° 2

Francis Garnier parle des Yao ou Yo-jen habitant le territoire yunnanais de Xieng-hong (Tch'e li). Les Yo-jen, dit-il, passent pour très habiles au tir du fusil et au métier de voleurs de grands chemins. Ils se réunissent fréquemment par bandes de vingt ou trente pour dévaliser les voyageurs.


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Les Pa-y ou P'ô-y

Les Pa-y ou P'o-y constituaient sous la dynastie des Han la principauté de P'o-tseou, sous la dynastie des Thang les tribus de Pou-hiong et de Si-ngo. C'est au commencement de la dynastie mongole des Yuan qu'ils se donnèrent à la Chine. Leur centre était alors limitrophe de la Birmanie (Mien-tien) et de Tch'e-li. Actuellement il y a des Pa-y dans les préfectures yunnanaises de Kiu-tsing, Lin-ngan, Ou-ting, Kouang-nan, Yuan-kiang, Khaï-hoa, Tchen-yuan, P'ou-eurl, Ta-li, Tchou-hiong, Yao-ngan, Yong-pei, Li-kiang et King-tong fou. Ils vivent épars parmi les populations de ces préfectures et se rangent sous la même juridiction qu'elles.

Les hommes s'entourent la tête d'un morceau d'étoffe noire et mettent (dans leur chevelure) des ornements ou des fleurs ; ils portent un chapeau fait de fibres de bambou reliées par du fil de toutes couleurs. Ils ont des vêtements d'étoffe noire ou bleue et ils s'entourent les jambes de (bandelettes de) toile blanche. Ils tiennent ordinairement à la main une sorte de serviette.

Les femmes pa-y roulent en corde leurs cheveux autour de leur tête, elles y mêlent du taffetas de couleur auquel sont attachées des franges retombant de chaque côté. Elles portent aux oreilles des anneaux d'argent et tiennent toujours à la main deux ou trois bourses renfermant de l'argent. Leurs terres produisent des céréales et entre autres le blé et les tournesols.

Ils paient la contribution en nature et les taxes. Ils fréquentent beaucoup les marchés pour y faire du commerce.

Pa-y, in Gabriel Devéria (1844-1899). La frontière sino-annamite. Ernest Leroux, Paris, 1886.
Les Pa-y ou P'ô-y. Illustration extraite du recueil : Houang Tsing tche-kong t'ou, Tableau descriptif des peuples tributaires de la dynastie Tsing (1773).

Observation n° 1

Tch'e-li dont il vient d'être parlé répond au Xieng-Hong ou Alevy de Francis Garnier :

« À Xieng-Hong, dit-il, se réunit le Sena, haute assemblée qui se compose de quatre grands mandarins et de huit autres d'un rang inférieur représentant chacun l'une des douze provinces ou chip song panna qui forme le royaume de Xieng-Hong... Le mot panna signifie millier et se rapporte au nombre des inscrits... Les Pa-y deviennent de plus en plus nombreux et presque indépendants quand on se rapproche de la frontière du Tong-king. »

D'après M. J. Dupuis, ce sont des Pa-y qui peuplent les rives du haut fleuve Rouge de Man-hao à Lao-kaï. Les Chinois, selon Francis Garnier, désignent les Thaï sous le nom de Pa-y dans les environs de Yuan-kiang dont l'ancien nom était Muong-choung. (Dans le vocabulaire pa-y-chinois du collège des interprètes de Péking, le terme pa-y est rendu par Loc Thaï ). Les Thaï de Xieng Hong prennent le nom de Lu... ; les Thaï-neua ou Thaï d'en dessus se rencontrent à l'est du Yun-nan, enfin dans une foule de provinces (laotiennes) on ajoute au mot Thaï le nom de la province elle même pour en désigner les habitants.

Observation n° 2

Au commencement du IXe siècle (821-825), la famille Muong du peuple de P'o (les Pa-y) du royaume de Ta-li (alias Nan-tchao) avait envoyé en Chine un certain Tchang Tche-tch'eng pour y faire ses études ; il avait la manière d'écrire usitée en Chine au IVe siècle, époque à laquelle vivait le célèbre calligraphe Ouang-hi-tche qui jouissait d'une très haute estime.

L'Histoire des Mongols intitulée Yuan-che-lei-pien, au chapitre du royaume de Ta-li, nom du royaume de Nan-tchao, en parlant des Pa-y au XIIIe siècle, nous dit que pour les conventions de peu d'importance ils entaillaient des bambous, qu'ils se servaient au contraire des caractères birmans dans les actes officiels que nécessitaient les affaires sérieuses et qu'ils n'avaient pas de recueils littéraires.

Dès le règne de Yong-loh (1403-1425) on voit figurer au collège des Interprètes de Péking un cours de langue et d'écriture Pa-y. Il y avait en 1469 à la cour de Chine six interprètes tant pour le Pa-y que pour les autres dialectes du Yun-nan. L'empereur Khien-long décréta en 1748 la suppression du cours de pa-y en donnant pour motif que les Pa-y (demeurant sur le territoire chinois et) relevant de la Chine, leurs affaires ne devaient plus regarder que les gouvernements des provinces chinoises qu'ils habitent.

Ecriture pa-y, in Gabriel Devéria (1844-1899). La frontière sino-annamite. Ernest Leroux, Paris, 1886.
Spécimen d'écriture pa-y (XVIe siècle).

Antérieurement à l'année 1580 le collège des Interprètes de Péking possédait déjà parmi ses recueils lexicographiques un vocabulaire pa-y-chinois. Ces recueils, qui avaient été imprimés, ont été envoyés en 1748 par l'ordre de Khien-long aux gouverneurs chinois des provinces où l'on était le plus à même d'en contrôler le contenu ; ces fonctionnaires furent chargés de les faire corriger. Le père Amiot qui vint à Péking en 1751, fit parvenir à Paris une copie de la collection de ces vocabulaires, c'est celle que possède notre Bibliothèque Nationale (relevé Stanislas Julien, n° 986). Ce missionnaire faisait en même temps parvenir en France une série de documents parmi lesquels figurent des suppliques en langue pa-y datant de la dynastie des Ming. Nous publions le fac-simile de l'une d'elles à titre de spécimen de l'écriture des Pa-y ; on pourra se convaincre en l'examinant que cette écriture procède bien plutôt du tibétain que du birman. Les Pa-y tiennent vraisemblablement leur alphabet des Tibétains auxquels, au VIIIe siècle, l'État de Nan-tchao dont les Pa-y faisaient partie a été temporairement assujetti.

Les tribus Kouo-lo (Lolos), Tchong-kia et Ki-lao ne se comprenant pas entre elles, c'est le pa-y qui leur sert de langage intermédiaire... La religion des Pa-y est le bouddhisme, ils font usage du chapelet et chantent des prières. Le 24e jour de la sixième lune est la fin de leur année ; ils offrent ce jour là des sacrifices au ciel.


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Les P'o-la

P'o-la, in Gabriel Devéria (1844-1899). La frontière sino-annamite. Ernest Leroux, Paris, 1886.
Les P'o-la. Illustration extraite du recueil : Houang Tsing tche-kong t'ou, Tableau descriptif des peuples tributaires de la dynastie Tsing (1773).

Les P'o-la, appelés aussi P'o-si, étaient autrefois les P'ou-na. Ils sont de la race de Kieou-long et constituaient le département de Sin-tien des Muong du royaume de Nan-tchao. Ils furent incorporés à l'empire chinois à dater des premières années Tche-yuan (1264-1295).

Il y a actuellement des P'o-la dans les préfectures de Lin-ngan, Kouang-si, Kouang-nan et Yuan-kiang fou ; ils habitent pour la plupart dans les passes les plus reculées des hautes montagnes.

Les hommes font un chignon de leurs cheveux et y piquent des plumes de coq ; leur tunique est noire, ils portent un manteau de peau de mouton et vont nu-pieds. Ils cultivent sur les montagnes l'arbre appelé mou-mien (bombax ceiba) et prennent des oiseaux ; tels sont leurs moyens d'existence.

Les femmes se coiffent d'un morceau d'étoffe noire et portent une longue tunique de la même couleur ; elles fréquentent les marchés et y font commerce de cucurbitacées et de légumes qu'elles portent sur leur dos.

Les P'o-la qui habitent les montagnes de Ouang-nong sont de plus désignés sous le nom de Ma-la; ils sont de la même espèce que ceux qui viennent d'être décrits.


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Les Miao Lolos

Miao Lolos, in Gabriel Devéria (1844-1899). La frontière sino-annamite. Ernest Leroux, Paris, 1886.
Les Miao Lolos. Illustration extraite du recueil : Houang Tsing tche-kong t'ou, Tableau descriptif des peuples tributaires de la dynastie Tsing (1773).

Les Miao Lolos descendent de chefs de barbares Man autochtones, on les désigne sous le nom de Hou-teou ying tchang, chefs des campements de Hou-teou, ou sous celui de Kouan-no.

Les Miao Lolos diffèrent des Lolos blancs et des Lolos noirs. Il y a des Miao Lolos dans les dix préfectures yunnanaises suivantes : Kouang-nan, Yuan-kiang, Khaï-hoa, Tchen-yuan, Ta-li, Tchou-hiong, Yong-tch'ang, Yong-pei, Li-kiang et Yao-ngan fou. Ils n'y forment pas d'agglomérations mais sont répandus dans ces différentes localités, obéissant aux magistrats des préfectures qu'ils habitent.

Leur physionomie est repoussante, ils sont d'un caractère violent et sont très habiles à manier la lance et l'arbalète.

Pendant l'hiver ils établissent au centre de leurs habitations un brasero autour duquel tous les membres de la famille viennent s'étendre.

Les hommes nouent leurs cheveux en chignon et ont des tuniques courtes. Les femmes se coiffent d'un morceau d'étoffe noire roulé en corde autour de leur tête. Elles portent sur l'épaule droite une écharpe qu'elles relèvent du côté gauche, leur jupe est courte, elles marchent pieds nus.

Dans les mariages c'est la femme qui choisit son mari. Les Miao Lolos paient des taxes et des droits d'affermage comme les autres sujets chinois.


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Les Lolos blancs et les Lolos noirs

Lolos blancs, in Gabriel Devéria (1844-1899). La frontière sino-annamite. Ernest Leroux, Paris, 1886.
Les Lolos blancs. Illustration extraite du recueil : Houang Tsing tche-kong t'ou, Tableau descriptif des peuples tributaires de la dynastie Tsing (1773).

Les Lolos blancs occupent le dernier degré de l'échelle parmi les barbares étrangers. Il y en a dans les préfectures de Yun-nan fou, de Khaï-hoa et de King-tong fou. On les désigne aussi sous les noms de Sah-ma-tou et de Si-ma, leurs hordes paient un tribut et des taxes comme les Lolos noirs. Ils habitent dans les montagnes et les forêts de bambous ou bien dans des hameaux.

Les hommes se couvrent la tête d'un morceau d'étoffe, leur tunique est courte, ils portent en bandoulière une bourse brodée et sont chaussés de souliers de cuir.

Les femmes retroussent leurs cheveux pour en faire un chignon qu'elles recouvrent d'un morceau d'étoffe noir ou bleu orné de coquillages et de grelots d'étain. Elles se bandent les pieds, portent des chaussures et sont obligées de travailler à la terre.

Lors des mariages les Lolos blancs se font des cadeaux de bœufs et de chevaux. Lorsqu'ils offrent des sacrifices ils piquent à leur porte, pendant la douzième lune, trois cents branches de l'arbre appelé tchen de montagne (Corylus heterophyla), ils récitent des prières et font des saluts rituels.

Pour consulter les sorts, les Lolos jettent des grains de blé dans l'eau et tiennent compte de ceux qui surnagent et de ceux qui sont immergés. Leur langage, leur manière de se nourrir, les impôts fonciers et taxes qu'ils paient sont les mêmes que ceux des populations (chinoises).

Observation : Il est à remarquer que dans la planche représentant une femme de Lolo blanc, la manière dont elle porte un fardeau est celle indiquée par F. Garnier lorsqu'il décrit les Khas Mou-tse de Muong-lim :

« Quand les femmes portent des fardeaux elles ajoutent à leur costume déjà si compliqué un plateau en bois qui se place sur les épaules en offrant au cou une échancrure suffisante et auquel on accroche la hotte qui contient les objets à transporter. Ce plateau est retenu en avant par des cordes que l'on attache à la ceinture ou que l'on tient à la main. »

Les Lolos noirs, in Gabriel Devéria (1844-1899). La frontière sino-annamite. Ernest Leroux, Paris, 1886.
Les Lolos noirs. Illustration extraite du recueil : Houang Tsing tche-kong t'ou, Tableau descriptif des peuples tributaires de la dynastie Tsing (1773).

Les Lolos noirs forment la classe la plus estimable des étrangers qui habitent sur le sol yunnanais. Les administrateurs indigènes (t'ou-kouan) et les chefs de campements (ying-tchang) appartiennent tous à leur race. Ils vivent répandus sur les territoires des préfectures de Yun-nan, Kiu-tsing, Lin-ngan, Tch'eng-kiang, Ou-ting, Kouang-si, Tong-tchouen, Tchao-t'ong, Tchou-hiong, Chouen-ning et Mong-hoa fou.

C'est depuis la dynastie des Thang (618-934) qu'ils furent considérés comme appartenant aux tribus des Tsouan orientaux et occidentaux. Les Mongols (Yuan) s'emparèrent de leur territoire et les répartirent sous l'administration des préfectures et des sous-préfectures qu'ils y établirent.

Les habitations des Lolos noirs sont appelées chan-pien lorsque pour leur construction ils se sont servi de bois au lieu de briques.

Les hommes s'entourent la tête d'un morceau d'étoffe noire ou bien portent un chapeau fait de bambou ; sur leurs vêtements de toile ils mettent un manteau de feutre.

Les femmes s'entourent aussi la tête d'un morceau d'étoffe noire et portent des pardessus de peau de mouton, elles se serrent les pieds et portent des chaussures.

Le langage et la nourriture des Lolos noirs (dans les préfectures précitées) sont à peu près les mêmes que ceux de la population (chinoise). Ils sont simples d'esprit et sont bons archers à la chasse. Au jour de l'an ils forment des vœux pour la prospérité du pays et la bonne récolte de l'année ; ils se servent à cette occasion (dans leurs sacrifices) de poulets, de vin et de sonnettes à marteau de bois. Les terres qu'ils cultivent produisent du riz et du millet, ils paient consciencieusement les taxes.

Observation n° 1

Les Lolos pourraient être les Lô-man ou barbares Lô dont parle Ma Touan-lin dans le chapitre qu'il consacre au royaume de Nan-tchao. Au temps des Han postérieurs (l'an 224 de notre ère), le général chinois Tchou-ko-leang, canonisé sous le titre de Wou-heou, entra en campagne contre un chef nommé Mong-hou qui avait toute la confiance des barbares du Midi et fut ensuite fait prince de Lô-tien (principauté ou marche de Lô). Ce fut lui qui enseigna aux tribus Kouô-lo à faire usage du feu.

« Les Kouô-lo ou Lolos, dit l'histoire du Nan-tchao, sont les descendants de ou des Lou-lou des barbares Tsouan, le nom de Kouô-lo est une corruption de Lou-lou. »

Ce nom prend au XIIe siècle une nouvelle forme :

« En 1255, disent les annales mongoles, le général Ou-leang-kia-taï, venant de chez les Tibétains, alla attaquer les Karájan, le Tchaghanjan et les Lo-lo-sse dont le nom s'écrivait primitivement Lou-lou, c'est par corruption qu'on l'écrit autrement. »

Dans les années Tche-chouen (1330-1333), l'armée mongole défaisait les Lolos dans les monts Siuê-chan (montagnes neigeuses) qui sont à 30 li au nord-ouest de Li-kiang fou (Yun-nan). Enfin les Annales annamites nous disent qu'en 1508, les Lolos noirs, Hàc-la-la, tribu sauvage du Yun-nan, avaient passé la frontière et envahi l'Annam.

Observation n° 2

C'est à M. Colborne Baber que le monde savant est redevable des renseignements les plus précis sur les Lolos, aussi croyons-nous devoir donner ci-après un extrait de ses notes recueillies lors d'un séjour sur les territoires habités par ces peuplades :

« Les Lolos, dit M. Baber, sont d'une race dont la taille dépasse de beaucoup celle des Chinois ; leur taille dépasse même peut-être celle d'aucun peuple d'Europe. Durant notre voyage nous avons rencontré beaucoup de Lolos mais jamais nous n'en avons vus qu'on puisse qualifier de petits ou considérer comme au dessous d'une taille moyenne même en prenant comme point de comparaison la taille des Anglais. Ils sont, presque sans exception, remarquablement bien bâtis, sveltes et musclés. Beaucoup d'entre eux sont robustes et l'obésité qu'acquiert le riche Chinois sédentaire semble inconnue parmi eux. Leur poitrine est forte ainsi que le devient celle des montagnards. Leur résistance à la fatigue et l'allure rapide avec laquelle ils escaladent leurs montagnes sont prodigieuses et devenues proverbiales parmi les Chinois. De grands yeux horizontaux éclairent leur belle face ovale qui est brun rouge chez ceux qui vivent le plus au grand air. L'os des pommettes est saillant sans exagération, le nez est arqué et plutôt large, la bouche est ordinaire avec des lèvres quelque peu épaisses, la forme pointue de leur menton épilé est caractéristique. Ils ne portent pas de moustaches, leur lèvre supérieure est bien proportionnée ; leurs dents sont remarquablement blanches et régulières ce qu'ils attribuent à la coutume de ne pas manger de viande rôtie mais seulement des aliments bouillis. Le caractère le plus particulier de leur figure est une tendance curieuse à se rider, spécialement sur le front qui est large et bas : son peu d'élévation pourrait du reste être plus apparent que réel car il est ombragé par une coiffure d'un style particulier. À quelques très rares exceptions près, les Lolos du sexe masculin, riches ou pauvres, libres ou soumis (à l'autorité chinoise), peuvent être immédiatement reconnus à leur corne. Toute la chevelure est ramenée en un nœud sur le devant de la tête et mêlée de telle sorte à de l'étoffe de coton que cela a l'aspect de la corne d'une licorne. Cette corne avec son enveloppe atteint bien quelquefois une longueur de neuf pouces. Les Lolos considèrent cette coiffure comme sacrée, c'est du moins ce que l'on m'a dit et même ceux qui par convenance se font une petite natte de cheveux en entrant sur le territoire chinois, conservent encore la corne dissimulée alors sous un turban qui est de mode dans le Sse-tchouen.

Le principal vêtement des Lolos est leur manteau, c'est un ample pardessus sans manches, fait de feutre gris ou noir, retenu autour du cou par un cordon, et descendant presque jusqu'aux talons. Chez les gens de la classe la plus aisée ce manteau est fait d'un feutre fin très recherché des Chinois, et il est orné dans le bas d'une frange de tissu de coton. Pour voyager à cheval, ils ont un manteau semblable à celui qui vient d'être décrit mais il est fendu de bas en haut jusqu'à moitié du dos... Le feutre est naturellement gris, mais il devient brun foncé ou noir avec le temps... Les Lolos croisent leurs bras sous ce vêtement qu'ils maintiennent généralement fermé sur leurs épaules. Leurs jambes, revêtues de pantalons faits de cotonnade chinoise, sont emmaillotées dans des bandes de feutre retenues par des cordons... Pendant l'été un manteau de coton remplace celui de feutre et leur chapeau tenant lieu d'ombrelle est tissé en bambou, il est bas, de forme conique et recouvert de feutre...

La chevelure des femmes est tressée en deux nattes dont elles s'entourent la tête, elles portent des jaquettes et un tablier sur des jupons plissés garnis de volants et tombant jusqu'à terre...

Beaucoup de Lolos soumis de la frontière sont soldats à la solde des autorités chinoises... Un missionnaire français qui avait visité leur contrée, a déclaré avoir vu de leurs livres sans qu'il lui fût permis de les examiner. Ils possèdent en effet l'art d'écrire mais dans une forme particulière qui leur est exclusivement propre et dont il sera question plus loin...

Que sont les Lolos ? D'où viennent-ils ? À quelle race appartiennent-ils? Ce sont autant de questions auxquelles il m'est difficile de répondre avec compétence... Ils ont été confondus avec les Miao-tze, les Man-tze, les Si-fan, les Ye-jen, les T'ou-y et autres peuplades portant des noms chinois d'un caractère vague ou méprisant n'ayant aucune signification ethnique.

Le mot Lolo est une injure d'une origine chinoise inconnue dont on ne pourrait pas faire usage en leur présence bien qu'ils l'excusent et l'emploient même quelquefois eux-mêmes par complaisance lorsqu'ils ont affaire à des étrangers ignorants. Dans un rapport du général chinois Lo-ping-tchang adressé à la cour de Péking, ils sont appelés Y (c'est-à-dire étrangers, barbares) terme appliqué par les Chinois aux Européens. Ils ne font pas d'objection à être désignés sous le nom de Y-kia familles étrangères mais ce nom n'est pas leur nom national. Près de Ma-pien ils se désignent eux-mêmes sous le nom de Lo-sou. Dans les environs de Lei-po ting leur nom est No-sou ou Ngo-sou (probablement une simple variante de Lo-sou) ; près de Hoei-li tcheou le terme employé est Lé-sou. Les tribus soumises, sur les bords de la rivière T'ong (ou Ta-tou ho) près du mont Wa, se donnent aussi le nom de Ngo-sou ; j'ai constaté que cette peuplade parlait très irrévérencieusement des Lo-sou... mais il n'est pas douteux qu'ils sont de la même race et parlent le même langage. Quelles que puissent être les subdivisions des Lo-sou et des Ngo-sou, il est impossible de nier qu'ils appartiennent à la même famille. Physique, manières et langage, tout est semblable.

La contrée occupée dans le Sse-tchouen par les Lolos indépendants, c'est-à-dire une superficie de 11.000 miles carrés, est appelée Leang chan ou Ta Leang chan montagnes des hauts sommets, dénomination qui ne désigne pas quelque chaîne ou quelque pic particuliers mais bien toute la région des Lolos, district montagneux d'un bout à l'autre et contenant quelques sommets qui s'élèvent au-dessus de la ligne des neiges éternelles.

L'expression Os noirs est généralement employée par les Chinois pour désigner les Lolos indépendants. Dans la bouche d'un Lolo cette expression semble signifier homme libre ou noble dans un sens qui n'est pas moins absurde que l'expression de sang bleu chez les Européens. Les Os blancs, autant que j'ai pu le comprendre, sont les vassaux ou serviteurs des patriciens, c'est-à-dire la populace. Une troisième classe est formée de wa-tze ou esclaves qui sont tous des Chinois captifs...

Près de Ma-lieh un Chinois échappé de captivité m'avouait que, tout en préférant la liberté, sa condition comme esclave était assez douce et qu'il n'avait pas à se plaindre à ce sujet. Ses maîtres l'avaient tatoué sur le front d'une croix bleue ineffaçable, c'était la marque du propriétaire... Les esclaves adultes sont l'objet de punitions sévères s'ils sont indociles... mais pour les captifs qui se montrent disciplinés la situation devient assez sortable ; ils sont tatoués des marques de la tribu et on les traite alors en tous points comme le sont les Os blancs. Le même individu m'a rapporté que les Lolos font de larges routes et vivent dans de jolies maisons de pierre.

On pourrait supposer, d'après ce qui précède, qu'il y a, parmi les esclaves bien traités, des métis de pères lolos et de femmes chinoises esclaves. Il n'en est rien. Même les T'ou-sse, c'est-à-dire les Lolos qui par hérédité sont administrateurs des tribus soumises à la juridiction chinoise et qui parlent, écrivent le chinois et portent le costume officiel chinois, même ceux-là ne se marient qu'à des femmes de leur tribu. Beaucoup de filles chinoises sont, il est vrai, emmenées en captivité mais ce n'est que pour en faire les femmes des esclaves chinois...

Lorsqu'il leur naît un garçon on le lave dans de l'eau froide et on lui met sur le front, en manière de baptême, de la bouse de vache pour le rendre robuste et sans crainte. La naissance d'une fille est généralement regardée avec plus de satisfaction. Les femmes sont en effet l'objet de beaucoup de respect et peuvent même être investies de l'administration d'une tribu ; la meilleure garantie de sécurité que puisse se procurer un étranger qui désirerait pénétrer dans les montagnes des Lolos serait d'avoir pour guide une femme lolo qui, avant de quitter sa tribu, aurait revêtu une jupe particulière. D'après leur loi un voyageur ainsi accompagné est sacré...

Un Européen pourrait sans doute voyager en toute sécurité à travers les montagnes de leur territoire mais à condition d'être muni de recommandation, car une introduction en règle est indispensable ; ils semblent surveiller très rigoureusement les approches de leur territoire, et le caractère d'un voyageur est bientôt apprécié à sa juste valeur. Si on ne leur est pas suspect on ne rencontrera pour pénétrer chez eux d'autres difficultés que celles que susciteraient au départ les fonctionnaires chinois...

Un chef épouse trois femmes, un sous-chef deux et le commun des Lolos une seule. Ils cultivent le blé, l'orge, le millet et font du vin avec ces différents grains ; ils cultivent très peu de riz. Ils font usage de couteaux et de fourchettes ; ils mangent le bœuf, le mouton et le porc, mais pas le cheval ni le chien. Ils font eux-mêmes leurs sabres qui ont trois empans de long et dont l'extrémité est carrée. Ils n'ont pas de fusils mais des arcs qu'il faut trois hommes pour tendre. Leurs femmes portent des jupes plissées, des ornements d'argent et d'or et des souliers brodés...

Il est remarquable que le bouddhisme ne compte pas un seul adepte parmi les Lolos. Leur culte quel qu'il puisse être est entretenu par une classe de magiciens ou médecins qui sont très respectés et monopolisent l'art d'écrire...

D'après les renseignements fournis par des captifs... ils adorent trois divinités : Lui-wo, A-pou-ko et Choua-chê-po dont Lui-wo est la plus considérable. Toutes trois résident sur le mont Ômi (situé sur la rive gauche de la rivière T'ong ou Ta-tou ho, dans la préfecture de Kia-ting fou). Les vieillards disent que les tribus de Leang-chan sont une branche de la famille La-ka (?) et vinrent primitivement de l'ouest... ; le Tibet est à deux mois de voyage de leurs tribus, et au delà du Tibet est un pays étranger dont les marchandises leur parviennent, ils ne sont pas allés dans cette contrée... »

Aux indications que nous venons de lire sur la religion des Lolos, M. Baber ajoute qu'il a visité sur la rive gauche de la rivière T'ong (Ta-tou ho), à moitié route entre Tao-ssu Kouan et Ma-tzù-tchang l'image d'un roi sculptée dans un roc et que les habitants désignent sous le nom de Man-ouang ou Ma-ouang. Un chef lolo qui connaissait ce monument lui a affirmé que cette statue représentait Hsi-po, un ancien roi lolo (date inconnue) de quatre tribus puissantes appelées Lin, Long, Ma et Ouan, dont les territoires s'étendaient de Yuê-hi à Kia-ting fou.

« Il pourrait se faire, dit M. Baber, que Hsi-po fut la même divinité que Choua-chê-po ; quoiqu'il en soit, les Lolos adorent Hsi-po, lui brûlent de l'encens et l'appellent en chinois Ma-ouang, c'est-à-dire Cheval-roi. « Lorsque nous entreprenons quelque chose, disent-ils, nous invoquons son nom... Il est appelé Cheval-roi parce qu'il pourrait parcourir 500 li en une demi-heure. Les chinois l'ont tué et ont mangé son cœur. »

Les informations de M. C. Baber sont en partie confirmées par le passage suivant de l'Histoire du Nan-tchao, liv. 4, p. 30 :
« Les Lolos sont les descendants de (ou des) Lou-lou des barbares Tsouan, ils fixent le commencement du printemps à notre second mois ; ils croient aux esprits, ils honorent les magiciens ; parmi ces magiciens est le grand Hih-po. Ils adorent Ma qu'ils représentent sous la forme d'un cheval blanc. Chez eux un chef du sexe masculin s'appelle Tsiu-k'o.»

Ecriture lolo, in Gabriel Devéria (1844-1899). La frontière sino-annamite. Ernest Leroux, Paris, 1886.
Spécimen d'écriture lolo.


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