Ernest J. EITEL (1839-1908)

FENG-SHOUI ou Principes de science naturelle en Chine  par Ernest J. EITEL (1839-1908)

FENG-SHOUI, ou Principes de science naturelle en Chine

Traduit de l'anglais par Léon de Milloué

Annales du musée Guimet, Tome premier, 1880, pages 203-254. Ernest Leroux, éditeur, Paris. Première édition 1873.

 

Extrait de l'introduction : "S'il n'y avait dans le Feng-Shoui des Chinois que ce que le bon sens et l'instinct naturel enseignent à l'homme, il ne nous embarrasserait pas tant. Mais le fait est que les Chinois en ont fait une science occulte, et ceux qui sont avancés dans cette science et qui en tirent leurs moyens d'existence trouvent avantageux de l'envelopper d'autant de mystère que les alchimistes et les astrologues européens le faisaient autrefois pour leurs chimères... A proprement parler ce n'est tout simplement qu'un système de superstition qui a la prétention d'enseigner au peuple où et comment on doit creuser une tombe ou construire une maison pour assurer aux intéressés une prospérité et un bonheur sans limite."

Table des matières
Extraits : Le système du Feng-shoui - Les lois fondamentales de l'univers physique - Le souffle de la nature
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Table des matières

Chapitre I : Introduction
Chapitre II : Les lois de la nature
Chapitre III : Proportions numériques de la nature
Chapitre IV : Le souffle de la nature
Chapitre V : Formes apparentes de la nature
Chapitre VI : Histoire et littérature du Feng-Shoui
Chapitre VII : Conclusion

Le système du Feng-Shoui


L'origine du système du Feng-Shoui est relativement moderne. Son plan et ses idées principales sont, il est vrai, empruntés à l'un des plus anciens classiques, mais sa méthode et son application pratique sont presque entièrement basées sur les enseignements de Choo-He et autres auteurs qui vécurent sous la dynastie de Sung (A. D. 1126-1278), et dont les commentaires sur les classiques sont encore lus dans toutes les écoles. En fait, le confucianisme moderne a adopté les opinions de Choo-He, et ce sont elles qui forment la base de tout le système du Feng-Shoui.

Au commencement existait, selon Choo-He, un principe abstrait ou monade, nommé « le Néant absolu », de qui naquit le « grand Absolu ». Ce principe abstrait ou monade, le grand Absolu, est la cause primordiale de toute existence. A son premier mouvement, son souffle ou forme vitale se solidifiant, produisit le grand principe mâle. Quand ce mouvement fut arrivé à sa limite, il se reposa, et de ce repos naquit le grand principe femelle. Arrivé à l'extrême du repos, il se remit en mouvement et continua ainsi dans une alternative constante de mouvement et de repos. C'est ainsi que cette Cause suprême se divisa en mâle et femelle ; ce qui était en haut constitua les Cieux, ce qui était en bas forma la Terre. Les évolutions de la Cause suprême ayant produit les deux principes mâle et femelle et par eux créé le Ciel et la Terre, elles se continuèrent, et de leurs perpétuelles mutations naquirent les hommes et les animaux, les végétaux et les minéraux. Depuis cet instant la même force vitale continua toujours à agir, et à agir par les deux causes créatrices, la puissance mâle et femelle de la nature, qui depuis lors se poussent et s'agitent mutuellement et alternativement sans aucune interruption.

La force qui anime les deux principes se nomme en chinois Ké, ou le souffle de la nature. Quand ce souffle s'exhala pour la première fois et produisit les principes mâle et femelle et plus tard l'univers entier, il n'agit point arbitrairement ou à l'aventure, mais il suivit des lois établies, impénétrables et immuables. Ces lois ou ordre de la nature, nommées Li, sont donc considérées d'une façon abstraite comme antérieures à la naissance du souffle vital et doivent par conséquent être étudiées à part. Au sujet de Li ou ordre général de la nature, les anciens sages ont observé que toutes les lois de la nature et toutes les œuvres de son souffle vital s'accordent strictement avec certains principes mathématiques, que l'on peut tracer et expliquer par des figures, et qui représentent les proportions numériques de l'Univers appelées Sou ou nombres. Mais ces trois principes, le souffle de la nature ou Ké, l'ordre de la nature ou Li, et les proportions mathématiques de la nature ou Sou, ne peuvent se reconnaître de suite par les sens ; ils sont cachés à la vue et ne se manifestent que sous les formes et les traits extérieurs de la nature physique. En d'autres termes, les phénomènes de la nature, leurs formes extérieures apparentes, constituent une quatrième branche de la science naturelle, que l'on nomme Ying ou formes de la nature. Ces quatre divisions, Li, ou ordre de la nature, Sou, ses proportions numériques, Ke, son souffle vital ou forme subtile, et Ying, ou ses formes apparentes, constituent ce que l'on appelle vulgairement le système du Feng-Shoui.

Les lois fondamentales de l'univers physique


Si vous voulez connaître le sort qui vous est réservé, apprenez donc et méditez bien ces principes :

1° Que les Cieux gouvernent la Terre ;

2° Que les Cieux et la Terre exercent leur influence sur tous les êtres vivants et qu'il est au pouvoir de l'homme de faire servir cette influence à son avantage ;

3° Que le sort des vivants dépend également de la bienveillance et de l'influence générale des morts.

Par rapport au premier point, l'influence que les Cieux exercent sur la Terre, les agents d'action que nous avons à étudier ici sont : le Soleil et la Lune, les douze signes du Zodiaque, les vingt-huit Constellations, les cinq Planètes (les Chinois n'en connaissent que cinq), les sept étoiles de la Grande Ourse et les neuf autres du Boisseau septentrional.

Comme nous l'avons dit précédemment, le Soleil exerce son influence sur tout l'univers physique, et son cours apparent, indiqué par les douze signes du Zodiaque, est donc un élément important pour calculer l'action des Cieux sur la Terre.

Les Chinois divisent l'Écliptique en douze parties égales qui portent chacune le nom d'un animal. Ainsi la première est appelée le Rat, elle correspond au Bélier ; la suivante est dénommée le Bœuf, elle est identique à notre Taureau ; la troisième, le Tigre, correspond aux Gémeaux ; la quatrième, le Lièvre, au Cancer ; la cinquième, le Dragon, au Lion ; la sixième, le Serpent, à la Vierge ; la septième, le Cheval, aux Balances ; la huitième, le Bélier, au Scorpion ; la neuvième, le Singe, au Sagittaire ; la dixième, le Coq, au Capricorne ; la onzième, le Chien, au Verseau ; la douzième, le Sanglier, aux Poissons...

Les douze signes du Zodiaque leur servent surtout à déterminer les vingt-quatre saisons de l'année...

Immédiatement après les douze signes suivent, par ordre d'importance, les vingt-huit Constellations ou Maisons, que la Lune parcourt dans sa course mensuelle dans l'Écliptique. Ces vingt-huit Constellations sont divisées en quatre groupes de sept. Le premier de ces groupes s'appelle Dragon d'azur, il est situé à l'est ; les sept constellations suivantes, nommées le Guerrier noir, sont au nord ; le troisième groupe, le Tigre blanc, est à l'ouest et le quatrième, désigné sous le nom de l'Oiseau vermillon, au sud.... Outre les vingt-huit Constellations, les cinq Planètes et les vertus occultes qui leur sont attribuées jouent un rôle très important dans le système du Feng-Shoui. Jupiter règne à l'est, il personnifie le Printemps et possède l'attribut de bienveillance ; Mars est au sud, il règle l'Été et favorise la prospérité ; Vénus à l'ouest représente l'Automne et personnifie la bienséance ; Mercure au nord représente l'Hiver et la Sagesse ; Saturne règne au milieu de la Terre, il gouverne le milieu de l'Été et représente la fidélité.

D'autres corps célestes exercent également une influence sur la Terre. De même que les cinq Planètes, le Soleil et la Lune constituent les sept souverains des Saisons, de même les sept étoiles de la Grande-Ourse ont leur part dans la direction des Saisons... Un autre groupe d'étoiles, appelées les neuf étoiles du Boisseau, a aussi une grande importance pour déterminer les aspects heureux ou défavorables d'une localité donnée et par suite son influence sur le sort des hommes.

Nous avons maintenant à étudier l'influence que les cieux et la terre exercent sur le genre humain. Les principaux agents, par l'intermédiaire desquels les cieux et surtout les cinq planètes, agissent sur les êtres vivants, sont les cinq éléments de la nature. Nous ne devons pas entendre par là cinq substances matérielles, chimiquement indissolubles, mais plutôt des essences spirituelles, radicalement différentes l'une de l'autre par leur caractère même et constituant les causes créatrices de toutes les substances matérielles. Ces cinq éléments sont : le bois, le feu, la terre, le métal et l'eau ; le premier est l'agent de Jupiter, le second de Mars, le troisième de Saturne, le quatrième de Vénus, le cinquième de Mercure. Il est aussi très important d'observer les relations des cinq éléments entre eux ; car, selon les conjonctions, ils se produisent ou se détruisent les uns les autres. Le bois produit le feu ; le feu produit la terre ; la terre produit le métal ; le métal produit l'eau ; l'eau produit le bois. D'un autre côté le métal détruit le bois ; le bois détruit (absorbe) la terre ; la terre détruit (absorbe) l'eau ; l'eau détruit le feu ; le feu détruit le métal. Il faut aussi remarquer que le bois abonde dans l'Est ; le métal dans l'Ouest ; l'eau au Nord ; le feu au Sud, tandis que la terre prédomine dans le Centre, entre les quatre points cardinaux. Il faut aussi se rappeler que le bois domine dans le printemps, le feu dans l'été, le métal en automne, l'eau en hiver, et la terre dans les dix-huit derniers jours de chaque saison. Ainsi la quintuple influence des planètes pénètre et gouverne toute la nature, comme par exemple les cinq parties qui constituent le corps humain : les muscles, les veines, la chair, les os, la peau et les cheveux ; les cinq parties internes ou viscères, soit le cœur, le foie, l'estomac, les poumons et les reins ; les cinq couleurs, blanc, noir, rouge, bleu et jaune ; les cinq sorts, fortune, honneurs, longévité, famille et mort paisible ; les cinq relations sociales, prince et ministre, père et fils, époux et épouse, frère aîné et cadet, et enfin les amis.

En outre de l'influence que, selon les lois de la nature, les cieux et la terre exercent sur le sort des êtres vivants, il faut encore tenir compte des lois qui régissent l'influence des esprits des morts sur les vivants. Cette doctrine nous paraît étrange, mais elle n'a rien de déraisonnable en elle-même pour un Chinois habitué à adorer les esprits de ses ancêtres, qu'il croit toujours présents, auxquels il fait part de tous les événements qui se présentent dans sa famille, auxquels il offre des sacrifices de viande et de boisson. « Mes propres esprits animés », dit le commentateur des Analectes de Confucius, « sont les esprits animaux de mes ancêtres. Si, pour ma part, je suis profondément sincère et respectueux dans les honneurs que je leur rends, les esprits de mes pères sont présents près de moi. Ainsi qu'une tige de graminée, quand la plante primitive est morte, pousse sur le côté de nouvelles racines, ainsi le même esprit se conserve depuis les générations passées jusqu'au temps actuel ». « Bien que nous parlions des cieux et de la terre, dit Choo-Hé, il n'y a cependant qu'un seul souffle qui les anime. Bien que nous parlions d'individualités et que nous les distinguions les unes des autres, un seul et p.215 même souffle les anime toutes en réalité. Mon esprit est le souffle (esprit) même de nos ancêtres ».

Le souffle de la nature


Nous arrivons maintenant à la troisième partie du système du Feng-Shoui, la doctrine du souffle (respiration) de la nature. La nature, ainsi que je l'ai déjà dit précédemment, est pour l'observateur chinois un organisme vivant et respirant ; nous ne pouvons donc concevoir aucune surprise en voyant les Chinois discuter gravement sur l'inhalation et l'exhalaison du souffle de la nature. En fait ils expliquent presque tous les phénomènes de la nature par ces deux respirations, le souffle expansif et le souffle revenant, suivant leur expression. Entre les Cieux et la Terre il n'est rien de si important, de si omnipotent, de si omniprésent que ce souffle de la nature. Il pénètre chaque tige, chaque fibre ; par lui les Cieux, la Terre et toutes les créatures vivent, se meuvent et existent. En réalité le souffle de la nature n'est que l'énergie spirituelle des principes mâles et femelles. Ainsi, dans le principe, la solidification du souffle transformant de la nature est le changement du néant à l'être du principe mâle. L'épuisement du souffle transformant de la nature est le changement de l'être au non-être du principe femelle de la nature. C'est pourquoi le souffle de la nature se révéla quand pour la première fois ces deux principes se dégagèrent du « grand Absolu ». Tout d'abord le souffle de la nature était confus et chaotique, de sorte que les Cieux et la Terre formaient une masse indivisée, puis, quand le souffle de la nature revint et que l'inhalation et l'exhalaison se succédèrent, les Cieux et la Terre, les principes mâles et femelles furent séparés, et tout dans la nature se produisit dans son ordre particulier. Maintenant encore, chaque fois que le souffle de la nature avance ou se répand, il crée un objet en quelque sorte comme un fœtus informe, qui constitue le germe de développements futurs. Cette informe origine initiale p.231 des choses, est légère et pure, mais ne possède encore aucune forme déterminée ; elle appartient à l'essence mâle et peut s'appeler principe supérieur de la nature ; mais quand une forme déterminée lui a été assignée, elle devient manifestement perceptible à la vue et constitue la forme exacte et sensible des choses ; elle a corps, couleur, forme et manière d'être. Pesante, grossière, perceptible aux sens humains, elle appartient au type femelle et peut être nommée le principe inférieur ; en d'autres termes le souffle avançant et reculant, se succédant régulièrement, constitue les conditions de la succession constante de développement et de déclin, de vie et de mort, dans le monde physique.

Ces deux souffles de la nature ne sont pourtant en essence qu'un seul et même souffle. L'union des principes mâle et femelle constitue le commencement des choses, leur séparation cause le déclin, leur dissolution la mort. Quelquefois ils se séparent pour s'unir de nouveau. Ainsi après avoir fini ils recommencent et cela constitue le principe de reproduction qui se répand sans interruption dans l'univers. Quant au souffle qui anime les êtres humains, les énergies de la nature peuvent aussi s'épuiser parfois et la mort qui en résulte ne peut être évitée par personne. A la mort, les parties grossières de l'âme animale de l'homme descendent et retournent à la Terre, mais les parties plus élevées de sa nature spirituelle s'évaporent, se répandent tout à travers le monde et deviennent ou un nuage ou une lumière qui apparaît parfois, feu follet — will o'the wisps — ou — ignes fatui — ou autres semblables, ou bien encore une vapeur odorante qui quelquefois, on ne sait comment, affecte les sens de l'homme et le rend triste, malade et abattu.

Ce souffle de la nature, avec ses pulsations constantes, avec ses mouvements incessants d'expansion et de contraction, se présente dans les diverses conditions de l'atmosphère sous une sextuple forme ; car il est la cause première du froid, du chaud, de la sécheresse, de l'humidité, du vent et du feu. Ces six manières d'être sont quelquefois nommées les six souffles de la nature. Sous l'influence combinée des cinq planètes et des cinq éléments ces six formes produisent les vingt-quatre saisons, qui pour cette raison sont ordinairement appelées les vingt-quatre souffles de la nature. Allié à l'élément Bois et dirigé par Jupiter, le souffle de la nature produit la pluie ; combiné à l'élément Métal et conduit par Vénus, il donne le beau temps ; son union avec l'élément Feu, sous l'influence de Mars produit la chaleur ; avec l'élément Eau et sous l'impulsion de Mercure, il engendre le froid ; de son union avec l'élément Terre sous l'influence de Saturne naît le vent. Voilà en quoi consiste le système météorologique des Chinois.

Mais maintenant se présente cette question : Comment, en dehors du travail général du souffle de la nature, peut-on déterminer, au point de vue d'un lieu donné, si le souffle de la nature est favorable ou défavorable, ou même s'il y a un souffle quelconque ?...

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