Arthur H. Smith (1845-1932)

LA VIE DES PAYSANS CHINOIS

Librairie Payot, Paris, 1930, 356 pages. Première édition anglaise, 1899


Table des matières - Quelques photos - Préface - Extrait : les Festins

Feuilleter
Télécharger

Table des matières

 

Préface

PREMIÈRE PARTIE

LE VILLAGE. SES INSTITUTIONS. SES COUTUMES. SES FONCTIONNAIRES.

  1. Le village chinois.

  2. Les maisons.

  3. Les noms des villages.

  4. Les chemins ruraux.

  5. Les bacs fluviaux.

  6. Les puits.

  7. Les boutiques.

  8. Le théâtre.

  9. Les écoles. Etudiants ambulants.

 10.L’instruction supérieure en Chine. L’école supérieure de village. Examens. Derniers édits concernant l’instruction.

 11. Les temples.

 12. La coopération dans les pratiques religieuses.

 13. La coopération dans l’organisation des foires et des marchés. 

 14. Les sociétés de prêts.

 15. La surveillance des récoltes.

 16. Incantation de la pluie.

 17. La chasse.

 18. Mariages et funérailles.

 19. Le Jour de l’An.

 20. Le matamore.

 21. Les administrateurs communaux.        

 

DEUXIÈME PARTIE

LA VIE DE FAMILLE AU VILLAGE

 22. Garçons et hommes.

 23. Jeunes filles et femmes.

 24. La monotonie et le vide de l’existence au village.

 25. Équilibre instable de la famille chinoise.

 26. Faiblesse du lien familial.


*

Une sélection de photos


*

Préface

     L'auteur de ce livre, possédant une longue expérience de la Chine, éprouve par cela même un profond respect pour les nombreuses et admirables qualités des Chinois, et il a pour beaucoup d'entre eux individuellement la plus haute estime. Cette grande race a derrière elle un passé sans égal, il se peut qu'un merveilleux avenir s'ouvre aussi devant elle, mais, afin qu'une pareille destinée s'accomplisse, il faut que le Céleste pare à de nombreuses insuffisances, insuffisances qui semblent d'autant plus probantes que l'on connaît mieux la Chine. Le commerce, la diplomatie, le développement des relations politiques avec l'Extérieur et même un contact toujours plus étroit avec les civilisations occidentales n'ont pas réussi à accomplir une seule des réformes dont la Chine a besoin.

     Le village chinois, c'est l'Empire en raccourci. Après l'avoir étudié, nous nous trouverons mieux armé, pour suggérer un remède à tout ce qui exige des améliorations. Il est un point sur lequel on ne saurait trop insister. En Chine, la variété dans l'unité est telle que lorsqu'un observateur donne un fait comme certain, il devrait en même temps spécifier que, véridiques dans certaines parties de la Chine, ses affirmations peuvent ne pas l'être en ce qui concerne d'autres régions de l'Empire. Par contre, l'unité dans la variété est telle aussi qu'un fait vraiment typique de la Chine, s'il ne se présente que rarement, n'en est pas moins utile à connaître.

     Jamais la Chine n'a soulevé comme aujourd'hui les préoccupations du monde et rien ne nous autorise à penser que sa situation attirera moins l'attention des nations au début du XXe siècle. Tout ce qui peut concourir à faire mieux comprendre le caractère chinois est de nature à faciliter l'intelligence du problème chinois lui-même. Puisse ce livre apporter à une pareille œuvre sa modeste contribution.


*

Les Festins

     ... Sous la pression de ces circonstances inexorables, les Chinois ont depuis longtemps découvert une heureuse manière d'appliquer le principe de la participation qui leur permet de ramener les frais des mariages et des enterrements à un taux abordable aux petites bourses. Il est généralement difficile de prévoir le nombre de personnes qui viendront assister à l'une ou l'autre de ces deux cérémonies, mais la quantité des approvisionnements sera calculée d'après le chiffre maximum des invités. Un code rigoureux d'étiquette sociale exige que chacun d'eux - ou plutôt chaque famille - contribue pour « une part » aux dépenses que nécessite la circonstance. Cette « part » peut se traduire par un apport de victuailles, mais il est plus usité de fournir sa contribution en espèces dont l'importance suit une gradation parfaitement comprise de chacun. Le montant en varie beaucoup suivant les localités et va de la somme insignifiante de 5 ou 6 cents jusqu'à 1/4 de dollar et plus, suivant le degré d'intimité des familles et la capacité de chaque invité à participer pour une somme plus ou moins forte. Dans certaines régions, le montant de cette contribution varie du simple au double. Parfois l'étalon est si bien compris que l'expression « une part » revêt une signification locale aussi précise que si l'on indiquait une certaine somme, 250 cash par exemple.

Dans quelques endroits le taux d'« une part » pour des mariages équivaut au double de celle admise pour des funérailles. Cette différence résulte du fait que dans ce dernier cas la nourriture est modeste - su - tandis que dans le premier cas on sert de la viande - hun - et d'autres mets coûteux. L'on constate souvent que la « part » de la personne venant d'une autre ville ou d'un autre district s'élève au double ou au triple de celle d'un habitant de la localité où se sert le festin. Un étranger perdrait sa « face » à donner la même somme qu'un natif de l'endroit.

Mais nous devons observer, à titre d'exemple caractéristique de la façon de procéder des Chinois, qu'en des occasions de ce genre, les sommes recueillies correspondent rarement à ce qu'elles prétendent être. Si, d'après les coutumes du lieu, 96 ou 98 cash équivalent à 100 cash, la tentation de verser une contribution plus faible est trop forte pour qu'un Céleste y résiste, d'autant plus que dans la confusion qui accompagne la remise de nombreuses cotisations, il sera difficile de dire par qui fut donné tel ou tel cordon de cash, bien que le montant de chaque don soit porté sur un « compte » destiné à être vérifié.

Les chefs de famille soucieux de conserver un indice exact de l'honnêteté relative des contribuants, se munissent parfois d'une longue corde à laquelle sera attachée successivement par son cordon chaque somme de cash après avoir été portée en compte. L'opération terminée, le maître de maison pourra vérifier cette série de cordons et s'assurer de ce qui manque à chacun d'eux, puis se basant sur le rang qu'ils occupent et qui doit correspondre à l'ordre dans lequel les donateurs sont inscrits, il pourra ainsi retrouver le nom de chacun de ces derniers. Les invités ne voient pas d'un bon œil cette façon de procéder, peu usitée du reste parce qu'elle cause trop d'ennuis. Mais le chef de famille y trouve l'avantage de pouvoir payer la famille qui n'a pas donné honnêtement sa part, de la même monnaie lorsqu'il devra, à son tour, assister à l'une de ces cérémonies. Dans certains endroits, il est bien entendu qu'alors que la « part » individuelle comporte 250 cash, il en faudra 5 pour faire 1.000 cash, puisque chaque centaine de cash n'est en réalité que 80 cash.

Il appartient à un comité constitué pour la circonstance de centraliser les recettes et de garder un compte du montant versé par les invités pris individuellement. Ce détail est de grande importance attendu que chaque contribution joue un double rôle. Elle satisfait d'abord aux obligations des participants à la fête, de plus, elle sert de barème pour la quotité du cadeau que devra faire à son tour la famille aujourd'hui bénéficiaire à celle des donateurs actuels. Le montant de la somme offerte par chaque personne dépend des relations qu'ont les familles entre elles et surtout de ce qu'elles auront reçu précédemment en pareille occasion. Ne pas tenir compte du code traditionnel, qui demande aux invités des contributions proportionnées à celles données par d'autres, est considéré comme une offense grave contre le décorum, car la famille intéressée peut avoir à supporter de grosses répercussions pécuniaires du fait de la diminution de ses recettes.

Assister à un festin et n'apporter aucun don en espèces ou en nature, voilà une chose dont on n'a pour ainsi dire jamais entendu parler, bien qu'il arrive fréquemment que la quantité de vivres qu'en de certaines occasions l'on substitue à l'argent ne corresponde pas même à la moitié de ce que mangera le donateur. Tel est tout spécialement le cas de la femme qui se fait suivre-ainsi que nous l'avons déjà mentionné - d'une bande d'enfants voraces qu'on ne pourra tenir tranquilles qu'en les gorgeant d'aliments pendant toute la durée de la fête, leurs capacités d'absorption étant du reste illimitées.
   Dans les petites comme dans les grandes villes, l'ordonnance d'un festin de noces ou d'enterrement se pratique sensiblement de la même manière que dans les pays d'Occident. Un magasin d'approvisionnements s'engagera à livrer un nombre déterminé de bols contenant des aliments d'une qualité définie et à un prix fixé d'avance. L'on prévoit aussi des fournitures supplémentaires dans le cas où l'affluence des invités dépasserait le nombre prévu. Mais si la fête doit être donnée sur une grande échelle, il est probable que la cuisine se fera sur les lieux mêmes à l'aide d'un maître queux de profession. L'on dit couramment d'une cérémonie de cette classe qu'elle comprend tel nombre de « festins », le mot « festin » ne s'appliquant pas à un seul individu, ainsi qu'on pourrait le supposer, mais au groupe de convives qui viendront prendre place autour d'une table. Groupe à nombre naturellement variable suivant les localités. Parfois il est de huit et l'expression « huit tables de fées » sert à désigner les articles alimentaires demandés dans ce but.

Ces tables ont partout les mêmes dimensions, mais dans certains endroits l'un des grands côtés du rectangle n'est pas occupé afin de faciliter le service et un « festin » n'indique alors que six convives. Lorsque les « festins » sont servis d'après un contrat passé d'avance, la convention comporte des serviteurs qui présentent les plats et touchent à la fin de la fête une petite gratification.

Le nombre des familles en situation de s'accorder de pareilles facilités de service est relativement minime par rapport à toutes celles qui sont obligées de préparer des festins de noces ou de funérailles. Lorsqu'elles n'ont pas cette ressource à leur disposition, il n'y a d'autre moyen que de remettre l'ordonnance du banquet entre les mains de certains individus experts en la matière, classe de gens qui se trouve partout. Chaque village ou groupe de villages peut toujours fournir un cuisinier de métier qui s'est spécialisé dans ce genre de festins. S'il jouit d'une haute réputation professionnelle et s'il est employé par des familles riches, il se fait accompagner d'une équipe d'aides et de marmitons qui travaillent sous sa direction : tous recevront à la fin des gratifications convenables.

Le personnel auquel est confiée l'organisation d'un festin se divise en trois services : les maîtres d'hôtel - chih fang, - le département culinaire - chu fang - et le département des finances - chang fang. Chacun d'eux sert de frein pour les deux autres ; mais dans les entreprises de mince envergure et peu dispendieuses, ces trois comités se fondent en un seul sous la direction d'un chef unique. Les maîtres d'hôtel achètent les provisions qu'ils estiment nécessaires et choisissent ce qu'ils trouvent de mieux sur le marché local.

Dans la région septentrionale de la Chine, les articles les plus chers sont les gâteaux de froment - mant'ou - et le vin. Si la distribution intérieure du logis le permet, l'on dépose les provisions destinées au festin dans des locaux séparés sous la responsabilité exclusive de l'un des maîtres d'hôtel : c'est seulement sur son ordre exprès que l'on passe au cuisinier les fournitures dont il a besoin. Mais, dans la pratique, ces opérations donnent toujours prise à un sérieux coulage, car un grand nombre des parents et des voisins de la famille qui offre la fête envoient leurs enfants marauder autour de la chambre aux provisions où ils trouvent moyen « d'emprunter » quelques gâteaux de froment ou des verres de vin. Si le maître d'hôtel refuse - ainsi que le ferait sans aucun doute un étranger - il encourra la mauvaise humeur des gens qui désirent « emprunter » et, finalement, ce gardien trop zélé ne récoltera que des injures, chose qu'aucun Chinois ne trouve de son goût. En pratique il est donc admis de « donner à celui qui demande » et de ne pas se détourner de qui voudrait « emprunter » même si, comme l'assure un vieil aphorisme anglais, « de longues lanières sont coupées dans le cuir des autres personnes ».

Il arrive souvent que les maîtres d'hôtel chargés de la réception des approvisionnements fument l'opium : en pareil cas les dépenses ne peuvent qu'augmenter. Dans certaines régions, il est également passé dans les usages de mettre de l'opium à la disposition des invités, générosité qui entraîne de nombreux abus. De plus, un homme qui fume la drogue se trouve naturellement incapable de veiller avec soin sur les provisions confiées à sa garde. S'il est fumeur et si l'opium fait partie des articles fournis pour le repas de noce, tous les camarades adonnés au même vice profiteront de la circonstance et lui rendront visite : bien entendu on leur offrira une pipe aux frais du patron. Le vin, les gâteaux de froment disparaissent, en de pareilles fêtes, avant même que l'on ait déposé devant un invité le premier bol de vivres : l'on dirait de l'eau qui s'évapore par une chaude journée d'été. L'auteur de ce livre a entendu raconter qu'à l'occasion d'un enterrement dans une famille du voisinage, six « catty » de vin environ disparurent sans laisser de traces.

De pareils incidents, connus de tous, ne proviennent pas de l'incapacité des maîtres d'hôtel à exercer leurs fonctions, pas plus que de leur indifférence à sauvegarder les intérêts des gens qui les emploient. La raison est tout autre. En effet, chaque famille à même d'offrir de grandes fêtes est entourée d'une multitude de parents pauvres qui, n'ayant aucune autre occasion de profiter de leurs belles alliances, entendent bien ne pas être oubliés sur la liste des invités. Une famille dans la gêne, qui porte le même surnom que l'hôte, se tiendra, bols en mains, à la porte de la maison où se prépare une cérémonie et réclamera sa part des bonnes choses qui vont être servies aux convives. Si, par extraordinaire, le maître de maison refuse catégoriquement d'y consentir et que les maîtres d'hôtel exécutent ses ordres à la lettre, cela ne servira à rien, car la famille pauvre se livrera alors à des manifestations tapageuses, au point de jeter le trouble dans les réjouissances et tous les invités, prenant son parti, exhorteront l'hôte à se montrer plus accommodant.

Téléchargement

smith_paysans.doc
Document Microsoft Word 2.0 MB
smith_paysans.pdf
Document Adobe Acrobat 2.6 MB