Francis Garnier (1839-1873)

VOYAGE D'EXPLORATION EN INDO-CHINE

Octobre 1867-Juin 1868 : LA CHINE

Revue Le Tour du Monde, tomes XXIV (1872) et XXV (1873). 64 illustrations, d'après des dessins de Louis Delaporte

  • Un des voyages d'exploration les plus importants accomplis en Asie au cours du dix-neuvième siècle

Table des matières
Extraits : Arrivée en Chine - Populations - Ressources
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Table des matières

Petite ville d'Ho-boung ou des Salines
Petite ville d'Ho-boung ou des Salines

I. Départ de Saïgon.
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XI (suite). Voyage de Xieng Hong à Muong La ou Se-mao. — Arrivée en Chine.

XII. Réception à Se-mao. — Description de cette ville. — Guerre des Mahométans. — Départ pour Pou-eul. — Salines d'Ho-boung.

XIII. De Pou-eul à Lin-ngan. — Les salines de Mo-he. — Nous changeons de bassin. — Le Pa-pien Kiang et le Pou-kou Kiang. — Ta-lan. Les mines d'or.— Yuen-kiang et le fleuve du Tong-king. — Je me sépare de l'expédition. — Lin-ngan. — Une quasi-lapidation. — Arrivée de l'expédition. — Le Leang ta-jen. — Une nouvelle route commerciale française. — Départ de Lin-ngan.

XIV. Che-pin et son lac. — Mines de fer. — Tong-hay. — Les premières neiges. — Kiang-tchouen et le lac de Tchin-kiang. — Historique de la rébellion mahométane. — La plaine, le lac et la ville de Yun-nan. — Nous rencontrons des compatriotes. — Le Ma ta-jen. — Arrivée d'une lettre de l'ambassadeur de France à Pékin. — Commerce et richesses métallurgiques du Yun-nan. — Effets de la culture du pavot. — La pagode du roi Ou.

Halage sur la rivière de Kon-tchang
Halage sur la rivière de Kon-tchang

XV. Les PP. Fenouil et Protteau. — Le Lao papa. — Emprunt fait au Ma ta-jen. — Départ de Yun-nan. — Arrivée à Tong-tchouen.

XVI. Le Yang ta-jen. — Maladie de M. de Lagrée. — Répugnances des autorités chinoises à nous laisser partir pour Ta-ly. — Lettre du P. Fenouil.  Je pars pour les pays mahométans de l'Ouest avec une partie de l'expédition. — Le fleuve Bleu. — Houey-ly tcheou. — Hong-pou-so. — Nous faisons connaissance avec le P. Lu. — Mine de charbon et populations mixtes de Ma-chang. — Je me décide à aller directement à Ta-ly. — Entrevue à Tou-touy-tse avec le P. Leguilcher.

XVII. Nous partons pour Ta-ly. — Le premier accueil du sultan est très  cordial — Brusque revirement dans ses intentions à notre égard. — Nous devons quitter Ta-ly à la hâte. — Incidents de notre retraite. — Nous regagnons Tou-touy-tse sans être entamés.

XVIII. De Ta-ly à Saïgon. — Retour à Tong-tchouen. — Retour à Tong-tchouen. — Mort du commandant de Lagrée. — La mission de Long-ki. — Siu-tcheou fou. — Nous nous embarquons sur le fleuve Bleu. — Tchong-kin fou. — Han-kéou. — Shang-haï. — Saïgon.


Arrivée en Chine

M. de Lagrée avait envoyé un messager prévenir de notre arrivée les autorités de Se-mao. A peine avions-nous mis le pied dans les faubourgs de la ville, que des agents du gouverneur, escortés de quelques soldats, vinrent faire la génuflexion devant nous et nous précédèrent dans les rues de la ville. Une foule énorme s'était rassemblée sur notre passage et témoignait une curiosité, gênante à force d'empressement, mais au fond de laquelle on sentait de la bienveillance. A ce moment — et à ce moment seulement — nous fîmes un retour sur nous-mêmes et nous nous attristâmes de notre pauvre équipage. A peine vêtus, sans souliers, n'ayant d'autres insignes qui fissent reconnaître en nous les représentants de l'une des premières nations du monde, que les galons ternis que portait encore M. de Lagrée, nous devions faire une mine bien piteuse aux yeux d un peuple aussi formaliste et qui attache autant de prix aux apparences que le peuple chinois. A coup sûr, nous n'aurions pu traverser dans le même équipage une ville de France, sans rassembler des badauds et ameuter les gamins contre nous. Mais c'était moins notre costume que notre physionomie elle-même qui attirait la curiosité des habitants de Se-mao. On s'imagine difficilement quelles propriétés singulières on attribue aux Européens dans ces provinces reculées de l'empire chinois. On ne les connaît qu'à travers les récits défigurés et grossis de bouche en bouche, qui des côtes se sont propagés dans l'intérieur. Les armes, les navires à vapeur, l'industrie étonnante de ces terribles barbares devant lesquels a succombé le prestige d'une civilisation de cinquante siècles, ont défrayé les récits les plus merveilleux et accrédité les préjugés les plus bizarres. Il arriva un jour qu'un mandarin militaire chinois, contrairement à toutes les règles de l'étiquette, s'efforça de passer derrière le commandant de Lagrée et de soulever son chapeau. Comme on lui demandait le motif de cette démarche singulière :

— Je voulais m'assurer, dit-il, de l'existence de ce troisième œil que les Européens possèdent, dit-on, derrière la tête, et à l'aide duquel ils découvrent les trésors cachés sous terre.
 
On nous logea à Se-mao dans une pagode située en dehors de la ville, Ce ne fut qu'après une lutte de plusieurs heures que les policemen du lieu réussirent à nous délivrer de la foule qui avait envahi le sanctuaire que l'on nous donnait pour demeure. Mais nous étions de trop belle humeur pour nous formaliser en quoi que ce soit des importunités de nos nouveaux hôtes ; tout se transformait à nos yeux en félicitations sur notre succès. Après avoir si longtemps et si cruellement douté de notre réussite, nous étions enfin en Chine ! Ces mots magiques ne laissaient de place qu'à la joie. Tout ce qui nous prouvait la Chine était le bienvenu. Nous aurions voulu la sentir et la toucher plus encore. Les poussahs qui trônaient sur les autels aux pieds desquels nous nous étions installés nous paraissaient grimacer des sourires de bienvenue.


Populations

Types de Man-tse
Types de Man-tse

Yuen-kiang, quoique ville de second ordre, forme une circonscription indépendante, qui relève directement de Yun-nan. Il y a dans les environs une race particulière appelée Pa-y, qui n'est qu'une branche de la grande famille thaï. Les Pa-y deviennent de plus en plus nombreux et presque indépendants quand on se rapproche de la frontière du Tong-king. Les Chinois les citent toujours les premiers quand ils énumèrent les sauvages de la contrée : Ho-nhi, Kha-to, Chanzou, Pou-la, Lope, Lolos. Les dialectes de ces dernières tribus diffèrent peu et dérivent d'une même langue. Les Lolos sont peut-être ceux qui présentent les plus grandes différences de langage et leur dialecte paraît se rapprocher de celui des Kouys de la rive droite du fleuve plus que de tout autre. Leur langue a de nombreux rapports avec celle des tribus qui, sous le nom de Man-tse, habitent le nord du Yun-nan. Ces populations semblent avoir quelque parenté avec les Mons, qui depuis une époque très reculée ont peuplé le Pégou. Les Aka, les Abors, les Chendou seraient les principaux anneaux de la chaîne ethnographique qui relierait les Pégouans aux Lolos du Yun-nan. Les Pa-y offrent une douceur et une régularité de traits fort remarquables. La toilette des femmes, tout en conservant beaucoup de traits communs avec celle des sauvages de Paleo et de Siemlap, en présente de nouveaux qui sont  caractéristiques.  Elles portent autour du cou une sorte de collier haut de trois doigts environ et composé d'une étoffe rouge ou noire sur laquelle de petits clous d'argent assemblés forment des dessins. On croirait voir de loin le collier hérissé de pointes d'un boule-dogue. Une sorte de plastron, agrémenté de la même manière, s'étale sur la poitrine. Des boucles d'oreilles, d'un travail fort délicat, figurent tantôt des cercles, le plus souvent un anneau supportant un petit plateau carré auquel sont attachées une foule de pendeloques ; de longues épingles de tête, aux extrémités desquelles  pendent  avec  profusion  ces mêmes pendeloques, complètent les ornements du costume qui sont exclusivement en argent, et d'où les pierres, les perles, le verre, sont exclus. Rien de plus élégant en définitive que les jeunes filles Pa-y avec leur toute petite veste, leurs jupons bordés d'une large bande de couleur et leur corset serré. Quelques-unes sont jolies. Les hommes portent un petit turban aplati ; leur fine moustache et leur maigre physionomie les font ressembler beaucoup aux Annamites. Ne seraient-ce pas là les successeurs de ces tribus des montagnes dont parle l'histoire du Tong-king et qui, dès le onzième siècle avant notre ère, se séparèrent des tribus de la mer, devenues aujourd'hui la race tongkinoise proprement dite, et vécurent avec elles dans un état permanent d'hostilité ?


Ressources

Aux environs de Ta-lan, Che-pin et Muong Pong
Aux environs de Ta-lan, Che-pin et Muong Pong

Ho-boung : Des gisements de houille exploités se trouvent à peu de distance. M. Joubert alla les visiter. Les galeries, ouvertes dans le flanc de la montagne, ont une vingtaine de mètres de profondeur ; elles sont soutenues par des cadres en bois. Le combustible extrait sert à l'évaporation des eaux salines du village voisin de Ho-boung. Nous allâmes explorer ce dernier village. Il compte au moins deux cents maisons et son aspect est des plus animés. Dix-huit puits d'extraction sont en pleine activité. L'un d'eux, que j'examinai avec soin, avait quatre-vingts mètres de profondeur. Des pompes à main étaient échelonnées le long d'une galerie en bois, inclinée à quarante-cinq degrés, qui rachetait environ la moitié de profondeur. Une pompe à air renouvelle l'atmosphère que respirent les ouvriers employés aux pompes. L'eau est amenée par des conduits en bambou dans vingt auges de marbre qui correspondent chacune à un fourneau. Les fourneaux reçoivent une bassine en fer où l'on concentre par la cuisson l'eau salée des auges de marbre. Le combustible employé est l'anthracite, dont nous venions de voir le lieu d'exploitation, mélangée à du bois de pin. Il faut deux jours de cuisson pour que l'eau, sans cesse renouvelée dans les bassines, ait moulé dans celles-ci un bloc de sel très dur et très blanc. Pendant toute la cuisson, on écume avec soin les eaux mères. Le bloc retiré des bassines pèse environ un picul ou soixante kilogrammes.

Ce village des salines avec sa fumée, ses maisons noires, le bruit sourd qui s'échappe des maisons, nous ramène soudain en pleine civilisation, et nous pouvons nous croire dans une petite ville industrielle d'Europe.

...Ta-lan : le commerce y est florissant. Toutes les pentes des montagnes avoisinantes sont admirablement cultivées et aux fruits des tropiques viennent s'ajouter ici les fruits et les céréales de l'Europe. Ce fut à Ta-lan que nous retrouvâmes pour la première fois la pomme de terre ; les noix et les châtaignes se mélangeaient sur le marché aux goyaves, aux mangues aux coings, aux cédrats, aux oranges, aux pêches, aux poires, aux pommes. Avec un peu plus de tranquillité et quelques perfectionnements agricoles, ce pays, qui est l'un des plus favorisés de la nature, deviendrait l'un des plus riches du globe.

Nous allâmes visiter des gisements aurifères situés à quelque distance au nord de la ville, à la limite du territoire de Ta-lan et de Yuen-kiang. Dans les gorges d'une montagne dénudée, d'une couleur verdâtre, coulent plusieurs petits torrents sur les rives desquels a lieu l'exploitation. L'or paraît provenir de quartz infiltré dans les couches de schiste qui forment le sol. Il y a vingt ans que l'on a commencé à laver les sables des torrents et à creuser des galeries dans les flancs de la montagne, mais les résultats n'ont jamais été bien considérables : ils n'ont jamais dépassé mille onces d'or par mois, c'est-à-dire une production annuelle de quatorze cent mille francs. A ce moment, il y avait dix mille travailleurs. La production n'est plus aujourd'hui que de cinquante à soixante onces par mois. Un millier d'hommes environ travaillent à ces mines, pauvres, misérables et sans chef. L'exploitation est libre et le gouvernement ne prélève aucun impôt ; quelques puits appartiennent à des mandarins, qui les font exploiter à leurs frais ; le lavage des sables des torrents est encore ce qui paraît donner les meilleurs résultats ; mais l'espérance de trouver un filon quartzeux riche en pépites, et de s'enrichir en un jour, fait creuser dans tous les sens de longues et profondes galeries ; la roche qui en est extraite est concassée et tamisée, puis traitée comme les sables. On trouve quelquefois aussi de l'argent, mais en très petite quantité. Jamais l'auri sacra fames ne s'est révélée à mes yeux d'une façon plus frappante qu'à l'aspect de cette montagne désolée et aride, fouillée, et partout bouleversée avec un acharnement que bien rarement le succès couronne.

Une autre production des environs de Ta-lan qui attira notre attention, est le fil retiré de la toile d'une araignée particulière que l'on trouve dans les broussailles et dans les bois taillis. Ce fil est très résistant, et on l'envoie à Yun-nan pour fabriquer des étoffes ; il se vend environ trois francs la livre.

Homme et femme Lissous
Homme et femme Lissous

... La vie est moins chère à Yuen-kiang que dans les villes que nous venions de traverser ; la pomme de terre, fort au-dessous de la patate dans les préférences des habitants, ne coûte qu'un sou la livre, et nous fournit une quote-part de provisions fort appréciée. Les oies et les canards abondent dans les basses-cours, mais la viande de porc est la seule à figurer sur l'étal des bouchers. Cet animal est ici en quantité prodigieuse. Les oranges sont délicieuses et se donnent pour rien. Duhalde  signale aussi, parmi les produits de la contrée, la soie et le bois d'ébène.

La plaine de Yuen-kiang produit beaucoup de sucre et de coton. Nous retrouvons ici la petite machine à égrener des Annamites ; on tisse le coton sur les lieux mêmes en étoffes grossières, teintes de couleurs éclatantes. Dans les montagnes qui avoisinent Yuen-kiang se trouve le chevrotin porte-musc. Le gouverneur nous fit cadeau de deux poches de ce précieux parfum. M. Joubert alla visiter à quelques kilomètres au nord de la ville la mine de cuivre de Tsin-long ; c'est un des gisements les moins considérables de toute cette province, qui en possède de si nombreux et de si riches.

Au-dessus de Pou-pio, on remarque, le long des bancs de la montagne, une ligne de verdure presque horizontale qui tranche vivement sur le rocher nu : c'est la trace d'un canal d'irrigation qui va prendre l'eau à une grande hauteur dans l'un des torrents à forte pente qui se déversent dans le fleuve. Ce canal distribue l'eau aux divers villages de la vallée, et la fraîcheur et la végétation renaissent sur son parcours. Il est solidement empierré, muni d'un chemin de ronde, et il a dû exiger un énorme travail. On croirait volontiers qu'il eût été moins pénible d'élever l'eau du fleuve qu'on avait à ses pieds. Sans doute les Chinois préfèrent au travail continu que demandent les machines élévatoires, l'effort plus considérable, mais fait une fois pour toutes, que nécessite la construction d'un canal irrigatoire. Une fois établi, il n'y a plus en effet à se préoccuper de rien ; l'eau arrive où l'on veut, quand on veut et en quantité toujours suffisante. On trouve ces travaux d'irrigation, exécutés quelquefois sur une échelle vraiment grandiose, dans toutes les parties montagneuses de la Chine.

Types Si-fan, à Can-tchou-tse
Types Si-fan, à Can-tchou-tse

Nous visitâmes aux environs immédiats de Lin-ngan un gisement de lignite, dont l'exploitation est assez active. Ce combustible est d'un emploi général ; la plaine de Lin-ngan est entièrement déboisée, et le peu de bois que l'on brûle est apporté de fort loin par les sauvages. L'extraction du lignite se fait par deux puits verticaux, d'une profondeur de seize à dix-sept mètres ; ils donnent accès à des galeries horizontales d'un grand développement, pratiquées à l'intérieur de la couche combustible, qui paraît avoir une épaisseur variant d'un mètre à cinquante centimètres. L'exploitation est monopolisée par l'administration chinoise ; de nombreuses voitures se pressent autour des puits et attendent leur tour de chargement. On paye sur les lieux mêmes. Ces voitures, les premières que nous eussions rencontrées depuis bien longtemps, sont de petits chariots fort bas, portés sur deux roues pleines et traînés par un bœuf ou un buffle. On fabrique également à Lin-ngan ce papier commun dont on fait en Chine une si grande consommation en guise d'allumettes. Duhalde cite le miel et la cire parmi les productions importantes de la contrée.

Homme et femme I-kia
Homme et femme I-kia

Environs de Lin-ngan : Ce qui frappe le plus,...ce sont les gigantesques travaux exécutés par les habitants pour préserver leurs champs des cailloux que charrient les torrents ; ceux-ci ont été endigués, sur tout leur parcours dans la plaine, entre deux énormes murailles de pierres sèches ; chaque génération élève ces murailles d'une assise ou deux, afin de suivre l'exhaussement progressif que subit le lit du torrent après chaque saison pluvieuse ; les galets que les eaux entraînent à cette époque, ainsi retenus dans d'étroites limites, s'accumulent rapidement. Aujourd'hui, tous ces cours d'eau sont comme suspendus au-dessus de la plaine et leur élévation facilite l'irrigation des rizières avoisinantes. En quelques endroits, les talus des rizières sont eux-mêmes construits en pierre. On ne saurait s'empêcher d'admirer tant d'ingéniosité et de prévoyance...

Je remarquai au marché de Che-pin, du fer qui venait de mines situées à peu de distance dans le nord et qui se vendait environ trois sous la livre ; des poteries venant de Ning-tcheou et qui remplissaient d'immenses magasins ; du soufre venant d'Ho- mi tcheou, ville située à l'est de Lin-ngan ; du thé venant de Pou-eul, qui se vend par paquets de six cercles pesant environ trois livres et demie, et valant de quatre à cinq francs. Le sel vaut quatre-vingts centimes les dix livres et vient, paraît-il, en partie de Mangko, et par conséquent du Tong-king ; le coton est apporté par les sauvages et se vend de deux cents à deux cent quatre-vingts francs le picul. Le riz est bon marché et ne vaut guère que deux sous la livre.

...Le 12, nous fîmes halte dans un petit vallon qu'arrose un mince filet d'eau ; nous trouvâmes là deux ou trois forges qui traitent un minerai de fer très riche, que l'on extrait à peu de distance. Le mode de traitement est assez primitif. Je n'ai à signaler qu'un soufflet hydraulique que fait mouvoir une roue horizontale frappée par une chute d'eau. On trouve le même moteur employé avec des dimensions plus considérables pour le décorticage du riz.

... Le 13, nous visitâmes, au village de Lou-nang, une fabrication de ces chaudières en fonte que l'on trouve dans toutes les cuisines du Céleste-Empire, et de ces bassines en fer qui servent spécialement à la fabrication du sel. On les coule dans des moules en terre composés de deux parties, qui laissent entre elles l'épaisseur du métal que doit avoir la paroi de la chaudière, La pièce est renversée et la coulée se fait par un orifice qui correspond au fond de la bassine. Le moule supérieur est percé de trous, et l'intérieur est enduit d'une espèce d'huile bitumineuse, destinée à empêcher l'adhérence du métal.

...L'exploitation des mines de cuivre est une sorte de commandite, dont l'État fournit les capitaux, en se réservant le droit d'acheter, à chaque mine, d'après un prix déterminé, une quantité de métal fixée à l'avance. Le même droit est concédé aux provinces limitrophes en échange d'une mise de fonds, et le transport de cette redevance en nature donnait lieu, avant la guerre civile, à d'immenses convois de barques, qui descendaient le fleuve Bleu et allaient transporter jusqu'à Pékin les millions de kilogrammes de cuivre nécessaires à la fabrication des sapèques du Céleste-Empire. En 1850, la somme qui était avancée par l'État pour l'exploitation des mines de cuivre du Yun-nan s'élevait annuellement à un million de taels ; mais les mineurs se plaignaient vivement de ce que le prix du cuivre officiel fut beaucoup trop faible, et la quantité de métal exigée beaucoup trop forte. Il en résultait une diminution sensible dans le nombre des travailleurs qui étaient accourus de tous les points de l'Empire pour prendre part à l'exploitation des richesses métallurgiques du Yun-nan ; et après les prélèvements opérés dans les mines par l'État et par les provinces, le commerce n'y trouvait plus un approvisionnement suffisant de cuivre pour alimenter ses achats.

Types Min-kia
Types Min-kia

La production industrielle du royaume de Ta-ly a beaucoup diminué depuis la guerre. Elle était importante au point de vue métallurgique. Les mines de cuivre de Long-pao, de Ta-kong, de Pe-iang sont les plus importantes de cette région où se trouvent aussi des gisements d'or, d'argent, de mercure, de fer, de plomb et de zinc. A Ho-kin, on fabrique du papier de bambou ; on forme avec les tiges de cette plante des faisceaux d'égale longueur que l'on pile et que l'on fait macérer dans de la chaux. On les met ensuite dans un four en contact avec de la vapeur d'eau et l'on chauffe pendant vingt jours ; puis on les expose à un courant d'eau froide et on les dispose de nouveau par couches, dans un second four ; chaque couche est recouverte d'un enduit fait avec du saindoux et de la farine de pois. Après une autre cuisson on obtient une pâte que l'on étend sur des treillis en couches excessivement minces et que l'on fait sécher au soleil. On obtient ainsi des feuilles d'un papier assez grossier et assez inégal, mais très résistant.

A Ta-ly, l'or et l'argent s'échangent dans le rapport de un à douze. La chair d'âne est très estimée et il s'en débite des quantités considérables. La chasse du chevrotin musqué est l'un des plus grands revenus des habitants des montagnes. Le musc se vend sur les lieux mêmes au poids de l'argent. Dans la vallée de Pien-kio, il y a de nombreux moulins à sucre. A Ho-tchang au nord de Rouang-tia-pin se trouvent des fabriques de chaudrons et de bassines en fer. Il y aurait, dit-on, du platine dans le pays.

Chinois du Yun-nan
Chinois du Yun-nan


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