Antoine-Isaac Silvestre de Sacy (1758-1838)

A.-I. Silvestre de Sacy (1758-1838) :   Notice sur la vie et les ouvrages de M. Abel-Rémusat.  lue le 25 juillet 1834 à la séance publique de l’Académie des  Inscriptions. Le Moniteur, 21 août 1834.


NOTICE SUR LA VIE ET LES OUVRAGES DE M. ABEL-RÉMUSAT

lue le 25 juillet 1834 à la séance publique de l’Académie des Inscriptions
et publiée dans le Moniteur du 21 août 1834.


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Messieurs,

Parmi les pertes douloureuses qu'a faites l'Académie dans la fatale année 1832, et dont le souvenir est encore présent tous les jours à notre mémoire, il en est peu qui aient excité des regrets aussi vifs, et privé la littérature de plus d'espérances, que celle des deux illustres académiciens, dont l'un avait fondé parmi nous l'étude de la langue sacrée de l'Inde, et l'autre avait renouvelé, et, par des travaux aussi nombreux que remarquables, rendu presque vulgaire, la connaissance du langage, de l'écriture et de la littérature d'une nation située à l'extrémité orientale de l'Asie, nation qui ne semble pas moins éloignée de la civilisation de l'Europe par tous les éléments constitutifs de la société, qu'elle ne l'est par la distance des lieux et la difficulté des communications. Certes, elle a porté un coup bien funeste aux sciences et aux lettres, et à l'Académie en particulier, cette année qui, après leur avoir enlevé l'immortel Cuvier, et l'infatigable et illustre Champollion, a encore précipité dans la tombe Rémusat et Chézy. Chargé de constater et de retracer devant vous, Messieurs, et en présence d'un public qui s'associe à vos regrets, les services rendus à la littérature de l'Orient par deux hommes qui semblaient destinés à en étendre et à en féconder le champ, longtemps après que j'aurais disparu de la scène où j'avais été heureux de leur servir d'introducteur, je m'étais proposé d'abord de réunir dans une seule notice le compte que j'ai à rendre de leur vie et de leurs ouvrages. Associés déjà par l'époque de leur nomination au Collège royal de France, par celle de leur admission dans le sein de l'Académie, et, trop malheureusement, par celle de leur décès, ils auraient aussi partagé l'hommage rendu à leur mémoire, et peut-être cette circonstance, en inspirant un plus vif intérêt à cette assemblée, fût-elle venue au secours de celui qui, interprète des sentiments de l'Académie, craint de s'acquitter imparfaitement du devoir qui lui est imposé. Mais lorsque j'ai mesuré l'étendue et apprécié l'importance de la carrière que j'avais à parcourir, j'ai dû renoncer à un projet qui m'a paru téméraire, et, dans le choix que j'avais à faire entre deux savants qui ont également honoré leur siècle et leur patrie, je n'ai dû considérer que l'ordre dans lequel ils ont été enlevés à l'Académie.

Jean-Pierre Abel-Rémusat, docteur-médecin de la Faculté de Paris, professeur au Collège royal de France, l'un des administrateurs-conservateurs de la Bibliothèque royale, et des collaborateurs du Journal des Savants, chevalier de l'ordre royal de la Légion d'honneur, membre de l'Académie royale des Inscriptions et Belles-lettres, associé étranger de la Société royale des sciences de Gottingoe, de la Société asiatique du Bengale et de celle de la Grande-Bretagne et de l'Irlande, président de la Société asiatique de Paris, naquit à Paris, le 5 septembre 1788 ; il était fils de M. Jean-Henri Rémusat, l'un des six chirurgiens privilégiés du Roi, et de Mme Jeanne-Françoise Aydrée. Par sa famille paternelle, M. Rémusat appartenait à la ville de Grasse, en Provence, et, par sa mère, à celle de Besançon.

Un accident fâcheux qui lui arriva dans son extrême jeunesse, et aux suites duquel il échappa, grâces à l'habileté d'un père qui avait acquis une grande expérience dans la pratique de son art, et aux soins vigilants de la mère la plus tendre, mais qui exigea pendant plusieurs années les plus grands ménagements, fit une loi à ses parents de l'élever sous leurs yeux, et peut-être gagna-t-il plus qu'il ne perdit à cet isolement dans lequel il passa les années que, la plupart du temps, les enfants consacrent, hors de la maison paternelle, aux études des humanités, et dont il serait possible de tirer un meilleur parti, si trop de distractions n'en dépensaient sans profit une grande portion, et si l'on exerçait, sur un plus grand nombre d'objets dont la variété tiendrait lieu de délassement, leurs facultés qui ne demandent qu'à se développer et à s'étendre. Toute la vie de M. Rémusat, la nature de ses travaux, et ce qu'il a fait pour les sciences et les lettres en si peu d'années, ne permettent pas de douter qu'il ne fût né avec les plus admirables dispositions, et qu'il n'eût reçu de la nature un esprit juste et observateur, une heureuse mémoire, une grande force d'intelligence, une sagacité rare, une tournure d'esprit propre aux études graves et sérieuses, enfin, cette rectitude de jugement qui soumet tout sans effort à la sévérité de l'analyse. Les langues savantes, la mythologie, l'histoire de l'antiquité et celle des siècles modernes, la connaissance des plantes, se partagèrent les années de sa jeunesse, et dès lors tout ce qu'il apprenait, il ne se contentait pas de le confier à sa mémoire, il le réduisait par écrit en système. Si ces premiers essais, dont à peine il reste quelques traces, pouvaient être mis sous les yeux de ceux qui plus tard ont admiré la réunion des dons précieux de la nature qui le distinguaient, même entre les hommes du plus grand mérite, on y reconnaîtrait, sans aucun doute, le germe de ces mêmes qualités qui sont aujourd'hui pour nous le sujet de regrets si vivement sentis et si bien fondés.

M. Rémusat était encore dans l'adolescence quand il perdit son père, en 1805. Cette mort, qui changeait la position de Mme Rémusat, pouvait, en diminuant ses ressources, apporter quelque ralentissement dans les études du jeune homme et en arrêter les progrès. Elle produisit un effet contraire. Sentant qu'il devenait l'unique soutien de sa mère, et qu'il devait tourner ses vues vers un but qui, sans le rendre étranger aux sciences et aux lettres, lui ouvrit une carrière utile pour la fortune, il se consacra à l'étude de la médecine. Alors, pour la première fois, il se trouva en contact avec les jeunes gens de son âge. C'était le moment où la France, sans se douter qu'elle marchait vers le despotisme, se livrait avec confiance aux salutaires effets d'une réaction qui, après les désordres d'une cruelle anarchie, et la faiblesse d'une ignoble et impuissante oligarchie, remettait peu à peu en honneur toutes les doctrines conservatrices de l'ordre social et de la morale publique.

Sous l'influence de cette tendance générale des esprits, et à cette époque de la vie où les hommes auxquels le ciel prépare de hautes destinées ne mesurent l'espace qu'ils entendent parcourir, dans la carrière des connaissances humaines et dans celle de la perfection morale, que par l'ardeur qui les entraîne vers l'étude et l'estime que leur inspire la vertu, le jeune Rémusat céda, à ce qu'il paraît, à une de ces illusions qui ne trouvent d'entrée que dans les âmes généreuses que n'a point encore désenchantées le grand jour de l'expérience. Associé à quelques jeunes gens que la même ambition et la même ignorance du monde réel emportaient vers un but qui n'est point fait pour l'homme, il avait fondé une société philanthropique, qui ne tendait à rien moins qu'à la perfection indéfinie des esprits et des cœurs, et dont l'organisation semblait appartenir à quelque époque de l'ancienne Grèce. Ce rêve ne pouvait être de longue durée ; peut-être, en se dissipant, laissa-t-il dans l'âme de celui qu'il avait un instant séduit, un élan vers les choses grandes et les entreprises ardues ; une chimérique poursuite fit place à des efforts moins téméraires, qui devaient produire des fruits plus solides.

C'est le plus souvent, Messieurs, comme vous le savez, une circonstance fortuite qui mène l'homme de génie aux plus importantes découvertes dans l'étude de la nature; c'est aussi, pour la plupart des hommes qui tiennent un haut rang dans les lettres, une sorte de hasard qui leur révèle le secret de la carrière où ils doivent se distinguer: M. Rémusat en est un nouvel exemple. L'abbé de Tersan, que son riche et curieux cabinet mettait en relation aussi bien avec les simples amateurs qu'avec les hommes livrés à l'étude la plus sérieuse des monuments de tous les peuples et de tous les âges, joignait à de vastes et solides connaissances un caractère éminemment communicatif ; il n'était jamais plus heureux que quand il pouvait fournir aux savants, ou aux hommes qui aspiraient à le devenir, l'occasion de faire, entre des objets très éloignés par les temps ou par les lieux, quelques-uns de ces rapprochements précieux qui, parfois, jettent une lumière inattendue sur des matières obscures, et inspirent, pour ainsi dire, un souffle de vie à ce qui n'était auparavant qu'un spectacle inerte offert à une vaine curiosité. Le jeune Rémusat, dévoré du désir d'étendre ses connaissances, ne pouvait attendre que le plus favorable accueil du possesseur de ce cabinet. L'abbé de Tersan, instruit que ce jeune homme se livrait à l'étude de la médecine et des sciences naturelles qui s'y rattachent, s'empressa de mettre sous ses jeux un magnifique herbier chinois. Une sorte d'instinct, et ce tact sûr qui fut toujours une des qualités dominantes de son esprit, ne lui laissèrent pas un instant de doute sur la fidélité et l'exactitude de ces dessins, dont bien d'autres peut-être eussent admiré, mais non sans un grand sentiment de méfiance, l'élégante délicatesse et les vives couleurs. Dans ce nombre infini de plantes, il en avait reconnu quelques-unes, sans que leurs noms tracés dans une langue inconnue, et avec des caractères d'une étrange physionomie, eussent pu lui offrir aucun secours.

Mais était-il donc impossible de lire ces caractères ? et, si l'on pouvait dérober leur secret, de quel prix ne serait point pour la science, et peut-être pour l'art de guérir, ce qui ne paraissait qu'un des plus beaux ornements d'une rare et magnifique collection ? Cette entreprise si difficile, Rémusat ne craignit point de s'y livrer ; dès qu'il en eut pris la résolution, il s'y abandonna avec une sorte d'enthousiasme, et avec la conviction du succès. L'empressement de l'abbé de Tersan à mettre à sa disposition tout ce qui pouvait ajouter quelque chose à son ardeur, l'aida à ne tenir aucun compte des timides conseils que ne lui épargnaient pas ceux qui ne partageaient ni sa constance, ni ses intrépides espérances. Sans doute, si, au lieu d'être réduit aux écrits de Fourmont, qui semble n'avoir jamais bien connu le génie de la langue chinoise, et d'être privé du secours de tout dictionnaire, Rémusat eût été, je ne dis pas admis, mais invité, comme son zèle le méritait, à venir s'instruire dans les nombreux lexiques qui, depuis la mort de Deguignes et de Deshauterayes, restaient inutiles dans la Bibliothèque royale, ses progrès, dans cette pénible étude, eussent été plus prompts et plus satisfaisants pour lui. Mais quelles qu'aient pu être les causes ou les prétextes du refus absolu qu'il éprouva, il est certain, et c'est la seule chose qu'il nous importe de constater, parce que c'est celle qui fait connaître les ressources de son esprit et l'énergie de sa volonté, que, à l'époque où il publia son Essai sur la langue et la littérature chinoises, n'étant âgé que de vingt-deux ans, il n'avait pu faire usage d'aucun autre dictionnaire, que de quelques volumes de ceux qui sont écrits dans la langue même de la Chine, et pour l'usage des indigènes. Il l'assure de la manière la plus positive dans la préface de son Essai, et le bon sens tout seul exige qu'on l'en croie, puisqu'il n'a point été démenti par ceux qui avaient le plus grand intérêt à le faire.

Au surplus, peut-être ce qu'une telle circonstance a ajouté de difficultés à son travail a-t-il contribué à accroître, par un exercice utile, sa sagacité naturelle, et à graver dans son esprit, en traits plus profonds et plus ineffaçables, ce qu'il n'acquérait qu'avec de si pénibles efforts. A défaut de lexiques expliqués dans quelqu'une des langues de l'Europe, il parvint, à l'aide de certains vocabulaires chinois, interprétés en mandchou, et avec le secours bien imparfait que lui offraient les traductions de plusieurs livres chinois dues aux missionnaires, à se former un dictionnaire, tant des caractères écrits que de la langue parlée ; puis, par l'observation et la comparaison assidue des rapports de position dans lesquels se trouvaient, dans différentes phrases, les mots dont la signification lui était connue, il se créait à lui-même peu à peu les éléments d'une grammaire dont l'extrême simplicité rendait peut-être l'étude analytique et synthétique du langage plus difficile, au lieu d'en faciliter l'accès. Ces efforts, cette marche pénible, les succès qui l'ont couronnée, il les a exprimés lui-même à la tête de son Essai, par cette sentence empruntée au sage Confucius, et que je ne puis m'empêcher de citer textuellement :

« Il est des personnes qui ne peuvent agir, ou qui manquent de patience : qu'elles persévèrent. Ce que d'autres font en un jour, elles le feront en cent ; ce que d'autres font en dix jours, elles le feront en mille. »

Lorsque M. Rémusat publia son Essai sur la langue et la littérature chinoises, en 1811, il y avait, ainsi qu'il le dit lui-même, près de cinq ans qu'il se livrait à l'étude de cette langue ; il avait commencé à s'en occuper, au plus tard, dès la seconde année de ses études médicales. Ce long temps n'avait point refroidi en lui son premier enthousiasme. Car, bien qu'il s'efforce de réduire à leur juste valeur les opinions exagérées qu'on avait énoncées avant lui, sur le mécanisme admirable que l'on supposait avoir présidé à la composition des caractères chinois, mécanisme qui semblait être dû à une analyse philosophique des idées mêmes dont ces caractères sont le symbole, il n'hésite point à dire que
« nul autre idiome ne lui paraît comparable à la langue chinoise, ou plutôt à l'écriture, qui en est comme l'interprète. Il lui paraît impossible de rendre dans aucune langue l'énergie de ces caractères pittoresques, qui présentent à l'œil, au lieu de signes stériles et conventionnels de prononciation, les objets eux-mêmes, exprimés et figurés par tout ce qu'il ont d'essentiel, tellement qu'il faudrait plusieurs phrases pour épuiser la signification d'un seul mot. »

Il est incontestable que, dans ce premier fruit de ses études, notre jeune savant a adopté, relativement aux avantages qu'offre un système d'écriture étranger, dans son principe du moins, aux sons de la langue parlée, des assertions fausses dans leur trop grande généralité, et qu'il a dû considérablement modifier par la suite. Quant à la partie technique de ce travail, sur laquelle nous n'avons pas le droit d'énoncer une opinion personnelle, nous pouvons dire du moins que tout y est justifié par des preuves et des exemples qui supposent la lecture et l'étude d'un grand nombre de livres originaux, chinois et mandchous ; qu'on y découvre déjà le germe de cette analyse profonde et sûre, qui a produit plus tard la grammaire de cet idiome dont il serait permis de dire, sous un certain point de vue, et pourvu qu'on ne prît point cela à la rigueur, qu'il n'a point de grammaire ; enfin, que, au jugement des personnes auxquelles il est permis de l'apprécier, cette publication, favorisée par un léger bienfait du Gouvernement, a été un service immense rendu par son auteur à la littérature, à un âge où la prudence conseillerait à la jeunesse la plus studieuse d'attendre, pour se produire au grand jour, que quelques années de plus aient mûri son jugement, et fortifié ses talents naissants.

Vous me pardonnerez sans doute, Messieurs, de m'être arrêté quelque temps sur ce premier ouvrage de M. Rémusat, à cause du rôle important qu'il joue dans l'histoire littéraire du restaurateur des études chinoises en France, quoique, considéré en lui-même, il soit, je pense, le moins important de tous ceux qui sont sortis de sa plume. Je serais trop long si je voulais donner, ne fût-ce qu'une idée très succincte des divers opuscules dans lesquels son érudition et son talent se montrèrent avec une supériorité toujours croissante, depuis la publication de son essai jusqu'à l'époque où il commença à enseigner une langue pour laquelle il n'avait eu ni maître ni livres élémentaires. En 1811, et dans les trois années suivantes, il publia successivement son Mémoire sur l'étude des langues étrangères chez les Chinois, son Uranographie mongole, sa Dissertation sur la nature monosyllabique de la langue chinoise, enfin le Plan d'un Dictionnaire chinois. De ces quatre ouvrages, le second et le troisième furent publiés en latin, dans un recueil consacré à la littérature orientale, qui paraissait alors périodiquement à Vienne, par les soins de M. de Hammer et la libéralité du comte Rzewusky. Tous ont reparu depuis en français, dans les deux premiers volumes des Mélanges asiatiques, dont je parlerai plus tard. Ce ne fut pas sans quelque surprise que l'Europe savante apprit que, depuis plusieurs siècles, il existait à la Chine une institution pour l'étude des langues étrangères qui intéressent la politique et la religion, et qu'au nombre de ces langues se trouvait, sous le nom de langage de Fan, l'idiome sacré de l'Inde, lié si intimement avec les doctrines des bouddhistes. Assurer aux savants que l'idée qu'ils s'étaient faite jusque là de la langue parlée de la Chine comme d'un langage monosyllabique, n'était que le résultat d'une sorte de quiproquo, et que le caractère prétendu de cet idiome ne devait être considéré, dans ce qu'il avait de vrai, que comme une conséquence obligée du système de l'écriture, c'était un paradoxe auquel on s'étonnait, et quelques personnes s'étonnent peut-être encore, de ne pouvoir opposer aucun argument solide. Ce paradoxe, cependant, tout bien considéré, restera comme une vérité démontrée, quoique les caractères employés pour écrire ne représentent effectivement jamais que des syllabes isolées. Seulement, il est vrai de dire que la nature même de la langue tend à y conserver, en très grand nombre, les monosyllabes. Dans le plan d'un Dictionnaire chinois, plan qui a pu avoir pour motif, aux yeux de quelques personnes, de faire ressortir l'insuffisance de l'ouvrage que le Gouvernement faisait imprimer alors à grands frais, quoique cette intention fût, à notre avis, bien loin de la pensée de l'auteur, la critique ne saurait reprendre qu'un trop grand désir d'atteindre à la perfection, un sentiment trop profond des lacunes que présentent plus ou moins les dictionnaires de toutes les langues ; lacunes qui, il faut l'avouer, sont bien plus fâcheuses quand elles portent sur des idiomes que les temps, les lieux, les idées religieuses, philosophiques et politiques, les préjugés, les mœurs, les usages les plus ordinaires de la vie tiennent à une distance si éloignée de ceux qui se consacrent à leur étude. Si un dictionnaire fait d'après le plan proposé par M. Rémusat existait pour la langue chinoise, ce serait assurément un phénomène unique en son genre.

Il ne faut que parcourir ces divers travaux de M. Rémusat, pour reconnaître quelle était déjà l'étendue de son érudition, combien déjà la littérature chinoise lui était familière, quoiqu'il n'eût pu y consacrer que les heures que ne réclamaient pas impérieusement l'étude sérieuse de toutes les branches de l'art de guérir, et le service des hôpitaux ; car il dut se dévouer à ce service, pour lequel il était loin d'avoir aucun attrait, dans des circonstances graves, et à l'époque d'une redoutable contagion, pour échapper à un danger plus certain, à un rappel au service militaire ; rappel inattendu, si quelque chose pouvait l'être sous un gouvernement que l'excès d'une ambition démesurée poussait rapidement vers sa ruine, et qui ne pouvait plus se soutenir que par les mesures les plus arbitraires, et en violant ses promesses et les règles que lui-même s'était imposées. Honneur au ministre, à l'homme d'État, juste appréciateur du mérite, et littérateur distingué lui-même, dont la voix a si souvent retenti dans cette enceinte, qui sut ainsi conserver à la science celui qui était une de ses plus belles espérances, sans contrarier les volontés d'un maître qu'il servait avec d'autant plus de dévouement, qu'il ne se dissimulait sans doute pas les dangers de la crise qui s'approchait.

M. Rémusat fut reçu docteur en la Faculté de médecine, en 1813. Le sujet de sa thèse était l'exposition des pronostics que les médecins chinois tirent de l'état de la langue, et des altérations qu'elle éprouve dans la maladie ; cet acte réunissait ainsi les deux objets de ses études favorites. Mais bientôt allait s'ouvrir pour lui une nouvelle carrière, qui devait le consacrer tout entier à la culture des lettres.

Il ne s'était guère écoulé plus d'une demi-année depuis que Louis XVIII était remonté sur le trône de ses pères, aux acclamations de la France, lorsque deux chaires qui n'avaient point de modèle en Europe, furent créées au Collège de France, pour l'enseignement de l'idiome des brahmanes et de la langue chinoise, à laquelle fut associée celle des dominateurs tartares du céleste empire. Cet acte de la munificence royale ne fut sans doute pas difficile à obtenir du prince qui n'avait besoin de consulter, pour y donner son assentiment, que son goût pour les lettres, et sa reconnaissance pour les consolations qu'elles lui avaient offertes pendant les jours mauvais. Mais c'est, pour l'organe de l'Académie, un devoir sacré, de rappeler le zèle empressé avec lequel cette occasion de servir les lettres fut saisie par un ministre, qui joignait à toutes les vertus qui commandent l'estime et le respect, ces manières aimables et ces attentions délicates qui inspirent la confiance et gagnent les cœurs. Au bout de quinze ans, M. l'abbé de Montesquiou se félicitait encore, avec l'auteur de cette notice, du service signalé que, pendant son ministère, il avait rendu à la littérature de l'Asie, par l'établissement de ces chaires, et de la gloire qu'avaient répandue sur la France les deux savants illustres, sans les travaux et les constants efforts desquels il ne se fût trouvé personne capable de les remplir, et qui, par une singulière fatalité, l'ont suivi de si près dans la tombe. Ce faible hommage rendu par le sentiment le plus profond de gratitude et d'attachement, à l'homme de bien qui, pendant une longue vie et au milieu de tant de vicissitudes, se distingua constamment par la sagesse des principes qui le dirigeaient, et la pureté de ses intentions, ne saurait paraître étranger, ni à l'Académie qui se félicitait de compter M. l'abbé de Montesquiou au nombre de ses membres, ni à l'éloge du savant illustre qui se glorifiait d'avoir été l'objet de son honorable bienveillance.

Placé à la fin de 1814 dans un poste où ses rares connaissances et son zèle pour les propager ne pouvaient manquer d'attirer sur lui l'attention de tous ceux qui s'intéressaient aux progrès des lettres, et particulièrement à ceux de la littérature asiatique, M. Rémusat ne tarda pas à être appelé à partager tous les travaux qui tendent à ce but. Nommé, le 5 avril 1816, à l'Académie des belles-lettres, il fut chargé cette même année, par le ministre de l'Intérieur, de dresser le catalogue des livres chinois de la Bibliothèque royale, et, deux ans plus tard, compris au nombre des collaborateur du Journal des Savants, dont le rétablissement avait été d'un si heureux augure pour tous les genres de littérature : il y remplaça l'illustre Visconti.

En 1824, après le décès de M. Langlès, il devint lui-même l'un des conservateurs de la Bibliothèque du Roi.

Dès 1822, la fondation de la Société asiatique, à laquelle il eut la plus grande part, lui avait fourni de nouvelles occasions d'exercer, au profit des muses de l'Asie, son infatigable activité. Et si l'on fait réflexion que, pendant plusieurs années, il joignit aux études de cabinet et à l'enseignement public, la pratique de la médecine, du moins dans l'intérêt des personnes que rapprochaient de lui des liens d'amitié ou de société, on aura peine à comprendre comment, tout en se livrant à une étude toujours plus approfondie des langues de l'Asie centrale, de la Chine et du Japon, ainsi qu'aux méditations et aux recherches qu'exigeaient des ouvrages tels que la Grammaire chinoise et son Traité sur les langues tartares, il a pu produire cette multitude de mémoires, aussi savants que variés, dont il a successivement enrichi le Magasin encyclopédique, les Mines de l'Orient, le Recueil de l'Académie, celui des Notices et extraits des Manuscrits, le Journal des Savants, la Biographie universelle, les deux séries du Journal asiatique. Le seul catalogue de toutes ces productions diverses, dont une grande partie a été réunie et publiée avec quelques autres qui n'avaient point encore vu le jour, dans les quatre volumes qui portent le titre de Mélanges asiatiques, serait trop long pour pouvoir trouver place dans cette notice. Et cependant, quelques ouvrages historiques, et d'autres d'une littérature plus légère, mais toujours destinés à nous faire mieux connaître l'Asie, et surtout la Chine et ses habitants, sont encore sortis de sa plume. En même temps un travail immense sur toutes les branches de l'histoire naturelle, laborieusement extrait d'une multitude d'ouvrages chinois, mandchoux et japonais, marchait constamment vers le degré de perfection auquel il voulait le porter ; de nombreux matériaux, fruits d'une immense lecture, s'accumulaient entre ses mains, pour, je ne dirai point une simple bibliographie chinoise, mais un tableau analytique et chronologique de toute la littérature de cet empire ; enfin, un recueil de voyages exécutés par des Chinois en diverses parties de l'Occident, du plus haut intérêt pour l'histoire du bouddhisme, et qu'il se proposait de publier au moment où la mort l'a enlevé, lui imposait la nécessité de se livrer, en outre du travail de la traduction, à des recherches aussi pénibles que multipliées. Pour apprécier tant de travaux, il faudrait, outre des connaissances spéciales qui me manquent, un espace de temps bien plus long que celui dont il m'est permis de disposer. Sans aucun doute, les Recherches sur les langues tartares, la Grammaire chinoise, et les travaux relatifs à l'histoire ou aux doctrines du bouddhisme sont, de tous les ouvrages de M. Rémusat, ceux qui peuvent donner une plus juste idée de la rectitude, de la profondeur et de la sagacité de son esprit, et du talent avec lequel il savait porter la lumière sur les questions les plus abstraites. Le compte que nous avons rendu dans le Journal des Savants, des deux premiers de ces ouvrages, a eu pour principal résultat de mettre dans tout son jour ce genre de mérite, et c'est là, et non dans une notice historique, qu'on peut se livrer utilement à de semblables détails.

Quant au bouddhisme qui a si souvent occupé M. Rémusat, ce qu'il a écrit a jeté un jour précieux sur l'origine, la patrie et la propagation de cette religion, ou si l'on veut de cette philosophie, qui, sans parler le langage des sens, ni celui de l'intelligence, a eu des succès vraiment surprenants, et n'a pas été sans influence sur le sort de l'humanité, dont elle a adouci les mœurs, tout en réduisant l'universalité des êtres, hors Dieu, à une simple illusion ; c'est là assurément un phénomène curieux, et dans l'étude duquel on peut se flatter d'arriver à des résultats importants pour l'histoire de l'esprit humain. Mais, pour les doctrines mêmes de cette secte, qui ne vit que d'abstractions et qui les multiplie à l'infini par une analyse fantastique, par des divisions qui n'offrent aucune idée précise à l'intelligence, par des nombres pour lesquels aucune langue n'a de noms, il est peut-être permis de craindre que, plus on pénétrera dans le vaste océan de cette littérature à laquelle on assigne une origine sacrée, plus on se convaincra qu'elle ne peut être mieux comparée qu'à ces vains météores qui s'éloignent du spectateur à mesure qu'il croit en approcher. Tout nous annonce qu'avant peu, grâce au dévouement de quelques courageux voyageurs, l'Europe pourra puiser aux sources mêmes de ces doctrines ; et, comme un tel travail ne saurait être entrepris par des esprits vulgaires, on n'en sentira que plus vivement la perte d'un savant qui était si propre à sonder les profondeurs, vraies ou idéales, de ce mysticisme, dans l'étude duquel, si l'on ne veut s'abuser, il ne faut porter ni préjugé, ni enthousiasme, et il faut surtout distinguer ce que l'on perçoit en effet, de ce que l'intelligence, fatiguée par de vains efforts, croit parfois percevoir.

Pour présenter en peu de mots l'ensemble des obligations que les lettres ont eues à M. Rémusat, et ses titres à une renommée durable, nous n'hésiterons point à dire qu'il n'y a presque aucune partie des sciences historiques qui n'ait recueilli quelque lumière nouvelle de ses travaux. La chronologie, la géographie, l'ethnographie, l'histoire des sciences naturelles, celle du commerce et des relations de l'Orient avec l'Occident, la grammaire générale, la filiation des langues, l'origine et la variété des écritures, l'histoire littéraire en tout ce qui concerne l'Asie, celle des arts, des dogmes, des opinions ou des mœurs, peuvent s'approprier quelque partie de l'héritage qu'il a légué à la postérité. Sans doute, dans ce nombre immense de questions de tout genre sur lesquelles son esprit s'est exercé, il en est plus d'une qui attendent encore de nouvelles discussions, et qui pourront recevoir des solutions différentes de celles qu'il en a données ; mais c'est là le sort commun des œuvres de l'humanité, et la condition obligée de tous les travaux de l'érudition et de la philologie.

La renommée littéraire de M. Rémusat était déjà répandue dans toute l'Europe, lorsque le Roi lui accorda, le 11 août 1823, la décoration de l'ordre royal de la Légion d'honneur.

Au nombre des services rendus par M. Rémusat, dans une vie qui a été si courte, je ne saurais omettre son enseignement. Ses écrits suffiraient pour faire voir combien était excellente et judicieuse la méthode de cet enseignement, et jusqu'à quel point il possédait l'art de ramener tous les procédés des langues aux principes naturels du langage, principes puisés dans la nature des facultés de l'homme, et dans celle des idées qu'il a besoin d'exprimer. Mais faut-il d'autres témoignages en faveur de cet enseignement que tant de disciples, formés par lui en si peu d'années, et dont plusieurs ont déjà pris place parmi les maîtres ?

Si j'ai dû éprouver quelque difficulté à retracer les nombreux sujets des méditations et des travaux de M. Rémusat, il me sera plus facile de signaler les caractères qui distinguaient sa manière d'écrire. Toujours rigoureusement logique, tantôt mâle et énergique, tantôt ingénieux et brillant, constamment clair et exempt de vains ornements, son style attache le lecteur et l'entraîne, sans jamais le fatiguer, ni exiger de lui une application pénible et une laborieuse attention. Chaque idée mise à sa place dérive naturellement de celle qui la précède, et se lie de même à celle qui la suit. La même sagesse, le même principe d'ordre et de clarté préside au choix des expressions et à leur disposition, logique et harmonieuse en même temps. Dans ses écrits on reconnaît, comme on le reconnaissait dans sa conversation, cette tournure d'esprit qui, usant habilement de tous ses avantages, couvre parfois le côté faible d'un argument, peut-être sans bien s'en rendre compte, par la manière adroite de disposer les jours et les ombres ; qui aime à animer son sujet et à piquer la curiosité, en employant le paradoxe sous la forme du doute ou de l'interrogation, et qui sait user d'une ironie fine et quelquefois mordante, en la revêtant des couleurs délicates d'un éloge modéré, et dont la réserve même semble garantir la simplicité, et, si j'ose le dire, la bonhomie. Si, dans quelques écrits fugitifs échappés à sa plume, la critique s'est montrée plus à découvert et a dû faire des blessures plus sensibles, il faut l'attribuer à sa jeunesse, et peut-être à des provocations étrangères : son mérite, déjà si supérieur quand il commença à paraître sur un théâtre que d'autres occupaient auparavant sans rivaux, pouvait avoir fait naître des préventions peu favorables pour lui, et avoir donné lieu de sa part à quelques plaintes contre des savants chez lesquels il croyait n'avoir pas trouvé une parfaite impartialité. Il pouvait aussi avoir été mal jugé, par une simple erreur de l'esprit, et avoir inspiré des craintes mal fondées. Lui-même, peut-être, est-il permis de penser qu'il ne jugea pas toujours les autres avec une entière impartialité ; mais, dans un homme tel que lui, de pareilles erreurs devaient bientôt se dissiper ; et quand il les reconnaissait, il ne pouvait manquer d'en être plus péniblement affecté que ceux mêmes qui en avaient été l'objet.

Rien ne fait plus d'honneur à son cœur, et ne prouve mieux la sincérité de ses affections, que l'amitié plus que fraternelle qu'il portait à M. Saint-Martin, que toutes ses dispositions naturelles, ses habitudes, ses goûts, excepté celui de l'étude, semblaient devoir éloigner de lui ; amitié qui, commencée dans les écoles, et entretenue constamment par une fréquentation de tous les jours, n'a fini que par la mort. Prématurée pour l'un comme pour l'autre, elle n'a laissé, pour ainsi dire, au survivant, que les courts instants rigoureusement nécessaires pour conduire les restes de son ami au lieu où il avait voulu qu'ils fussent déposés, et préparer l'exécution de ses dernières volontés.

La tendresse de M. Rémusat pour une mère qui, depuis son veuvage, n'avait vécu que dans la personne de son fils, et n'avait été heureuse que de ses succès, l'avait empêché longtemps de former un établissement. Il craignait sans doute, en contractant de nouveaux liens, d'être obligé de partager son affection et ses soins. Ce ne fut qu'en février 1830 qu'il céda aux instances de sa mère, qui ne partageait point ses scrupules. Il éprouva, en s'unissant à Mlle Le Camus, fille de M. le général Le Camus, qu'ils étaient mal fondés, et que sa mère, sans rien perdre de ses droits sur son fils, avait acquis une fille digne de toute son amitié et de toute son estime. Le bonheur de cette alliance, malheureusement, n'a pas été de longue durée. M. Rémusat perdit sa mère vers le milieu de l'année 1831, et il n'est pas sans vraisemblance qu'une perte aussi douloureuse porta une atteinte irréparable à sa santé, qui déjà précédemment avait éprouvé quelque altération. Si le progrès du mal dont il était attaqué avait pu être arrêté, ou seulement suspendu, par les soins les plus tendres d'une épouse dévouée, qui partageait tous ses goûts, toutes ses affections, et jusqu'à ses études, les lettres l'eussent conservé plus longtemps. Dans les derniers jours d'une maladie dont il prévoyait l'inévitable issue, il s'occupa avec calme, et avec une entière présence d'esprit, à mettre ordre à ses affaires personnelles, et à régler l'usage qui devait être fait de ses travaux manuscrits ; et le 2 juin 1832, il expira entre les bras de Mme Rémusat et de M. Saint-Martin.

Une perte aussi grande fut vivement sentie par l'Académie : dans la première douleur qu'elle lui causa, et pour honorer, par un témoignage solennel, la mémoire du savant qu'elle perdait, elle résolut de laisser écouler un intervalle de six mois, avant de procéder à son remplacement.

M. Rémusat, au moment de son décès, s'occupait avec activité de la publication d'un ouvrage très important pour l'histoire du bouddhisme, et dont un extrait, lu dans nos séances particulières, avait excité au plus haut point l'intérêt de l'Académie. Un voyage entrepris et exécuté, au quatrième siècle de notre ère, par des religieux bouddhistes de la Chine, dans le but d'aller visiter tous les lieux des régions occidentales, vers lesquels quelque légende ou quelque relique de Bouddha attirait la dévotion superstitieuse de ses sectateurs, était par lui même un objet bien digne de l'attention des savants. Il l'était d'autant plus que la route suivie par les pieux voyageurs, à travers l'Asie centrale jusqu'aux contrées qu'arrose l'Indus, puis ensuite des extrémités occidentales de l'Inde jusqu'aux côtes orientales de ce vaste pays, pouvait jeter beaucoup de jour sur la géographie de ces régions, et sur leur communication avec l'extrémité orientale de l'Asie à cette époque reculée. Mais quand on sait jusqu'à quel point les noms étrangers sont défigurés par les Chinois, on devine aisément ce qu'il fallait d'érudition et de sagacité pour commenter un pareil texte, et mettre à la portée des lecteurs, même les plus savants, les notions précieuses qu'il renfermait. Déjà le comité de traductions de la Société asiatique de la Grande-Bretagne, avec la noble générosité dont il a donné tant de preuves, s'était empressé d'offrir à M. Rémusat de se charger de la publication du voyage de Fo-Koue Ki, auquel le traducteur se proposait de joindre quelques autres relations de voyages faits à l'occident par des Chinois. De son côté, M. Rémusat, interrompant ses autres travaux, se hâtait de compléter le commentaire qui devait accompagner sa traduction. C'est au milieu de cet important travail que la mort l'a surpris. Le Gouvernement n'a pas voulu que la science fût privée d'un ouvrage dont l'annonce avait excité un si vif intérêt ; il n'a pas voulu non plus que l'Europe en fût redevable à un acte de munificence étranger, et l'Imprimerie royale a été chargée de sa publication. M. Klaproth, dont les liaisons avec l'auteur ne sont ignorées de personne, a bien voulu se rendre l'éditeur de ce voyage, et suppléer à ce qui manquait au commentaire. Le public ne tardera pas à jouir de cet important ouvrage, qui ne peut que mettre dans un nouveau jour les qualités aussi précieuses que rares qui distinguaient M. Rémusat.

Parmi les travaux de ce savant qui n'ont point encore vu le jour, et dont nous ne pouvons donner ici le détail, il en est un auquel on peut dire qu'il n'a point cessé de travailler durant le cours entier de sa carrière littéraire. Je veux parler d'une histoire naturelle des contrées orientales de l'Asie. Je ne saurais dire précisément ce qui manque encore à ce tableau des espèces des trois règnes, décrites par les naturalistes chinois, japonais et tartares, et qui, outre l'indication, la description et la synonymie des espèces, devait faire connaître les usages médicinaux, économiques et industriels auxquels elles sont appliquées à la Chine et au Japon. L'auteur croyait sans doute que cet immense travail n'était pas loin du degré de perfection où il avait cru devoir le porter avant de le soumettre au jugement du public, puisque déjà il en avait publié le prospectus, et qu'il en parlait, dans ses derniers moments, comme d'un ouvrage dont on pouvait immédiatement commencer l'impression. Il serait digne assurément de quelqu'un des élèves formés par M. Rémusat, de seconder le zèle de madame sa veuve pour mettre un semblable recueil, fût-il même incomplet, en état d'être communiqué au monde savant ; et nous ne craignons pas de trop nous avancer en assurant que le Gouvernement, de son côté, ne se refuserait point aux sacrifices nécessaires pour atteindre ce but. L'honneur de la France est trop d'accord ici avec l'intérêt qu'inspire la mémoire de l'illustre auteur, pour permettre le plus léger doute à cet égard.

M. Guérard a succédé, à l'Académie, à M. Rémusat, le 15 janvier 1833.

M. Stanislas Julien, l'un des élèves les plus distingués du célèbre professeur, l'a remplacé dans la chaire du Collège de France, et est devenu un peu plus tard membre de l'Académie, qui ne voulait pas que, par la mort du savant qu'elle avait perdu, le champ qu'il avait cultivé avec tant de persévérance et de succès cessât d'être, dans son sein, l'objet d'une étude assidue, et, en produisant de nouveaux fruits, de se recommander de plus en plus à la noble émulation de l'Europe savante.


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