Arthur H. Smith (1845-1932)

MŒURS CURIEUSES DES CHINOIS

Librairie Payot, Paris, 1935, 314 pages.

Première édition anglaise, 1894

 

Table des matières - Quelques photos - Introduction

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Table des matières

 

  1. La Face

  2. Esprit d’économie

  3. Esprit industrieux

  4. Politesse

  5. Indifférence du Chinois à l’égard de la marche du temps

  6. Mépris du Chinois pour l’exactitude

  7. Talent du Chinois à comprendre de tra­vers

  8. Talent du Chinois à s’exprimer par détours

  9. Flexible inflexibilité du Chinois

10. Apathie intellectuelle

11. Les Chinois n’ont pas de nerfs

12. Xénophobie

13. Manque d’esprit public

14. Conservatisme

15. Indifférence du Chinois pour le bien‑être

14. Vitalité physique

17. Patience et persévérance

18. Contentement et bonne humeur

19. Piété filiale

20. Bonté

21. Manque d’altruisme

22. Ouragans sociaux

23. Responsabilité collective et respect de la Loi

24. Méfiance du Chinois

25. Duplicité du Chinois

26. Polythéisme, Panthéisme, Athéisme

27. Conditions générales de la Chine ; ses besoins actuels

 

Glossaire

 

 

Une sélection de photos


Introduction


Lorsqu’un témoin est appelé à témoigner devant la justice, on attend de lui la Vérité, rien que la Vérité. En ce qui concerne les Chinois, beaucoup de témoins ont dit la Vérité, mais bien peu d’entre eux la Vérité seulement, et aucun n’a dit toute la Vérité. Quelle que soit, du reste, l’étendue de ses connaissances, un seul individu n’arriverait jamais à savoir toute la Vérité au sujet des Chinois : aussi ce volume de notes prête-t-il aux objections, et cela à trois points de vue différents.

Avouons tout d’abord qu’il serait vain de vouloir donner aux étrangers une idée précise des véritables caractéristiques des Chinois. M. George Wingrove Cooke, correspondant en Chine — de 1857 à 1858 — du Times de Londres, eut maintes fois, comme tout autre fervent de sinologie, d’excellentes occasions d’étudier les Chinois dans les conditions les plus diverses de leur existence ; il y fut aidé par des personnes tout à fait qualifiées pour lui faciliter une exacte compréhension de la mentalité de ce peuple. Pourtant, dans la préface de son livre, M. Cooke s’excuse de ne pouvoir décrire le caractère chinois : « Je ne donne pas ici, dit-il, une étude approfondie du caractère chinois, omission grave, je l’avoue, car on ne saurait trouver de sujet plus tentant, se prêtant mieux à d’ingénieuses hypothèses, à de savantes généralisations, à un dogmatisme triomphant. Que de critiques me mépriseront pour n’avoir pas su tirer un meilleur parti des occasions qui me furent offertes ! La vérité est que j’ai décrit à plusieurs reprises, et sous de très beaux caractères, la race chinoise, mais, ayant eu le malheur d’avoir sous les yeux, en même temps que mon Essai, mes personnages, ceux ci disaient ou faisaient toujours quelque chose qui heurtait si brutalement mes hypothèses que, dans l’intérêt de la vérité, je brûlai successivement plusieurs de ces portraits. J’ajoute qu’après avoir souvent discuté la question avec des sinologues éminents et d’une haute impartialité, je constatai que ces savants partageaient ma manière de voir quant à l’impossibilité d’arriver à une exacte conception du caractère chinois pris dans son ensemble. Toutefois, ces difficultés n’apparaissent qu’à celui qui a déjà longuement pratiqué l’âme chinoise. Un écrivain habile, ignorant tout de la question, pourrait d’un coup de plume, en fournir une analyse brillante, enrichie des antithèses les plus variées, laquelle ne laisserait rien à désirer, sauf la vérité. Un jour peut-être réussirons nous à acquérir les connaissances nécessaires et donnerons nous ainsi son juste poids et sa véritable importance à chacune des contradictions les plus notoires, qui se remarquent dans l’esprit d’un Chinois. A cette heure, et du moins en ce qui me concerne, je me contenterai d’éviter les définitions par trop absolues et j’analyserai simplement les qualités les plus marquantes du caractère chinois. »

Au cours des trente dernières années, le Chinois est devenu, dans les affaires intérieures de bien des pays, un facteur qui ne saurait être négligé, mais il donne encore et partout l’impression d’un être incompréhensible. La vérité c’est que nulle part en dehors de la Chine, l’on ne saurait bien le comprendre. Nombre de gens s’imaginent encore que le caractère chinois est un conglomérat de contradictions échappant à toute analyse. Or, voici déjà plusieurs siècles que le monde occidental a fait connaissance avec la Chine : pourquoi ne pas essayer de coordonner ce que nous connaissons aujourd’hui de son peuple, tout comme on opère avec d’autres phénomènes complexes ?

Une objection plus grave peut être formulée contre cet ouvrage : l’auteur était-il suffisamment qualifié pour l’écrire ? Le fait d’avoir vécu vingt deux ans en Chine ne garantit pas plus à un étranger la compétence nécessaire pour disserter savamment sur les mœurs des Chinois, que le malheur d’être enterré pendant 22 ans dans une mine d’argent ne rendrait un mineur apte à composer un traité sur la métallurgie ou sur le bimétallisme. La Chine est un vaste ensemble ; celui qui n’a pas même visité la moitié de ses provinces, ni vécu dans deux d’entr’elles au moins, ne peut prétendre à généraliser ses observations et à les appliquer à la totalité de l’Empire. A l’origine, cet ouvrage fut destiné à paraître par articles dans le North China Daily News de Shangaï, il ne visait pas à une publicité plus étendue. Mais certains des sujets traités excitèrent un si vif intérêt en Chine d’abord, puis ensuite dans la Grande Bretagne, aux États Unis et au Canada que l’auteur, cédant à de pressantes sollicitations, se décida à coordonner son travail et à le présenter sous la forme d’un livre.

Quelques personnes élèveront sans doute une troisième objection : une partie des vues exposées ici, et particulièrement celles qui ont trait au caractère moral des Chinois, ne sont-elles pas injustes et de nature à induire le public en erreur ? Or, il faudrait se rappeler que des impressions ne sont pas pareilles à des statistiques toujours susceptibles d’être révisées, ne fût ce même que d’une fraction. Elles ressemblent plutôt à des épreuves négatives prises sur un même objet : il se peut qu’il ne s’en trouve pas deux de semblables alors que chacune d’elles reproduira parfois un détail qui ne se remarquera sur aucune des autres. Les clichés diffèrent, de même que le tour de main de l’artiste appelé à les développer ; enfin, les épreuves obtenues ont chacune leur personnalité.

Beaucoup d’Européens, fixés depuis longtemps en Chine et possédant une connaissance du pays beaucoup plus approfondie que celle de l’auteur de ce livre, se sont déclarés d’accord avec les opinions qu’il émet, tandis que d’autres dont le jugement inspire tout autant de respect, estiment qu’à atténuer certaines couleurs un peu sombres le tableau gagnerait en fidélité et serait moins monochrome. La critique ne manque pas de justesse, et c’est en s’en inspirant que l’auteur a révisé et corrigé son œuvre. Les exigences d’une publication sous forme de livre imposèrent la suppression d’un tiers au moins des caractéristiques chinoises discutées dans les Articles du Daily News ; néanmoins, celles qui demeurent représentent les parties essentielles de l’ensemble et le chapitre « Contentement et bonne humeur » est entièrement nouveau.
Je ne vois aucune excuse valide à s’abstenir de rendre justice aux nombreuses qualités dont les Chinois font preuve. Mais il y a, d’autre part, quelque danger à céder à des considérations a priori, et à attribuer à ce peuple l’honneur d’une morale pratique plus élevée que celle qu’il peut équitablement revendiquer, faute non moins grave que de lui accorder des louanges sans mesure. Il existe une gravure sur bois représentant un chêne : l’observateur est invité à y découvrir le profil de Napoléon dans l’île de Sainte Hélène, la tête penchée et les bras croisés. Certaines personnes cherchent en vain, persuadées qu’elles sont victimes d’une mystification, mais lorsqu’on leur a une fois bien montré la silhouette, elles ne peuvent plus regarder l’image sans y apercevoir aussitôt celle de Napoléon. De même, il y a bien des choses à découvrir en Chine qui n’apparaissent pas dès le début, et plusieurs d’entr’elles ne s’oublient jamais lorsqu’on les a vues une première fois.

Il reste entendu que ces articles ne sont pas destinés à être pris pour des généralisations s’appliquant à l’Empire entier, pas plus qu’ils ne visent à résumer analytiquement les résultats des observations et des expériences personnelles de quelques étrangers. Ils prétendent simplement rendre l’impression qu’ont faite sur un observateur quelques uns des nombreux traits caractéristiques des Chinois, et loin de présenter un portrait du peuple chinois, ce ne sont que de légères esquisses au fusain de quelques traits de ce peuple, tels que les vit ce même observateur. On peut aussi les considérer comme des études d’induction dans lesquelles sont groupées de nombreuses particularités récoltées par l’expérience, non seulement de l’auteur, mais aussi d’autres personnes et relevées à diverses époques.

M. Meadows qui jouit d’une autorité incontestée parmi les nombreux auteurs ayant écrit sur la Chine, a exprimé l’opinion que le moyen le plus efficace de transmettre à quelqu’un une idée exacte du génie d’un peuple étranger serait de lui faire lire un recueil de notes, relevé scrupuleux d’incidents qui ont attiré votre attention, plus spécialement ceux qui vous ont paru extraordinaires, et d’y ajouter l’explication de ces cas singuliers pour l’étranger, telle que la donnent les autochtones.

D’un nombre suffisant d’incidents de ce genre se déduit un principe général. Toute déduction est exposée au doute et à la négation, mais des particularités telles que celles que nous venons de citer ne peuvent pas être rejetées : d’après la manière même dont elles furent recueillies, elles sont véridiques et l’on doit en tenir comte dans toute analyse du caractère chinois.

Les écrivains tentés de comparer les Chinois aux Anglo-Saxons en sentiront bien vite la difficulté. Ils ne tarderont pas à reconnaître que certaines particularités, prises d’abord pour des caractéristiques des Chinois, sont simplement des traits communs à tous les Orientaux. Quant à savoir dans quelle mesure ceci est vrai, il appartiendra à chaque lecteur d’en juger à la lumière de sa propre expérience.

Certaines personnes prétendent qu’au point où en sont actuellement nos rapports avec les Chinois, il existe trois manières à l’aide desquelles nous pouvons arriver à connaître un peu de leur vie sociale : par l’étude de leurs romans, de leurs ballades et de leurs pièces de théâtre. Chacune de ces sources d’information a, sans doute, sa valeur ; il en existe pourtant une quatrième, plus précieuse à elle seule que l’ensemble des trois autres, mais elle n’est pas à la portée de quiconque écrit sur la Chine et sur les Chinois. C’est l’étude de la vie de famille de l’autochtone dans son propre home. La topographie d’un pays se perçoit plus exactement à la campagne qu’à la ville, il en est de même des caractéristiques d’un peuple. Un étranger séjournera dix ans dans une cité chinoise sans acquérir aussi bien la connaissance de la vie intime du peuple qu’il ne le ferait en vivant une seule année dans un village chinois. Après la Famille, le Village doit être considéré comme l’unité de la vie sociale chinoise ; c’est en partant de pareille base que ces articles ont été écrits. L’auteur s’est abstenu d’y laisser percer l’esprit du missionnaire ; il a prétendu faire œuvre d’un observateur dégagé en conscience de tout préjugé et qui raconte simplement ce qu’il voit. Pour ce motif, il ne saurait être question des modifications que le Christianisme pourrait apporter au caractère chinois et l’on ne prétend pas que les Chinois aient le moins du monde besoin du Christianisme ; mais si de graves défauts se font remarquer dans leur caractère, il est juste de se demander comment y remédier ?

La « Question chinoise » est désormais bien plus qu’une question nationale : la voilà devenue internationale. Tout porte à croire qu’au cours du XXe siècle, elle se posera bien plus pressante encore qu’en ce moment. Dès lors, quiconque s’intéresse et aspire au bien de l’Humanité ne saurait rester indifférent devant les moyens par lesquels une fraction aussi importante de la race humaine peut être améliorée. Si les conclusions auxquelles nous pouvons être amené sont exactes, elles auront l’appui d’arguments trop négligés jusqu’à ce jour ; si elles sont fausses, elles tomberont d’elles mêmes en dépit de cet appui.

Bien des années se sont écoulées depuis les paroles prononcées par lord Elgin en réponse à une adresse des négociants de Shanghaï, elles n’ont cependant rien perdu de leur exactitude, ni de leur à propos : « Lorsque seront tombées les barrières qui s’opposent au libre accès des étrangers à l’intérieur du pays, la civilisation chrétienne du Monde Occidental se trouvera en présence, non d’une barbarie, mais d’une civilisation ancienne, usée, imparfaite en bien des points et qui, pourtant, n’est pas, sous certains rapports, sans mériter notre respect et notre sympathie. Au cours de la rivalité qui ne peut manquer de s’ensuivre entre ces doctrines opposées, la civilisation chrétienne devra gagner sa place parmi un peuple sceptique, à l’esprit ingénieux, et rendre manifeste cette vérité qu’une foi qui aspire au Ciel fournit de meilleures garanties de morale publique et privée, qu’une foi qui ne s’élève pas au dessus de la terre.


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