Édouard Chavannes (1865-1918)
LETTRES DE CHINE
Treize articles publiés dans Le Temps de juillet 1889 à avril 1891
- En 1918, Henri Cordier, dans son article biographique sur Édouard Chavannes, écrivait (J. A., t. XI, 1918, pp. 197-248)
:
« Le 24 janvier 1889, Chavannes partait pour la Chine. Arrivé à Pe King le 21 mars...
En même temps, pour ne pas perdre l’habitude d’écrire, il envoyait une correspondance mensuelle au Temps sur des questions d’Extrême-Orient. »
- La BnF présentant sur son site Gallica les éditions du Temps, on y a recherché les correspondances d'Édouard
Chavannes.
À cette époque, Le Temps publiait des articles intitulés "Lettres de" (Berlin, Belgique, Italie, Turquie...). Ces articles étaient signés : "De notre correspondant particulier (ou spécial)", sans plus de précision.
- Le présent recueil est constitué d'un premier ensemble de treize articles, intitulés "Lettres de Chine, de notre correspondant particulier", publiés de juillet 1889 à avril 1891. Ces articles n'apparaissent pas signés du nom d'Édouard Chavannes, mais, compte tenu de ce qu'écrit Henri Cordier, on a présumé, avec très certainement de bonnes chances de vérité, qu'ils étaient de lui. Et le style, quelques tournures et les qualités d'exposition ne laissent en fait aucun doute.
Extraits : La Chine dans l'Asie centrale - La Chine et la Corée - Le Hoang-Ho et l'administration chinoise - L'audience impériale
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Pékin, 1er août 1889
Les Chinois comprennent sous le nom de « nouveau territoire-frontière » (Sin-Kiang) deux régions situées, l'une au nord, l'autre au sud des monts Tien-Chan, le Tien-Chan-pe-lou et le
Tien-Chan-nan-lou. On les appelle en Europe la Dzoungarie et la Kachgarie. Ces contrées n'ont aucun lien naturel qui les rattache aux dix-huit provinces de l'empire du Milieu ; la domination
chinoise y est de date récente et a quelque peine à s'affermir dans sa conquête. Il importe donc de rechercher comment ces pays ont pu rester si longtemps indépendants, quelles causes ont amené
la Chine à s'en emparer, par quels moyens elle prétend s'y maintenir.
La Kachgarie et la Dzoungarie forment les deux branches occidentales d'une vaste plaine qui se prolonge à l'est par le désert de Gobi. Les fleuves qui coulent dans ces terres ne vont pas jusqu'à
la mer ; ils aboutissent à de grands lacs où ils se perdent : au nord des monts Tien-Chan, la rivière Ili se déverse dans le lac Balkach, tandis qu'au sud la rivière Tarim se jette dans le
Lop-Nor. Ainsi l'Asie centrale n'a pas de communications avec les pays qui l'entourent ; elle ne dépend physiquement d'aucun d'eux.
Nous ne savons rien sur les tribus primitives qui habitèrent ces lieux. Vers le deuxième ou premier siècle avant notre ère seulement, les annales chinoises dissipent cette obscurité. Alors nous
voyons commencer une étrange histoire : des bords de la Sélenga et du lac Baïkal sort la race turke ; poussée par des causes inconnues, elle émigre vers le Sud ; et, comme la Grande muraille
qu'ont élevée l'empereur Ts'in-Che-Hoang-Ti et ses successeurs l'empêche d'envahir la Chine, elle se précipite à l'ouest : Hiong-Nou, Toukiou, Hwei-Hei, Ouigour, Kirghiz, c'est un flux incessant
de peuples qui se chassent et se remplacent les uns les autres ; au dixième siècle, la race tongouse, partie de régions plus occidentales, s'élance à son tour vers l'occident et refoule les Turks
; et voici qu'enfin, trois cents ans plus tard, ces mêmes contrées du Nord lancent sur le monde Gengis-Khan et ses hordes mongoles qui feront trembler Frédéric II en Allemagne et Grégoire IX à
Rome ; quatorze siècles n'ont pas épuisé cet immense réservoir d'hommes. C'est en Kachgarie qu'arrivèrent d'abord les nouveaux venus ; mais cette contrée est un entonnoir sans issue : au nord les
monts Tien-Chan, au sud la chaîne du Kouen-Lun se rapprochent toujours davantage vers l'ouest et se réunissent par les hauts plateaux du Pamir. Le flot humain venant s'engouffrer dans cette
impasse, il se produisit un ressac violent qui rejeta les envahisseurs vers l'Ouest jusqu'au point où le Tien-Chan s'abaisse et ouvre une route vers la Dzoungarie ; ce chemin fut pris par les
émigrants qui descendirent le cours de l'Irtych noir ou celui de l'Ili et allèrent se répandre dans les plaines de l'Asie occidentale. Ainsi, pendant toute cette longue période, il ne s'éleva
dans la Dzoungarie et la Kachgarie que des empires éphémères ; aucun d'eux ne fut assez stable pour entrer en relations suivies avec la Chine. À vrai dire, si ce fait n'a pas lieu de nous
surprendre pour la Dzoungarie qui, par sa situation, est en Asie le grand chemin de l'Est vers l'Ouest, on peut s'étonner qu'en Kachgarie du moins il ne se soit pas fondé quelque royaume durable
; mais, quoique la Kachgarie soit sillonnée par plusieurs rivières dont la réunion forme le Tarim, ces divers cours d'eau sont séparés les uns des autres par des sables arides ; aussi les centres
de culture ne sont-ils que des oasis dans ce désert. Les tribus qui s'y établissaient n'avaient pas de cohésion entre elles et ne présentaient aucune force de résistance. Il semble ainsi que pour
les races de civilisation peu développée, la contrée où elles se trouvent soit l'arbitre de leurs destinées.
Avec la dynastie mongole des Yuen (1280-1368), la Chine et l'Asie centrale se trouvèrent réunies sous la domination de maîtres qui leur étaient étrangers à l'une aussi bien qu'à l'autre. Il ne se
forma entre elles aucune liaison intime, et lorsque les Yuen furent remplacés par la dynastie nationale des Ming (1368-1628), l'Asie centrale se détacha tout naturellement de la Chine. Cependant
des changements considérables s'étaient produits : d'une part, en effet, le grand exode des peuples de l'Asie septentrionale avait pris fin ; les habitants des vallées de l'Ili et du Tarim
s'attachèrent désormais à un sol dont ils ne craignirent plus chaque jour d'être chassés. D'autre part, le mahométisme s'était répandu en Kachgarie ; cette religion sociale par excellence allait
transformer le pays ; elle était l'idée directrice sous laquelle se grouperaient, comme les parties d'un organisme, des tribus jadis éparses. Mais ce travail de concentration fut d'autant plus
long qu'il devait être plus profond. Il se trouva d'abord entravé par les conquêtes de Tamerlan, qui ravagea l'Asie centrale à la fin du quatorzième siècle. Puis les dissensions de deux sectes
rivales, les montagnards blancs et les montagnards noirs, désolèrent la Kachgarie pendant trois cents ans. Les nomades qui habitaient au nord des monts Tien-Chan en profitèrent ; à la fin du
dix-septième siècle, Galdan-Bokoctou, chef des Éleutes ou Kalmouks, étendit son autorité sur les vallées qu'arrosent l'Irtych noir et l'Ili et fonda l'empire dzoungar ; en 1678, il fut appelé en
Kachgarie par les montagnards blancs et réunit cette contrée à sa domination.
Pour la première fois, il s'élevait dans l'Asie centrale une puissance capable de porter ombrage au prestige séculaire du Céleste Empire. Les princes de la dynastie mandchoue actuelle s'en
émurent ; l'empereur K'ang-Hi se mit lui-même à la tête de ses armées et marcha contre Galdan ; la guerre fut longue et sanglante ; elle finit en 1697, lorsque le chef dzoungar, traqué comme une
bête fauve, se fût donné la mort en s'empoisonnant. La Dzoungarie et la Kachgarie devinrent alors pays chinois et le restèrent durant tout le dix-huitième siècle. En 1755, la révolte des deux
chefs musulmans connus sous les noms de grand et de petit K'odja, fut punie avec sévérité ; l'empereur Kien-Long profita de ce succès pour faire triompher ses soldats au-delà même des monts
Tien-Chan, dans la vallée du Syr-Daria ; en 1758, en effet, le Khokand dut promettre de lui payer tribut.
Ainsi, jusqu'à la fin du dix-septième siècle, la Chine s'était contentée de revendiquer sur la Kachgarie et la Dzoungarie cette suzeraineté nominale qu'elle s'arroge sur tous les peuples ; mais
lorsqu'elle vit un royaume important s'y constituer, elle intervint par les armes et l'abattit dès sa naissance. Cependant le mahométisme est dans ces régions un principe qu'il n'est pas aisé de
faire disparaître ; il unit ces peuples dans une haine commune de ceux qui les ont conquis et qui sont leurs ennemis héréditaires. Notre siècle a vu les efforts désespérés de cette nationalité
qui veut être. En 1812, le premier souverain du Khokand qui prit le titre de Khan se déclara indépendant et cessa d'envoyer des ambassadeurs porter ses hommages à Pékin. De 1820 à 1828,
Djéhanguir, dont le nom signifie le Conquérant du monde, souleva la Kachgarie et tint tête pendant quelques années aux troupes de l'empereur Tao-Kouang. Vaincu enfin, il fut fait prisonnier et
mis à mort ; son pays retomba sous une domination détestée.
Depuis cette époque, et malgré la répression qui suivit la tentative de Djéhanguir, les révoltes se sont succédé presque sans trêve. Vers 1864, le mouvement s'étendit et ce fut une insurrection
générale de tous les musulmans de l'Asie centrale. Depuis l'extrémité occidentale de la province du Kan-Sou jusqu'aux monts Kouen-Lun, on courut sus aux Chinois et on les massacra sans merci. Un
chef taranchi prit le pouvoir en Dzoungarie ; mais il eut le malheur de traiter avec mépris les autorités russes de la frontière ; aussitôt le général Kolpakowsky remonta la vallée de l'Ili et
s'empara des villes principales ; les Russes s'établirent ainsi, en 1871, dans le district de Kouldja, tout en promettant aux Chinois de le leur rendre s'ils parvenaient à triompher de la
rébellion. En Kachgarie, un aventurier, nommé Yakoub, originaire du Khokand, où il avait exercé le métier de danseur public, prit la direction des musulmans révoltés ; il s'empara de Kachgar,
malgré la belle défense du général chinois, qui finit par se faire sauter avec la garnison plutôt que de se rendre.
En 1867, Yakoub était maître d'un royaume et se fit proclamer émir ; pendant quelques années il put sembler que la Chine avait perdu sans retour ses provinces musulmanes. La Russie accrédita
auprès de Yakoub le colonel Kaulbars ; le nouvel émir fut aussi reconnu par l'Angleterre et par la Turquie. En 1874, la mort de l'empereur de Chine, T'ong-Tché et l'accession au trône d'un enfant
de trois ans parurent promettre à la Kachgarie le maintien de son indépendance. Les événements démentirent ces prévisions : sous la régence des deux impératrices femmes du souverain défunt, le
général Tso-Tsong-T'ang fut chargé de soumettre les rebelles. Tso-Tsong-T'ang était un homme peu ordinaire qui se dévoua à sa tâche avec une énergie infatigable. En avançant pas à pas, en
assiégeant une à une les villes de la Kachgarie, il parvint à s'emparer du pays tout entier. En 1877, Yakoub était assassiné et tous ses partisans se dispersaient. Son fils, Beg-Kouli-Beg tenta
pendant quelques mois une vaine résistance, puis dut s'enfuir en Russie. Ainsi s'écroulait l'empire musulman que la Chine avait redouté de voir s'établir à ses portes.
Après être rentré en possession de la Kachgarie, le gouvernement de Pékin réclama de la Russie le district de Kouldja. Le traité de Livadia (1880) stipula les conditions auxquelles se ferait
cette restitution : la Russie recevait une indemnité de neuf millions de roubles métalliques ; elle obtenait le droit de nommer des consuls dans la plupart des villes de la Dzoungarie, en outre
de ceux qu'elle avait déjà à Ili, à Tarbagataï, à Kachgar et à Ourga. Enfin, elle s'annexait deux territoires par lesquels elle s'avançait plus haut, d'une part sur le cours de l'Ili, d'autre
part sur celui de l'Irtych noir ; la première de ces concessions lui ouvrait la passe de Muzart dans les monts Tien-Chan et lui donnait une entrée en Kachgarie ; la seconde était le point de
départ de la route qui pénètre en Dzoungarie par Bouloun-Tochoï et Barkoul.
Après quinze ans de lutte, la Chine avait donc reconquis ses possessions dans l'Asie centrale. Un pareil effort témoigne qu'elle a un singulier désir de se maintenir dans ces pays. Elle a
reconnu, en effet, le grand danger que lui fait courir le mahométisme ; elle sait, par une expérience de deux siècles, avec quelle facilité les tribus se soulèvent à la voix d'un chef inspiré,
avec quel enthousiasme elles s'arment pour la guerre sainte ; comme aucune frontière naturelle ne la sépare de ces peuples, elle sent qu'il lui faut les dominer sans cesse si elle veut éviter que
la marée montante de l'islam ne submerge quelque jour la civilisation dont elle est si fière. En outre, dans ces dernières années, la Russie a fait d'immenses progrès en Asie ; elle commande,
depuis 1876, dans le Ferganah, jadis tributaire du Céleste Empire, et ses chemins de fer vont jusqu'à Samarcande ; elle est maîtresse des routes qui conduisent en Chine par la Dzoungarie ; ses
consuls ont une autorité toujours grandissante dans les cités musulmanes. Le gouvernement de Pékin a conquis d'abord ces peuples pour qu'ils ne devinssent pas trop puissants ; elle les veut
maintenant pour s'en faire un rempart contre l'invasion des Slaves.
Si les raisons pour lesquelles la Chine tient pour importante l'occupation de la Kachgarie et de la Dzoungarie ne sont pas sans valeur, il n'en est pas moins vrai qu'elle trouve des difficultés
considérables à s'y établir. Nous allons essayer d'esquisser quelle politique elle y suit, en nous référant aux décrets et aux rapports qui ont paru dans la Gazette officielle de Pékin.
Lorsque Tso-Tsong-T'ang eût dompté l'insurrection musulmane, il fut nommé gouverneur militaire des provinces dont il venait de s'emparer. Son premier soin fut de châtier les rebelles. Yakoub-Bey
n'était plus, mais trois de ses fils et un de ses petits-fils avaient été faits prisonniers ; or, la loi chinoise punit jusqu'à la seconde génération les crimes de haute trahison ; comme les
descendants de Yakoub étaient des enfants, ils ne pouvaient avoir pris part à sa révolte ; cette considération les faisait échapper à la mort, mais non au supplice : le plus âgé, qui avait
quatorze ans, fut fait eunuque et envoyé comme esclave dans un camp de la Mandchourie ; quant aux trois plus jeunes, il fut décidé, suivant les prescriptions légales, qu'ils seraient emprisonnés
jusqu'à l'âge de onze ans, et qu'alors ils subiraient le même traitement que leur aîné. Ce seul exemple permet de comprendre avec quelle cruauté s'exerça la répression.
Mais il ne suffisait pas de terroriser le pays, il fallait y implanter la race des vainqueurs. Le premier moyen auquel on eut recours fut la colonisation militaire. Les troupes qui se trouvaient
dans le nouveau territoire ne faisaient pas partie des huit bannières mandchoues ; elles appartenaient à cette armée irrégulière qui est appelée « l'étendard vert ». Aussitôt la guerre finie, ces
« braves » se transformaient en pillards. Un commandant nouvellement nommé, quand il arrivait à son poste, ne trouvait plus de soldats. Ces troupes désorganisées n'étaient qu'une cause de
trouble. Pour s'en débarrasser, on leur donna des terres à cultiver et l'on en fit des agriculteurs. Ces soldats-laboureurs formèrent ainsi des colonies militaires assez semblables à celles de
l'ancienne Rome. Ils sont répartis en « maisons » ayant chacune deux hommes dans la force de l'âge ; chaque groupe reçoit 60 meous de terrain (environ 4 hectares), 6 taëls (le taël vaut de 5 fr.
50 à 6 francs), pour se procurer des instruments aratoires, 8 taëls pour se construire une demeure, 24 taëls pour acheter deux vaches, puis quelques semences et de la farine. La moitié de ces
avances doit être rendue au gouvernement au bout d'un an, la seconde moitié l'année suivante ; une taxe est levée à partir de la troisième année. En outre, la Kachgarie et la Dzoungarie devinrent
des lieux de déportation; les hommes qui avaient encouru la peine du bannissement les peuplèrent ; comme beaucoup d'entre eux s'évadaient, ceux-là seuls qui étaient mariés continuèrent d'y être
envoyés. Ce système n'est pas une innovation qu'on ait faite dans l'Asie centrale ; c'est une application de procédés pratiqués depuis longtemps par les Chinois.
En attendant que la colonisation, toujours très lente, ait produit des effets appréciables, le gouvernement de Pékin s'efforce de se donner quelque prise sur la population même qu'il s'est
annexée. Au Thibet et en Mongolie, il y est parvenu en prenant la haute main sur la religion : par l'influence qu'il exerce sur les prêtres bouddhistes, son autorité est ferme dans ces pays. Mais
le mahométisme est intransigeant par essence ; les chefs de cette doctrine ne seront jamais les agents de la Chine ; ils en sont les pires ennemis. Les Chinois l'ont reconnu ; aussi ont-ils
renoncé à s'appuyer sur la religion pour dominer en Kachgarie ; ils tentent maintenant de conquérir les esprits par l'instruction. Tso-Tsong-T'ang, dès qu'il fut vainqueur, répandit à profusion
dans le nouveau territoire des copies du Saint-Édit ; cet ouvrage est un recueil de seize maximes écrites par l'empereur K'ang-Hi, commentées et paraphrasées au dix-huitième siècle ; il contient
les principes fondamentaux du confucianisme d'État ; tous les quinze jours une lecture officielle en est faite au peuple par un fonctionnaire et l'on espère beaucoup de cet enseignement. Les
successeurs de Tso-Tsong-T'ang, dans le gouvernement de la Kachgarie, continuèrent son œuvre : le seul moyen, dit l'un d'eux, d'amener les habitants de ces contrées éloignées à la même
civilisation que la Chine, c'est de répandre l'instruction. C'est pourquoi des écoles ont été fondées où les élèves portent le costume chinois ; ils y apprennent les livres classiques qui sont,
pour les lettrés de l'empire, le fond de leur science. Ceux qui auront montré du zèle dans cette étude seront appelés à remplir plus tard les principales charges dans leur pays.
Enfin, pour assurer son autorité en Kachgarie et en Dzoungarie, le gouvernement de Pékin en a transformé l'administration. Avant la révolte de Yakoub, le pouvoir avait été laissé aux chefs
indigènes appelés begs ; ceux-ci étaient surveillés par le gouverneur militaire chinois. Ce système engendrait des violences perpétuelles. À vrai dire, on le rétablit après 1877, mais on songea
dès lors à changer cette organisation ; il fallait remplacer la direction militaire par une direction civile ; les begs devaient perdre leur influence ; en un mot, il importait que le nouveau
territoire devint tout semblable à l'une des dix-huit provinces de l'empire. Ces réformes ont été l'œuvre des dernières années. En 1881, le titre de gouverneur militaire (tsiang-kiun) est
supprimé et remplacé par celui de gouverneur civil (siun-fou) ; le gouverneur civil du nouveau territoire est en même temps gouverneur de la province du Kan-Sou, dont toute la partie occidentale
est une portion de l'ancienne Dzoungarie ; à ce titre, le nouveau territoire se trouve, ainsi que le Kan-Sou, placé sous la haute surveillance du vice-roi du Chen-Si et du Kan-Sou. La Kachgarie
et la Dzoungarie sont, en outre, divisées en trois départements, administrés chacun par un préfet ; les trois préfectures sont Aksou, Kachgar et Ouroumtsi. Le préfet d'Ouroumtsi reçoit les
attributions de juge provincial. On nomme un commissaire des finances. Avec cette nouvelle administration, les begs font double emploi ; bien plus, leurs pouvoirs risquent d'entrer en conflit
avec ceux des fonctionnaires chinois. Il faut donc les supprimer ; cependant on procédera graduellement : ceux qui sont en charge seront maintenus, mais tout poste vacant sera aboli . Il n'y aura
plus désormais comme autorités indigènes que des « chefs » (t'éou-mou) inférieurs en grade aux officiers chinois ; ces chefs seront choisis parmi les meilleurs élèves des écoles chinoises. Ainsi
se réalise peu à peu la substitution d'une administration provinciale à l'ancien ordre de choses.
L'activité que déploie, depuis deux siècles, la Chine dans l'Asie centrale contraste avec l'indifférence qu'elle témoignait auparavant pour les destinées de ces pays. Autrefois, en effet, elle ne
trouvait dans les contrées occidentales qu'une barbarie flottante et ne la craignait point. Aujourd'hui, c'est l'islamisme en Kachgarie et en Dzoungarie, c'est la civilisation européenne à leurs
portes. Contre ce double péril, la Chine n'a pas trop de toutes ses forces pour lutter. Cependant le travail de réorganisation qu'elle a entrepris ne peut donner des résultats qu'au bout de
longues années ; aujourd'hui encore, sa conquête est à la merci d'une insurrection musulmane ou d'une expédition russe. Le nouveau territoire est maintenant une province de l'empire, mais elle
est celle dont la possession est la plus incertaine.
Pékin, 1er juin 1889
Pendant ces dernières années la Chine et la Corée ont eu de graves dissentiments : une hostilité sourde sépare maintenant ces deux pays et ne fait que grandir de jour en jour. Cette situation
préoccupe les gouvernements qui ont un rôle à jouer dans ces régions de l'Extrême-Orient ; la Russie, le Japon et l'Angleterre surveillent avec inquiétude les diverses péripéties d'une action
dont le dénouement pourra porter dommage ou profit à leurs intérêts.
Avant les événements qui ont désuni les deux pays, la Corée, au dire des historiens chinois, était la vassale obéissante de la Chine. Du temps de l'empereur mythique Yu le Grand, elle aurait fait
partie intégrante d'une des provinces de l'Empire du Milieu. Elle aurait été érigée en royaume par le premier empereur de la dynastie des Tcheou vers le douzième siècle avant notre ère. Sans
remonter à des époques aussi reculées, le fait important sur lequel se fondent les Chinois pour établir que la Corée est un pays vassal, est le suivant : en 1636 après J.-C., le chef mandchou
Taï-Tsong, père du fondateur de la dynastie aujourd'hui régnante en Chine, vainquit le roi de Corée et le contraignit à signer un traité humiliant : il devait rendre son sceau et les insignes de
sa dignité, livrer deux de ses fils en otage, accepter le calendrier mandchou, envoyer un tribut à époques fixes, mettre ses troupes à la disposition de l'empereur, ne pas élever de
fortifications sans permission. Cette convention, disent les Chinois, a servi de base aux relations ultérieures entre la Chine et la Corée.
Si nous considérons les rapports qui ont existé jusqu'à ce jour entre ces deux États, nous voyons que la Corée est toujours traitée en État soumis à la Chine. L'envoi du tribut à l'empereur est
régulier ; au printemps, on aperçoit souvent dans les environs de la ville impériale, à Pékin, des hommes d'une physionomie nouvelle : ils ont le nez plus droit que les Chinois, les pommettes des
joues moins saillantes ; ils ne portent pas leurs cheveux en longue natte ; ils sont vêtus de robes claires et coiffés de larges chapeaux de couleur noire ; ce sont les Coréens qui viennent
apporter au Fils du Ciel les humbles présents de leur roi.
Le souverain de la Corée est placé à la cour de Chine après les princes du sang ; lorsqu'il veut s'adresser à l'empereur, il ne peut le faire directement, et doit passer par l'intermédiaire du
ministère des Rites ou du vice-roi du Tché-Li. Enfin, la Chine entretient à Séoul, la capitale de la Corée, un représentant dont les avis ont une grande autorité.
En résumé, la Corée est un pays dépendant de la Chine, et cette situation implique pour elle une infériorité qui se marque dans les mille détails à une étiquette humiliante. Une telle condition
n'est pas un fait unique en Extrême-Orient. La Chine, dans son désir de s'isoler des nations qu'elle appelle barbares, avait suivi une politique habile en entourant son territoire propre de pays
qui lui étaient soumis ; le lien par lequel elle se les rattachait était trop lâche pour qu'elle eût à intervenir souvent dans les actes de leurs gouvernements ; il était assez étroit pour les
maintenir sous l'influence chinoise. Ces royaumes constituaient comme une zone de préservation. Le nom même que la Chine leur donnait est caractéristique ; elle les appelait les « barrières
dépendantes » ou les « barrières extérieures » de l'empire. Cependant, depuis quelques années, les difficultés entre la Chine et la Corée s'enveniment, et le Céleste Empire craint de perdre la
suprématie qu'il avait autrefois sur le petit royaume, son voisin dans l'est du golfe du Pé-Tché-Li. Et, en vérité, c'est l'intervention de la politique européenne qui est la cause première de
cette situation ; c'est pourquoi la question coréenne présente quelque intérêt. Par ce qui suit, on va voir quels moyens la Chine met en jeu pour conserver auprès de la Corée ce rôle de suzerain
qu'elle exerçait naguère sur plusieurs peuples.
C'est en 1882 que les difficultés entre la Corée et la Chine ont pris naissance. Le roi de Corée, prêtant l'oreille à des conseillers étrangers, entra en négociations avec le gouvernement des
États-Unis pour conclure un traité de commerce. Le vice-roi du Pé-Tché-Li, Li-Hung-Tchang, intervint pour exiger qu'on inscrivît en tête du traité une déclaration disant que la Corée est un pays
vassal de la Chine. Cette prétention ne pouvait être acceptée par les États-Unis et ne le serait par aucun État européen : un pays vassal, en effet, n'est pas une personne politique ; il ne
saurait conclure de traités. La clause que Li-Hung-Tchang demandait aurait ôté toute valeur à la nouvelle convention. Aussi les négociateurs américains la repoussèrent-ils. La Corée se borna à
envoyer au cabinet de Washington une dépêche où se trouvait la phrase suivante :
« La Corée est un pays dépendant de la Chine ; mais dans son gouvernement intérieur, comme dans ses relations extérieures, elle a jusqu'ici toujours pu agir d'une manière indépendante. »
Les États-Unis signèrent le traité.
Si nous cherchons maintenant à comprendre quelle était dans cette circonstance la manière de voir des hommes d'État chinois, nous en trouvons l'explication dans une phrase d'un rapport du roi de
Corée à l'empereur de Chine (novembre 1887). Rappelant la dépêche qu'il a envoyée aux États-Unis, le roi de Corée dit :
« De la sorte, mon petit pays observait la règle qu'il devait suivre (à l'égard de la Chine) et traitait avec les pays étrangers sur le pied d'égalité ; mes devoirs (envers la Chine) étaient
remplis et les nécessités de mes relations extérieures étaient satisfaites. »
Ainsi, la Chine n'interdisait pas à la Corée de traiter elle-même avec des puissances étrangères, parce qu'en réalité elle se plaît à considérer que ces puissances sont seulement les égales de
ses vassaux : un chef peut laisser à ses inférieurs quelque liberté d'action dans leurs rapports entre eux. Nous voyons reparaître ici la vieille prétention de la Chine à la suprématie
universelle. Tandis que notre droit international est fondé sur l'égalité des États comme personnes politiques, la Chine admet volontiers qu'elle est supérieure à toutes les autres nations du
monde.
Cependant, quelque morgue que pussent afficher les Chinois, ils durent bien reconnaître que dans l'affaire du traité de la Corée avec les États-Unis ils avaient été joués. En fin de compte, la
Corée s'était passée de leur intervention. Ce n'était là, d'ailleurs, qu'un premier pas ; bientôt d'autres traités furent conclus, sur la base du premier, entre la Corée et des puissances
européennes. À chacun de ces actes d'indépendance, le mauvais vouloir de la Chine s'accentuait davantage. La crise prit un caractère aigu en 1885. À cette époque, la Chine envoya en Corée comme
résident un mandarin nommé Yuen ; de son côté, le roi prit pour conseiller un Américain, M. Denny. La lutte ne tarda pas à devenir ouverte entre ces deux hommes.
À la suite des traités passés avec la Corée, plusieurs États avaient envoyé dans ce pays des représentants consulaires diplomatiques. Le roi se proposa d'avoir à son tour des ministres
plénipotentiaires à l'étranger. Avant de prendre une décision, il en référa cependant à la cour de Pékin. Pour notre droit international, cette manière de procéder est inadmissible : un État ne
saurait avoir des ministres plénipotentiaires s'il n'est indépendant. Comment un prince pourrait-il conférer à un de ses sujets des pleins pouvoirs si sa volonté n'est pas elle-même souveraine ?
Quoi qu'il en soit, cette fois encore la Chine crut pouvoir suivre une politique tout à la fois arrogante et faible. Elle autorisa le roi de Corée à nommer des ministres, mais sous trois
conditions : à son arrivée dans sa résidence, l'envoyé coréen devrait aller d'abord chez le ministre de Chine et celui-ci le présenterait au gouvernement auprès duquel il serait accrédité ; dans
les cérémonies le ministre chinois aurait le pas sur l'envoyé coréen ; enfin, sur toutes les questions d'importance l'envoyé coréen devrait au préalable en référer au ministre chinois. Ces
conditions furent acceptées par la cour de Séoul, et deux ministres coréens furent désignés à la fin de l'année 1887 ; l'un, Pak-Tyeng-Yang dut se rendre aux États-Unis ; l'autre, Tyo-Chin-Hi,
fut nommé tout à la fois en Angleterre, en France, en Allemagne, en Italie et en Russie.
Pak-Tyeng-Yang arriva aux États-Unis en décembre 1887. Comme on pouvait s'y attendre, il s'entendit fort mal avec le ministre chinois et ne demanda ni sa protection ni ses avis. Le cabinet de
Washington le considéra comme l'envoyé d'une puissance indépendante. Très irritée de ce manque d'égards, la Chine fit les remontrances les plus violentes au gouvernement coréen et réussit à
empêcher le départ du second ministre qui ne put aller à aucune de ses nombreuses résidences. Ces ambassades n'aboutirent donc qu'à mécontenter la Chine sans satisfaire la Corée.
Enfin, le dernier fait qui vint porter à son plus haut point l'animosité mutuelle des deux pays fut le traité russo-coréen du 8 août 1888. Ce traité ouvrait aux Russes, et aux Russes seulement,
le port de Keng-Hong, situé sur la rivière Tumen, près de la frontière russo-coréenne. Les Russes y auraient un consul ; ils y pourraient acheter des terres et bâtir des maisons. En réalité,
c'était presque autoriser l'établissement d'un port russe en Corée. La Chine s'émut fort de ces concessions ; et ce n'est pas à tort, semble-t-il, car s'il est un pays dont elle ait lieu de
craindre les progrès en Corée, assurément c'est la Russie. En Asie, aussi bien qu'en Europe, cette puissance tend d'une manière invincible à s'ouvrir le Sud ; elle veut avoir sur le Pacifique des
ports qui ne soient pas, comme celui de Vladivostock, bloqués par les glaces durant l'hiver. Le traité de 1888 semble un acheminement vers ce but. Li-Hung-Tchang avait déjà obtenu le renvoi du
précédent conseiller du roi de Corée, M. de Mollendorf, à cause de ses sympathies trop visibles pour la Russie ; il exigea que M. Denny, le successeur de M. de Mollendorf, fût à son tour renvoyé.
M. Denny à quitté la Corée il y a quelques mois et semble devoir n'y pas rentrer.
À tous ces actes d'indépendance de la Corée, la Chine ne se contentait pas cependant d'opposer des représentations platoniques ; elle découvrait peu à peu que son ancienne ligne de conduite
devait être modifiée ; elle ne pouvait plus, comme par le passé, exiger seulement un tribut de la Corée et la laisser d'ailleurs libre de ses actions ; si elle ne voulait pas la perdre tout à
fait, il lui fallait se la rattacher d'une manière plus étroite. Déjà, elle avait pris en Corée la direction des douanes et des télégraphes ; c'était une mainmise sur les revenus du pays, et la
surveillance organisée de sa politique. Elle envoya ensuite le mandarin Yuen comme résident à Séoul. Ce Yuen ne tarda pas à rompre en visière avec le roi et avec son ministre ; il se mit à la
tête de tous les mécontents et de tous les factieux ; il montra cette insolence qui blesse d'autant plus un prince qu'elle ne s'adresse pas à son gouvernement, mais à sa personne ; c'est ainsi
que, violant d'antiques usages, Yuen pénétra en chaise et avec toute sa suite dans le palais du souverain. Bien plus, en juillet 1888, il se mit à la tête d'un complot dans le but de détrôner le
roi de Corée ; il voulait le remplacer par un enfant en bas âge, le fils du frère aîné du roi, et donner la régence à une créature de la Chine.
Le prince Ming-Yong-Yk fit échouer le complot en le découvrant au roi. Quoique le résident chinois ait été convaincu d'y avoir pris part, il n'en a pas moins été maintenu à la cour de Séoul.
C'est une bravade bien faite pour exaspérer le roi. Aussi le dessein de la Chine semble-t-il être d'amener le gouvernement de la Corée à commettre quelque acte de violence ; elle pourrait alors
intervenir dans les affaires du pays et saurait en garder la direction.
Voici donc la situation en Corée : le conseiller étranger, M. Denny, n'est plus à la cour de Séoul ; mais son œuvre est restée : le consul de Russie, M. Woeber, voit son influence grandir de jour
en jour ; le roi se détache de plus en plus de la Chine. Celle-ci, de son côté, sent qu'il est nécessaire de recourir à des mesures énergiques et cherche à en provoquer l'occasion ; c'est
pourquoi elle maintient à Séoul un représentant qui a voulu, au su de tout le monde, attenter à la couronne et peut-être à la vie du souverain auprès duquel il est accrédité. Le Céleste Empire
semble avoir reconnu à ses dépens que son antique prestige n'est plus suffisant pour lui assurer la soumission des États qui l'entourent. Il voit de tous côtés se disloquer ce rempart de nations
qu'elle croyait impénétrable. Pour conserver le dernier et le plus important de ces boulevards de l'empire, il lui faut adopter une politique nouvelle.
L'intervention des gouvernements occidentaux rend impossible l'institution surannée des États tributaires. Si la Chine ne conservait sur la Corée que cette suzeraineté de parade dont on
s'affranchit avec une rançon, elle risquerait de voir intervenir une puissance qui saurait s'imposer avec plus d'autorité, et c'est pour éviter l'établissement d'une autre puissance en Corée
qu'elle tend de toutes ses forces à transformer en un protectorat réel la suprématie nominale qu'elle a sur ce pays.
Sans doute il est difficile de dire dès maintenant quelle sera l'issue de cette crise ; cependant il semble peu probable que la Chine atteigne son but. Si jamais elle voulait employer la force en
Corée, elle se heurterait à la résistance non seulement de la Russie, mais encore du Japon, qui a d'anciens droits sur ce royaume. Elle rencontrerait aussi l'opposition des puissances
occidentales, qui sont parvenues à ouvrir la Corée à leurs nationaux.
. . . . . . . . . . . . . . .
Novembre 1890
Le 8 de ce mois, a eu lieu, à Séoul, la réception solennelle, par le roi de Corée, des deux envoyés que l'empereur de Chine avait chargés de présenter à son vassal ses compliments de condoléance,
à l'occasion de la mort de la reine mère. On prévoyait, dans quelques cercles, que cette cérémonie pourrait donner lieu à certains incidents, gros de conséquences pour l'avenir des relations
politiques entre les deux pays. On disait que le roi de Corée profiterait de l'occasion pour secouer le joug (bien peu lourd, en vérité) que l'Empire du Milieu impose à son faible voisin, et il
n'eût pas été embarrassé, certes, pour faire appuyer ses revendications par une autre puissance européenne ou asiatique.
Ces prédictions ont été démentis par l'événement : le roi est sorti de la ville, à la rencontre des ambassadeurs chinois; il s'est prosterné, au moment où on lui a présenté la lettre de son
suzerain, et tout s'est, sauf quelques détails insignifiants, passé comme à l'ordinaire. La Corée paraît donc comprendre son intérêt véritable, qui est de vivre en bonne intelligence avec sa
protectrice traditionnelle : la Chine. C'est une disposition que tous les amis de la paix, dans l'Extrême-Orient, ne peuvent que constater avec sympathie.
Pékin, août 1890
L'étude des moyens par lesquels les fonctionnaires chinois cherchent à prévenir les inondations du Hoang-Ho (fleuve Jaune) est un sujet difficile à traiter pour un étranger. Il n'est pas de cas,
en effet, où les misères et les vices de l'administration se montrent plus à plein ; d'autre part, les souffrances de la population ont été si profondes, l'inquiétude des gouvernants a été si
vive qu'on peut craindre de porter une main peu délicate sur ce mal. D'ailleurs, il n'est pas aisé de se rendre un compte exact de la situation dans un pays où la Gazette de Pékin est presque la
seule source d'informations qu'il soit possible d'atteindre. Nous nous efforcerons, du moins, en tirant tous nos renseignements des documents qui nous sont ainsi fournis, de ne rien avancer qui
ne soit fondé sur un témoignage officiel chinois.
Le Hoang-Ho devient dangereux surtout dans sa partie inférieure. Vers le milieu de la province du Ho-Nan, il commence à parcourir une immense plaine sans ondulations qui s'étend à l'ouest
jusqu'au golfe du Pé-Tchi-li et jusqu'à la mer Jaune, mais qui est fermée entre ces deux débouchés par la presqu'île montagneuse du Chan-Tong. Le Hoang-Ho oscille entre deux directions
divergentes ; tantôt il se rend au nord du Chan-Tong, tantôt il passe au sud. L'ancien et le nouveau fleuve délimitent ainsi comme un immense delta dont l'étendue n'est pas moins d'une province
entière. Un dicton populaire rappelle ces déplacements et les paysans se plaignent d'être pendant trente ans à l'est de la rivière, pendant trente autres années à l'ouest. Les variations sont
dues à l'abondance des dépôts que produit le Hoang-Ho ; le fleuve Jaune tire en effet son nom de la quantité considérable de terre qu'il tient en suspension : trois parties d'eau et sept de
sable, disent de lui les Chinois ; aussi forme-t-il sans cesse des bancs qui ramifient et détournent son cours ; si on l'endigue, le lit s'exhausse peu à peu au-dessus du pays environnant ; un
jour vient alors où quelque forte crue brise la barrière et où un mascaret énorme se précipite dans la campagne. Les souvenirs de pareilles calamités sont récents. En 1887 le Hoang-Ho qui, depuis
1855, coulait au nord de la province de Chan-Tong, rompit ses digues à Tcheng-Tchéou, non loin de la capitale du Ho-Nan, Kaï-Fong fou, et s'ouvrit un chemin vers le Sud. Jusqu'aux premiers jours
de 1889, il se déversa dans le lac Hou-Tseu, et de là dans le Yang-Tsé-Kiang, en passant par le Grand canal. La brèche ayant été fermée au commencement de l'année dernière, ce fut dans la
province de Chan-Tong que le fleuve déborda, et noya environ 300.000 personnes. Ce chiffre, quelque énorme qu'il soit, n'est pas à comparer avec ceux qui représentent les désastres de 1887 ; à
cette époque, au dire du gouvernement du Ho-Nan, 120 villages furent submergés en un endroit et 1.500 en un autre ; les personnes réduites à la misère étaient évaluées à 1.600.000. On comprend,
en voyant ces faits, le mot de l'empereur Tao-Kouang, qui appelait le Hoang-Ho, la désolation du royaume du Milieu.
Pour lutter contre cet ennemi naturel, il faudrait un état-major d'hommes de science analogue à notre corps d'ingénieurs des ponts et chaussées ; ils étudieraient les moyens d'action les plus
efficaces, et, après avoir déterminé un plan, ils en poursuivraient l'exécution avec constance ; ils devraient disposer de crédits suffisants pour n'être pas arrêtés par des difficultés
pécuniaires. Ces trois conditions sont ici loin d'être satisfaites.
La première singularité qui nous frappe est l'absence de gens compétents dans l'administration chargée des travaux du Hoang-Ho. Les fonctionnaires qui en font partie ne se distinguent pas des
bureaucrates dont la foule remplit toutes les charges de l'empire. Ils sont choisis comme les autres parmi ceux qui ont passé leurs examens ; or, si ces examens tout littéraires sont fort propres
à développer l'esprit de finesse, ils négligent l'esprit de géométrie ; ils peuvent faire des magistrats et des politiques ; non des constructeurs et des mathématiciens. Aussi, les personnages
qu'un décret impérial bombarde ingénieurs-hydrographes se montrent-ils souvent fort embarrassés de leur nouvelle dignité. Au lieu de se rendre compte par eux-mêmes des difficultés qu'ils ont à
vaincre, ils recherchent dans les livres anciens la manière dont leurs prédécesseurs ont agi. On en voit même qui proposent de revenir aux procédés dont, au dire de la légende, l'empereur Yu le
Grand se servit quelques deux mille ans avant notre ère. Le culte de l'antiquité est un obstacle à leur progrès en Chine ; l'imitation servile des fautes passées a pour effet la répétition de
malheurs identiques ; comme il se trouve toujours des fonctionnaires chinois pour élever les mêmes digues insuffisantes, le Hoang-Ho ne se lasse pas de déborder aux mêmes lieux depuis des temps
immémoriaux.
Non seulement les surveillants du fleuve ne sont pas qualifiés pour la tâche qu'ils ont à accomplir, mais encore leurs attributions sont assez mal définies. Il y avait deux postes de directeur
général avant 1855, quand le Hoang-Ho se jetait dans la mer Jaune ; mais, depuis qu'il se rend dans le golfe du Pé-Tchi-Li, le directeur général pour le bas cours du fleuve n'existe plus ; ses
fonctions ont été dévolues au gouverneur du Chan-Tong. Le seul directeur général qui ait été maintenu n'a guère affaire que dans le Ho-Nan. L'administration du Hoang-Ho présente donc cette
anomalie qu'elle est dirigée par deux autorités d'ordres différents, une autorité provinciale et une autorité indépendante ; ces deux pouvoirs ne vont pas toujours d'accord et parfois certaines
mesures prises dans le Ho-Nan ont des effets désastreux dans le Chan-Tong. Si d'ailleurs nous cherchons la raison de cette distinction, nous voyons qu'elle correspond à une différence des
systèmes suivis par les deux provinces pour prévenir les inondations. Dans le Ho-Nan, en effet, les digues sont élevées et entretenues par le gouvernement ; aussi le directeur général a-t-il sous
ses ordres un nombreux personnel ; il commande à 533 hommes de troupes et dirige trois intendants de circuit (tao-tai) qui ont à leur disposition l'un 609 soldats, l'autre 697, le troisième 380.
Dans le Chan-Tong, au contraire, l'État ne s'était point occupé jusqu'à ces dernières années de rien construire ; le gouverneur de la province se contentait d'encourager et de conseiller les
paysans qui, de leur initiative privée, établissaient des digues pour protéger leurs champs. Mais depuis quelque temps de graves inondations se sont produites dans le Chan-Tong. Dès lors la
différence entre les régimes appliqués aux deux sections du fleuve était aussi illogique que nuisible. Les Chinois eux-mêmes l'ont compris et à plusieurs reprises on a proposé à l'empereur ou de
supprimer le poste de directeur du Hoang-Ho et de charger les divers gouverneurs de province de veiller sur le fleuve, ou d'étendre les attributions du directeur général, de lui confier tout le
service hydrographique du Hoang-Ho et de le rendre seul responsable. Mais jusqu'à aujourd'hui il n'a rien été décidé à cet égard.
La conséquence de l'état de choses actuel est qu'on ne suit aucun plan défini pour les travaux qu'on entreprend. Il est impossible d'étudier le cours entier du fleuve et d'aviser à un système
général de défense. Ni le directeur général, ni le gouverneur du Chan-Tong n'ont de pouvoirs assez étendus pour combiner un tel projet ni pour l'exécuter. La question se complique encore, si l'on
considère que le Hoang-Ho retourne parfois vers le sud et qu'il est toujours question de dériver une partie de ses eaux dans son ancien lit ; alors, en effet, les autorités de la province de
Kiang-Sou et celles qui sont préposées au Grand canal prennent voix au chapitre. Tous ces fonctionnaires sont éloignés les uns des autres ; ils ont des intérêts parfois contraires ; il est donc
difficile qu'ils parviennent à s'entendre. Bien plus, dans l'intérieur d'une seule province les mesures qu'on adopte pour prévenir les dégâts du Hoang-Ho varient : tel gouverneur du Chan-Tong
préconise l'emploi des canaux de dérivation, son successeur préfère draguer la rivière ; tel autre ne fera que des digues. Ainsi les anciens ouvrages sont abandonnés dès qu'arrive un nouveau
gouverneur. À vrai dire, il y a eu en Chine un corps constitué qui semblerait à première vue capable de donner aux mesures qu'on prend pour le Hoang-Ho cette unité et cette suite qui leur
manquent, c'est le ministère des Travaux Publics. Mais, en réalité, il n'exerce, comme les autres ministères, que des fonctions de contrôle et n'a pas d'initiative. Il se borne à délibérer sur
les propositions des autorités provinciales. Ce n'est pas de lui que les riverains du Hoang-Ho doivent attendre leur salut.
À toutes ces causes de désordre s'ajoutent des difficultés financières considérables. En thèse générale chaque province doit se suffire à elle-même. Cependant, les travaux du Hoang-Ho sont un des
rares cas où le gouvernement central intervient pour fournir des subsides. Il donne par an 400.000 taëls environ le taël vaut de 5 fr. 50 à 6 fr.) au gouverneur du Chan-Tong, et de 6 à 700.000
taëls au directeur général. Mais, en dehors de ces allocations régulières, il faut faire face aux dépenses extraordinaires que peuvent occasionner la rupture des digues. Ainsi, les réparations
qui ont été menées à bien en 1888 et 1889 ont coûté à l'État 12 millions de taëls. Ce n'est pas sans peine qu'une somme aussi forte a été réunie, et les moyens auxquels on a eu recours n'ont été
souvent que de piteux expédients. L'un des pires est la vente des offices qu'on a permise pendant une année ; cette mesure, qu'on ne prend qu'à la dernière extrémité, a des résultats funestes en
encombrant les services publics de gens incapables et en décourageant le vrai mérite. Pour trouver de l'argent, le ministère des Finances levait, en outre, une taxe extraordinaire sur les
fermiers de la gabelle et sur les maisons de banque ; il réclamait des mont-de-piété le paiement anticipé de vingt années de redevance, soit 100 taëls par mont-de-piété ; enfin, il supprimait un
certain nombre de soldats qui pouvaient être regardés comme surnuméraires.
Cet appui du gouvernement ne dispense pas toutefois les provinces où passe le Hoang-Ho de tirer de leurs propres ressources une grande partie des fonds requis. Mais leurs trésoreries sont
aujourd'hui ruinées et la Gazette de Pékin relate souvent les doléances du gouverneur du Chan-Tong qui se plaint de n'avoir plus une sapèque vaillante. Cette pauvreté du pouvoir central
et cet épuisement des revenus provinciaux apportent les plus fâcheux retards dans les travaux du Hoang-Ho.
Il reste bien encore une source de crédits, ce sont les donations dites volontaires. La mode en est fort répandue en Chine et ces libéralités atteignent parfois des chiffres élevés ; en 1888 un
haut fonctionnaire a fait présent de 20.000 taëls pour la fermeture de la brèche de Tcheng-Tchéou. L'admiration que peuvent exciter de telles générosités s'atténue cependant quand on remarque
qu'elles sont toujours récompensées : à ceux-ci on confère la décoration de la plume de paon ; à ceux-là, un bouton qui les élève dans la hiérarchie des mandarins ; pour d'autres enfin c'est un
moyen de rentrer en faveur après une disgrâce.
En réalité, ces souscriptions spontanées sont le plus souvent un marché déguisé. D'ailleurs, elles sont trop variables pour que l'État puisse compter sur elles.
Cette étude nous amène à reconnaître que l'administration chargée des travaux du Hoang-Ho n'est pas à la hauteur de la tâche. Une réforme radicale est urgente. Les Chinois commencent à s'en
apercevoir et ce qui est remarquable, c'est que quelques-uns d'entre eux regardent l'adoption des inventions et des institutions européennes comme le principe qui les sauvera. Depuis 1888, en
effet, un nouveau directeur général du Hoang-Ho, Vou-ta-Tch'eng, semble faire preuve d'une rare initiative : il se sert d'un petit chemin de fer pour le transport des terres ; il s'est procuré de
grandes quantités de ciment hydraulique ; il a, de concert avec le gouverneur du Chan-Tong, acheté deux dragues à vapeur au syndicat français de Tien-Tsin. Il proposait tout récemment d'organiser
un corps complet de cartographes et d'ingénieurs ; l'empereur, à vrai dire, a repoussé cette dernière motion, qu'il a qualifiée de prématurée et taxée d'ostentation ; mais le fait seul qu'un haut
dignitaire de l'empire a, dans un rapport officiel, reconnu la valeur de la civilisation européenne, est important ; c'est la marque de l'évolution lente qui se produit de nos jours dans le
Céleste Empire. Les difficultés avec lesquelles le Hoang-Ho met aux prises les Chinois seront une de ces nécessités impérieuses qui les obligeront, quoi qu'ils en disent, à ne plus être aussi
dédaigneux des étrangers.
Tien-Tsin, 12 janvier 1891
Il ne faudrait pas exagérer la portée de la décision que vient de prendre l'empereur de Chine, en ordonnant au Tsong-li-Yamen de préparer, pour le courant de février, l'audience que le souverain
veut bien accorder enfin aux représentants que les puissances occidentales entretiennent dans sa capitale. Ce n'est pas parce que les envoyés étrangers auront été admis « à contempler la face du
dragon », ni parce qu'ils auront pu échanger avec le Fils du Ciel quelques politesses banales, que la muraille de préjugés — et il faut bien ajouter de haines — qui sépare la Chine de l'Occident
va se trouver renversée. De ce que le gouvernement chinois se décide enfin à accorder, sans pression à ce qu'il semble, une concession inscrite, du reste, dans les traités depuis plus de trente
ans, il ne faudrait pas conclure qu'il s'est pris soudain d'une sympathique admiration pour nos idées et nos institutions, et croire que nous allons assister, en Chine, à une transformation
pareille à celle qui s'est accomplie au Japon, dans le cours de ces vingt dernières années. Rien de semblable à craindre, ou, si l'on veut, à espérer ici. Le vieil orgueil chinois demeure intact
; intactes aussi les défiances vis-à-vis des étrangers, défiances bien naturelles, bien justifiées même, il faut l'avouer. Il serait donc absolument chimérique de s'attendre à voir la Chine,
peuple ou gouvernement, se mettre à copier servilement l'Europe, comme l'ont fait les Japonais. Ils sont trop convaincus — à tort ou & raison — de la supériorité de leurs institutions — et de
leurs mœurs — sur les nôtres, pour nous emprunter jamais autre chose que les résultats pratiques de notre développement scientifique : chemins de fer, navires de guerre, canons, etc., et de
l'argent, si nous consentons à leur en prêter à un taux assez avantageux. Gardons-nous donc bien de l'emballement.
Pourtant, il faut bien reconnaître que, à moins de ne voir dans la décision impériale que le caprice d'un jeune homme (l'empereur n'a que vingt ans), curieux de voir de près ces Européens dont il
entend parler sans cesse, sans en avoir jamais vu un seul, la résolution prise par S. M. Kouang-Siu, au début d'un règne qui s'annonce en somme, sous d'heureux auspices, semble dénoter de sa part
des intentions plutôt libérales. L'entourage immédiat de l'empereur, ses conseillers les plus intimes, l'impératrice douairière Tseu-Hi, la femme remarquable qui a joué en Chine, durant ces
trente dernières années et dans des circonstances difficiles un rôle si prépondérant, son père, le prince Tchoun, qui vient de mourir, et enfin le vice-roi du Tché-Li, Li-Hung-Tchang, pour ne
citer que les plus connus, appartiennent & ce qu'on peut appeler le parti progressiste chinois et ont dû nécessairement imprégner son esprit de leurs idées.
Le jeune souverain est, dit-on, intelligent et énergique, et il n'est point du tout impossible que nous assistions au premier acte d'un règne réformateur et, dans les limites où ce mot peut
s'appliquer à la Chine, progressiste. De toute façon, la décision impériale appelle l'attention et semble commander la sympathie.
Personne ne sait encore dans quelles conditions l'audience ordonnée aura lieu. Des pourparlers officieux sont engagés à ce sujet entre le Tsong-li-Yamen et les représentants étrangers, par
l'intermédiaire de leur doyen, et il va de soi qu'on ne s'est pas mis immédiatement d'accord.
C'est sur le cérémonial à employer que les négociations seront évidemment les plus longues. Les gouvernants de la Chine n'ont pas encore su, depuis cinquante ans, se faire & l'idée de traiter
sur un pied d'égalité les États d'Europe ou d'Amérique avec lesquels ils ont conclu des traités. Ils voudraient bien pouvoir les faire passer, aux yeux du peuple, pour des tributaires de l'empire
du Milieu, et exiger de leurs représentants les marques de soumission vraiment humiliantes imposées par exemple au roi de Corée vis-à-vis de son suzerain. À cela il ne faut naturellement pas
songer, et il n'est pas un Chinois intelligent qui ne le sache ; mais, du moins, voudrait-on maintenir aussi haut que possible, en face des diplomates de l'Occident, le prestige du Fils du Ciel.
Donc on discutera ferme, soyez-en sûrs, à propos des moindres détails : sur la salle à choisir pour l'audience, sur la porte du Palais par où passeront ministres et lettres de créance, sur les
formes de respect à employer vis-à-vis du souverain etc., etc.
La question, si l'on se reporte aux textes des traités, est pourtant des plus simples. Les traités conclus, depuis 1858, entre la Chine et les puissances occidentales, notamment avec la France et
l'Angleterre, contiennent des stipulations comme celle-ci (tirée du traité anglais de 1858) :
« L'ambassadeur usera vis-à-vis du souverain du même cérémonial qui est employé par les ambassadeurs, ministres ou agents de sa majesté britannique envers les souverains des nations européennes
indépendantes et égales. »
Voilà qui est bien clair, n'est-ce pas ? Le traité français — il serait intéressant de rechercher pourquoi — est beaucoup moins précis ; mais comme il contient la clause de la nation la plus
favorisée, la concession si formellement accordée à l'Angleterre nous appartient également. Pour nos envoyés, le traitement doit être aussi honorable que possible, puisqu'il doit être le même que
celui que nous réservons en Europe aux diplomates étrangers. Voilà ce que disent les traités.
Comment des stipulations inscrites dans des conventions internationales depuis plus de trente ans sont-elles encore inexécutées ? Comment, tandis que les États de l'Europe et de l'Amérique
reçoivent sur un pied d'égalité parfaite avec les autres représentants diplomatiques les envoyés de la Chine, celle-ci n'a-t-elle pas encore consenti à accorder à nos diplomates un traitement
équivalent ? La question mérite d'être examinée. Faisons-le très brièvement.
Ce n'est que depuis le traité de Tien-Tsin (1858) et la convention de Pékin (1860), signés par les représentants de la France et de l'Angleterre, que les ministres et chargés d'affaires étrangers
se sont vu reconnaître le droit de résider dans la capitale de l'Empire du Milieu. Ils résidaient auparavant à Canton, à Shanghaï, et même pendant un temps à Macao. Avant 1868, la question de
l'audience ne s'était donc pas réellement posée, si ce n'est à l'occasion de certaines ambassades exceptionnelles. Mais, depuis cette date, elle est posée très clairement. On convint, à ce
moment, de ne pas trop presser le gouvernement chinois sur l'exécution de l'article du traité qui accordait, implicitement si l'on veut, mais de la façon la plus formelle, l'audience impériale.
Ce n'est qu'en 1873 que cette audience fut accordée, à la majorité du jeune empereur Tong-Tchi. L'entrevue eut lieu le 20 juin ; les envoyés de la France, de l'Angleterre, de la Russie, de la
Hollande, des États-Unis et du Japon furent admis, pour la première fois, à remettre leurs lettres de créance au souverain ; il y eut échange de politesse, et ce fut tout. Tong-Tchi mourut
l'année suivante et cette audience n'eut pas de lendemain. Son successeur fut un enfant de quatre ans, l'empereur actuel. Durant sa minorité on laissa, naturellement, dormir la question de
l'audience. S. M. Kouang-Siu ayant pris, depuis peu, les rênes du gouvernement, elle devait revenir sur l'eau. Cette fois, l'empereur est allé au devant des réclamations, en accordant, par le
décret que je vous ai fait connaître, l'audience qu'on ne pouvait manquer de réclamer de lui.
Dans quelles conditions l'entrevue aura-t-elle lieu ? S'en tiendra-t-on, purement et simplement, au précédent créé en 1873, où le cérémonial employé fut très loin de contenter nos diplomates, ou
bien accordera-t-on aux envoyés de l'Occident un traitement vraiment honorable ? Cela dépend de l'énergie et aussi de la bonne entente que ceux-ci rencontreront dans leurs négociations avec le
Tsong-Li-Yamen.
Il serait temps que cette question fût réglée à notre satisfaction. Voilà trente ans, je le répète, que nous attendons l'exécution d'une clause des traités dont nous sommes plus qu'exacts à
remplir la contrepartie; car nous n'avons pas assez d'égards, en Europe, pour tous les Chinois, petits ou grands, que l'Empire du Milieu nous envoie, diplomates ou étudiants, tandis que l'on fait
ici toutes sortes de façons pour recevoir comme on le doit les représentants officiels de nos gouvernements. Il est temps que cela finisse. Si les représentants étrangers ne peuvent s'entendre
avec le tsong-li-ya-men sur le cérémonial à employer, si le traitement qu'on leur réserve n'est pas tout à fait irréprochable, mieux vaut ne pas avoir l'audience et continuer à marcher comme par
le passé, sauf pourtant à ne pas admettre plus longtemps, en présence de nos chefs d'État, les ministres de l'empereur de Chine. Il me paraît que c'est là la véritable solution ; mais je doute
qu'on l'adopte.
. . . . . . . . . . . . . . .
Pékin, 7 mars 1891
Une dizaine de conférences du corps diplomatique, un nombre presqu'égal d'entrevues avec le Tsong-li-Yamen — en tout, deux longs mois de négociations — il n'a pas fallu de moindres efforts pour
régler, dans tous ses détails, l'importante question de l'audience impériale.
Elle a eu lieu, cette audience, le jeudi 5 mars. C'est dans la même salle où furent reçus par l'empereur T'ong-Tché, leurs prédécesseurs de 1873, le Tse-Koang-Ko, affecté à la réception des
princes mongols, des envoyés coréens et des représentants des autres pays tributaires, que les envoyés des États européens, des États-Unis et du Japon ont été admis à « contempler la face du
dragon ».
À cause précisément de l'affectation dont je viens de parler, et aussi à cause de sa situation tout en dehors du palais, aux confins extérieurs de la ville impériale, le choix du Tse-Koang-Ko
avait été fort blâmé en 1873 et très discuté ; cette fois aussi parce que ce choix semble en effet impliquer encore, de la part des Chinois, la prétention surannée d'assimiler les pays
occidentaux aux divers tributaires de l'empire.
Si la salle reste la même, l'audience actuelle a différé, néanmoins, sur quelques points importants, de celle de 1873, comme aussi des audiences individuelles qui furent accordées en 1874, avant
la mort de S. M. T'ong-Tché, à plusieurs ministres étrangers, nouvellement arrivés à Pékin. En 1873, les ministres présents, au nombre de six, n'étaient accompagnés que d'un seul interprète, et
les chargés d'affaires qui n'avaient pas de lettres de créance à remettre n'assistaient pas à l'audience. Cette fois, au contraire, les chargés d'affaires ont été reçus aussi bien que les
ministres, et les uns et les autres étaient accompagnés du personnel de leurs légations : secrétaires, attachés et interprètes. De plus, chacun des ministres a été admis à présenter
individuellement ses lettres de créance et à adresser un discours à l'empereur, ce qui n'avait pas eu lieu non plus en 1873.
Le Yamen a admis, en outre, que des audiences pourraient être accordées aux ministres à leur arrivée et à leur départ, comme aussi pour la notification du décès ou de l'avènement d'un
souverain.
Somme toute, les concessions du Tsong-li-Yamen ont été beaucoup plus apparentes que réelles ; elles ont porté sur des questions de forme, sur des points secondaires pour lesquels on a sacrifié le
point principal qu'il s'agissait d'obtenir : l'admission dans le Palais.
Jamais plus superbe occasion ne s'était offerte, pourtant, jamais une aussi belle ne se présentera peut-être de régler une fois pour toutes, d'une manière vraiment conforme à leur dignité, les
relations des puissances avec le Fils du Ciel, et il est regrettable que les diplomates étrangers l'aient laissé échapper.
Comme ils étaient forts, pourtant ! C'est un décret impérial, dont je vous ai donné la traduction, qui est venu, le 12 décembre dernier, réveiller cette question de l'audience qui, soulevée il y
a deux ans, au moment de la majorité de l'empereur Kouang-Siu, dormait depuis ce temps d'un sommeil que les ministres étrangers ne songeaient pas à déranger. Le gouvernement impérial s'est cru
très habile, en prenant les devants dans cette affaire. Il désirait faire bien sentir qu'il accordait l'audience de son plein gré, sans sollicitation et sans pression, comme une faveur, non comme
un droit.
Mais si cette position que prônait le Tsong-li-Yamen présentait quelques avantages pour lui, elle était pourtant, au fond, extrêmement dangereuse, car si les ministres étrangers, mécontents du
cérémonial propos ou du local choisi, s'avisaient de refuser l'audience et que le décret impérial — fait sans précédent, je crois, en Chine — dût être révoqué, le Yamen et l'empereur lui-même
éprouvaient, un échec, et l'éclat dans le pays était immense.
Les représentants étrangers étaient donc singulièrement armés, car ils pouvaient, en maintenant suspendue sur les têtes du Yamen la menace d'un refus de l'audience, amener les ministres chinois à
leur accorder toutes les conditions raisonnables qu'il leur plaisait d'exiger d'eux. La principale à obtenir était, je le répète, l'admission dans le Palais, au lieu d'une réception équivoque
dans une salle éloignée, dont le nom est fâcheusement associé à la réception des tributaires.
Comment, avec la forte position que j'ai indiquée, ayant entre les mains tous les atouts du jeu, a-t-on pu cependant perdre la partie ? Qui est responsable de cet échec éclatant ? — Il faut bien
appeler la chose par son nom. — C'est nécessairement et indubitablement celui qui, en sa qualité de doyen du corps diplomatique, a conduit les négociations avec le Tsong-li-Yamen. J'ai nommé M.
de Brandt, ministre d'Allemagne.
M. de Brandt n'est pas un diplomate banal, j'allais dire vulgaire, une personnalité simplement décorative, telles qu'on en voit souvent, un blasé en politique. C'est un diplomate de la bonne
école, très fin, remarquablement intelligent, très instruit, très travailleur, connaissant admirablement les affaires de son poste, qu'il occupe depuis quinze ans, ayant, dit-on, l'oreille du
Tsong-li-Yamen. Il avait donc, pour réussir, tout ce qu'il fallait, sauf une seule chose : la volonté de réussir.
Pour parler plus clairement, le ministre d'Allemagne a sacrifié le succès de l'audience et les intérêts généraux des puissances aux intérêts particuliers de son pays pour lequel il a obtenu, sans
doute, en échange de son attitude plus que conciliante, des concessions sérieuses de la part du gouvernement chinois.
D'abord très exigeant avec le Yamen, demandant au nom de ses collègues des choses qu'il savait parfaitement ne pouvoir lui être accordées, comme le passage des lettres de créance par la porte
centrale du palais, réservée à l'empereur, il est devenu à chaque entrevue plus conciliant, jusqu'à accepter finalement la salle du Tse-Koang-Ko en échange de quelques concessions purement
apparentes.
Quelles sont ces concessions ? Voilà qui est impossible à deviner. Des suppositions sont permises, pourtant. En voici une :
Personne n'ignore les efforts que fait l'Allemagne, non seulement en Afrique, mais dans toutes les parties du globe, et notamment dans l'Extrême-Orient, pour étendre son influence politique et
commerciale. En Chine, il manque à l'Allemagne un pied-à-terre à elle, d'où son influence pourrait rayonner librement et largement dans ces régions. Peut-être songe-t-elle à acquérir ce
pied-à-terre, d'une manière ou d'un autre. Peut-être aussi s'agit-il simplement de quelques grosses commandes de matériel militaire ou naval, ou d'une concession de chemins de fer, d'un emprunt,
que sais-je ?
Autre chose : l'Allemagne est en train de nous ravir une partie du monopole, souvent bien peu enviable, que nous prétendons posséder pour la protection des missions catholiques. Après les
démarches faites, l'an dernier, à Rome et à Berlin, par Mgr Anzer, l'Allemagne vient de s'entendre avec la Chine pour la protection de la mission catholique allemande du Chan-Tong.
Cette mission n'est rien moins que populaire. Elle possède dans le Chan-Tong à Yen-Tcheou-fou et dans la région, des terrains dont elle n'a jamais pu prendre possession, vu la mauvaise volonté,
l'hostilité des populations. Le consul d'Allemagne à Tien-Tsin, le baron de Seckendorf, est allé le mois dernier à Yen-Tcheou-fou pour se rendre compte de la situation de la mission. Il a été si
mal reçu, tant par les autorités que par la population, qu'il a couru de très sérieux dangers. Le gouvernement chinois exprimera ses regrets de cet incident, mais il y a là, pour l'avenir, une
petite usine à conflits qu'il dépend du gouvernement de Berlin d'entretenir et qui lui fournira, quand il le voudra, un prétexte pour intervenir dans les affaires de la Chine.
Je n'ai donc pas la prétention de vous dévoiler les intentions du gouvernement de S. M. Guillaume II, que j'ignore absolument, ni le marché intervenu entre son ministre à Pékin et le
Tsong-li-Yamen, lequel m'est également inconnu. Tout ce que je puis dire, c'est qu'au su de tout le monde l'Allemagne se remue énormément ici, que, quelle qu'elle soit : cession de territoire
(bien peu probable, je le reconnais), affaire de chemins de fer, d'emprunts, protectorat des missions, la concession que M. de Brandt a obtenue de la Chine, en échange de son attitude dans
l'affaire de l'audience, doit certainement exister.
Mais comment les autres ministres qui n'avaient pas pour agir les mêmes raisons que leur doyen, ont-ils consenti à suivre celui-ci sur le terrain où il les a conduits ? Voilà ce qu'il faut
expliquer maintenant.
Dix puissances entretiennent des légations à Pékin. Ce sont, par ordre alphabétique, l'Allemagne, l'Angleterre, la Belgique, l'Espagne, les États-Unis, la France, la Hollande, l'Italie, le Japon
et la Russie. De ces puissances cinq seulement ont de véritables intérêts dans l'Empire du Milieu : l'Allemagne, l'Angleterre, la France, le Japon et la Russie. Intérêts d'ordres divers, surtout
politiques pour la Russie et le Japon, principalement économiques pour l'Allemagne, politiques et économiques pour la France et l'Angleterre.
Le rapprochement entre l'Angleterre et l'Allemagne dont on a vus les effets dans le partage récent de l'Afrique a-t-il encore porté ses fruits ici ? Je suis tout disposé à le croire. L'Angleterre
a trop le souci de ses intérêts coloniaux, elle surveille avec trop de jalousie son influence en Chine pour s'être effacée sans un intérêt très direct.
Trois puissances (la Russie, la France et le Japon) pouvaient, en adoptant une action commune, contrebalancer l'influence anglo-allemande ; elles pouvaient, en refusant l'audience dans les
conditions où elle était offerte, exercer une pression salutaire sur le gouvernement chinois et, de plus, entraîner deux ou trois puissances, comme les États-Unis, l'Espagne ou la Hollande, qui
n'étaient pas nécessairement inféodées à l'Allemagne et à l'Angleterre. Malheureusement, cette action commune ne s'est pas produite : cela pour plusieurs raisons.
La plus importante, c'est que la Russie et la France sont en ce moment représentées à Pékin par de simples chargés d'affaires qui n'avaient pas, qui ne pouvaient avoir dans les conférences
l'autorité qui eût appartenu à des ministres. N'ayant pas de lettres de créance à remettre, beaucoup de détails discutés du cérémonial ne les intéressaient même pas, du moins
personnellement.
Le chargé d'affaires de France, M. Ristelhueber, qui à montré beaucoup de vigueur et de tact et a fait tout ce qui a dépendu de lui pour décider ses collègues à une politique plus ferme, a-t-il
craint, connaissant l'espèce d'interdit dans lequel sont tombées en France les affaires de l'Extrême-Orient, d'être désavoué par son gouvernement s'il prenait une attitude trop énergique ?
Peut-être.
Quant au chargé d'affaires de Russie, M. Kleimenow, on peut croire que l'arrivée très prochaine du tsarevitch en Chine a paralysé son action. Il devait craindre, en effet, qu'une attitude trop
hautaine n'amenât de la part des autorités chinoises quelque manque d'égards envers le grand-duc héritier et n'entraînât son gouvernement dans des difficultés que la Russie désire éviter.
Enfin, le Japon, seul, ne pouvait rien faire. Mais, appuyé par la France et la Russie, il eût fait tout ce qu'on eût voulu.
Triomphe pour le Tsong-li-Yamen, succès pour l'entente anglo-allemande ; le prestige européen en Chine très sérieusement atteint, car cette réception aura un retentissement immense et l'on en
commentera les moindres détails, dans ce pays où la forme est tout, en toute chose ; une question irritante qui reste ouverte et qui devra se régler peut-être un jour à coup de canon, voilà le
bilan de ces deux mois de négociations diplomatiques. On pouvait, on devait espérer mieux.
Mais j'arrive à l'audience. Comme je vous le dis ci-dessus, elle a eu lieu le jeudi 5 mars, au Tse-Koang-Ko (salle de la lumière violette), pavillon qui se trouve dans la ville impériale, à une
assez grande distance du Palais, et qui, je le répète, sert ordinairement à la réception des envoyés des pays tributaires de la Chine.
L'événement avait été annoncé la veille, dans le Journal officiel de l'empire (le King-Pao) plus connu sous le nom de Gazette de Pékin) en ces termes laconiques :
« Demain, à midi, l'empereur ira au Tse-Koang-Ko, où il a appelé en audience (sic) les différents pays. »
Les chefs des diverses légations accompagnés de leur personnel et conduits par de petits mandarins de la garde se sont rendus, chacun de leur côté, au petit pavillon désigné comme lieu de
réunion, qui se trouve à une petite distance de la salle d'audience. Tout le monde (il y avait en tout trente et une personnes) était en chaise verte, ce qui a singulièrement étonné les Chinois,
la chaise verte et même la chaise bleue étant réservée aux très hauts dignitaires, princes, présidents de ministère, etc., les autres fonctionnaires se servant en toute occasion de la charrette.
Il eût été plus correct et d'un meilleur effet sur le public de réserver la chaise verte pour les ministres et chargés d'affaires, la chaise bleue pour les premiers secrétaires, et de mettre en
charrette le reste du personnel. Je ne sais qui est responsable de cette absurde violation de l'étiquette, et je ne veux blâmer personne ; mais vous ne pouvez vous figurer l'effet fâcheux qu'elle
a produit.
Quoi qu'il en soit, les ministres et leurs suites sont descendus de chaise à l'entrée des jardins et se sont rendus à pied, au petit pavillon, que j'ai déjà mentionné, où les attendaient quelques
mandarins, et une collation a été servie qui a duré environ une heure. Les représentants et leur suite furent conduits ensuite dans trois tentes élevées tout près du Tse-Koang-Ko, l'une pour les
ministres et chargés d'affaires, une autre pour les secrétaires et attachés, et la troisième pour les interprètes. Là, on dut attendre une demi-heure l'arrivée de l'empereur.
Lorsque le souverain fut entré au Tse-Koang-Ko, le doyen du corps diplomatique M. de Brandt, ministre d'Allemagne, accompagné de son interprète, le baron von der Goltz, fut admis le premier en sa
présence et remit ses lettres de créance avec les compliments d'usage. Les autres ministres furent admis de même, par tour d'ancienneté.
La remise des lettres de créance terminée, les chargés d'affaires, accompagnés de leur personnel, furent reçus à leur tour. Les ministres étaient également présents avec leur personnel. M. de
Brandt, après avoir présenté personnellement les chargés d'affaires (au nombre de quatre : France, Russie, Espagne, et Belgique), prononça en anglais — il y a beau temps que le doyen a supprimé
ici le français comme langue diplomatique — un court discours, qui fut traduit en chinois par M. Popof, doyen des interprètes, et rapporté à l'empereur en mandchou par le prince King, à genoux
pour la circonstance. L'empereur répondit quelques mots qui parvinrent aux représentants par le même canal compliqué et les envoyés et leur suite, marchant à reculons et saluant trois fois, comme
ils l'avaient fait en entrant, quittèrent la salle d'audience.
L'empereur qui, de l'avis de tous, paraît fort intelligent, et dont les traits beaux et sympathiques indiquent un mélange d'énergie et de douceur, était vêtu d'une robe bleue sombre, à cause du
demi-deuil qu'il porte encore pour son père. Il était assis sur un trône élevé de quelques marches seulement, et une table était placée devant lui. Deux hauts fonctionnaires, le Pao-Wang et le
Ko-Wang, se tenaient debout derrière lui, et à sa gauche se trouvait le prince King. Les ministres n'étaient guère éloignés de lui que de cinq à six mètres. Ils étaient placés sur une ligne avec
les chargés d'affaires ; sur un autre rang derrière eux, les secrétaires et attachés, et sur un troisième les interprètes.
La salle n'est pas très grande ; elle est décorée de peintures représentant des batailles de l'empereur Kien-Long et suffisamment bien ornée. Devant le trône se trouvaient des brûle-parfums en
cloisonnés anciens qui ont fait l'admiration des ministres étrangers, tous plus ou moins collectionneurs. La décoration ne répondait nullement, pourtant paraît-il, aux idées de splendeur
orientale que l'on associe volontiers en Europe à une réception du Fils du Ciel.
Le lendemain de l'audience a eu lieu au Tsong-li-Yamen un banquet offert aux représentants, qui a été très brillant.