John Thomson (1837-1921)

DIX ANS DE VOYAGE DANS LA CHINE

et l'Indo-Chine. Traduit de l'anglais par A. Talandier et H. Vattemare.
Librairie Hachette, Paris, 1877, pages 141-482 de 492 pages + 128 gravures sur bois.

Traduit de The Straits of Malacca, Indo-China and China or Ten years' travels, adventures and residence abroad, Londres, 1875.

  • En 1873-74, John Thomson faisait paraître à Londres Illustrations of China and its people. A series of two hundred photographs, with letterpress descriptive of the places and people represented. Un ouvrage exceptionnel, d'une grande valeur artistique et humaine, résultat de ses multiples voyages à travers la Chine. L'université de Yale (Beinecke Rare Book and Manuscript Library) en présente la numérisation sur son site. Le Massachusetts Institute of Technology, dans sa série Visualizing Cultures, en tire une aussi splendide digitalisation. 
  • En 1875, Thomson faisait faire des dessins de ses photos parues dans "Illustrations..." et, complétant de ses autres voyages en Asie, présentait "Ten years' travels...". Cet ouvrage, traduit en français et publié chez Hachette en 1877, est ici numérisé en format texte pour la partie concernant les voyages en Chine. Compte tenu de l'exceptionnelle qualité de la présentation du MIT, un lien [&] a été mentionné à côté de la légende de nombreux dessins, renvoyant vers la photo d'origine. 

Extraits : Chez les Pépohoans et les montagnards de FormoseDans les gorges du haut Yang-tszé
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Chez les Pépohoans et les montagnards de Formose

Femme et enfant pépohoans.
Femme et enfant pépohoans.


Nous atteignîmes enfin la berge de la rivière que nous dûmes franchir pour gagner le village, mais le pont qui avait, au point de vue de l'art de l'ingénieur, le mérite de la simplicité, constituait la machine la plus détraquée, le plus complet casse-cou qu'il m'eût encore été donné de rencontrer. La construction se composait en tout et pour tout d'une ou deux perches de bambou étendues d'une rive à l'autre à trois mètres environ au-dessus du courant qui, en cet endroit, était assez profond pour noyer même le géant Chang. Ces perches reposaient sur des pierres émergeant du sol à quelques pas de la berge. Pour moi ce pont était la chose précisément faite en faveur de quelque misérable décidé à tenter la Providence pour échapper à une tombe humide. Mais les naturels le traversent à la façon des acrobates, se servant de leurs fardeaux pour maintenir leur équilibre. Aussi, n'avions-nous rien de mieux à faire que d'imiter ce tour de force si nous voulions accomplir le but de notre excursion.

Le docteur, qui connaissait déjà ces chefs-d'œuvre d'architecture, s'en tira avec assez de facilité. Quant à moi, après avoir mouillé mes sandales de paille pour leur donner plus d'élasticité, j'étendis les bras, posai carrément les pieds et passai comme un danseur de corde. Ce ne fut pas sans une vive satisfaction que je me retournai pour jeter un coup d'œil sur l'obstacle franchi, dès que je me trouvai sain et sauf sur la terre ferme.

Ces élégantes constructions sont la propriété des indigènes et elles suffisent, dans ce pays béni, à tous les besoins du commerce et des mutuelles communications. Il est entendu qu'elles seront reconstruites ou réparées par l'individu qui viendrait par hasard à les briser, dans le cas où il ne serait pas victime de l'accident, et, à son défaut, par le premier survenant. Les terrains d'alentour et les berges de la rivière fournissent, en abondance, les matériaux bruts nécessaires. On y trouve les pierres pour remplacer les culées et, dans les taillis, les rotins propres à y fixer les perches ; quant aux bambous, il y en a partout.

A huit cents mètres environ de Pau-ah-liau, nous passâmes sous l'immense branchage de l'arbre désigné par les indigènes sous le nom de « Png-tchieu » et dont les racines rampent sur le sol en se contournant de la façon la plus curieuse, formant tantôt un fauteuil commode, tantôt un lit des plus confortables pour les chaudes nuits. Entre les racines de beaucoup des plus beaux arbres sont de petits autels dus au fétichisme des villageois, et consistant ordinairement en un soubassement de pierre et de quatre autres plaques pour les trois côtés et la toiture. Dans l'intérieur, au centre, se trouve une petite pierre, sur laquelle sont déposées les offrandes. Le tronc du Png-tchieu a deux mètres environ de diamètre et son feuillage a un développement assez considérable pour abriter toute la population du hameau voisin.

La nouvelle de notre arrivée nous avait d'une façon ou d'autre précédés, ainsi que cela arrivait invariablement sans que nous ayons jamais pu nous rendre compte du fait. Des têtes se glissaient mystérieusement à travers les haies et les fourrés pour considérer les « hommes à cheveux rouges », comme on nomme poliment les étrangers.

Jeune fille pépohoanne
Jeune fille pépohoanne

Nous suivions une belle route ombreuse le long d'un cours d'eau utilisé pour les besoins de l'irrigation. A notre gauche, une haie faite de fleurs sauvages — fuchsias, roses, guavas, menthe et convolvulus — et entremêlée d'une profusion de buissons de framboisiers sauvages qui avaient été chargés de fruits aussi sucrés que nos framboisiers anglais s'il est permis d'en juger par le peu qui en restait. Nous eûmes à franchir un nouveau pont de bambou, puis à suivre un sentier longeant des champs de riz où les jeunes pousses d'un vert éclatant s'élevaient au-dessus de l'eau juste assez haut pour obscurcir la réflexion des montagnes sur la surface aqueuse. Puis nous abordâmes le village de Pau-ah-liau et marchâmes droit à la maison d'un vieux Pépohoan aveugle nommé Sin-tchieu.

Nous y fûmes accompagnés par des bandes de femmes et d'enfants à la physionomie sauvage ; quelques-uns de ces derniers, quoique âgés au moins de dix ans, n'avaient pas un haillon pour couvrir leur nudité. Certains habitants du village conservaient le vif souvenir d'une visite que leur avait faite le docteur dix-huit mois auparavant et des soins bienveillants qu'il leur avait donnés. Ils examinèrent curieusement nos bagages et nos vêtements et finirent par décerner la palme de la beauté à ma chemise de flanelle.

Ici, hommes, femmes et enfants étaient tous munis de pipes de bambou dont ils faisaient un vigoureux et incessant usage. Presque aussitôt après notre arrivée, une vieille femme aux yeux hagards vint me présenter une pipe. Dès que j'eus accepté cette offre polie, elle me demanda mon cigare, en tira deux ou trois énormes bouffées et aussitôt sa face se convulsionna et passa par une série de contorsions exprimant toutes le plaisir que lui faisait éprouver la force inusitée du tabac. Après quoi, le cigare circula de bouche en bouche et me fut soigneusement restitué quand chacun des assistants l'eut aspiré une fois.

Pour la plupart, les villageois, d'une taille haute et bien proportionnée, avaient de grands yeux bruns dont les éclairs intermittents témoignaient suffisamment d'un caractère indépendant et indomptable, fruit naturel de la sauvage grandeur et de la solitude de ces plateaux. Et cependant il est parfaitement reconnu que cette race est aussi douce qu'inoffensive, en dépit de son apparence de crânerie sauvage, laquelle ne manque ni de dignité ni de grâce.

Les femmes portent une profusion de cheveux châtains très foncés ou noirs, lissés sur les tempes et ramenés derrière la tête ; les longues tresses sont ensuite nattées en une sorte de câble avec une bande de drap rouge ; le tout est ramené derrière par-dessus l'oreille gauche, passe sur le front comme un diadème et revient à l'occiput où on le fixe solidement. L'effet de cette simple coiffure est des plus frappants et forme un gracieux contraste avec la chaude carnation olivâtre de celle qui la porte.

Les Chinois prétendent que les femmes sont les plus barbares que l'on puisse voir, parce que même la plus belle d'entre elles ne cherche jamais à augmenter artificiellement sa beauté. Le temps semble les éprouver cruellement à mesure qu'elles avancent en âge ; le dur travail auquel elles sont soumises et leur perpétuelle exposition à toutes les intempéries des saisons leur enlèvent rapidement les attraits de la jeunesse ; mais jusqu'à la fin leur chevelure reste l'objet de leur sollicitude, malgré le rude combat qu'elles ont à soutenir contre les rigueurs du sort. La plus vieille des matrones se mépriserait elle-même si elle se croyait capable de déguiser sa décrépitude et ses infirmités avec une couche de peinture et de poudre, un front postiche ou de la teinture. Les joues bronzées et ridées, les cheveux gris de la vieillesse sont partout traités avec vénération et constitueraient même le plus sûr des passe-ports sur le territoire d'une tribu ennemie.

En ce moment, les hommes revinrent en foule des champs. Grands, bien faits, leur physionomie rayonnait de bienveillance, de franchise et d'honnêteté. En dépit de leurs mains calleuses et de leurs misérables vêtements, il y avait dans leurs allures une dignité virile, une douceur, une cordialité, une simplicité hospitalière qui faisaient plaisir à voir.

A ces points de vue, il existait, entre les divers villages, une différence sensible. Où les Pépohoans se trouvaient en contact plus intime avec les Chinois, ils étaient mieux vêtus, mais moins virils que ceux des villages où nous rencontrâmes les indigènes seuls.

Sin-tchieu nous ayant invité à entrer dans sa cabane, je m'étendis sur une natte et tombai presque aussitôt dans un sommeil profond. Je fus subitement réveillé par un courant d'air fétide qui traversait la chambre. Il faut dire que ces indigènes ont une singulière manière de saler leurs navets : il les placent dans un baquet d'eau et les y maintiennent jusqu'à parfaite décomposition ; ils s'en servent ensuite pour rehausser le goût de leur riz.

Le fait est que le dîner étant prêt, le jeune Sin avait ouvert ce trésor domestique, de sorte que je fus complètement, saturé des émanations du gaz emprisonné s'échappant du baquet, sensation qui me fit sauter sur mes pieds et me précipiter dehors pour prendre mon repas en plein air. Le docteur dîna à l'intérieur, tandis que moi, je me régalai d'un bol de riz, de deux œufs durs et d'une volaille. En voyage, j'avais adopté comme règle de me nourrir exclusivement, autant que possible, de ce que je pouvais me procurer le plus facilement sur place.

Quand le dîner fut terminé, le docteur, selon son usage, commença à s'occuper de ses malades ; il y en avait bon nombre qui réclamaient ses soins, quoique tous eussent l'air assez bien portants. Les uns avaient la fièvre ; d'autres des indispositions plus ou moins graves. Beaucoup accusèrent dans diverses parties du corps des douleurs qui nécessitaient une application d'iode. Il fallait donc une plume pour faire une brosse et on dût se procurer une volaille. Mais les volailles étaient plus difficiles à attraper qu'on n'aurait pu le supposer, et le village tout entier s'était mis en chasse avant qu'on eût pu en saisir une, puis une seconde, pour lui arracher une plume. Quelques minutes après, une douzaine de bras, de jambes et de dos nus étaient enduits d'iode et exposés au soleil pour sécher. La quinine fut également instamment demandée et libéralement distribuée.

Hutte de Pépohoans
Hutte de Pépohoans

Il était trois heures de l'après-midi et nous nous trouvions encore à dix kilomètres de Kasanpo. Reprenant notre route le long de la rivière, nous arrivâmes à ce village à cinq heures et nous dirigeâmes vers la demeure d'un certain Ah-toan, vieillard que le docteur connaissait.

Il était absent, mais il parut bientôt, poussant devant lui son troupeau. Il fut, lui aussi, enchanté de nous voir, et nous prépara une chambre où nous déposâmes nos effets. Sur la véranda, derrière le logis, on avait ménagé et voilé sous un écran une petite salle de bains, dont nous nous empressâmes de profiter.

Dès notre arrivée, les villageois s'étaient rassemblés pour nous regarder ; mais il me fut difficile de comprendre pourquoi la portion masculine du hameau, semblant considérer notre visite comme un incident comique, avait mis de côté les allures respectueuses particulières à leur race. Un vieux sauvage, d'une taille d'au moins deux mètres, s'empara de mon chapeau de moelle végétale, le tourna et le retourna, l'examina au dedans et au dehors, et finit par laisser éclater un bruyant éclat de rire. Je remarquai également que ses muscles faciaux n'obéissaient plus à sa volonté, et que, malgré son désir évident de rester poli, il lui était impossible de rendre à sa physionomie son expression normale de gravité : tous ses efforts n'aboutirent qu'à rendre sa grimace plus affreuse encore. Son haleine me donna l'explication de cette coupable désinvolture : je flairai le sam-shu, et j'appris bientôt que les villageois, ayant couvert de chaume la maison d'un voisin, avaient été, selon l'usage, conviés à une orgie de boissons. Il faut savoir que les Pépohoans distillent une eau-de-vie très forte de la pomme de terre douce qu'ils cultivent, de même que le riz, comme article d'alimentation.

Je vais maintenant essayer de décrire notre chambre à coucher ; mais avant tout je dois dire que les huttes pépohoannes sont infectées de rats et que notre domicile n'était pas à l'abri de leurs ravages. Cette chambre mesurait environ deux mètres et demi en tous sens ; la moitié de cette superficie était occupée par une plate-forme de bambou s'élevant de quarante-cinq centimètres au-dessus de l'aire d'argile. C'était là notre lit ; le mobilier se composait uniquement de deux billes de bois servant de coussins. Sur cette dure couche je m'étendis en attendant que le souper fut prêt, lequel souper devait consister en une volaille qui nous avait coûté une demi-couronne (trois francs) et que Ahong apprêtait dans la chambre voisine. Le pauvre diable était très fatigué ; mais il aimait à cuisiner, spécialement quand il y avait abondance de lard de cochon.

Rien ne stigmatise davantage le sauvage que son insouciance pour ces organisations sociales, de peu d'importance, il est vrai, mais à défaut desquelles la vie serait à peine supportable pour les races civilisées. Ainsi, les Pépohoans, avec le plus vif désir de nous être agréables, s'arrangèrent de façon à allumer un grand feu de roseaux destiné à cuire le riz de nos gens, dans une situation telle que des nuages de fumée épaisse arrivaient jusqu'au lieu où nous reposions. Sans doute, il ne leur était jamais venu à l'idée que la fumée pût incommoder quelqu'un.

En guise de lampe, nous avions une petite coupe d'huile dans laquelle brûlaient quelques brins de moelle végétale. A la lueur de cette lumière tremblotante, je vis, grâce à la fumée fuligineuse, les murs d'argile se noircir et les chevrons se vernisser. Dans un coin, au-dessus de ma tête, se trouvaient une gerbe de tabac vert, une ou deux lances, un arc, une poignée de flèches, un fusil primitif. Enfin — chose que je n'avais pas encore remarquée — une grande huche de riz non vanné était placée à côté du lit, ce qui me donna l'espoir que les rats trouveraient là pendant la nuit assez d'occupations pour ne pas venir troubler notre sommeil.

Montagnards de Formose
Montagnards de Formose

Ahong m'informa, en grand secret, que l'adresse des sauvages de ce canton, dans le maniement de l'arc et des flèches empoisonnées, n'était pas moins extraordinaire que le sang-froid avec lequel ils faisaient bouillir et mangeaient leurs ennemis les Chinois au cœur si tendre, mais aux membres si coriaces. Il me supplia de ne pas m'aventurer plus loin, les montagnards ne se montrant jamais quand ils attaquent, mais lançant leurs flèches en l'air avec une telle précision qu'en tombant elles s'enfoncent dans le crâne de leurs victimes qui meurent instantanément. Je me contentai de recommander à Ahong de se garantir soigneusement la tête. Le poulet qu'il nous servit était aussi dur qu'aurait pu l'être un Chinois même bouilli pour un festin de cannibales ; quant à notre théière, elle avait contenu du sam-shu.

Presque toutes les habitations pépohoannes forment les trois côtés d'un carré et comprennent, sur le devant, une cour où sèchent les récoltes et où la famille se livre à tous les soins domestiques. Dans la soirée, vers neuf heures, les indigènes se réunirent en grand nombre autour d'un feu de bois qu'ils avaient allumé dans cet espace libre. Les vieillards et les enfants s'accroupirent autour du foyer, fumant leurs pipes et bavardant, et accostés d'une meute de chiens aux oreilles droites qui tenaient leurs yeux attentivement fixés sur les tisons pétillants. La lueur du foyer venait effleurer les troncs des palmiers voisins et se jouer dans les feuilles tremblantes des bambous en surplomb, tandis que les étranges figures groupées autour du feu tantôt se détachaient en vigoureux relief sur l'obscur arrière-plan, tantôt s'évanouissaient en ombres impalpables, selon que les flammes montaient ou s'affaissaient sous le souffle intermittent de la brise.

On empila dans le foyer du bois et des roseaux ; le feu s'activa de plus en plus, et l'entrain de la réunion sembla se développer à mesure que la chaleur devenait plus intense. Enfin, les jeunes gens des deux sexes déblayèrent un certain espace de terrain, se prirent les mains, et, s'étant formés en demi-cercle, entonnèrent un chant plaintif dont le rythme réglait une danse aussi légère que gracieuse. Un homme entama seul le motif, auquel les autres hommes se joignirent par un chœur d'interrogations terminées toutes par l'exclamation : Hai ! Les femmes y répondirent par un autre chœur. Puis vint une seconde strophe dont chaque stance finissait par Sakiéo ! Le mouvement s'accéléra graduellement, entraînant les danseurs dont les pieds agiles s'agitaient vivement tout en suivant la mesure avec la plus extrême précision. Les belles proportions des danseurs se détachaient gracieusement sur les lueurs projetées par le foyer. La mesure se fit de plus en plus rapide, jusqu'à devenir enfin furieuse ; le mot Sakiéo avait fait place à des cris sauvages ; on n'apercevait plus que vaguement les danseurs plongés dans une poussière lumineuse, comme des fantômes vaguant dans l'espace.

La danse se prolongea jusqu'à une heure avancée ; l'hôtesse, prudemment, n'avait pas encore servi à ses invités de boisson plus enivrante que du thé, discrétion due, probablement, à la présence d'Européens. Quoi qu'il en soit, je dois dire que jamais encore, même chez les montagnards écossais, je n'avais assisté à un si sauvage déploiement d'esprits animaux.

Nous ne pûmes dormir beaucoup, les rats n'étant pas la seule vermine que nous eussions à redouter ; deux ou trois fois même je sentis des rongeurs me passer sur le corps pour gagner la huche au riz.

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Dans les gorges du haut Yang-tszé

Bateau du Széchuan. Haut Yang-tszé.
Bateau du Széchuan. Haut Yang-tszé.

Plus nous nous enfoncions dans les Gorges et plus la scène se faisait sombre et désolée, le défilé étroit et dénudé présentant un contraste frappant avec les vastes plaines cultivées que nous avions rencontrées dans notre voyage depuis la mer, sur une étendue de plus de 1.000 kilomètres.

Les seuls habitants de cette région semblaient être quelques pêcheurs exerçant leur profession parmi les rochers et dont on pouvait voir les huttes grossières haut perchées sur la montagne, dans des anfractuosités inaccessibles en apparence. Encore ces habitations méritaient-elles à peine le nom de huttes ; du moins celles que nous visitâmes étaient, ou des grottes naturelles, ou des trous creusés dans le roc et dont la clôture ressemblait à la façade d'une cabane de chaume ordinaire.

Ces demeures souillées de fumée me rappelaient les anciennes grottes qui servaient d'abris à nos ancêtres, dans la baie de Wemyss en Écosse. L'intérieur en était noir et triste, le plancher d'argile froid et couvert d'os et de rebuts ; à la pâle lueur d'une lampe placée dans une fente de rocher, on apercevait la figure grimaçante d'une petite idole et les quelques meubles primitifs qui composaient toute la fortune des propriétaires. Une résidence semblable avec son contenu pourrait être organisée moyennant la modique somme de vingt-cinq francs, et c'est là pourtant qu'il nous fut donné de constater la frugalité et l'industrie chinoises dans toute leur plénitude. En dehors des grottes, partout où, en face du rocher, se rencontrait un peu de terre végétale, ce sol avait été travaillé et planté de légumes. Dans toute l'acception du mot, c'était tirer du pain de la pierre !

Un peu plus loin, nous vîmes une quantité d'individus occupés à extraire la pierre et à construire des digues. En beaucoup d'endroits dans les environs, le courant avait miné la formation calcaire de rochers, de sorte que les parties les moins dures de ceux-ci s'étant détachées, il ne restait plus qu'une série de piliers de silex de l'aspect le plus drolatique, supportant la strate supérieure, à 300 mètres au-dessus de nos têtes. Ailleurs, les rochers ressemblaient aux hautes murailles et aux remparts d'une ville fortifiée, ou aux créneaux et aux tours d'une citadelle.

La bataille de la vie est dure pour les habitants de cette stérile région ; mais c'est une race bien trempée, indépendante, méprisant profondément l'esprit de mendicité qui anime ses concitoyens des plaines. La misère est générale dans ces montagnes, et je n'y ai rencontré qu'un seul mendiant.

Nos gens dormaient sur le pont à ciel ouvert, et le froid était si vif que je craignais, chaque matin, d'en trouver quelques-uns de morts. Mais ils se serraient l'un contre l'autre sous la banne de nattes, de façon à empêcher la bise nocturne de leur glacer le sang.

Près de l'extrémité supérieure de la gorge, les huttes avaient meilleure apparence, le sol était mieux aménagé, et on apercevait de petits vergers où les pruniers étaient en pleine floraison, même à cette époque de l'année.

Le 8 février, nous fûmes obligés de perdre une demi-journée en un lieu nommé Kwang-loung-miau, pour permettre à l'équipage de célébrer le nouvel an chinois. La cérémonie s'accomplit à l'autel du village dressé sur un emplacement pittoresque, entouré de pins et adossé à une montagne de 600 mètres de hauteur. Ici, Tchang eut une violente querelle avec les bateliers, qui, assura-t-il, avaient souillé son honorable nom. Il se plaignit de leur conduite désordonnée et de leur intempérance. Mais j'eus bientôt occasion de constater que notre vénérable interprète n'était pas sans péché, et qu'il ne pouvait lui-même se tenir debout. Il me conseilla de traduire les principaux délinquants devant le premier magistrat que nous rencontrerions, et, s'il était nécessaire, de les faire décapiter pour leur enseigner la sobriété.

De fait, ils menèrent grand train pendant la nuit, tirant des pétards, se querellant et se livrant à un jeu effréné ; mais, dès le lendemain matin, ils étaient à l'ouvrage, quoique certains d'entre eux eussent vendu une partie du peu de hardes qu'ils possédaient, afin de mieux commencer l'année, ce qui leur donnait un air plus sauvage encore que d'habitude. Ils s'animèrent bientôt, au moment où, après avoir dépassé la première gorge, nous franchissions un rapide. C'était le premier et peut-être le plus dangereux de tous. Presque tous nos hommes, attelés à une ligne de halage, couraient sur la berge en poussant des hurlements diaboliques qui dominaient les mugissements du fleuve, tandis que, amplifiant le bruit, le mousse frappait sur un gong, et le cuisinier sur un petit tambour dans le but d'exciter les hommes à déployer toute leur vigueur.

Le grand rapide. — Gorge Mitan.
Le grand rapide. — Gorge Mitan.

Vers le milieu du rapide notre bateau s'arrêta subitement, comme s'il eût donné contre un récif, quoique les haleurs tirassent de toute la force de leurs bras, les pieds fermement appuyés sur les rocs. Le patron, trépignant et dansant sur le pont, adressait à l'équipage des cris désespérés ; les hommes y répondirent par une sauvage exclamation, et, grâce à un suprême effort, lancèrent notre bateau sur l'eau tranquille. Le danger de ce rapide consiste moins dans sa violence que dans l'étroitesse du canal et dans la multitude de rochers immergés, ou à fleur d'eau, sur lesquels, en cas de rupture de la corde de halage, un bateau doit nécessairement dériver et se briser en mille pièces.

Dans la seconde gorge, la Gorge Lukan, les montagnes sont plus hautes ; en quelques endroits, elles se dressent comme pour escalader le ciel et pour empêcher totalement la lumière d'arriver au fleuve déjà si noir. Ces rochers portaient d'étranges marques perpendiculaires ressemblant à des sondages de puits de mines. Selon toute probabilité, les marques sont dues à l'action naturelle du sable. De petits cailloux durs, emprisonnés dans la roche tendre, ont, avec le temps et à l'aide du sable et de l'eau, percé ces trous verticaux ; l'attrition de l'eau sur la face des rocs a fini par mettre ces ouvertures à jour.

Au rapide suivant, le Shan-tow-pien, nous vîmes les débris de deux bâtiments de commerce de Széchuan, ce qui portait à neuf le nombre des navires naufragés que nous avions rencontrés depuis Itchang. La neige tombait à flocons pressés, tandis que nous nous frayions un chemin à travers les rochers jusqu'au village qui se prolongeait jusqu'au bord de l'eau. Au crépuscule, nous nous trouvions en face d'une petite cabane construite avec les épaves d'un bateau naufragé. Le propriétaire de ce bateau, un vieillard, y résidait depuis quelques jours. Il avait un aspect des plus misérables, mais il ne voulut jamais consentir à nous parler et refusa dédaigneusement nos offres de service.

La gorge Mitan. — Haut Yang-tszé.
La gorge Mitan. — Haut Yang-tszé.

Nous étions arrivés au grand rapide du haut Yang-tszé, à l'embouchure de la gorge Mitan. Pendant que je prenais une épreuve photographique, je fus accosté par un mandarin qui me fit de nombreuses questions sur mon nom et mes titres, mon pays et mes parents ; n'ayant jamais vu encore un appareil photographique, il me demanda de lui montrer le résultat de mon travail. Quand je lui présentai l'épreuve, il s'informa par quels moyens possibles un dessin aussi parfait pouvait être exécuté en aussi peu de temps ; puis, sans attendre ma réponse, et après m'avoir lancé un regard anxieux pour s'assurer que je n'avais ni cornes, ni griffes, ni queue visible, il s'esquiva à toutes jambes, emportant peut-être la conviction que mon art était de la sorcellerie et que mes insignes diaboliques se trouvaient seulement soigneusement dissimulés. Aussi, quand je pris une autre vue dans le même village, fus-je entouré par une foule de spectateurs effarés qui, bien que je leur eusse expliqué que je ne faisais qu'exécuter un dessin, me donnèrent quelques marques de leur frayeur sous forme de pierres et de mottes de terre. Tchang essaya de son éloquence sur cette population, mais en pure perte.

Nous empaquetâmes nos instruments en toute hâte et descendîmes la berge pour traverser le fleuve et gagner l'autre rive, où mes compagnons faisaient leurs préparatifs pour remonter le rapide. Sans doute quelques-uns de ces villageois connaissaient la superstition populaire d'après laquelle les dessins comme les miens étaient exécutés avec les yeux de petits Chinois. Ce fut avec peine que j'esquivai un coup d'aviron que me porta un indigène, au moment où je me réfugiais dans un des bateaux ; le coup était lancé avec une force telle, que l'auteur de ce méfait faillit tomber la tête la première dans l'eau.

Ce rapide est le plus grandiose de tous les panoramas du fleuve. En émergeant de la passe, l'eau présente une surface unie ; tout à coup, elle semble se recourber comme un cylindre de verre poli, fait un bond de deux à trois mètres, se condense en une magnifique crête d'écume, et se précipite dans la gorge en mugissant. Pendant cette saison, des rochers rendent très dangereux le passage de ce rapide. En descendant, nous obtînmes de Tchang de venir dans notre bateau ; mais tandis que celui-ci plongeait en faisant craquer sa membrure, le pauvre garçon devint véritablement malade de frayeur. Il y avait, d'ailleurs, de quoi trembler ! Le pilote qui nous servait alors était un homme grand, osseux, avec des yeux noirs perçants, une immense moustache et une bouche meublée de dents de renard. Avec son aide, il dirigea le bateau vers ce qui semblait la pire partie du rapide, et le lança tout droit sur les flots écumants. Après le premier plongeon, le bateau vira la proue en avant, secoué à ce point que je m'attendais à le voir se disloquer et couler. Pendant ce temps, le pilote, agitant ses longs bras, hurlait et gambadait sur le pont comme un démon, de façon à nous faire croire que le bateau était perdu, tandis qu'en réalité il ne faisait que diriger les timoniers. Mais le bateau, indifférent aux imprécations, aux avirons et au gouvernail, fila en avant avec une impétuosité effrayante, portant droit sur les rocs, les évita au dernier moment, alors que le pilote s'abandonnait au désespoir, et finit par tomber sur une eau relativement tranquille. Cette mimique du pilote fait probablement partie de son emploi. Elle lui sert lorsqu'il vient réclamer son dû augmenté du léger surcroît auquel il s'imagine avoir droit pour avoir sauvé votre vie en risquant la sienne.

Les périls de ce passage sont rendus flagrants par les débris de navires qui couvrent le rivage, par les bateaux de sauvetage en service constant, ou par ce fait que les Chinois déchargent leurs bateaux, aux abords du rapide, et se font transporter par terre, eux et leur cargaison, jusqu'aux eaux tranquilles en amont.

Ce rapide — le Tsing-tan — constitue donc le plus grand des obstacles à la navigation à vapeur sur le haut Yang-tszé. Nous dûmes louer cinquante hommes du village pour aider nos hommes à haler le bateau contre le courant qui, en cet endroit, a une vitesse de huit nœuds à l'heure ; mais je ne vois pas de raison qui puisse empêcher l'espèce de steamer inventée par le capitaine Blakiston de naviguer sur le rapide, aussi bien que sur tout autre rapide du fleuve, la puissance de vapeur étant susceptible d'être détachée et utilisée, soit pour tirer le bâtiment en amont, soit pour en retarder la vélocité dans la descente. Dès que le fleuve sera ouvert au commerce, la science et l'industrie ne tarderont pas à se mettre audacieusement à l'œuvre pour réaliser le but proposé.

Les montagnes de cette gorge sont de dimensions aussi prodigieuses que celles de la passe Lukan dont j'ai parlé.

Village minier, dans la province de Hunan.
Village minier, dans la province de Hunan.

Le 11, nous arrivâmes à une petite ville entourée de murs du nom de Kwei. Nous n'y vîmes ni une barque ni un être humain, indiquant un commerce quelconque. Si, cependant ! Il y avait un homme, un seul, un mendiant, sur la berge ; encore était-il sur le point de quitter la place.

Nous nous arrêtâmes là pour la nuit, et, le lendemain malin, nous allâmes visiter quelques mines de charbon en un lieu nommé Patung. La strate calcaire dans laquelle est encastrée la houille se dresse en murailles presque perpendiculaires sur la rive du fleuve. Des galeries avaient été pratiquées sur la face du rocher, mais toutes étaient de dimensions excessivement restreintes, de simples sillons sans profondeur. Aucune perche de soutien, aucun essai de ventilation. Le charbon abonde et, même avec cette exploitation élémentaire, on en extrait des quantités considérables ; mais la qualité en est inférieure à celle des échantillons que nous avions recueillis plus haut dans la gorge. Pour travailler, le mineur porte une lampe fixée à sa coiffure et assez semblable à celle dont on se servait avant l'invention de sir H. Davy. Le charbon était jeté de l'orifice du puits dans une entaille creusée sur la surface de la falaise ; le transport s'en faisait dans des hottes, à dos de femme.

Cette localité renfermait plusieurs villages miniers, où des familles tout entières étaient employées à cette industrie ; les enfants fabriquant du combustible en mélangeant le charbon avec de l'eau et de l'argile, et composant avec ce mélange des blocs pesant chacun un catty (600 grammes). Les mineurs gagnent environ huit francs soixante-quinze centimes par semaine ; leur journée est de neuf heures, de sept heures du matin à quatre heures de l'après-midi.

Le baron de Richthofen nous affirme qu'il y a beaucoup de charbon dans le Hunan et le Hupeh, et que dans le Széchuan il embrasse d'immenses surfaces. Il ajoute qu'au taux de la présente consommation, le monde entier trouverait à s'approvisionner pendant dix siècles dans le seul Shensi méridional ; et cependant, dans les localités dont il parle, la généralité de la population chinoise emmagasine du bois et des tiges de millet comme combustibles d'hiver, tandis que le charbon se trouve à sa portée en quantité illimitée. Ces vastes zones houillères seront la base de la grandeur future de la Chine, quand la vapeur pourra venir en aide au développement de son incroyable richesse minérale.

La gorge Wu-shan, dans laquelle nous entrâmes le 18 au matin, vers 10 heures, a plus de 32 kilomètres de longueur. Le fleuve était parfaitement tranquille, et le spectacle qui frappa nos yeux au moment où nous abordâmes la gorge était un des plus beaux que nous eussions encore eu à admirer. Les montagnes s'élevaient en masses confuses jusqu'à une prodigieuse hauteur ; le pic le plus éloigné, à l'extrémité du défilé, ressemblait à un saphir taillé et était sillonné de bandes de neige scintillant au soleil, comme les facettes d'une gemme, tandis que les falaises, s'abaissant graduellement en lignes profondes, venaient rejoindre les premier plans noyés dans la lumière et l'ombre.

Les officiers d'une canonnière, qui stationnait sur la ligne frontière séparant les provinces de Hupeh et de Széchuan, nous avertirent de nous défier des pirates, et ils avaient de bonnes raisons pour nous donner ce conseil. Nous jetâmes l'ancre en un endroit ou les rochers, surplombant, produisaient dans le voisinage une funèbre obscurité. Il était environ 10 heures, lorsque le patron nous fit dire de préparer nos armes, des pirates rodant aux alentours. Un bateau venait de passer sans bruit le long de notre bord, et ceux qui le montaient se parlaient à voix basse. Nous les hélâmes sans obtenir de réponse, et nous fîmes feu au-dessus de leurs têtes. La riposte, un éclair et une détonation, nous arriva de quelques hommes postés non loin de là sur la berge. Nous veillâmes toute la nuit, et, vers 2 heures du matin, nous dûmes héler l'équipage d'un bateau qui se glissait silencieusement de notre côté. Nous fûmes obligés une seconde fois de faire feu ; le pétillement de nos balles sur les rochers eut pour effet d'empêcher de nouvelles agressions de notre ennemi invisible. Ceux qui avaient ainsi troublé notre repos devaient parfaitement connaître cette partie du fleuve, car, même en plein jour, il y règne une certaine obscurité, et, pendant la nuit, elle est si noire que pas un bâtiment de commerce n'oserait quitter son ancrage d'une seule encablure.

Une autre nuit, dans la même gorge, mon domestique entra dans la cabine, le visage blême de frayeur, et me dit qu'il venait d'apercevoir un groupe d'esprits lumineux voltigeant dans la passe. Il s'était certainement passé quelque chose d'anormal, car jamais jusque-là je n'avais vu mon domestique saisi d'une aussi profonde terreur. Nous le suivîmes donc sur le pont, et, en levant les yeux sur la falaise qui se dressait au-dessus de nos têtes à une hauteur d'environ 250 mètres, nous vîmes, sur la surface du roc, trois lumières effectuant les plus étranges évolutions. Mon vieux serviteur, sur le visage duquel perlait une sueur froide, affirma qu'il distinguait parfaitement des sylphes agitant des lumières, dans le but de signaler l'abîme aux voyageurs. La véritable explication de ce phénomène c'est que cette gorge même renferme des êtres infortunés, des condamnés murés dans des cellules taillées dans le roc vif, dans lesquelles ils sont descendus par leurs geôliers de la cime de la falaise et dont ils ne peuvent s'échapper qu'en se précipitant dans le fleuve, risquant infailliblement leur vie.

Indigènes de Széchuan.
Indigènes de Széchuan.

Là aussi nous rencontrâmes des habitants d'un cachet tout différent, un certain nombre de disciples de Laou-tsou qui vivent en ermites dans ces sombres solitudes. Dans une grotte, nous trouvâmes les restes d'un philosophe maoïste de cette espèce ; cet anachorète était, m'assura mon domestique, mort à l'âge respectable de deux cents ans. Plusieurs de nos bateliers déclarèrent qu'ils savaient qu'il était âgé de plus d'un siècle. Ses restes reposent au centre de la grotte, couverts d'une pyramide de pierres et de mottes de terre jetées en passant par des montagnards.

La journée du 15 février fut marquée par un désastre tandis que nous montions un rapide. Le bateau fut saisi par un coup de vent, lequel, aidé par un violent remous, allait le submerger lorsque le second, l'homme le plus actif que nous eussions à bord, s'élança à l'avant et coupa le câble de tirage. Les haleurs, inopinément dételés, s'en allèrent roulant sur les rochers, tandis que le bateau, se relevant tout d'un coup, tourna d'abord sur lui-même, puis glissa sur la chute et ne s'arrêta qu'à 800 mètres plus loin, sur un petit banc de sable. Jusque-là tout était bien ; mais nous étions d'un côté du courant, quand notre équipage était resté sur l'autre. Comme nous nous trouvions près d'un village, nous y poussâmes pour prendre un bateau qui transportât nos hommes ; mais personne ne consentit à bouger avant de recevoir d'avance une somme presque équivalente au prix d'un village pareil au leur. Nous leur offrîmes ce que les bateliers considérèrent comme un prix raisonnable. Sur leur refus catégorique, nous sautâmes dans un de leurs bateaux en les menaçant de le diriger nous-mêmes ; ce que voyant, ils jugèrent à propos de s'humaniser et conclurent un marché acceptable.

Pour la nuit, nous nous arrêtâmes à la sortie de la gorge Wu-shan. En face de nous, sur la rive gauche, s'élève la ville murée de Wu-shan entourée de collines basses et de champs bien cultivés. Là se trouve l'embouchure d'un petit affluent du Yang-tszé, sur lequel se transporte une grande quantité de sel extrait d'une mine nommée Ta-ning.

Ce district produit principalement de l'opium, de la soie et du thé ; il est aussi particulièrement riche en fruits de diverses espèces. Nous y achetâmes, à un franc vingt-cinq centimes le cent, les meilleures oranges que j'eusse mangées depuis que j'étais en Chine.

Le jour suivant, nous tentâmes vainement d'atteindre, Kwei-tchow-fu ; il nous fut impossible de faire tête à un orage épouvantable qui balayait la gorge, remplissant l'air de nuages d'un sable fin qui nous aveuglait. Nous ne pûmes donc quitter Széchuan que le 16, ayant remonté le fleuve sur une distance de 1.900 à 2.000 kilomètres depuis Shanghaï.

Notre voyage de retour s'accomplit d'une façon relativement facile, et dix-huit jours plus tard nous mettions de nouveau le pied sur la colonie étrangère de Hankow.

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