Dominique Gandar, S.J.

LE CANAL IMPÉRIAL. Étude historique et descriptive.

Variétés sinologiques n° 4. Imprimerie de T'ou-sé-wé, Chang-hai, 1894. 80 pages + 17 cartes.

 

Le nouveau Canal de transport du tribut impérial n’est pas sorti tout d’un coup du cerveau d’un ingénieur habile et ne peut nullement être comparé aux canaux d’Europe, creusés régulièrement d’un fleuve à un autre : ce sont les circonstances qui l’ont imposé ; c’est l’œuvre de plusieurs siècles. Que d’essais, que de changements avant d’arriver aux limites actuelles ! Que de millions d’ouvriers y ont laissé la vie ! Qui comptera les milliers de mandarins qui y ont perdu leur bouton honorifique, pour n’avoir pas prévenu les désastres des inondations ? Ce n’est que vers la fin du règne de K’ien-long (1736-1796) que le Yun-ho eut un cours définitivement réglé. La nécessité de la lutte pour la vie pouvait seule déterminer le peuple à ne pas renoncer à son entreprise et à recommencer cent fois ce qu’il savait n’être que de courte durée.

Table des matières    *    Extraits : Inondations. Suppliques - Ecluses. Voyage    *   Lire à l'écran

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Table des matières

 

I. — Généralités : La Chine au point de vue hydrographique — Province du Kiang-sou — Département de Yang-tcheou-fou.
II. — Ancien Canal impérial : Les travaux du Grand Yu — Jonction du Yang-tse-kiang et du Hoai-ho (48 av. J. C.) — Canal « du transport du sel » — Réparation du Yun-liang-ho (243 ap. J. C.) — Nouveau Canal de Chan-yang-ho (595 ap. J. C.) — Canal de Hang-tcheou au Yang-tse-kiang (605-616).
III. — Nouveau Canal impérial : Chang-ho et Hia-ho — Déversoirs latéraux sur le Hia-ho — Digues maritimes — Déplacement du Hoang-ho (107) — Lac Kong-tché — Ouverture du Canal du Hoang-ho à Pé-king (1289-1292).
IV. — Entretien du Canal sous les Ming : Entretien du Canal — Versants et barrages — Cataclysmes — Les Pa ou digues volantes — Activité des transports.
V. — Entretien du canal sous les Tsing : Nouveaux désastres — Construction des pa— Le lac Hong-tché — Le transport du riz.
VI. — Canal actuel (1850-1893) : Déplacement du Hoang-ho (1850) — Inondations — Nouvelle distribution des pa, leur réglementation.
VII. — Navigation et transports : Transports et navigation — Écluses tcha — Douanes, ponts, sécurité — Communication avec la mer.
VIII. — Itinéraires : Route des chars de T’sing-kiang-p’ou à Pé-king — Trajet de Hang-tcheou à Pé-king par le Canal impérial.

 


Inondations. Suppliques


... Quelques dizaines d’années après, les mêmes causes avaient produit les mêmes effets. Les digues avaient été enlevées par les inondations, les canaux étaient pleins de graviers, les bords de la mer s’étaient encore exhaussés, peu d’eau se rendait à l’océan et le Hia-ho, aux jours des grands cataclysmes, redevenait mer, lac, ou étang.

Je ne veux pas suivre mon auteur d’année en année ; les mêmes faits se renouvelant trop souvent, mon récit deviendrait monotone. Le règne de K’ang-hi qui dura 61 ans compta dans le Yang-tcheou-fou vingt-cinq inondations. Je me bornerai à en signaler les faits les plus remarquables.

D’abord il est bon de noter qu’à l’époque des grandes calamités publiques, les Chinois deviennent dévots, comme les matelots devant la tempête. Les mandarins prescrivent des jeûnes de pénitence ; les notables cherchent de l’argent et tous les marchands, grands et petits, se cotisent pour réunir la somme nécessaire afin de promener l’idole en procession : c’est une affaire de dix à vingt mille taëls. Au jour fixé, les habitants des villes, non moins zélés que ceux des campagnes, se mettent à la suite du dieu, à travers les rues de la cité durant des heures entières, au milieu d’un vacarme indescriptible. C’est ainsi qu’on le prie de détourner le fléau qui détruit le peuple. Parfois on l’expose aux injures de l’air, pour lui faire comprendre qu’il faut la pluie ou le beau temps. Lorsque tous les dieux connus et invoqués jusque là restent sourds aux supplications du peuple, quelque puissant personnage invente une nouvelle divinité. C’est ce qui eut lieu sous le premier empereur des Ming (1368) : Hong-hou venait de conquérir sur les Mongols l’empire chinois qu’ils avaient gouverné 88 ans ; il pensait jouir en paix de sa conquête, mais le Ciel sembla se déclarer contre lui. Des pluies torrentielles inondaient toutes les provinces. Vainement on avait invoqué tous les génies tutélaires de l’empire ; le fléau ne s’arrêtait point. Lieou Pé-wen, vacher dans son enfance, de même que le nouveau monarque qui en avait fait son premier ministre, trouva un moyen infaillible de faire cesser les pluies. Avec l’approbation de son maître, il fit couler en fonte neuf bœufs, deux tigres et une poule, munis à l’intérieur d’un cœur d’or et d’intestins d’argent. Il fit placer ces bêtes dans les localités les plus exposées aux désastres des inondations. Chao-pé et Ma-pong-wan, bourgs situés sur le Canal impérial et Kao-liang-kien sur le Hong-tché-hou, possèdent chacun un bœuf de fer. Un autre bœuf, un tigre et la poule se trouvent dans la pagode de la Reine du ciel à T’ien-fei-tcha.

Sous le règne de K’ang-hi le fléau des inondations se reproduisit très fréquemment. Un censeur de l’empire, Tchang P’ong-ho, dans une requête au trône, en signala la cause : c’est que les bœufs de Hong-hou étaient vieux, couverts de rouille et devenus incapables d’arrêter les pluies. En conséquence, le sage conseiller demandait qu’ils fussent renouvelés. L’illustre Tartare approuva la supplique : de nouvelles bêtes à cornes allèrent prendre la place des anciennes qui s’étaient laissé enlever le cœur et les entrailles par des gens avides d’or et d’argent. Mais les inondations ne cessèrent pas de désoler l’empire.



Passage d'une jonque.
Passage d'une jonque.


Ecluses. Voyage.

La quatrième [écluse] est de beaucoup la plus importante. C’est T’ien-fei-tcha l’écluse de l’épouse du ciel. Les géographes l’appellent aussi Hoei-tsi-tcha. Plusieurs fois elle a changé de place et a été souvent réparée et même reconstruite à neuf. Elle se trouve à une vingtaine de li de T’sing-kiang, sur la rive droite de l’ancien lit du fleuve Jaune. Sa principale destination était de régler le cours des eaux de la Hoai au passage du fleuve ; c’était le point de jonction de ces deux grandes artères fluviales. La Hoai donnait au fleuve Jaune les trois dixièmes de ses eaux, le reste alimentait le Canal du transport : aujourd’hui elle s’y déverse entièrement ; mais comme son niveau est plus élevé que celui du Canal, il faut le service des quatre écluses pour l’abaisser peu à peu. Dans le Chan-tong il y a encore deux fameuses écluses. C’est Fen-choei-tcha à Tsi-ning-tcheou et Lin-t’sing-tcha dans le Tong-t’chang-fou. Ce n’est pas une petite affaire pour les jonques que franchir ces écluses. En voici une en présence de T’ien-fei-tcha : quatre-vingts à cent individus se présentent pour remonter l’embarcation ; les uns portent des gaffes ; les autres des câbles pour les cabestans ; tous crient beaucoup. Il faut s’entendre avec le chef et convenir des milliers de sapèques qu’il faudra payer. Tout est prêt : de l’un et l’autre côté les cabestans sont armés ; les uns tirent, les autres poussent, les fervents dévots parmi les passagers sont dans la pagode T’ien-fei-miao, priant le T’ié-niou bœuf de fer, de les assister. Malgré tant d’efforts le bateau monte lentement ; souvent la violence du courant le fait reculer. Enfin un cri suprême se fait entendre, le tam-tam redouble et précipite ses sons aigus, la barque est à moitié passée. Encore un coup et la voilà dans le bief supérieur. Ce coup est donné et tous ces gens en guenilles de jeter leurs instruments et de courir à la distribution des sapèques. La descente est plus facile et plus rapide, il faut moins d’hommes pour retenir le bateau. Néanmoins il arrive assez souvent que le pilote maladroit heurte et brise son navire contre la paroi de l’écluse. Tout n’est pas plaisir à voyager.

Sur le Canal impérial il y a des barques à louer pour tous les goûts et pour toutes les bourses, grandes et petites, riches et pauvres. Vous aimez la solitude, prenez une barque pour vous seul ; elle ne vous coûtera pas un millier de sapèques pour toute la journée. La batelière vous offrira son riz et ses herbes moyennant trente-trois sapèques par repas, et vous cuira aussi vos propres provisions. Si vous voulez y passer la nuit, étendez votre lit et vous dormirez bien tranquille. Vous préférez voyager en compagnie, montez sur cette barque diligence ; tout le monde y peut prendre place à raison d’une sapèque par li. Vous avez des marchandises à transporter, cherchez l’embarcation qui vous convient, assurément vous la trouverez.

Des barques sur le Canal impérial ! On en compterait par centaines de mille. Rien qu’à Yang-tcheou, à l’époque du nouvel an, on en voit une file de douze à quinze li, toutes ancrées au rivage. Il en est de même, proportion gardée, le long des autres villes et des très nombreux bourgs situés sur les bords du Liang-ho. Si, aux embarcations de transport, on ajoute celles des pêcheurs et autres petites gens qui vivent sur le Canal : on arrivera à un chiffre dont rien ne donne l’idée dans les contrées d’Europe.

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