Charles de Harlez (1832-1899)

Charles de HARLEZ (1832-1899) : La médecine dans l'empire chinois. Le Muséon, 1897, vol. XVI, pages 413-428 ; 1898, vol. XVII, pages 22-34.


LA MÉDECINE DANS L'EMPIRE CHINOIS

Le Muséon, 1897, vol. XVI, pages 413-428 ; 1898, vol. XVII, pages 22-34.

  • "Il n'entre point dans notre intention, et nos lecteurs nous en sauront gré, de donner un traité plus ou moins complet de l'art médical chez les anciens Chinois. Nous ne voulons que présenter ici quelques traits principaux qui fassent connaître sommairement l'état de la médecine, la constitution du corps médical dans la Chine antérieure au Christ."


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I. La médecine dans la Chine antique

Nous ne pouvons, à cet effet, remonter bien haut dans les âges passés : les documents nécessaires font complètement défaut. Les vieux Kings sont muets et ne mentionnent ni les médecins chinois ni leur art ou leurs pratiques. Nous devons revenir jusqu'au Tcheou-li pour obtenir les renseignements désirés. Mais là, en revanche, nous trouverons de quoi nous satisfaire; trop peut-être, parce que le nombre et l'ordre parfait des institutions qui sont énumérées et expliquées dans ce livre, font craindre que son auteur n'ait ajouté à la réalité des faits. Quoiqu'il en soit, nous allons présenter à nos lecteurs tout ce que nous pouvons y puiser concernant notre sujet.

La capitale de l'État de Tcheou (l'Ile-de-France de la Chine du Xe au IIIe siècle av. J.-C.) avait un corps médical au service de la population comme de l'empereur et composé de la manière suivante:

1. Un préposé général, appelé i-sse, ou chef des médecins, avec un comité de six membres, tous gradués, secondés par deux garde-magasin, deux secrétaires et vingt appariteurs, préparateurs, etc.

2. Un chef des médecins proprement dits avec huit gradués comme conseil.

3. Un chef des chirurgiens, assisté d'un même nombre de gradués.

4. Un préposé à l'hygiène des repas, aidé de deux gradués seulement.

Voici les fonctions assignées à ces différentes classes d'Hippocrate, telles que les décrit le livre V du Tcheou-li et que les expliquent les commentaires.

Et d'abord le chef suprême des médecins.

À lui appartient la direction générale du corps médical soumis à ses ordres.

Il a la main haute sur tous les médicaments et les poisons pour les faire servir à l'art médical. Tous les malades, tous les blessés du royaume, ceux qui ont des maux de tête ou des plaies doivent d'abord lui faire connaître leurs maux ; il les partage alors entre les divers médecins selon leur spécialité et celui qui est assigné à chacun traite les malades qui lui sont attribués de cette façon.

Les médecins traitent ainsi les malades pendant toute l'année. À la fin de ce terme, le chef-médecin constate ce que chacun a fait et, d'après cela, règle leurs émoluments.

Le calcul est fait par nombre de dix guérisons. Celui qui atteint ce maximum est au premier rang ; neuf guérisons et un insuccès, forment le second ; deux insuccès sur dix cas en constituent le troisième ; quatre insuccès mettent le praticien au dernier rang.

Le texte ne va pas plus loin, mais il semblerait qu'une moitié d'échecs médicaux priverait le médecin de ses émoluments. Mais ces échecs consisteraient plutôt en une maladresse du médecin qu'en un simple insuccès ; car le médecin ne peut être tenu à guérir ce que la médecine déclare incurable. Nous avons vu ailleurs, par l'histoire du prince de Tsin, que le médecin prévoyant l'impossibilité de guérir la maladie pour laquelle il est appelé, doit être considéré comme praticien habile. Aussi le commentateur Shui-shi dit-il simplement que le médecin doit savoir reconnaître autant de cas guérissables ou non et guérir les premiers.

Les médecins proprement dits sont chargés de soigner toutes les maladies de tous les habitants du royaume.

Le texte observe à ce sujet que chacune des quatre saisons a ses maladies particulières, causées, dit le commentaire, par le manque d'accord, de combinaison harmonique des éléments composant les corps.

Au printemps, ce sont les maux de tête et les maladies de la peau ; en été, les éruptions, l'érésipèle et autres ; en automne, les refroidissements et les fièvres ; en hiver, les toux et les transports au cerveau.

Ces maladies se traitent par les médicaments des cinq goûts, les cinq espèces de grains : blé, millet, panic, chanvre et dolichos et les cinq genres de substances médicinales.

Les pronostics de vie ou de mort se tirent des cinq exhalaisons ou des cinq expirations par les cinq organes secrets du corps : le foie, le cœur, les poumons, les reins et l'estomac. Le souffle des poumons est brûlant ; celui du cœur est moins chaud ; celui du foie est froid ; celui de l'estomac est tiède ; celui des reins est glacé. Telle est leur nature : le médecin doit examiner s'ils l'ont conservée et comment ils ont dévié.

Mais cet examen ne suffit pas ; le médecin doit en faire un second qui a pour objet les changements survenus à l'état normal des neuf orifices du corps, s'ils sont plus ou moins ouverts ou fermés, s'ils varient de symptômes. Après cet examen, un troisième est encore nécessaire ; il doit s'appliquer aux neuf organes secrets, à savoir les cinq dont il a été parlé plus haut et quatre autres encore : le grand et le petit intestins, la vessie et l'œsophage. Mais il n'y a pas redondance quant aux cinq premiers ; tantôt il s'agissait de leur état, maintenant ce sont leurs mouvements, leurs variations dont il est question. Ils soignent ainsi les gens du peuple selon qu'ils ont été confiés spécialement et séparément à leurs soins. Si quelque malade jeune ou vieux vient à mourir, son médecin doit mettre par écrit les causes et les circonstances du décès et remettre cet écrit au médecin en chef.

Celui-ci juge d'après ce rapport, des émoluments qui reviennent aux praticiens traitants ; il voit en outre quels malades on peut leur confier à l'avenir.

Tout ceci est texte pur du Tcheou-li ; on voit à quel point était poussée en ces temps reculés l'organisation du corps médical. Ce n'est point tout cependant ; car ce qui précède ne concerne encore que la médecine proprement dite. Les chirurgiens ont un chapitre spécial dont voici le contenu :

Les chirurgiens

Ici sont compris tous les médecins qui soignent les fractures, les plaies, les ulcères etc. Ils pansent les plaies produites par une arme tranchante, les ulcères gonflés, ceux qui coulent et les fractures. Ils les médicamentent, les nettoient du sang et du pus, ils remettent en ordre les parties blessées.

Ils travaillent à guérir les plaies et les blessures par l'emploi des drogues, des poisons. Ils fortifient le blessé par une bonne alimentation, les guérissent par les divers médicaments dont ils règlent l'emploi d'après leurs cinq espèces distinguées par les goûts spéciaux. Les organes principaux s'entretiennent, se fortifient, les os par les aliments acides, les nerfs par le piquant, le pouls par le salé, les chairs par le doux et les orifices par le principe graisseux. Ainsi chaque lésion a son remède propre.

Le chef de l'hygiène des repas

Mais ce n'était point assez pour les anciens Hippocrate de la Chine de guérir les maladies déclarées, ils cherchaient aussi à les prévenir par des règles d'hygiène concernant l'alimentation.

La direction de cette partie importante de la constitution médicale était confiée aux médecins du palais connus sous le nom de Shi-i ou « médecin du manger ».

Ils étaient spécialement chargés de réglementer les repas du Souverain, mais les règles qu'ils imposaient au palais étaient communiquées au peuple, en sorte que chacun pût les suivre et se préserver des maladies par leur moyen.

On avait dans ces règlements tout spécialement égard à la nature des saisons. Au printemps, ce sont les gâteaux et les pains qui conviennent le mieux ; en été, les sauces et les ragoûts ; à l'automne, les conserves, les épices ; en hiver, les boissons ; parce que ces différents aliments doivent être respectivement chauds, brûlants, tièdes et glacés comme les saisons.

Dans les assaisonnements, il faut beaucoup d'acide au printemps, de l'amer en été, du piquant en automne, du salé en hiver. Mais en tout temps on emploie le graisseux et le doux.

Ce n'est point encore tout ; les viandes doivent être unies avec les légumes qui rendent la digestion de chaque espèce plus facile. Le riz avec le bœuf ; le millet avec le mouton ; le panic avec le porc ; le millet commun avec le chien ; le blé avec l'oie, et le ku avec les poissons.

La Chine avait aussi ses vétérinaires et le chapitre suivant du Tcheou-li leur assigne leurs règles de conduite. Elles sont tout analogues aux précédentes ; aussi ne croyons-nous pas devoir les présenter à nos lecteurs. Leur rétribution se calculait également d'après le nombre des cures heureuses. Mais ils n'ont point de chefs distribuant les malades comme le font les médecins impériaux.

Telle était en tous ses détails la constitution du corps médical chez les anciens Chinois. Il s'agit là bien probablement de la capitale de l'État uniquement ; dans les autres villes et localités, il pouvait y avoir des comités organisés d'une manière analogue, mais les textes n'en disent rien.

Théories médicales

En dehors du Rituel des Tcheous, les plus anciens renseignements que nous possédions sur la médecine chinoise se trouvent dans les célèbres annales de Tso-kiu-ming connues sous le nom de Tso-tchuen ou Annales de Tso et qui s'étendent du VIIIe au Ve siècles avant notre ère.

Voici ce que ce livre nous donne d'important, pour notre sujet :

L'auteur du Tso-tchuen a une explication spéciale pour les termes de technique anatomique et médicale.

Nous lisons en effet, dans ses Annales, une explication attribuée à un médecin de Tsin du nom de Ho, le Conciliateur, qui s'exprime de la façon suivante :

Le ciel a six éléments (khi) ; quand ils descendent sur cette terre, ils engendrent les cinq saveurs ; se répandant, s'élevant, ils produisent les cinq couleurs ; par leurs ondulations, ils donnent naissance aux cinq tons. En se retirant, ils engendrent les maladies.

Ces six khis sont le Yin, le Yang, le vent, la pluie, les ténèbres et la lumière. Leur partage forme les quatre saisons ; leur union en ordre réglé, fait les cinq règles ; leur excès produit les pestilences.

Le Yin se retirant engendre les catarrhes ; dans la même conjoncture le Yang produit la fièvre ; le vent, l'évanouissement, le dépérissement ; l'eau pluviale, les maux d'intestins ; les ténèbres, le délire ; la lumière, les maladies du cœur.

Quand chez une femme la substance du Yang se retire pendant l'obscurité, ce fait produit une chaleur intérieure qui engendre le délire.

D'après Sze-ma tsien,
« il y a six espèces de maladies contre lesquelles la médecine est impuissante. Ce sont :
1° l'orgueil et l'esprit de licence qui ne règle pas ses paroles sur les principes moraux.
2° Une fortune lourde avec une conscience légère.
3° Des vêtements et des aliments irrémédiablement insuffisants.
4° Le Yin et le Yang déséquilibrés, le khi des grands viscères en agitation et changement continuel.
5° Un corps rude qui ne supporte pas les remèdes.
6° La confiance dans les sorciers excluant celle dans les médecins.
Tous ces maux sont sans remède.

Tout n'est pas dépourvu de sens dans cette nomenclature, il faut en convenir, et le dernier trait nous montre que depuis Kong-fou-tze, la raison avait gagné autant de terrain que la sorcellerie en avait perdu.

Malheureusement la théorie du Yin et du Yang, si chère à tout cœur chinois, vient projeter une ombre sur tous les essais scientifiques qui voient le jour depuis 22 siècles, dans l'Empire du Milieu. C'est elle encore qui vient gâter tout spécialement ce court exposé des principes médicaux que nous lisons dans l'Histoire officielle des Hans, en ces termes :

Les livres de médecine, pour formuler leurs préceptes, partent, comme principes, du sang de l'homme, du pouls et des vaisseaux sanguins, des os et de leurs moelles, du Yin et du Yang, des organes extérieurs et intérieurs qui sont la source des maladies et qui occasionnent la vie et la mort, et pour constituer les remèdes, ils emploient la mesure, l'aiguille, la pierre, le feu, la chaleur et les herbes médicales qu'ils combinent et accommodent.

Toutefois, ajoute Wen-tchong-tze, les bons médecins recourent d'abord au sommeil et à la bonne nourriture et seulement après, aux breuvages et aux simples. Ils demandent d'abord la guérison à la nature et ce n'est qu'en cas d'insuffisance des forces naturelles, qu'ils emploient les remèdes agissant de l'extérieur.

Mais la première qualité du médecin, celle sans laquelle il est dépourvu de titre pour exercer ses fonctions, c'est la bienveillance, l'affection pour ses malades ; sans cela on ne peut lui confier cette mission. Il doit en outre être intelligent, éclairé, connaître les principes moraux et les règles de son art. Enfin s'il n'est pas honnête, pur, désintéressé, on ne peut lui accorder sa confiance.

Les anciens, quand ils choisissaient un médecin, s'enquéraient d'abord de son nom et de sa famille; puis de ses capacités, de ses vertus, bonté, douceur, compassion, etc. ; de sa sagesse et de sa science, de ses qualités de constance, de ses dispositions heureuses, de sa force d'âme, de son intelligence des rapports entre les esprits du ciel et la terre. Ils s'informaient s'il savait apprécier la nature et le destin céleste, les nombres heureux et malheureux, la distinction du vide et du plein, les lois de l'opposition et de la soumission, le fort et le faible des maladies en leur source, les quantités à donner aux remèdes ; s'il était capable de saisir l'infiniment petit, de pénétrer les mystères de la nature sans faillir en rien. S'il réunissait ces qualités, il était reconnu comme un médecin distingué.

Les tao-she emploient spécialement le froid pour rafraîchir la vie par des remèdes végétaux. Les médecins usent préférablement de la chaleur pour la faire pénétrer dans les veines et de là par tout le corps.

Cet exclusivisme prouve qu'ils comprennent le gros des principes anatomiques et médicaux, mais point leurs détails ; qu'ils ignorent la nature des éléments durs et mous, du khi et des nerfs comme de leurs divers mouvements, leurs lois et leurs défaillances.

Ceux qui savent où il faut explorer le pouls, régler le khi, distribuer le chaud et le froid, combiner les divers éléments et choisir les remèdes végétaux ou minéraux, ceux-là peuvent être appelés des médecins de renom. Mais le monde préfère le médecin honnête sans renom, au médecin célèbre dépourvu d'honnêteté.

Le bon médecin, dit Han-tze, ne tient pas compte spécialement de l'embonpoint ou de la maigreur, mais des maladies ou du bon état du pouls ; c'est de là qu'il tire le diagnostic principal. De même l'habile calculateur ne considère pas ce qui est pour le monde sécurité ou danger, mais ce qui maintient ou trouble les principes de justice. Tout est là pour lui.

Cette observation du pouls a toujours été regardée comme le point essentiel de la science médicale. Celui qui sait en regardant, dit le Nan-king (Livre des difficultés), est appelé « Esprit » ; celui qui apprend par l'enseignement d'autrui est réputé « Sage » ; celui qui s'instruit en interrogeant est considéré comme habile (kong). Celui qui reconnaît par l'observation du pouls, a l'art véritable.

Mais aussi les Chinois ont une manière d'étudier le pouls qui nous est absolument inconnue. Ils connaissent plus de 40 espèces d'états du pouls fournissant chacun des indications différentes et ce n'est pas de la charlatanerie. Nous en parlerons plus loin.

Avant de quitter ce sujet, je dois dire un mot d'une des qualités principales que l'on exigeait du médecin chez les anciens Chinois, et qui nous est indiquée par un passage du Sün-yin.

Au chapitre XIII de ce livre, nous voyons Kong-tze au milieu de ses disciples et discourant des qualités morales des hommes. Le Maître se plaint de n'avoir point rencontré d'hommes capables de suivre le milieu dans leurs actions (tchong hing) ; puis il ajoute : Les gens du midi ont un proverbe qui rentre dans cet ordre d'idées : « D'un homme qui n'a point l'esprit de régularité, d'ordre, d'attache aux règles, on ne peut faire ni un devin, ni un médecin ». Il continue par cette réflexion empruntée au Yi-king : « C'est bien dit. S'il est inconstant, irrégulier en ses tendances et ses actes, il lui arrivera d'encourir la honte ». Puis il conclut : « Il ne saura pas pronostiquer avec perspicacité ; c'est là tout. »

Ce passage inspire plus d'une réflexion. Il nous montre d'abord que l'on regardait alors, en Chine, la constance de l'âme dans ses vues, dans l'observation des règles comme la qualité essentielle du médecin.

On y pensait qu'un esprit changeant, irrésolu, non attaché aux règles ne convenait pas pour cette profession.

Nous y voyons en outre que les fonctions de guérisseur des corps et celles de devin étaient considérées comme très voisines l'une de l'autre et la sentence finale de Kong-tze tendrait à prouver que le philosophe lui-même ne voyait guère dans le diagnostic médical qu'une face du métier d'augure. Les mots le disent clairement : Pu tchen a bien ce sens. Mais peut-être ne faut-il pas le presser de trop près et ne prendre ici que l'acception plus large de « deviner » que nous employons fréquemment. Peut-être aussi ne faut-il pas séparer les deux termes wu i et s'agit-il uniquement de la classe des médecins qui pronostiquent en consultant le sort. La Chine, comme le pays de l'Avesta, pouvait avoir des praticiens de différents genres, les uns suivant la voie naturelle, les autres recourant aux moyens surnaturels.

Nous avons vu ci-dessus qu'après Kong-tze des idées plus raisonnables avaient prévalu, que le médecin, le vrai médecin avait été séparé du devin et mis au-dessus de lui. Il n'est pas étonnant qu'il en fût autrement dans la haute antiquité, car selon le témoignage du Shuo-wen, les premiers médecins furent des devins, des hommes adonnés à l'art magique et augural (Wu pang tchu tso-i).

Mais ce n'est pas là l'opinion généralement accréditée. Les Chinois, en général, attribuent l'invention de la médecine ou tout au moins le premier traité médical à l'empereur Hoang-ti. Nous possédons en effet un livre consacré en majeure partie à la médecine et qui porte le nom du grand empereur ; j'en ai donné quelques extraits dans mes Textes taoïstes. Mais il est absolument inutile de discuter cette paternité qu'aucun Européen ne saurait prendre au sérieux. Cela est très heureux, du reste, pour la réputation du premier empereur chinois, car le livre qui porte son nom n'est guère autre chose qu'un tissu de non-sens.

Antérieurement il existait, paraît-il, un autre ouvrage attribué au même prince et qui se serait entièrement perdu. Lie-tze le cite dans son ouvrage philosophique, mais ce qu'il en cite ne permet pas de rapporter les principes qui y sont énoncés à une époque aussi reculée que le 23e siècle avant notre ère.

Quelques-uns attribuent même à Hoang-ti la composition du fonds du Pen-tsao, grand ouvrage d'histoire naturelle, consacré en majeure partie à la botanique médicale. Mais ceci ne se discute même pas. L'auteur du Pen-tsao est suffisamment connu. À moins qu'on ne suppose un Pen-tsao primitif, fondement du livre actuel. Mais c'est encore une hypothèse de fantaisie.

Quoi qu'il en soit, Hoang-ti a conservé la réputation d'un médecin de génie. Il connaissait parfaitement, dit le Seu-sien-tchuen (Art. Hoang-ti), la nature et les propriétés des plantes, leurs sucs, les moyens d'en user contre les poisons, et la vertu du chaud et du froid ; les odeurs et les goûts, de manière à savoir cultiver convenablement les plantes utiles de toute espèce et les végétaux alimentaires. C'est pourquoi on l'appela Hoang-ti, le Cultivateur intelligent comme un esprit. (L'auteur semble confondre Hoang-ti avec son prédécesseur, mais ceci nous importe peu).

Aussi les premiers médecins, dit le Shuo-yuen, portèrent-ils le nom de miao-fu, pères de la pousse des grains.

La Chine a possédé, de tout temps, des médecins de renom dont le souvenir s'est conservé dans ses annales. L'histoire abonde de traits relatifs aux praticiens célèbres et leur rôle a souvent été d'une influence considérable sur les destinées de l'empire par les décisions qu'ils ont inspirées au Fils du ciel ou à ses lieutenants, les princes vassaux de l'empire, comme à leurs ministres.

Un des plus anciens nous est fourni par le Tso-tchuen. Le prince de Tsin, dit l'auteur de ce livre, fit chercher un médecin chez le comte (pe) de Tsin. Tandis que le docteur envoyé par celui-ci était en route pour la capitale de Tsin, le prince eut un rêve dans lequel, se trouvant frappé d'une maladie grave, il vit deux jeunes gens auxquels il dit :
— Voici un médecin distingué, je crains qu'il ne me nuise ; écartons-le.
L'un des deux lui répondit :
— Votre mal est en dessus de la poitrine en dessous des chairs.
— Que m'arrivera-t-il ? reprit le prince.
En ce moment le médecin entra et dit :
— Votre maladie est inguérissable ; elle a son siège entre les organes vitaux et les chairs. — Il est impossible d'attaquer ce mal, de pénétrer jusque-là ; les remèdes ne peuvent y atteindre.
Le prince repartit :
— Voilà un médecin distingué ;
il le combla d'honneurs et le congédia.

Le Sse-ki de Sse-ma-tsien parle d'un docteur célèbre connu sous le nom de Pin-tsio qui avait établi un hôpital public. Le prince l'ayant vu, l'admira et comprit qu'il n'avait pas affaire à un homme ordinaire. En effet il possédait un breuvage d'une telle vertu que quand on en avait pris, on devenait transparent ; les organes intérieurs comme les veines se laissaient voir à l'œil.

Kan-tze de Tchao, étant tombé malade, ne savait plus reconnaître personne, depuis 5 jours. On fit venir Pin-tsio. Celui-ci accourut, examina le malade et sortit en disant :
— Mou-wang prince de Tsin a été ainsi sans connaissance sept jours durant ; puis est revenu à lui. Il en sera ainsi dans deux jours de Kan-tze.
En effet, au bout du terme indiqué, le malade reprit ses sens.

Toutes les dynasties ont honoré leurs médecins, et leurs annalistes successifs ont parsemé leur histoire de traits relatifs aux adeptes célèbres de l'art de guérir. Les Annales des Han, des Wei, des Shi etc., etc., en sont également enrichies.

Ainsi l'histoire des Hans antérieurs vante un Hippocrate du nom de Tchang, natif de Nan-Yang, qui reçut les enseignements de son compatriote Tchang-Pe et acquit une vaste science. Il guérissait les maladies d'une manière merveilleuse, et composa un traité médical en 32 livres ou kiuens. C'est de lui que les âges ultérieurs apprirent l'art de juger de l'état du pouls.

Nous retrouvons le même docteur dont il a été parlé plus haut, Pin-tsio, auprès de Huan, prince de Tsi, atteint d'une maladie de la peau. C'est bon, dit le praticien, l'aiguille brûlante peut pénétrer jusqu'au mal. L'affection s'étendit aux muscles ; là encore Pien-tsio jugea qu'il pouvait agir ; mais de là il pénétra jusqu'aux os. Ce que voyant, notre docteur jugea la guérison impossible et l'événement vérifia ses prédictions.

L'histoire des Tsins parle de même d'un illustre praticien du nom de Shi-ngan qui s'intitulait lui-même : Yuen-Gan-sian-seng et qui tout appliqué d'abord à l'étude des formules mystérieuses de l'art magique se mit, après cela, à guérir les humeurs, les rhumatismes, et acquit ensuite la science médicale, la connaissance des traités classiques, au point d'opérer les cures les plus extraordinaires.

Des faits d'ordre surhumain, magique, sont parfois, cela va de soi, attribués aux disciples de l'Esculape chinois. Mais nous en avons dit assez pour remplir notre but et nous ne fatiguerons pas nos lecteurs outre mesure.

Ajoutons seulement que la poésie chinoise a aussi chanté les grandes actions de merveilleux guérisseurs et leur a consacré des odes et des fous ou morceaux irréguliers, où l'imagination du poète règne en maîtresse.

Mais tout cela ne suffisait pas encore à la gloire du corps médical de l'empire qui occupe le dessous du ciel ; il lui fallait un représentant, un chef, un directeur céleste. Son art devait venir d'en haut. Aussi parmi les personnages qui occupent l'Olympe chinois nous trouvons un génie, un roi de la médecine et, de plus, bon nombre de médecins que leurs vertus et leur habileté ont introduits dans le monde des génies honorés d'un culte.

Nous ne nous arrêterons qu'au premier. Toutefois nous trouverons en lui non pas un seul mais deux et plusieurs personnages entre lesquels chacun choisit à son gré et qui ont ceci de particulier, que les derniers sont d'origine chinoise, le premier est de provenance indoue, probablement bouddhique. Et celui-ci doit être le plus ancien.

Le yo-wang, disent les livres chinois, naquit au tien-tchu de l'Occident c'est-à-dire dans l'Inde. Il s'appelait Wei-ku ce qui est une déformation du sanscrit bhir'u moine mendiant. Il arriva à la capitale chinoise l'an 728 p. C. Il portait une longue robe de gaze et cheminait un bâton à la main portant à sa ceinture un grand nombre de gourdes. Il distribuait largement les médecines, ce qui attirait tout le monde. Les malades accouraient en foule. L'empereur le fit venir en son palais et le proclama yo-wang « roi des herbes médicinales ». Après sa mort, le peuple mit son image sur les autels et l'invoqua pour être guéri des maladies (V. le Tsing-hi-lu).

Son concurrent chinois principal s'appelle Pin tsio. De nombreux temples lui sont dédiés. Cet immortel vivait, prétend-on, avant la dynastie Tsin. Il reçut les recettes médicales d'un esprit qui lui enseigna de cuire les simples dans de l'eau de rosée. Grâce à ce moyen il acquit une perspicacité qui lui faisait voir à travers les chairs, l'intérieur du corps des malades. Pin-tsio périt sous les coups d'un assassin soudoyé par un rival jaloux de ses succès. Aussi le peuple, selon son habitude, en fit un immortel, pour empêcher que son esprit ne se vengeât en accablant le peuple de maux.

Un troisième génie de la médecine, presqu'aussi célèbre que les deux précédents, vécut sous l'impératrice Wou-heou, l'usurpatrice du trône (de 684 à 710 p. C.) des Tangs. Il menait une vie austère et pratiquait le Tao avec zèle et ponctualité. Il s'appelait lui-même Niao-long « dragon volant », mais le peuple l'appelait yo-wang « le roi des médecines ». On raconte de lui qu'à l'âge de 7 ans il fut atteint d'une maladie grave. Tout à coup il ouvrit la bouche et fit comme s'il avalait une potion.
— Voilà, dit-il, un tao-she qui vient, avec un chien noir, me donner une drogue salutaire.
Peu après il se mit à transpirer ; il était guéri. C'est pourquoi dans ses courses par le monde il menait avec lui un chien de couleur noire. Après sa mort on fit de lui des images le représentant avec son animal favori.

Les particularités de cette histoire nous montrent que nous avons affaire à une création des tao-she, désireux d'avoir un génie à eux comme les bouddhisants et les lettrés avaient le leur.

Ces différentes origines sont confondues dans un génie de la médecine honoré au Fo-kien, le pays des créations polythéistiques.

Là, au bourg de Fu-shen, on voit dans un temple un génie, un yo-wang que l'on appelle po-sat, mot dérivé du Bodhisattwa bouddhique. On lui donne également le nom de Wei-ku (bhîx'u) et l'on raconte de lui qu'il parcourait les campagnes armé d'un bâton et suivi d'un chien noir comme l'Immortel des tao-she. Enfin on le nomme aussi Pin-tsio, comme le génie chinois proprement dit.

Arrivé au ciel avec le yo-wang, nous ne saurions aller plus loin. Nous nous arrêterons donc dans cette partie de notre étude.

*

II. La médecine dans la Chine moderne

L'art médical des Chinois actuels présente un des phénomènes les plus étranges que l'esprit humain puisse concevoir. Leurs théories anatomiques et thérapeutiques sont encore à l'état d'enfance ; les théories les plus bizarres, les plus antiscientifiques s'y étalent avec exubérance ; elles sont fondées sur des principes philosophiques aussi faux que singuliers et cependant l'esprit d'observation s'est développé chez eux d'une manière étonnante, le diagnostic et la thérapeutique toute pratique y ont fait des progrès qu'il ne serait pas inutile aux Européens de connaître.

Leur pratique médicale repose sur des théories fausses et puériles.

Et cependant ils guérissent.

Ils guérissent si bien que les missionnaires qui ont passé de longues années dans l'Empire du Milieu, vantent à l'envi leurs succès médicaux. Nuls n'excellent plus qu'eux à déterminer la nature du mal, à décrire les crises par où le malade passera ou bien a déjà passé. Ils saignent peu ou point, néanmoins les pleurésies sont moins fatales là-bas qu'en Europe.

Mais aussi ils ont étudié spécialement les remèdes et recherché les plus simples, surtout, parmi les végétaux. Nos médecins européens, à l'inverse des Chinois, étudient malheureusement plus les théories spéculatives que l'art de guérir. Chez les Chinois c'est l'inverse. Le respect des morts leur interdisant les dissections anatomiques, ils ont dû redoubler d'efforts pour faire les observations nécessaires sur les corps des vivants et ils en sont venus au point que le capitaine Dabry, de longue résidence en Chine, a pu affirmer devant la Société d'acclimatation de France en 1863, qu'il « a vu, de ses propres yeux, des cures faites par les médecins chinois qui lui ont paru miraculeuses ». (Voir le Bulletin de la Société d'acclimatation, t. IX p. 494, an. 1863).

Les ouvrages de médecine se sont multipliés en Chine depuis 7 ou 8 siècles d'une manière extraordinaire. Il en est de toutes les natures et de toutes les formes, depuis les traités en 1960 chapitres et 168 livres tels que Pou-tse-fang, guide complet, de thérapeutique, jusqu'aux monographies d'une centaine de feuillets ; depuis les grands ouvrages théorico-thérapeutiques tels que le premier déjà cité et le Tching-Shi-Tchun-Shing en 120 livres jusqu'aux recueils d'expérience, aux exposés de cas de clinique particulière. Il y en a sur l'observation du pouls, les maladies des yeux, les fièvres, les affections cutanées, la petite vérole, le choléra, les maladies des femmes et des enfants, l'acuponcture, etc. etc. D'autres sont consacrés à l'explication des prescriptions médicales et de l'efficacité des remèdes. Beaucoup sont accompagnés de planches d'une valeur véritable ; mais la plupart sont d'une obscurité qui en interdit la lecture aux non-initiés.

J'ai eu entre les mains le Y-men fa-min « Règles à suivre dans le traitement des maladies », le Yu-i tsao, « Recueil d'observations cliniques faites par l'auteur », le Ku-ki ming-i fang-lun « Considérations sur les recettes des médecins célèbres des temps anciens et modernes », et je puis attester que leur abord n'est point chose facile.

L'art médical des Chinois est une matière des plus vastes, comme on vient de le voir, et je ne puis penser à en donner une idée quelque brève qu'elle soit. Je veux seulement dire quelques mots sur deux points que j'ai déjà mentionnés précédemment : l'observation du pouls et l'acuponcture ou piqûre à l'aiguille qui n'est que peu ou point pratiquée en nos pays.

A. De l'observation du pouls

Deux choses ont surtout frappé les Européens qui ont vu les Chinois observer le pouls des malades. C'est que cette observation ne leur fait pas seulement connaître l'état de la circulation du sang, de la fièvre etc., mais qu'elle leur dévoile aussi la cause du mal, la partie souffrante, la nature de l'affection avec ses conséquences probables, c'est qu'aussi, en consultant le pouls, ils s'imposent une variété d'observations qui paraîtraient de la charlatanerie si elles n'étaient pas fréquemment couronnées de succès. Ils vont même jusqu'à modifier les principes de l'observation suivant les saisons de l'année.

Voici donc comment les médecins chinois procèdent à l'examen du pouls qu'ils doivent faire tout en premier lieu et avec une attention profonde et prolongée.

Le pouls se tâte à différents endroits, principalement sous l'occiput, sous l'oreille, au nombril, à la cheville et surtout aux deux bras. Cela se fait avec les trois doigts médiaux, un peu écartés et de trois manières différentes, par une application simple des doigts sur la peau, par une pression légère, puis par une compression de l'artère contre les os.

La vitesse du pouls s'apprécie non seulement en elle-même, mais par rapport à la respiration du sujet ; le médecin doit comparer ces deux vitesses et ses principes lui indiquent leurs relations normales et les conséquences de leurs déviations.

Ainsi le médecin peut juger qu'un pouls d'une vitesse anormale en elle-même est normal quant au malade qu'il visite, par ce qu'il conserve son accélération naturelle indiquée par sa proportion avec celle du souffle pulmonaire. Le pouls régulier doit donner quatre ou cinq battements pendant le double acte de la respiration. Des désordres cardiaques latents, par exemple, pourront se révéler par la perturbation de ces rapports.

Le médecin chinois reconnaît dans le pouls des qualités, des variations de natures diverses et multiples qui lui donnent des indications les plus précieuses pour le diagnostic et la thérapeutique. Le pouls, à ses yeux, peut être profond ou superficiel, sensible ou disparaissant à la pression, mol ou rude, dégorgeant comme l'eau qui déborde, trémulant, fin et doux, filant comme une perle qui se meut, ou comme des gouttes tombant du toit. Il peut aussi donner la sensation d'une corde d'instrument tendue et d'autres encore.

Ces divers états du pouls sont en rapport avec ceux des organes vitaux, cœur, foie, poumons, intestins, estomac, rate, reins, vessie etc. etc. et chacun donne une indication spéciale quant aux conditions de l'organe auquel il se rattache principalement.

Pour aiguiser ses sens et sentir des nuances aussi fines, le médecin doit faire ses visites, de préférence, le matin et à jeun. Il doit, avant de s'y rendre, mettre de côté toute préoccupation, éviter toute distraction, se tenir dans le calme et conserver sa respiration libre et régulière.

On voit que les médecins chinois prennent leurs fonctions au sérieux. On doit dire aussi que les gens de l'Empire des Fleurs ont les sens d'une extrême finesse et d'une sensibilité exquise.

Rien ne le montre mieux que l'aperception si facile pour eux des accents de leur langue et leur appréciation du timbre des instruments de musique qui leur a, de tout temps, fait goûter des charmes qui nous sont absolument inconnus et inconnaissables.

Les livres de médecine du peuple chinois distinguent cinquante et une conditions diverses du pouls dont vingt-six sont des signes de mort et vingt-cinq révèlent seulement des affections légères. Nous ne les énumérerons pas ; nous l'avons fait ailleurs et les lecteurs curieux de se renseigner sur ce point trouveront un traité complet de la matière dans l'ouvrage du capitaine Dabry.

Nous ne saurions qu'engager nos savants européens à se donner la peine de le lire et de faire quelques expériences ; car les faits donneraient tort à leur incrédulité ou à leur mépris.

Ajoutons seulement que l'observation du pouls n'est que le commencement de l'examen diagnostical tant à la première visite qu'à toutes les suivantes et que les livres chinois donnent les renseignements voulus sur la signification de tous les symptômes et leurs conséquences quant à la thérapeutique.

Cela dit passons à l'autre partie de notre sujet.

B. L'acuponcture

Ici nous sommes sur un terrain solide et d'observation directe puisqu'il s'agit d'une opération chirurgicale bien qu'elle soit destinée à la guérison des maladies internes. Les Chinois guérissent ces affections par des piqûres à l'aiguille et cela depuis des siècles.

Leur principe est que beaucoup de maux intérieurs, les douleurs de ventre, les maux d'estomac, des reins, etc. proviennent de la production interne ou de l'introduction par l'extérieur de fluides ou de gaz pernicieux ou superflus, dont il faut dégager le malade en pratiquant dans les canaux de la circulation une ouverture qui leur donne passage. Le même moyen est employé pour introduire l'air de l'extérieur quand il est nécessaire à la guérison. À cet effet ils ont, outre les bistouris européens, des aiguilles d'une finesse extrême, faites d'or ou d'une matière inoxydable et d'une dureté parfaite. La ponction se fait en faisant tourner l'aiguille en spirale ou en la frappant avec un petit marteau. La cautérisation de la plaie se fait au moyen d'une feuille d'armoise que l'on applique sur le trou par une de ses extrémités et dont on fait brûler l'autre jusqu'à ce que la chair soit échauffée.

Les médecins chinois sont d'une habileté extrême à pratiquer ces ponctions, à pénétrer profondément dans le corps en saisissant le point voulu à travers les organes, et bien peu manquent leur coup.

Le fait le plus remarquable c'est que ces piqûres se font très souvent fort loin de la partie malade. Ainsi pour un torti-colli, on en pratique une à 15m [?] au-dessus des premières vertèbres. Pour les coliques ce sera sous le croupion, etc. etc.

Peut-être, probablement même, nos savants docteurs occidentaux souriront en lisant ces choses et ne se donneront pas même la peine d'examiner les faits. Auront-ils raison ? Je n'en sais rien. Mais tout ce qu'on peut dire à la défense de leurs confrères chinois c'est que

Ils guérissent incontestablement.

Dernièrement encore un chef de mission me disait qu'après avoir juré de ne jamais recourir à un médecin indigène, il avait été forcé de violer sa parole et que — malheureusement — il s'en était trouvé extrêmement bien.

Je constate le fait laissant à d'autres le soin de l'expliquer et d'en tirer les conclusions qu'il comporte.

Donnons en terminant quelques extraits de livres modernes de médecine. Voici d'abord la préface d'un recueil thérapeutique très connu, le Yü-i-tsao. On y trouvera des idées qui ne manquent pas de justesse.

« Depuis la plus haute antiquité jusqu'à nos jours, chaque âge, chaque dynastie a eu ses médecins. Et, bien que tous fussent des hommes éclairés, saints, instruits et sages, leurs systèmes ne furent nullement les mêmes. C'est que la thérapeutique ne peut se régler par principes fixes comme on forme des ronds, des carrés, des lignes horizontales ou perpendiculaires avec la règle et le cordeau, le compas et le niveau. Pour guérir les maladies il faut d'abord en bien étudier la nature. C'est seulement quand on en connaît bien les caractères qu'on peut y appliquer les remèdes convenables. C'est ainsi seulement qu'on en triomphera.

Quand on a bien reconnu le mal on peut choisir, parmi les milliers de médicaments un ou deux qui conviennent et ainsi on agira avec parfaite science. Sinon, on reste dans l'ignorance et l'on est exposé à toutes les méprises.

En effet, tout remède peut en certain cas nuire à l'homme, car dans la nature sont comprises les choses les plus contradictoires.

Les médecins de ces derniers temps n'ont eu qu'une science de plus en plus vide et stérile ; ils n'ont perfectionné qu'une chose : la connaissance des remèdes et nullement celle des maladies. Faible et faussée, leur science n'a pu triompher des misères humaines. Ils ont cru que la mort suivait un cours constant et n'ont pas su que le ciel dans son amitié ou sa colère envoie la vie ou la mort.

Chacuns considérant les principes de son école et des règles toutes faites, ont établi des recettes arrêtées a priori, croyant ainsi manifester leur discernement, leur prudence. Ils n'ont point recherché par l'étude les causes des maladies, ce qui les engendre et comment les remèdes y correspondent. Tout entiers à la recherche, à l'application des remèdes, ils ne se sont pas occupés de ce qui pouvait être fait sans ces agents ou en dehors d'eux. Pour ces docteurs il n'y avait que les remèdes, point d'examen des maladies, point d'étude de l'action des forces vitales.

Sans ces connaissances, on ne peut point pourtant distinguer les effets heureux ou funestes des remèdes, ce qui en eux est vivifiant ou vénéneux, bon ou mauvais ; les qualités des médicaments ne sont pas en rapport constant avec celles des maladies. Dans cette ignorance, comment ceux qui veulent employer les remèdes sauront-ils ce qu'il faut prescrire ou rejeter ? En ce cas, ils n'ont qu'à se désister de la pratique médicale.

Jadis quand on élevait un autel, on formait le plan et suivait ensuite le modèle sans devoir démentir sa parole. On y entassait le grain comme une montagne. Quand le sacrifice était achevé et qu'il en restait notablement, on en tenait note.

Pourquoi les médecins, bien que leur fonction soit moindre, n'agiraient-ils point ainsi ?

« Telle année, tel mois, en tel endroit, tel individu a été examiné par nous ».

Puis on indique s'il était gros ou maigre, grand ou petit, quelle était sa couleur, s'il était malsain ou de bonne santé, si sa voix était claire ou troublée, étendue ou faible, s'il était de tempérament et d'air sombre et triste ou joyeux, aimable. Quand la maladie a commencé, quel remède on lui a administré tout d'abord ; puis par la suite, quel remède a produit quelque effet et quel autre a été inefficace, si c'est le matin ou le soir que le mal est le plus fort, le malade est-il froid ou brûlant, le manger et le boire lui plaisent-il ou pas, en a-t-il pris peu ou beaucoup ; les selles et les urines sont-elles molles ou rudes, et de quelle quantité.

Quant au pouls quelles en sont les variétés ? Laquelle des 24 veines se montre seule au-dessus des autres ; lesquelles s'il y en a plusieurs à la fois ?

Les maladies ont leur effet désastreux à l'intérieur, ou troublent l'extérieur. D'autres ont ce double effet en même temps, quelques-unes ne produisent pas de lésion sensible.

L'observateur doit indiquer ce qui en est à ces divers points de vue.

Il doit examiner encore si la maladie est continue ou interrompue. Ce qui arrive avant et après les plus forts accès. S'il y a émission d'urine ou vomissement. Comment est la diarrhée et comment on y remédie, quelle est celle des sept conditions du pouls, de quel agent naturel (l'eau, la chaleur, le soleil, le froid et le vent), de quel goût doit être la drogue (doux, amer, salé, piquant) etc..

Le procès-verbal doit indiquer à quel moment ces constatations ont été faites.

Tout cela doit être mis par écrit avec le plus grand soin et tous les détails désirables, de la manière la plus exacte.

L'année fait connaître les influences atmosphériques qui ont régné à ce moment ; le mois indique la saison et ce que celle-ci a d'influence sur la médication.

Par la désignation de l'endroit, on sait si c'est une terre élevée ou basse, sèche ou humide et les conditions thérapeutiques de ces états géographiques ou atmosphériques. Tout cela doit être connu pour fixer le traitement.

*

Moyens de sauver

I. Moyen de sauver un pendu

Si la strangulation a duré depuis le matin jusqu'au soir, bien que le corps soit froid on peut encore sauver le pendu. Si elle a duré du soir jusqu'au matin il y aura à cela une certaine difficulté.

Si le dessous du cœur reste chaud pendant un jour, on pourra le sauver.

Si l'on n'a pas pu couper la corde on doit prendre le corps tout doucement, le détacher, le coucher, puis quelqu'un doit lui marcher sur les deux épaules, soulever ses cheveux de la main.

S'il est impossible de lui plier la tête en bas, on doit lui presser très doucement la gorge pour y remettre tout en ordre, lui frotter la poitrine avec la main, le remuer doucement. Un autre frictionnera les bras et les jambes et les étendra puis les pliera fortement mais petit à petit, tandis qu'un troisième pressera le ventre.

Quand le souffle reparaît à la bouche, que l'étranglé respire et revient à lui, on lui fait boire du jus de laurier avec de l'eau de riz. On lui humecte la gorge, on lui souffle dans les oreilles, on les frotte avec un pinceau.

De cette manière et dans ces conditions il n'en est guère qu'on ne sauve.

Tout individu étranglé de quelque sexe qu'il soit et bien que son corps soit droit et raide, peut encore être sauvé et rendu à la vie.

On le prend dans ses bras, on le soulève et le détache, on le pose sans le remuer sur un terrain plat. On prend très doucement ses bras et ses jambes, on les plie sans violence. On apporte des étoffes de soie ou de toile molle et douce pour l'envelopper et le serrer.

Pour le faire respirer sans compression, on fait asseoir un homme près de sa tête, les jambes appuyées sur ses épaules. On lui tient soulevés la tête et les cheveux. On lui tend les bras et les tient droit, 2 hommes lui soufflent dans les oreilles avec un tuyau de pinceau ou autre.

Pour faire revenir la respiration, on frotte la poitrine avec la main, puis on introduit dans le nez du sang de la crête d'un coq vivant, du côté gauche si c'est un homme, du côté droit si c'est une femme ; pour celle-ci on emploie du sang de poule.

Quand on a pu ainsi rappeler à la vie, si l'interruption du souffle vital a duré longtemps, il faut souffler et frotter longtemps.

Si on n'avertit personne quand les membres sont tout à fait froids, il est très rare qu'on sauve le pendu.

Note. La 48e année de K'ien-long, le 29 du 5e mois, une femme de Fu-Yang-hien au Tche-kiang, se pendit. On la détacha mais on ne suivit pas les règles, on ne lui mit pas la gorge en haut, en sorte que la respiration y pénètre, on ne lui frotta pas les jambes et les bras, le sang se coagula dans les vases et le 2 du 6e mois, elle mourut.

II. Moyens de sauver un noyé

1. On enveloppe le bas du corps de la personne noyée d'un linge frotté de poudre de Kioh ; si au bout de peu d'instants, l'eau lui sort de la bouche elle est rendue à la vie. Il faut plier les jambes du noyé, puis le mettre sur le dos d'un homme vigoureux, dos contre dos, et faire marcher celui-ci. Quand l'eau sera vomie par le noyé il sera sauvé.

2. Un second moyen est de préparer sur le sol une sorte de baignoire de boue dans laquelle on met le noyé étendu sur le dos et de recouvrir son corps de la même boue. Après cela, on lui ouvre la bouche et les yeux, la vapeur de l'eau s'exhale au milieu de la boue et le noyé revient à la vie.

Quand même le noyé serait raide comme un mort et sans respiration, par ce moyen on peut le rappeler à la vie.

3. On chauffe fortement du sable, on en couvre le visage du noyé ; on lui en met par dessous et par dessus, en évitant le nez et la bouche.

Si le sable se refroidit on le renouvelle ; quand on l'a changé plusieurs fois, le noyé revient à la vie.

En outre on vide un demi-verre de vinaigre dans le nez.

On lui enveloppe le bas du buste dans une étoffe couverte de cendres, de pierres brûlées, faites en mortier.

On le met la tête en bas et dans cette position on lui humecte l'intérieur du nez avec de la liqueur pure et on lui lave le bas du corps. On lui ôte ses vêtements, on lave bien le nombril, et on lui souffle à travers un tube dans les deux oreilles en même temps.

On peut aussi faire de nombreuses cautérisations au-dessus du nombril (brûler avec une pointe de fer).

4. Dès qu'on a retiré le corps de l'eau, on se hâte de le lever, de lui ouvrir la bouche et l'on y met un bâtonnet transversalement.

On pourra faire sortir l'eau en soufflant dans les deux oreilles au moyen d'un tube de bambou. En été on met le corps, le ventre en bas, sur le dos d'un bœuf ; deux le tiennent des deux côtés et font marcher l'animal à pas lents. Ainsi l'eau sort d'elle-même par la bouche, qu'il y en ait peu ou beaucoup. On use en même temps des remèdes indiqués ; on frotte neuf fois avec une décoction de gingembre frais et du su-ho fondu ou avec du jus de gingembre frais.

Si l'on n'a pas un bœuf à sa disposition, on fait coucher un homme sain, on met sur son dos le corps du noyé puis on fait remuer le premier de manière à produire le même effet que la marche du bœuf et faire sortir l'eau. Si l'on n'a ni bœuf ni homme propre à faire ces choses, on peut mettre le corps inanimé, retourné sur l'orifice d'un immense chaudron.

En hiver on le déshabille et lui met des habits chauds, on le frotte avec du sel chauffé, et le nombril avec un fer. On étend sur lui de chaudes couvertures, on le met devant le foyer.

Autre moyen encore. On prend un vase à liqueur, on y introduit un rouleau de papier auquel on met le feu, puis on place le vase retourné, l'orifice sur le nombril du noyé. Si cela ne suffit pas, on refait l'opération une seconde fois. Si le noyé vomit alors l'eau avalée, il est sauvé.

Quand on retire de l'eau un noyé, s'il a encore une faible respiration, il y en a qui lui chauffent fortement la poitrine, puis font coucher un homme nu sur son corps et le couvre d'épais vêtements. Puis on agite le corps inanimé pour lui faire rejeter l'eau avalée.

On fait aussi entrer dans le nez de la fumée de gros papier brûlé. On y souffle de la poudre fine de Tsao-kio. Si cela le fait cracher, le noyé sera sauvé.

III. Enfin voici l'une des recettes courantes pour guérir l'angine cancéreuse.

C'est d'abord une poudre à souffler dans la gorge. Elle est ainsi composée :
R. Margarit. pulv. 15.44 — Sediment. urin. praepar. 11.56 — Lapid bezoard. bov. pulvis 5.86 — Rhizom. coptid. pulv. 15.44 — Carbon, veget. pulv. e prunis 7.72 — Spumae pigment, indici 7.72 — Borneol. pulv. 7.72 — Rad. liquirit. pulv. 3.86 — Borac. ust. pulv. 5.86 — Cinnabi. nativ. p. 11.58 — Acet. cupric p. 1.93 — M. f. pulv.

Puis vient une décoction à prendre intérieurement. En voici un spécimen.
Trochisc. ari et fel 57.9 — Rhiz. copt. conscis. 38.7 — Radic. scutell. viscidul. conscis. 38.6 — Rad. ginseng. nig. id. 77.2 — Rad. platycod. grandifl. id. 57.9 — Rhiz. alpiniæ id. 57.9 — Flor. caprif. 77.2 — Bulb. uvular. 38.6 — Cortic. pteroc. flav. 58.6 — Radic. cajan. flav. 77.2 — Capsul. forsyth. 57.9 — Rad. liquir. c. melle 38.6 — Tuber. pachyrhiz. trilob. cons. 57.9.

Ce traitement se complète par un régime approprié aux symptômes spéciaux du cas présent et le malade guérit.

Terminons par cette sentence du Yu-i-tsao :

La médecine est toute observation réfléchie. Quand une maladie est devant soi, on doit d'abord observer sa marche et ses symptômes ; puis on en trace la chaîne par les préceptes et la trame par les prescriptions, les formules. Toutes les choses mystérieuses et merveilleuses dont parlent les traités médicaux reposent sur l'observation réfléchie.


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