François-Albin LEPAGE (1793-18xx)

François-Albin LEPAGE (1793-18xx) : Recherches historiques sur LA MÉDECINE DES CHINOIS. Imprimerie de Didot jeune, Paris, 1813, 104 pages.

RECHERCHES HISTORIQUES SUR LA MÉDECINE DES CHINOIS

Imprimerie de Didot jeune, Paris, 1813, 104 pages.

  • "En comparant avec attention tout ce que les voyageurs nous ont appris sur la médecine des Chinois, on ne voit partout que la répétition des principes les plus ridicules et des théories les plus obscures ; et l'on est fâché de ne trouver que de loin en loin quelques-unes de ces choses qui paraissent dictées par l'expérience ou la raison. Mais, lorsqu'on entreprend d'exposer l'état et les progrès d'une science chez un peuple, on n'est point maître d'augmenter l'intérêt à volonté, et l'on doit, si l'on ne veut point manquer le but, se restreindre dans les bornes de la vérité, et dire les choses comme on les voit, et non point comme on voudrait les voir."
  • "Au reste, si les systèmes de médecine imaginés par les Chinois peuvent plutôt amuser par leur bizarrerie que présenter un intérêt réel, nous trouverons par la suite dans quelques pratiques particulières à ces peuples, ainsi que dans la considération de leur climat et de leur manière de vivre, relativement à leur influence sur la santé, la matière de quelques discussions assez intéressantes."


Extraits : Doctrine - Thérapeutique, matière médicale et pharmacie - La pratique du moxa
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Doctrine

Illustration extraite de l'ouvrage : Specimen medicinae sinicae, édité par Andreas Cleyer
Illustration extraite de l'ouvrage : Specimen medicinae sinicae, édité par Andreas Cleyer

Les Chinois admettent deux principes naturels de la vie ; la chaleur vitale et l'humide radical, dont les esprits et le sang sont les véhicules. Ils donnent le nom d'yang à la chaleur vitale, et celui d'yn à l'humide radical ; et c'est de l'union de ces deux mots qu'ils ont fait le nom de l'homme, qu'ils nomment gin en leur langue. Ces deux principes de vie se trouvent, selon eux, dans toutes les parties principales du corps, dans les membres et dans les viscères, auxquels ils donnent la chaleur et la vie.

Ils ont trois manières de diviser le corps humain ; d'abord en partie droite et gauche ; puis en partie haute, moyenne, et basse ; la haute s'étendant depuis la tête jusqu'à la poitrine ; la moyenne depuis la poitrine jusqu'à l'ombilic ; et la basse depuis l'ombilic jusqu'aux pieds. Enfin ils le divisent encore en tronc, membres et viscères.

Ils supposent que le corps est comme une espèce de luth ou d'instrument harmonique, dont les artères, les veines, les nerfs et les muscles sont les cordes, et rendent des sons divers, selon qu'ils sont plus tendus ou plus lâches ; et ils croient, en outre, que c'est par la différence du pouls que se manifestent ces divers sons.

Illustration extraite de l'ouvrage : Specimen medicinae sinicae, édité par Andreas Cleyer
Illustration extraite de l'ouvrage : Specimen medicinae sinicae, édité par Andreas Cleyer

Les deux principes de vie dont nous avons parlé sont distribués chacun dans six organes, ce qui forme en tout douze sources de la vie. Les organes, dans lesquels réside l'humide radical, sont : trois à gauche, le cœur, la rate et l'un des reins ; et trois à droite, le poumon, le foie, et l'autre rein, qu'ils nomment la porte de la vie, parce que, selon eux, c'est le réservoir de la semence. La chaleur vitale est placée dans les petits intestins ou le péricarde, la vésicule du fiel, les uretères, les grands intestins, l'estomac, et la troisième partie du corps.

Après avoir établi ces douze sources de la vie dans le corps de l'homme, les Chinois ont cherché des indices extérieurs qui pussent faire connaître les dispositions intérieures de ces douze parties ; ils ont cru les trouver dans la tête, parce qu'elle est le siège de tous les sens qui font les opérations animales, et ils se figurent des rapports nécessaires entre ces sens et les sources de la vie. Ils ont imaginé que la langue se rapportait au cœur, les narines aux poumons, la bouche à la rate, les oreilles aux reins, et les yeux au foie ; et ils pensent pouvoir tirer de la couleur du visage, des yeux, des narines et des oreilles, du son de la voix, ainsi que des saveurs que la langue ressent ou désire, des conjectures certaines sur l'état du corps, le tempérament, la vie ou la mort des malades.

Renum imago. Illustration extraite de l'ouvrage : Specimen medicinae sinicae, édité par Andreas Cleyer
Renum imago. Illustration extraite de l'ouvrage : Specimen medicinae sinicae, édité par Andreas Cleyer

Nous avons dit quels étaient les organes qui étaient le siège de la chaleur vitale et de l'humide radical. Ces deux principes se répandent par douze voies ou canaux dont les médecins chinois supposent l'existence, et vont se distribuer ainsi dans toutes les parties du corps. Il y a un canal, disent-ils, par où l'humide radical va du cœur aux mains, et c'est par les mêmes routes que le péricarde, qui est uni au cœur, y envoie la chaleur vitale. Le foie envoie l'humide radical aux pieds, et c'est la vésicule du fiel qui y fait couler la chaleur vitale. Les reins envoient l'humide radical, et les uretères la chaleur vitale au côté gauche du corps. Le côté droit reçoit, au contraire, l'humide radical du poumon, et la chaleur vitale des grands intestins. La rate envoie l'humide radical, et l'estomac la chaleur vitale aux pieds etc., etc. C'est ainsi que, suivant la doctrine des médecins chinois, la vie et la vigueur se répandent par tout le corps ; et, pour être savant médecin parmi eux, il faut bien connaître les douze sources de la vie. Cleyer à la fin d'un ouvrage intitulé Specimen medicinæ sinicæ, et Dujardin, dans son Histoire de la chirurgie (tome I, page 89) ont donné des gravures qui représentent ces divers canaux de communication tels que les Chinois se les figurent. Rien n'est plus bizarre que ces gravures, remarquables seulement par leur singularité.

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Thérapeutique, matière médicale et pharmacie

Illustration extraite de l'ouvrage : Specimen medicinae sinicae, édité par Andreas Cleyer
Illustration extraite de l'ouvrage : Specimen medicinae sinicae, édité par Andreas Cleyer

Il est à regretter que les auteurs des différents ouvrages où nous avons puisé tout ce que nous venons de dire sur les systèmes des médecins chinois ne soient pas entrés dans de plus grands détails sur leur manière de traiter les maladies. M. Amiot, par exemple, dans l'une de ses lettres, parle bien des soins de son médecin pendant une maladie grave, mais il ne dit rien du tout des espèces de remèdes qu'il lui fit prendre. Les auteurs du mémoire sur la petite vérole se contentent de nous apprendre que l'ouvrage chinois traite fort au long des médicaments qui conviennent dans cette maladie, et que ces médicaments sont pris, tantôt dans la classe des rafraîchissants, tantôt dans celle des échauffants, mais ils n'en font connaître aucun en particulier. Peut-être, à la vérité, la crainte de se tromper, par le défaut de connaissance de la plupart des drogues employées par les Chinois, aura-t-elle déterminé ceux qui ont écrit sur cette matière à ne rien dire, plutôt que de risquer des erreurs. Mais il paraît qu'en général les Chinois sont plus riches par le nombre de leurs substances médicinales que par celui des préparations qu'ils leur font subir ; et tout ce qu'on lit à ce sujet donne lieu de croire que leurs médicaments sont peu compliqués, ce dont, d'ailleurs, le défaut de pharmaciens serait une preuve presque suffisante.

Les médecins chinois, après avoir fait usage de leurs décoctions de simples, et rendu la santé à leurs malades, comptent beaucoup sur les cordiaux, pour extirper le mal jusqu'à la racine. Ces cordiaux, dont ils ont plusieurs espèces, sont composés de plantes et de quelques fruits. Les mêmes médecins sont dans l'habitude de prescrire une diète rigoureuse, et interdisent totalement l'usage de l'eau crue aux malades. Ils pensent, et avec raison sans doute, que, le corps étant mal disposé, l'estomac n'est plus propre à remplir ses fonctions.

L'usage de la saignée est très rare parmi les Chinois ; ils n'ont recours à ce moyen que dans des cas extrêmes. Ils ne pensent pas d'ailleurs qu'on puisse en retirer de grands avantages ; et voici, selon Cleyer (op. cit., p. 72, de modo medicandi, etc. ) le raisonnement spécieux sur lequel ils fondent cette opinion... : Tùm quia dicunt sanguinis caloram nimium aut vim subtractione ejusdem non temperari magis quàm bullientis aquæ fervor temperari soleat, si partem subtraxeris, et non potiùs injectâ frigidâ aut tepidâ vim illam tempararis et fregeris, etc. Le vice de ce raisonnement est assez sensible pour que nous ne nous arrêtions pas à le faire remarquer.

Ce n'est que par les médecins de Macao que les Chinois ont connu les laverments. Ils ne blâment point ce moyen thérapeutique, mais ils ne paraissent pas vouloir le mettre en usage, et parce qu'il leur est venu d'Europe, ils l'appellent le remède des barbares.

Navarette, dans sa Description de la Chine, dit que les vomitifs et les purgatifs ne sont point en usage dans ce pays ; mais cette assertion, qui devait paraître très peu vraisemblable, se trouve pleinement démentie par certains passages de médecins chinois, où il est question de faire vomir et de donner des purgatifs. À quoi d'ailleurs se réduirait donc leur médecine, s'ils en retranchaient les deux plus grandes ressources de l'art de guérir ? Le même voyageur mérite-t-il plus de confiance lorsqu'il dit qu'on trouve à la Chine beaucoup de bons chirurgiens qui exercent très bien leur art sans cette variété d'instruments qui paraissent nécessaires en Europe.

Les ventouses sont employées dans quelques maladies par les médecins chinois. Leurs coupes sont de cuivre ; elles ont au sommet une petite ouverture qu'on bouche avec de la cire. Après avoir placé une petite bougie sur la partie malade, on la couvre de la coupe ; et quand l'opération est finie, on ôte la cire qui bouche l'ouverture à l'aide d'une aiguille ; l'air pénètre, et la coupe s'enlève facilement en même temps que la peau s'affaisse. Cette méthode est ingénieuse, et paraît préférable à celle que nous mettons en usage. On sait que c'est des Chinois que nous tenons le moxa : ce moyen était employé chez les peuples de l'Asie dès les temps les plus reculés. Nous en parlerons avec détail lorsqu'il sera question des pratiques de médecine particulières aux Chinois.

De tous les temps, les bains ont été en grand usage chez les peuples orientaux et ils sont tellement utiles dans certains climats très chauds, qu'on a cru devoir y assujettir toutes les classes d'hommes, en les mettent au nombre des pratiques religieuses. Les Chinois font également usage des bains ; ils ont dans leur empire des sources d'eaux thermales et minérales de diverse nature, et comptent beaucoup sur leur secours pour la guérison de certaines maladies.

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La pratique du moxa

Illustration extraite de l'ouvrage : Specimen medicinae sinicae, édité par Andreas Cleyer
Illustration extraite de l'ouvrage : Specimen medicinae sinicae, édité par Andreas Cleyer

C'est depuis Pouteau qu'on a commencé à pratiquer en France l'opération du moxa. Le moxa est la meilleure et presque l'unique ressource des Japonais et des Chinois dans la plupart des maladies. Aussi voit-on dans ces pays la plus grande partie des hommes couverts des stigmates et des cicatrices que laisse l'impression de ce caustique. Il passe pour un remède si certain, que les prisonniers, dit-on, ont la permission de sortir de prison tous les six mois pour se le faire appliquer. L'usage est d'en réitérer l'application au renouvellement des saisons, à peu près comme en Europe on a recours à la saignée et aux purgations. L'application s'en fait également à tous les âges, et chez les deux sexes. Ten-Rhyne dit que par ce moyen on élude et on charme toutes les douleurs. Les Chinois n'en font pas un usage si fréquent que les Japonais.

Les Chinois appellent indifféremment l'application du moxa et celle des aiguilles xin-kien (Ten-Rhyne, de acupuncturâ). Au Japon, on donne le nom de farrittate à ceux qui appliquent les aiguilles ; et s'ils joignent à cet art celui d'appliquer le moxa, on les nomme farrawyts-tensas. Voici la préparation du moxa à la Chine et au Japon : on ramasse les feuilles les plus tendres de l'armoise (artemisia latifolia) et ses sommités ; on les fait sécher à l'ombre ; on les frotte dans les mains ; on en ôte les fibres, et l'espèce d'étoupe qui reste est conservée pour l'usage, et prend le nom de moxa. Le plus ancien est réputé le meilleur. On forme entre les doigts de petites masses d'une forme pyramidale, qui excèdent un peu le volume d'une poire ; quelquefois on enveloppe dans du papier cette laine végétale, et on la comprime dans la main, afin quelle soit plus uniformément broyée. On en coupe des globules, qu'on applique à l'endroit malade ou douloureux qu'on veut brûler ; le sommet de cette étoupe s'allume avec une mèche ou quelque matière enflammée. Les riches, qui portent le luxe partout, se servent, pour cela, d'une bougie composée de musc, d'alun en poudre, et de quelques aromates propres à flatter l'odorat. Le feu ne gagnant l'étoupe qu'avec assez de lenteur, ne la réduit pas toute entière en cendre, et il reste à sa base un petit segment, de manière que l'épiderme est attiré sans violence, et qu'il s'y élève une petite vessie ou pustule. Le plus souvent la trace du feu n'est qu'une tache cendrée. Le moxa attire à vue d'œil les humeurs viciées, et les absorbe de manière qu'elles sont totalement consumées sans que la peau le soit ; car, dit Ten-Rhyne dans son enthousiasme pour ce remède, à la chaleur de cette étoupe, les humeurs affluent plus précipitamment qu'un homme ne court à l'incendie lorsque la cloison de la maison voisine est en feu.

L'application du moxa n'est pas aussi douloureuse qu'on pourrait le croire, et les enfants même la supportent sans verser beaucoup de larmes. Chez les personnes faibles, on la réitère trois ou quatre fois ; mais, chez les malades forts et robustes, on la répète jusqu'à vingt, trente, cinquante fois, ou même plus. Ten-Rhyne est cependant forcé de convenir que ce remède jette les malades dans des angoisses qui vont jusqu'à la syncope, lorsqu'on en porte l'application à l'excès.

Après l'application du moxa, Ten-Rhyne nous apprend que le topique vulgaire des Japonais est la feuille de plantain légèrement flétrie par le feu, ou broyée entre les mains. Appliquée par le côté lisse, elle ferme la plaie, et par son côté nerveux, au contraire, elle fait suinter un peu de sérosité. Les jours qui suivent l'application du moxa, on touche à plusieurs reprises la partie cautérisée avec le bout du doigt ou avec un linge propre trempé dans de l'eau chaude légèrement marinée. On a observé que, par ce moyen, la sérosité purulente s'échappait plutôt et plus sûrement de la partie ulcérée.

Les médecins de la Chine et du Japon distinguent, par des figures singulières qui font partie de leur art, les endroits où doit se faire l'application du moxa, et c'est en cela que consiste une partie de leur science et de leur habileté. Ces figures, qui sont gravées, furent, dit-on, composées d'abord par un habile médecin chinois nommé Oyt, sous le règne de la famille Sio-Nojo, qui est de l'antiquité la plus reculée. On y voit la marche des vaisseaux telle que les Chinois l'imaginent. L'art de l'acupuncture ayant des principes communs avec celui de l'application du moxa, on a réuni dans ces mêmes planches l'indication précise des endroits où l'on doit pratiquer l'une ou l'autre de ces opérations. Les endroits qu'il faut piquer sont désignés par des points verts et ceux qu'on doit brûler par des points rouges. La connaissance de ces endroits a paru si importante, qu'elle est abandonnée à des experts, comme sont chez nous les bandagistes. Ces hommes indiquent leur profession en faisant peindre sur le devant de leurs boutiques les figures dont nous venons de parler.

Kæmpfer remarque que les règles les plus générales pour pratiquer convenablement l'opération du moxa consistent à éviter, autant que possible, de la faire sur le trajet des nerfs, des tendons, des artères et des veines.

Les Chinois et les Japonais emploient le moxa dans les douleurs rhumatismales, dans les maladies des yeux, à la nuque et aux épaules ; dans la gonorrhée ou la faiblesse des organes génitaux, au sacrum ou à la région lombaire ; dans les maux de dents, au menton ; dans la phthisie, à la région lombaire et sur les côtés de l'épine. Ils l'emploient aussi contre la goutte, la sciatique et autres maladies de ce genre, qu'ils attribuent à des vapeurs nuisibles retenues dans les organes. Ils en font usage encore dans l'ascite, la tympanite, etc. Ils le défendent dans les fièvres ardentes, dans l'accès des fièvres intermittentes, dans le rhume de cerveau, etc.

Un phénomène singulier qui a surpris Ten-Rhyne, dit Dujardin, c'est que le moxa, appliqué trois pouces au-dessous de l'ombilic le long de la ligne blanche, a produit une impuissance certaine. Mais, comme le remarque l'Encyclopédie (médecine, t. 1, p. 219), c'est sans doute parce qu'alors on avait trop approché le feu de l'anneau inguinal, et qu'il avait pénétré trop profondément, de manière à endommager le cordon des vaisseaux spermatiques.

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