Jean Rodes (1867-1947)

À TRAVERS LA CHINE ACTUELLE

Fasquelle éditeurs, Paris, 1932, 195 pages.


Shanghaï : La ville du dieu « Business ». — Un laboratoire de modernisation. — Dans la concession française. — Dans les quartiers chinois.

À Nankin : Une capitale imaginaire. — Chang-Kaï-Chek et les femmes de la famille Soong.

Vers le Setchouan : En remontant le Yang-Tsé. — Le désert sur le fleuve. — Dans les gorges du haut fleuve. — À Chung-King, vraie capitale du Setchouan.

Propos chinois : Entretien avec M. C. T. Wang, ministre des Affaires étrangères. — L'affaire Thorburn.

Dans la Chine du Nord : À Pékin. — Les Français de Pékin. — L'Université franco-chinoise et les étudiants retour de France. — Une thèse chinoise sur André Gide.

Dans la Chine du Sud : Hong-Kong, métropole de la piraterie. — Canton, ville réactionnaire.

Diverses questions chinoises : Le nouveau dieu de la « Jeune-Chine ». — La politique du Vatican et les missions catholiques. — Les Chinois contre les missions scientifiques. — Le communisme en Extrême-Orient. — Quelques observations sur les Chinois. — Les étudiants chinois. — L'armée chinoise et la bataille de Shanghaï. — Où en est la Chine ?

Extraits : Dans les quartiers chinois de Shanghaï - Chang-Kaï-Chek et les femmes de la famille Soong
En remontant le Yang-Tsé - À Pékin
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Dans les quartiers chinois de Shanghaï

Nanking road, à Shanghaï.
Nanking road, à Shanghaï.


Les concessions de Shanghaï, qui forment, aujourd'hui, une des agglomérations les plus considérables du globe, étaient, à l'origine, des terrains marécageux, situés aux abords de la sous-préfecture de ce nom, et sur lesquels les autorités chinoises permirent aux étrangers de s'établir pour commercer. La plus ancienne, celle de l'Angleterre, date de 1843. La nôtre est du 18 janvier 1847. Celle des États-Unis d'Amérique, qui est de 1848, unie, en 1863, à la concession anglaise, a formé, avec celle-ci, l'actuel settlement international, où, néanmoins, l'élément britannique prédomine.

La France est donc le seul pays étranger qui ait, sous sa souveraineté, une partie de ce centre mondial, dont la proximité de la nouvelle capitale, Nankin, augmente encore l'importance.

Jusqu'ici, j'avais surtout vécu dans la partie de la concession française consacrée aux agréments de la vie européenne. Je sacrifiais ainsi mes propres goûts à ceux des compatriotes qui m'accueillaient avec une gentillesse dont je leur sais du reste beaucoup de gré. Mais j'arrivais d'Occident et ne venais pas chercher, en Chine, des impressions parisiennes.

Revenu au cours de l'été, j'allais donc, tous les soirs, dans les quartiers chinois du settlement international. Entré par Honan road, je prenais, à gauche, Canton road, puis, à droite, Fokien road. Au carrefour de Foochow road, je m'arrêtais longuement. De grandes bannières, couvertes d'écriture idéographique, faisaient, au-dessus de la chaussée, une voûte mouvante de couleurs. Sur le côté de chacune des boutiques, en un décor rigide, les tablettes verticales, laquées, zébrées de caractères d'or, disaient le commerce et la raison sociale.

Au milieu de la rue, un Sikh, en kaki, la barbe roulée, les longs cheveux rassemblés sous le turban, réglait la circulation. De loin en loin, d'autres Sikhs, armés, ceux-là, du fusil, stationnaient sur les trottoirs.

Une atmosphère très lourde, annonciatrice des typhons, pesait sur la ville. Le grouillement, que traversaient par instants des autobus à trolley, était énorme. L'extrême chaleur a en effet, sur les Célestes, la même action que sur les cancrelats. Ils pullulaient de tous côtés.

Il émanait, de cette foule, ainsi quotidiennement en liesse, une griserie, une ardeur à vivre, intenses, avec des effluves dont on se sentait pénétré.

Dans les magasins, on ne voyait que torses nus, sur lesquels voletaient les éventails ; les hommes mûrs étalant fièrement leur nombril, siège de l'intelligence ; quelques adolescents, des lignes pures qui eussent fait la joie des statuaires grecs.

C'était, de toutes parts, un incroyable ruissellement d'électricité. On vivait, là, une fantasmagorie de rêve, dont ne pourrait se faire une idée le plus imaginatif metteur en scène de féerie. Et les gens, qui s'offraient, toutes les nuits, cette fort coûteuse débauche de lumières — à laquelle rien, chez nous, ne se peut comparer — menaient la vie la plus modeste, patrons et employés mangeant en commun leur bol de riz et se couchant sur de simples nattes, ou même sur les comptoirs de leurs boutiques.

Les maisons de thé, nombreuses à ce carrefour, ne désemplissaient pas. Deux courants continus de gens qui descendaient et de gens qui montaient. Dans les salles, par une température de hammam, les clients qui avaient réussi à s'asseoir auprès d'une table, prenaient des boissons chaudes ou s'essuyaient le visage avec la serviette brûlante qu'un boy leur avait tendue.

Mais poursuivons notre promenade. Par Fokien road, on débouche dans Nanking road, un peu avant les grands magasins Sincère, Wing-On et Sun-Sun, dont les hauts clochetons brillaient au-dessus de la ville, comme des escarboucles. Ces maisons sont curieuses à visiter, car, outre leurs rayons genre Samaritaine, on y trouve des hôtels, des cafés, des dancings, où la jeune Chine, modernisée, afflue, tous les soirs, avec la froide frénésie, propre à la race, dans la recherche du plaisir.

Passant ensuite par Tibet road, qui longe le champ de courses et d'où on peut admirer les plus belles illuminations, je tournais dans Hankow road. Des vitrines de costumes pour artistes de théâtre y attirent le regard. On s'approche et l'on voit, derrière ces oripeaux scintillants, une rangée de cercueils de luxe, où l'or brille sur un fond de laque rouge et noire. Ce double commerce, ainsi rapproché, a une sadique saveur. C'est, dans tous les cas, un joli thème pour philosopher.

Et quels types pittoresques on rencontrait qui réunissaient, en eux, vraies silhouettes des Mille et une nuits, l'Orient et l'Extrême-Orient ! Une fois, deux gros bonshommes, avec de singulières figures de bazar, marchaient près de moi. Ils se racontaient sans doute quelque bonne histoire ou quelque joli tour joué à quelqu'un. Leurs visages, dont on ne voyait plus les yeux tout plissés, s'épanouissaient dans un rire gras que ceux qui n'ont vu que des têtes d'Occident ne peuvent imaginer. L'un des causeurs allait, en se soulageant bruyamment à chaque pas, d'une façon toute naturelle, sans aucune intention de farce, peut-on dire. Je les suivis quelque temps, mais ils entrèrent dans une des nombreuses impasses, éclairées plus discrètement et où se trouvent toutes sortes de lieux de plaisir secrets, avec leurs petites esclaves et les traditionnelles entremetteuses de Chine.

Un autre soir, je fus, en rickshaw, dans Hongkew, ancienne concession américaine qui s'est fondue dans le settlement international et qui, aujourd'hui, est surtout habitée par des Japonais. C'est du reste ce quartier, limitrophe de Chapeï, qui sert actuellement de base aux opérations militaires des Nippons contre les Chinois.

Je suivis longtemps la North Szechuen road, au delà de la Soochow creek. Là encore, je trouvai la même profusion d'électricité et dans le fond de cette rue, qui est véritablement un bas-fond, hors du territoire concédé, j'entrai dans une demi-douzaine de cafés-dancings aux noms suggestifs : « Isis », « Vénus », etc., et dont le public, mêlé de matelots américains, était d'une indéfinissable crapulerie. Les femmes de ces établissements, Chinoises et Russes, recevaient en paiement, comme dans tous les dancings de ce genre, un ticket de quarante cents, dont elles avaient, pour elles, la moitié. Les décors, des girandoles de papier, étaient misérables. Des relents d'urine saturaient l'atmosphère. Je ne m'attardai pas dans ces bouges.


Il est un petit coin de la concession française qui participe à l'intensité de vie nocturne de Shanghaï. Je le connaissais déjà, mais j'ai voulu le revoir. C'est tout en haut de l'avenue Édouard VII, où s'élève, sur notre rive, le « Nouveau monde », établissement de plusieurs étages, surmonté d'un clocheton qui, toutes les nuits, brille de multiples feux.

Pénétrons, après avoir payé les vingt cents de l'entrée.

Au rez-de-chaussée sont des cafés, une ménagerie, des roulettes de foire et une grande salle de théâtre absolument comble. Si l'on monte, on trouve, à chaque étage, d'autres attractions et d'autres salles de spectacle. Sur ces diverses scènes, toutes sortes de pièces se jouent, mais celles qui ont le plus de succès, ce sont les plus traditionnelles, avec masques effarants et intermèdes acrobatiques, accompagnées d'une musique où violons criards, flûtes et clarinettes alternent avec le tintamarre des gongs et des tambours de bois.

Les vingt cents de la porte donnent le droit d'entrer partout.

Dehors, sur le trottoir, des fillettes vous harcellent pour vous vendre une fleur blanche, symbolique sans doute, qu'avec obstination elles glissent dans votre poche du veston. Sous la garde d'une matrone, des filles, dont la plupart furent vendues par leurs parents, attendent le bon plaisir de l'amateur. Le « diable étranger » ne leur fait plus peur comme jadis.

À un endroit, une effroyable loque humaine était aplatie sur le trottoir, ainsi que tombée d'un septième étage. Elle devait appartenir à la Cour des Miracles de la cité. Dormait-elle ? Était-elle morte ? Nul ne s'en préoccupait. On passait, en la contournant, sans lui accorder même un regard.

Les rues voisines, très animées, sont vouées à la prostitution. Par vingtaines, au long des boutiques commerciales, les filles, rangées et surveillées par une gardienne, attendent d'être choisies. Le « salon » est dans la rue.

Rentrant à pied par l'avenue, j'ai eu, sous les yeux, un autre spectacle. une trentaine de locaux, se suivant, sont occupés par des devins que de nombreuses personnes viennent consulter. Devant une sorte d'autel élevé à je ne sais quelle divinité, le sorcier est assis à une table couverte de grimoires. Dans le couloir, qui se trouve derrière ce réduit, on aperçoit toute une enfilade de lits garnis de moustiquaires. une catégorie de clients couche peut-être dans cette espèce de dortoir assez malpropre.

Certains de ces devins sont des chiromanciens qui opèrent derrière une croisée défendue par des barreaux de fer. Le client tend une main entre les barreaux et écoute très attentivement ce qui lui est dit. De temps en temps, le chiromancien prend, entre le pouce et l'index, des mensurations sur le visage du patient, ce qui donne, à ses consultations, un air de science qui ne laisse pas d'impressionner beaucoup l'auditoire de grands enfants que sont les Chinois.

Telles sont les impressions de quelques soirées d'été passées dans les quartiers indigènes de Shanghaï. Au cours de ces promenades, je n'ai pas rencontré un autre Européen. J'étais seul, dans cette ville cosmopolite, curieux de la vie chinoise, en regrettant que mon ignorance de la langue ne me permît pas de mieux la pénétrer, en m'y mêlant plus étroitement.

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Chang-Kaï-Chek et les femmes de la famille Soong


Le gouvernement de Nankin prétend être une émanation du parti Kuomintang, le Congrès national — où sont représentés, d'après les statuts, tous les comités des provinces — l'ayant élu. Malheureusement, ses adversaires ont nié la validité de cette élection, en disant que, pour obtenir ce résultat, le dernier Congrès, réuni en mars 1929, avait été faussé. Ses membres n'auraient pas été choisis, comme il se devait, par les comités locaux, mais en grande majorité par le gouvernement lui-même.

La récente convocation de la « Convention du peuple » a également soulevé de véhémentes protestations et, cette fois, jusque parmi les notabilités du parti Kuomintang et dans le monde officiel lui-même, où de récentes démissions se sont produites, les démissionnaires se réfugiant aussitôt, bien entendu, dans les concessions étrangères de Shanghaï. Ainsi que je l'ai déjà expliqué, c'est une cause de l'actuelle rébellion du Sud contre Chang-Kaï-Chek.

En Chine, on s'efforce toujours de paraître avoir le droit pour soi. C'est une question de face. En se proclamant les mandataires légitimes du parti Kuomintang et du pays tout entier, les chefs de Nankin obéissaient à ce souci d'une apparence légale, alors que cette légalité était, par p.039 suite de la mentalité générale et de l'état social, une pure fiction décorative.

Le gouvernement, considéré désormais comme le gouvernement de jure de la Chine, s'est formé sous l'égide de Chang-Kaï-Chek, généralissime des armées victorieuses, auquel un revirement politique opportun avait valu la confiance des Puissances et sans doute aussi l'appui financier de certaines d'entre elles. Après sa rupture avec Moscou, il était en effet apparu comme l'homme nécessaire, qui mettrait fin aux excès de la Révolution.

Tsiang-Kia-Zah (prononciation de la province du Tchékiang, dont il est originaire) que l'on appelle partout ailleurs Chang-Kaï-Chek, a eu une existence très mouvementée, très diverse, avec des alternatives de réussite et de mauvaise fortune, dans des situations parfois bien inattendues : en somme, ainsi que le comportait d'ailleurs l'époque, une vie d'aventures. Il est né, en 1886, à Von Hô, petite ville de la région de Ningpo. Il a donc 46 ans, mais sa taille élancée, son allure jeune et très énergique font qu'il ne les paraît pas.

En dépit de sa fidélité de principe à la doctrine de Sun-Yat-Sen et au Kuomintang, il n'a cessé d'accentuer son attitude de réaction, jusqu'à la récente réunion de la « Convention du peuple », où il est apparu, aux yeux des politiciens mécontents, comme un dictateur, un nouveau Yuan-Chi-Kaï. Il faut d'ailleurs reconnaître que cette politique est la seule qui réponde à la situation actuelle de la Chine et à ses plus pressants besoins. Ce sont toujours des usurpateurs qui ont sauvé les peuples en perdition. Si Chang-Kaï-Chek rendait cet immense service à ses compatriotes, il p.040 aurait rempli le rôle glorieux qui était autrefois celui d'un fondateur de dynastie. Il est extrêmement douteux qu'il y réussisse jamais.


Par l'habileté avec laquelle il avait réussi à s'élever au premier rang, autant que par l'impeccable académisme de ses proclamations et de ses harangues, on a pu croire que ce général possédait à un haut degré les dons de l'homme d'État. Les renseignements que je tiens de personnes qui ont vécu très près de lui démentent cette opinion. D'après mes informateurs, Chang-Kaï-Chek serait uniquement un militaire, un homme d'action, et il n'aurait aucun goût pour les subtilités de la politique. Il laisse, paraît-il, le soin de cette stratégie compliquée à sa femme et à sa belle-sœur qui s'en acquittent à merveille. Leur rôle est à cet égard tellement prépondérant que c'est d'elles, affirme-t-on, que viennent toutes les suggestions et toutes les directives.

Ces égéries appartiennent à une famille Soong qu'il faut présenter parce que tous ses membres tiennent une place considérable dans l'actuelle politique chinoise.

Le père, négociant à Shanghaï, avait été de ces bourgeois qui, sous l'empire soutenaient en secret le parti révolutionnaire de Sun-Yat-Sen. Il est mort maintenant. Conformément à ses idées, il avait fait donner, à ses enfants, une instruction moderne. Son fils aîné, ministre des Finances du gouvernement de Nankin, âgé de 37 ans, a étudié en Amérique, aux universités de Harward et de Columbia, dont il est gradué. Il passe pour être un financier de valeur, il a su, dans tous p.041 les cas, faire face, ces dernières années, à des situations rendues très difficiles par de successives rébellions.

Deux autres fils occupent des situations importantes aux Affaires étrangères et à la Gabelle.

Néanmoins, comme il est dit plus haut, les filles ont des personnalités encore plus remarquables. Les voici, dans l'ordre :

L'aînée, Soong-Hai-Ling, épouse du ministre du Commerce et de l'Industrie, H. H. Kung, a, elle aussi, étudié en Amérique et elle est graduée du Wesleyan Woman's College de Georgia. Elle a été secrétaire de Sun-Yat-Sen, à Canton, où elle se maria avec Kung, qui devint rapidement ministre des Finances et de l'Industrie du gouvernement nationaliste.

Ceux qui ont approché cette femme la disent d'une intelligence tout à fait supérieure. On affirme que c'est elle qui a la plus grande influence sur la politique de Nankin, tellement, qu'on lui a donné un sobriquet qui signifie : « le Pouvoir derrière le Trône ». Elle passe pour si intrigante et machiavélique qu'on lui attribue des actes qui, s'ils étaient exacts, seraient dignes de la Chronique des petites cours d'Italie, au XVIe siècle. C'est ainsi qu'à la suite de la très grave maladie qui s'est abattue sur Tchang-Hsueh-Liang et sur son premier secrétaire, à leur départ de Nankin, on a prétendu que le mal leur était venu d'une mangue empoisonnée qui leur aurait été servie par Mme Kung. Racontar absurde du reste, la vie de Tchang-Hsueh-Liang étant particulièrement précieuse pour le gouvernement de Chang-Kaï-Chek dont il est le seul ami dans le Nord.

La seconde est Soong-Ching-Ling, la veuve intransigeante de Sun-Yat-Sen, qui ne pardonne p.042 pas au gouvernement nationaliste d'avoir rompu avec Moscou. Elle est allée, elle aussi, en Amérique, et elle en est également revenu avec la graduation d'un Wesleyan Woman's College (La graduation est une sorte de baccalauréat).

La troisième, Soong-Mai-Ling, est la femme de Chang-Kaï-Chek — sa concubine, disent beaucoup de Chinois, car, pour l'épouser, le généralissime s'est séparé d'une première femme. Ce qu'avait du reste fait Sun-Yat-Sen, lui-même, pour l'unir à Soong-Ching-Lin.

Soong-Mai-Ling, comme ses sœurs, a fait ses études en Amérique. Aussi intrigante que Mme Kung, et, de plus, très ambitieuse, il n'est pas douteux qu'elle ait grandement contribué à pousser l'ancien généralissime révolutionnaire vers la dictature.

Le ménage de Chang-Kaï-Chek n'a pas du tout la vie trépidante et luxueuse qu'on pourrait croire. L'existence qu'on y mène est la plus simple, la plus bourgeoise du monde. Cela, au point, d'après un témoignage très digne de foi, que les gens de l'entourage s'y ennuient et n'aspirent qu'à s'en éloigner.

Il reste enfin une quatrième sœur, toute jeune, Soong-Miao-Ling, que l'on cherche, dit-on, à marier avec le frère cadet de Tchang-Hsueh-Liang, le général Tchang-Hsueh-Ming, depuis peu gouverneur de Tientsin.


Tel est le clan qui, entouré de la grosse clientèle qu'assure toujours le fait de disposer des places, des faveurs et de l'argent, détient le gouvernement de la Chine. Pour combien de temps encore, voilà ce qu'il est impossible de p.043 prévoir. Soyons assurés que s'il tombait, quelque jour, il serait remplacé par un autre clan, avec sans doute, lui aussi, le concours des puissances étrangères qui ont besoin de cette fiction d'un gouvernement central.

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En remontant le Yang-Tsé

La canonnière française La Grandière, à Itchang.
La canonnière française La Grandière, à Itchang.


Je suis parti pour Chung-King, au Setchouan, aussitôt après le petit séjour que j'ai fait à Nankin, au mois de mai. Il n'y a, pour cela, qu'une seule route : le Yang-Tsé-Kiang, le fleuve Bleu, que l'on remonte sur un parcours de plus de quatorze cent milles marins, c'est-à-dire de près de trois mille kilomètres.

Ce que l'on appelle « Bas Yang-Tsé » est la partie du fleuve qui va de l'embouchure à Han-kéou et couvre une distance d'environ douze cents kilomètres.

La région, ainsi traversée, est celle qui fut le théâtre, en 1927, lors de l'avance de l'armée sudiste, de l'extraordinaire effervescence xénophobe qui aboutit au pillage et au massacre de Nankin. À cette époque, les soldats tiraient, des rives, des coups de fusil et de mitrailleuse sur tous les bateaux battant pavillon étranger.

Après le revirement politique de Chang-Kaï-Chek et la prise, par les troupes du nouveau gouvernement de Nankin, de Hankéou, restée capitale des extrémistes, ces agressions, auxquelles d'ailleurs les canonnières répondaient vigoureusement, prirent fin. Elles ont recommencé, l'année dernière, lorsque les bandes communistes, qui terrorisaient le Hounan et le Kiangsi, sont parvenues sur les bords du Yang-Tsé. C'est alors qu'une de ces bandes s'est emparée de la grosse mine de fer de Tayeh, entre Kiukiang et Hankéou, et l'a occupée quelque temps.

Dans les mois qui ont suivi, les troupes expéditionnaires de Nankin n'ont certes pas réalisé la promesse faite d'anéantir les « rouges », mais elles ont du moins réussi à les éloigner du fleuve et à rendre plus de sécurité à la navigation. Sécurité d'ailleurs assez précaire, puisque, ces jours derniers, au moment même où Chang-Kaï-Chek, à la tête de 300.000 hommes, cherche à encercler les communistes, un petit groupe de ceux-ci a tiré, de la rive droite, un peu au-dessus de Nankin, sur plusieurs bateaux.


Je me suis embarqué, un soir, sur un steamer, qui fait habituellement la navette entre Itchang et Chung-King, mais descend parfois occasionnellement jusqu'à Shanghaï. Bien qu'appartenant à des Chinois, il navigue sous notre pavillon, une maison française d'import et d'export étant entrée dans l'association pour une petite part du capital. Cela lui évite bien des désagréments, notamment d'être réquisitionné, et lui assure, en outre, une garde de marins qui lui est fournie par l'une de nos canonnières.

Le capitaine, qui le commande, est également Français ; il est même, non seulement le seul Français, mais le seul blanc du bord. Tout le reste est Chinois et cela fait une curieuse atmosphère, chacun y vivant, avec la plus parfaite ingénuité, selon des habitudes que le dressage anglo-saxon est à peu près parvenu à supprimer chez les boys en service auprès des Européens.

J'avoue que j'en ai été gêné, au début, quand je voyais, par exemple, à tout instant, les cuisiniers se moucher abondamment avec les doigts, puis les essuyer à leur tablier ; ou bien lorsque quelque autre expectorait, à grand fracas, un crachat énorme, sans se donner la peine de l'envoyer dans le fleuve. Est-ce vraiment, chez eux, un besoin ou une manie ? Je me le suis demandé souvent, en voyant un même individu cracher ainsi sans arrêt, avec de très courts intervalles de deux à trois minutes. C'est, comme l'ont remarqué tous ceux qui sont venus en Chine, un usage général. Cet usage est tellement invétéré que Sun-Yat-Sen, dans ses « San Min », l'a reproché à ses compatriotes, en leur recommandant expressément de s'en corriger.

On se fait d'ailleurs fort bien à cela, car, après trois jours, je n'y prenais plus garde. Dans tous les cas, celui qui vit constamment au milieu de cette ambiance ne peut avoir la prétention d'y rien changer. Ça participe, pour lui, de cette existence d'âpre solitude et de dépaysement total qui doit avoir, au fond, un charme singulièrement puissant.

Elle comporte du reste aussi, parfois, cette existence, de sérieux risques, et le commandant L., qui la mène depuis huit ans, en a vu — on peut dire — de toutes les couleurs. Par exemple, une fois, il a eu six passagers indigènes tués par un feu de mousqueterie venu des rives.

Une autre fois, il avait embarqué, à Whan-Hsien, sans s'en douter — le contrôle est d'ailleurs impossible — une bande de pirates. Quand la nuit fut venue, ceux-ci se présentèrent à la passerelle, le revolver au poing, et réclamèrent cinquante mille dollars. Avec le concours du comprador du bateau, on parlementa et, après de longues palabres, agrémentées d'un bon repas, bien arrosé, on finit par se mettre d'accord, sur une somme de six cents dollars ! Non pas des dollars « gold », mais des dollars argent de Chine, bien entendu.

La plus désagréable rencontre, dont le commandant garde le souvenir, fut celle-ci :

Un jour, la route lui fut barrée par un nombre considérable de sampans et de jonques pleins de soldats, qui paraissaient prêts à tirer si le bateau ne stoppait. Il aurait pu foncer à toute vitesse et, en chavirant quelques embarcations, il serait passé, mais il aurait essuyé un feu d'enfer et perdu du monde. En outre, il se faisait des ennemis redoutables, dans cette région qu'il traversait continuellement.

Il arrêta donc. Un général monta à bord et lui donna l'ordre d'embarquer toute sa troupe. Lui-même s'installa dans son logement, tandis que ses hommes envahissaient le bateau. Il en monta ainsi, avec ceux qui vinrent du rivage, quatre mille. Ils couvrirent les trois ponts et se nichèrent dans tous les coins. Cette horde resta là plusieurs jours, épuisant les provisions, faisant un affreux désordre et répandant partout une innommable saleté.

Pour comble d'ennui, le commandant avait, avec lui, sa jeune femme qui, très crâne, l'accompagne souvent et tous les deux, n'ayant plus de logis, ne sortaient pas de la passerelle.

Il n'y avait pas encore de marins français à bord. Maintenant, cette garde, pour si peu nombreuse qu'elle soit, permettrait probablement d'éviter une telle aventure.

Contre les coups de feu, le local du commandant est protégé par un blindage ; la passerelle est garnie de plaques de tôle qui peuvent se rabattre comme une visière de casque ancien. Dans le pont inférieur, les Chinois disposent, sur certains points, d'une protection du même genre. Au-dessus, les étrangers de passage n'ont aucun abri à l'épreuve des balles, mais, en cas de danger, ils peuvent se réfugier dans le blockhaus de la passerelle. Il y a ainsi juste assez de risques pour donner plus de saveur au voyage.


Dans la première partie de ce long trajet, notre bateau, contrairement à ceux qui font régulièrement la ligne, ne s'arrêta nulle part. Il a mis trois jours pleins pour atteindre Hankéou.

Étant partis à 5 heures du matin, quand je me suis réveillé nous entrions dans l'immense fleuve dont les eaux sont tellement chargées de limon qu'elles jaunissent la mer jusque fort loin, à plus de vingt-quatre heures de navigation. Toute la journée, nous avons remonté l'énorme courant, ne voyant qu'une rive très plate, le rivage opposé étant rendu invisible par la distance, une vingtaine de kilomètres au moins.

Le lendemain, de très bonne heure, nous passions devant Nankin et, dans l'après-midi, devant Ouhou. Le fleuve n'avait plus la même largeur. On distinguait assez bien les deux rives que ne séparaient plus que quatre kilomètres environ. Sauf les collines qui dominent Nankin, le pays continue d'être tellement plat que la vue en devient fastidieuse. Ce morne paysage était encore aggravé par une épaisse brume qui écrasait tout.

Le troisième jour, l'horizon, à gauche et à droite, n'a plus le même aspect. D'un côté comme de l'autre, on aperçoit au deuxième plan des lignes successives de montagnes, dont les dernières ont des sommets très élevés. Ce sont celles de la rive droite qui servent de repaire aux petites armées communistes.

À 9 heures du matin, nous dépassions Kiukiang, dont, en 1927, la concession anglaise fut, comme celle de Hankéou, envahie par la populace chinoise qui en resta maîtresse. Ainsi qu'à Nankin et à Ouhou, nous y avons vu, ancrées, plusieurs canonnières étrangères.

Au milieu de la nuit suivante, nous arrivions à Hankéou. Cette première partie du parcours, il y a quatre ans particulièrement dangereuse, s'est ainsi faite dans les conditions les plus normales. Nous avions néanmoins une petite garde que nous avons débarquée et qui a été remplacée, pour la continuation du voyage, par une garde un peu plus forte.

Ce qu'il convient de noter surtout, c'est que ce point, à tous égards très important, est à peu près à la limite de la zone pratiquement gouvernée par Nankin.

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À Pékin

Un païlou (arc) dans la ville tartare, à Pékin.
Un païlou (arc) dans la ville tartare, à Pékin.


Trois ans se sont écoulés depuis que je quittai Pékin, après sa prise par les Sudistes et sa déchéance comme capitale. À ce moment-là, son avenir paraissait des plus sombres. Le transfert des ministères à Nankin et la disparition d'un nombre considérable de fonctionnaires avaient jeté le commerce dans une profond marasme. De nombreux magasins fermaient leurs portes et beaucoup de gens, mis sur le pavé par ce bouleversement, allaient chercher une situation ailleurs. Les bruits coutumiers même de la cité tartare, d'ordinaire toute bruissante, semblaient s'éteindre.

Une grande mélancolie planait sur cette ville, d'un passé magnifique, auquel le destin venait de mettre le point final. Il était devenu courant de parler de la mort de Péking, dont on avait du reste supprimé le nom, pour le remplacer par celui de Péping qui, francisé, fait Pépin.

Or, j'ai retrouvé Pékin avec la vie et le mouvement qu'il avait avant la catastrophe politique de 1928 et, j'ajouterai, avec le grand air de capitale que rien ne saurait lui enlever. Non seulement sa population s'est reconstituée, mais elle s'est accrue, d'après le dernier recensement, dont les résultats, publiés récemment, donnaient très près d'un million quatre cent mille habitants.

Il y a plusieurs raisons à cette renaissance. La première — et sans doute la plus importante — c'est que, sur le conseil d'hommes comme Li-Yu-Yn et Tsaï-Yuan-Peï, on a fait, de l'ancienne capitale, une ville universitaire. Il y a actuellement une demi-douzaine d'universités, parmi lesquelles une université franco-chinoise, fondée par Li-Yu-Yn, dans un but de coopération intellectuelle entre nos deux pays et dont je compte parler plus longuement.

Ces divers établissements d'enseignement supérieur comptent ensemble vingt mille étudiants. Certes, cette jeunesse est très effervescente ; elle s'occupe trop de politique et il y aurait même, parmi elle, de nombreux communistes. Toutes choses qui ont amené des incidents fréquents, des arrestations et qui ont nui gravement aux études. Par contre, il est certain que cet élément, qui porte au suprême degré l'ardeur à vivre, si remarquable dans la race chinoise, devait puissamment contribuer à galvaniser de nouveau la vieille métropole impériale agonisante.

Le retour à Pékin du seigneur de Moukden, le jeune maréchal Tchang-Hsueh-Liang, à la tête d'une armée, avec un important état-major et de nombreux fonctionnaires, a été une autre cause de résurrection. Cette occupation ne rend certes pas, à cette ville séculairement habituée au grand train de la plus ancienne cour du monde, l'éclat de jadis, mais elle la réveille de l'espèce de sommeil léthargique où l'avait plongée l'administration du paysan du Chansi, Yen Hsi Chan. Si elle n'est plus, comme autrefois, le siège du gouvernement de toute la Chine, les circonstances dans lesquelles est revenu le fils de Tchang-Tso-Lin et les conditions de l'accord avec Nankin la mettent au rang d'une capitale de la Chine du Nord.


Enfin, de plus en plus, Pékin devient un but de grand tourisme. Il est, à cet égard, dans la même situation que l'ancienne capitale du Japon, Kioto. Son plan même, avec ses principales voies, longues et larges, toutes droites, et ses alignements de maisons, aux portes encadrées de hautes hampes, a la plus grande allure. Il porte la marque de ses créateurs, les conquérants mongols, héritiers de Gengis Khan qui, au treizième siècle, établirent, là, leur résidence.

L'ex-Cité interdite, où se trouvent les palais impériaux ; l'admirable temple du Ciel, certaines autres pagodes, l'étonnante et massive muraille tartare, avec ses monumentales portes à triple toiture, les tours de la Cloche et du Tambour ; tant de choses encore. Tout cela forme un ensemble archéologique unique, auquel rien ne peut se comparer et dont le caractère, à la fois grandiose et simple, s'harmonise à merveille, par une grâce particulière à cette ville de songe, avec la rusticité de quartiers immenses, aux rues villageoises de sol battu.

Certes, bien des choses sont à regretter. La conservation des palais impériaux ne paraît pas préoccuper beaucoup les fonctionnaires qui, sans doute, en ont la charge. Toutes les toitures sont couvertes d'herbes déjà épaisses qui, en arrêtant l'eau des pluies, doivent provoquer des gouttières très préjudiciables, à l'intérieur des bâtiments. Le bel enduit écarlate des murailles impériales s'écaille, sans être aucunement réparé ; il n'en restera bientôt plus rien. Encore quelques années d'une telle négligence et ces palais, qui sont un des plus magnifiques témoignages de l'art chinois, tourneront à la ruine. Ruines sans beauté, car il ne s'agit pas, ici, de marbres que dore le soleil et patine le temps, mais de boiseries, de laques et de peintures délicates, qui disparaîtront totalement sous une affreuse moisissure, avant de s'écrouler.

Il faut déplorer aussi la disparition de l'ancien style, pour la construction des magasins. Les bois ajourés et la laque d'or d'antan, ainsi que les hautes hampes, font de plus en plus place à des façades de ciment armé, couronnées de frontons, où des dieux et des génies coloriés font penser qu'il y a peut-être, quelque part, en Chine, une fabrication analogue à celle de nos produits du quartier Saint-Sulpice. Il ne faut d'ailleurs y voir, probablement, qu'une question de prix ; ce doit être moins coûteux, mais c'est d'autant plus désolant que cela se constate dans tout cet immense pays. Cependant, tant que subsisteront les tablettes et la très décorative écriture idéographique, rien d'essentiel, dans ce qui entoure le Chinois, n'aura été changé.


En dépit de ces quelques verrues, Pékin reste la ville exotique la plus attirante qui soit au monde. On doit la placer même, pour sa puissante et inégalable originalité, avant cette autre ancienne capitale, fort remarquable, elle aussi, aux mêmes titres : Constantinople. Il faut la considérer comme une très précieuse œuvre d'art.

C'est un indéfinissable plaisir que d'errer en « rickshaw » (pousse-pousse), dans ses hutungs (petites rues), parmi les résidences chinoises aux belles portes de laque rouge, cloutées de larges rosaces de cuivre. On va, doucement cahoté, dans une paix toute campagnarde, où, seuls, rompent le silence — avec accompagnement de tout petits gongs et de minuscules tambours à manche, que viennent battre, en les retournant, les grains durs qui y sont fixés par de courtes ficelles — les longs cris des colporteurs, marchands de cuisine ou de grillons. Ceux-ci poursuivant sans arrêt leur bruissant concert, dans les panières suspendues aux deux extrémités d'un bambou.


Les arrêts aussi dans les innombrables boutiques de « curios » ou les simples bric-à-brac, chez lesquels on fait parfois des trouvailles qui enchantent.

On apprend, dans les contacts que l'on a avec la population, au cours de ces promenades — en comparaison surtout avec les autres villes que l'on a connues — à apprécier le Chinois de Pékin. Il est poli sans obséquiosité ; il ne donne jamais l'impression de l'hostilité xénophobe ; son sourire est fin et sa dignité charmante. Il faut sans doute attribuer cela à un heureux naturel, mais aussi peut-être à l'atmosphère de haute civilité qui devait se répandre, de la cour, dans toute la ville, jusqu'aux plus humbles coolies.

Ce n'est d'ailleurs pas sans surprise que l'on constate, chez ces modestes travailleurs — dans toute la Chine, mais surtout à Pékin — un instinct artistique des plus vifs. En ce moment même, on préparait, dans le voisinage, la construction d'un immeuble. Des terrassiers, armés chacun d'un lourd pilon, tassaient le terrain sur lequel devaient s'élever les murailles. Ils frappaient le sol avec un ensemble parfait, on n'entendait qu'un seul choc. La cadence leur était donnée par un chœur vraiment beau. Un vieux Chinois, se tenant près d'eux, l'éventail à la main, improvisait de courts couplets, auxquels tous répondaient à pleine voix, en abaissant leur pilon. Tout travail est rythmé. C'est ainsi que j'ai vu les commis des magasins de vêtements étaler et offrir leurs marchandises en les chantant ; chacune étant, en quelque sorte, de cette façon, mise en musique.


Les événements ont souvent donné, par un violent contraste, à cette atmosphère si douce et si paisible, quelque chose de pathétique. C'était le cas, à mon précédent séjour, en 1928, et on pouvait se demander si cela n'allait pas se reproduire. Un général, Shi-Yu-Shan, venait en effet de mettre son armée en marche sur Pékin et l'on se battait de nouveau du côté de Paotingfou. On allait d'ailleurs être bientôt fixé, sur les suites de ce conflit militaire, auquel l'alliance de Nankin et de Moukden devait pouvoir faire face. Mon séjour ne se prolongerait donc plus beaucoup sans doute.

Du haut de ma loggia de l'hôtel de Pékin, qui domine la ville tartare, je contemple longuement le prestigieux panorama, ainsi que chaque fois, comme si je ne devais plus le revoir. Il y a tellement d'arbres rituels dans les habitations, que l'on a, devant soi, une sorte d'immense verger, où les toitures chinoises font des taches grises. À cette époque estivale, un incessant concert de cigales s'en élève, plus formidable et métallique que tout ce qu'on peut entendre dans les oliveraies de Provence ou les pinèdes des Landes.

À gauche, luisent, sous le soleil, les tuiles jaunes vernissées des palais et pavillons de la Cité impériale qui se termine par la montagne de Charbon, couronnée de kiosques aux angles relevés. Au-delà de cette colline et dans le même axe, on aperçoit la tour du Tambour et la tour de la Cloche. Plus loin encore — très loin, car le périmètre de la muraille est d'une quarantaine de kilomètres — se détachent nettement, dans la pure lumière, les portes à triple étage du Nord et de l'Est.

De-ci, de-là, des tours de pagodes accentuent ce décor d'Extrême-Asie qu'encercle une ligne heurtée de monts romantiques, derrière lesquels la fin du jour incendiera tout à l'heure un ciel de légende.

Telle est la vision que j'ai toujours emportée de Pékin. Bien qu'il soit déchu du rang de capitale, c'est un joyau que l'on se disputera sans doute encore bien des fois.

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Le 8 juin

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