Jacques Hardy et Charles Lenormand

LES CONCEPTIONS RELIGIEUSES DES CHINOIS

À travers le monde. Hachette, Paris, 16 mars 1907, 13e année, pages 81-84.

Un décret impérial rendu récemment vient d'élever Confucius au même rang que le Ciel et la Terre, divinités dont l'Empereur s'est réservé le culte. De ce fait, le personnage sacré se trouve enlevé à la vénération des collèges de l'État. Les journaux ajoutent que cette mesure est considérée comme une délicate attention du gouvernement à l'égard des étudiants chrétiens des collèges de l'État, qu'une très ancienne coutume obligeait à vénérer les tablettes de Confucius.

Taoïsme, bouddhisme, confucianisme, tels sont les trois termes qui servent à exprimer les idées chinoises en matière de religion. Mais quelles sont les caractéristiques de ces trois doctrines ? Y a-t-il dans un esprit chinois une démarcation bien déterminée entre chacune d'elles ?

La race jaune semble n'être jamais arrivée à une conception nette de la divinité. Son esprit, terre à terre et peu spéculatif, n'a pas éprouvé le besoin de synthétiser ses idées cosmogoniques et de les condenser en une conception grandiose et unique, expliquant ou essayant d'expliquer l'univers physique et moral. L'à-peu-près, le tchâ-pou-to lui suffit. Le fait seul l'intéresse, il semble que la faculté de généralisation ne se soit pas développée chez elle. Et comme, malgré tout, le Mongol ne pouvait s'empêcher d'être frappé de terreur par les phénomènes adverses ou supérieurs, il s'est contenté d'en faire de vagues personnalités, des êtres invisibles, des génies bons ou mauvais, tenant de plus ou moins près à l'humanité, ayant les mêmes qualités et les mêmes défauts que les hommes, génies que des cérémonies, des formules, des sacrifices peuvent enchaîner.

Cette conception semble bien la même qui a produit l'anthropomorphisme indo-européen. Mais il y avait chez les Aryens et les Sémites un amour de la beauté, de la logique et aussi de la généralisation, qui les a amenés à la fois à faire de leurs dieux des hommes idéalisés et en même temps à s'élever par des abstractions successives jusqu'à l'idée de l'Absolu. Rien de semblable chez les Jaunes. Leurs Génies restent vagues et flous, ou si un effort leur donne un peu de la forme humaine, c'est pour en faire des êtres sans grandeur, des mandarins de l'au-delà, ou bien des épouvantails.

Outre la religion des esprits, les premières tribus jaunes, comme tous les peuples à l'origine, eurent le culte des ancêtres ; et en l'absence de notions métaphysiques bien définies, ce culte, ayant une base solide et tangible, est resté la vraie religion des nations de l'Extrême-Orient.

Cette dualité de culte est l'essence du taoïsme, ce n'en est pas encore la lettre. Il appartenait à Lao-tze de réunir toutes ces croyances vagues en un corps de doctrine.

Lao-tze vécut vers l'an 600 avant notre ère. Il nous apparaît comme un philosophe profond, un génie transcendant, un esprit de la plus haute envolée, proche parent des prophètes juifs et des grands fondateurs de religions. Sa pensée atteint maintes fois au sublime, et rappelle la Bible. Aussi s'est-on demandé s'il n'y aurait pas là plus qu'une analogie fortuite, et si ce philosophe, que la légende dit être né à 86 ans et avoir voyagé dans l'ouest, ne serait pas un disciple des sanctuaires de Chaldée et d'Israël, — ou de l'Inde — revenu dans son pays à un âge avancé pour y prêcher la parole sainte. Il est en effet une exception étonnante parmi tous les écrivains chinois. Seul, il ose s'élever jusqu'à l'absolu, qu'il entoure d'un redoutable mystère, et sa pensée était si éloignée de la mentalité de son peuple, qu'aucun n'a su le comprendre. Sa doctrine, soumise aux commentaires littéraux d'esprits vulgaires est redescendue aussitôt des hauteurs où il l'avait établie pour retomber dans le grotesque d'un mandarinat surnaturel.

Lao-tze a exposé les principes de sa doctrine dans le Tao-te-King, ou livre de « la Voie et de la Vertu ». C'est un ouvrage de métaphysique pure, d'une philosophie spiritualiste ou plutôt panthéiste, écrit en une langue ardue, souvent obscure, et qui fait le désespoir des commentateurs. Le mot Tao signifie la Voie, c'est-à-dire le progrès qui conduit les êtres vers la perfection, et par suite l'Absolu, vers qui tous les êtres et toutes les choses tendent, en qui tout se confond. Mais cet Être suprême reste mystérieux et indéterminé, tel le Brahma indou. Tous les attributs se confondent en lui, et il n'atteint pas la nette personnalité de Jéhovah ou des dieux solaires. Il y a cependant dans le Tao-te-King une ébauche de la Trinité : « Le Tao a produit un ; un a produit deux, deux a produit trois, et les trois ont produit toutes choses. »

Cette doctrine était trop spéculative pour des esprits chinois. Les disciples mêmes du grand philosophe ne le comprirent pas, et il se plaint quelque part de se trouver solitaire et de parler dans le désert. À plus forte raison, ceux qui n'avaient pas entendu sa parole, furent-ils promptement déroutés par ses abstractions, si éloignées de leurs habitudes intellectuelles. Aussi, le taoïsme a-t-il rapidement perdu son élévation première pour n'être plus qu'un tissu de superstitions et de procédés de sorcellerie assaisonnés de préceptes moraux.

Ce taoïsme vulgaire a trouvé son expression dans un livre populaire, le Kan-Yin-Pien, ou Traité des Rétributions, qui est actuellement le véritable bréviaire taoïste et qu'on enseigne dans les collèges. Ce Kan-Yin-Pien a été écrit vers le XIIe siècle. La langue en est simple, presque grossière, mais très nette et très positive. Nous sommes loin de l'élévation de pensée de Lao-tze. Il n'y a plus ici, parmi un ramassis d'histoires moralisatrices, qu'un exposé brutal de la hiérarchie des Génies et des cérémonies qu'il convient de célébrer en leur honneur.

Il n'est plus question du Tao mystérieux et infini. Le Chen ou Génie suprême est le Seigneur du Ciel, Tien-Chen ou Lao-tien-yé. C'est l'Empereur des Génies, celui à qui les Chen inférieurs viennent rendre compte, à jour fixé, de tous nos actes. La hiérarchie des génies est du reste parfaitement organisée et, des Chen supérieurs qui résident dans la Grande Ourse, à ceux qui veillent sur les villes, les fleuves, les montagnes, les maisons, l'âtre, les métiers, qui président à tous les actes de la vie, toute une innombrable population administrative et surnaturelle emplit le monde invisible, tient par doit et avoir la comptabilité des mérites et des démérites, et à certaines époques, vient rendre compte de sa gestion au Génie suprême. Ce sont proprement les anges de la croyance chinoise, mais beaucoup plus nombreux et plus exigeants que les nôtres. Il y a un Chen de l'année qui s'envole au Ciel à la dernière minute de l'an révolu, il y a un Chen du jour, un Chen de la porte, , un Chen de la poussière, qu'on ne doit déranger qu'une fois par an, etc.

Cependant, dans la foule des esprits plus ou moins puissants, il faut citer l'Esprit de la Terre. Moins puissant que celui du Ciel, il n'en est pas moins presque aussi vénéré que lui, et son culte, comme celui du Tien-Chen, est réservé à l'Empereur. Car la hiérarchie chinoise ne perd jamais ses droits, et, s'il est ordonné à tous de vénérer profondément les deux grands Chen, l'Empereur seul a le droit de leur faire des sacrifices et de s'adresser directement à eux. Il y a ainsi les Esprits réservés aux mandarins des divers ordres, puis les Esprits auxquels les vulgaires mortels doivent rendre leurs devoirs. De la sorte, les prières suivent la filière hiérarchique et le principe administratif est sauvegardé. Il faut dire d'ailleurs que le Chinois ne songe pas à enfreindre ces prescriptions, et que, s'il remplit minutieusement les rites que lui impose la peur du surnaturel, il ne va pas au delà.

Les Génies sont immortels. La plupart des Chen sont d'origine céleste et suprahumaine. Mais il n'y a pas une démarcation absolue entre l'humanité et la divinité ; les hommes qui se sont distingués par leurs vertus et leurs bonnes actions passent après leur mort au rang de Génies terrestres ou de Génies célestes : c'est le reste du Tao primitif, du progrès qui conduit l'âme méritante, par des échelons successifs, du joug de la matière à l'absorption en l'Absolu. C'est aussi la consécration du culte traditionnel des morts et des ancêtres. Ces âmes divinisées sont les saints de la croyance chinoise. Chaque famille a les siens ; chaque village, chaque ville, chaque région a ses saints qui sont en grande vénération et auxquels on élève des temples.

Mais le nombre des hommes ayant mérité de passer au rang des saints ou des génies est, en Chine comme ailleurs, une infime minorité. Que deviennent donc, dans la croyance taoïste, les âmes des autres, de ceux qui vécurent de la vie moyenne, sans grands crimes et sans grandes vertus, ou encore de ceux qui ont franchement démérité ? C'est ici que se montre l'insuffisance métaphysique et morale des Chinois. Il ne faut pas s'attendre à trouver chez eux l'une de ces conceptions spiritualistes, panthéistes ou positivistes de l'âme qu'ont su dégager les intelligences aryennes ou sémites. Pour le Chinois, l'âme est le double du corps, c'est de la matière subtilisée, invisible, qui garde tous les sentiments, les qualités, les défauts, les besoins du corps qu'elle a quitté, qui a besoin d'une demeure, le tombeau, qui souffre loin de ceux qu'elle aima, qui hait ceux qu'elle hait, qui doit se nourrir des mets que le mort aimait, qui ne se trouve bien que dans le lieu qu'elle a choisi, vivante, pour sépulture. De là, tant de choses qui nous paraissent bizarres dans la Chine actuelle. Le Chinois travaille toute la vie en vue de son tombeau, il en choisit l'emplacement, et y consacre une somme importante. S'il doit partir en voyage, il ne s'en va qu'après avoir pris ses précautions pour être rapatrié en cas de mort. La Chine, qui n'a pas de cimetières, est véritablement le pays des tombeaux ; il y en a à tous les coins des champs, dans les faubourgs, au cœur même des villes.

La question morale est du reste assez secondaire : l'âme qui a un beau tombeau pour demeure et à qui ses fils font les offrandes et les sacrifices, dont la fumée nourrit les ombres, cette âme, même peu méritante et chargée de forfaits, est à peu près sûre de vivre heureuse, d'après la croyance populaire. Mais, si le mort est resté sans sépulture, se trouve enterré loin de sa maison, est privé d'offrandes et de prières, s'il a disparu de la vie avant d'avoir pu satisfaire à quelque sombre vengeance, son âme restera errante dans l'espace, sinistre et malfaisante, répandant le malheur sur son passage, semant la mort et l'incendie. C'est un Koei ou mauvais Génie qui doit errer et faire du mal jusqu'à ce qu'une sépulture honorable lui redonne la tranquillité ou qu'une réincarnation le ramène à la vie.

Les prêtres de ce taoïsme sont les sorciers. On ne saurait s'imaginer l'influence qu'ont les sorciers sur les populations. Sans études préalables, sans autre mission que celle qu'ils se donnent à eux-mêmes, ces hommes, des charlatans dans l'infinie majorité des cas, savent s'imposer à la vénération de leurs concitoyens, et en tirent de bons revenus. Un Chinois n'oserait accomplir aucun acte important de la vie, sans prendre conseil d'un sorcier. Celui-ci, moyennant finances, accomplit quelques rites bizarres, quelques incantations, et assure la bienveillance des esprits. S'agit-il de construire une maison, un tombeau, un yamen, le sorcier, gravement, examine les lieux, la couleur du terrain, la direction des sources et des cours d'eau, etc., se plonge dans une série de réflexions transcendantes et profondes, et ensuite prononce son arrêt, qui est toujours exécuté. Il va sans dire que, si la construction projetée doit gêner un individu plus riche ou plus généreux que le consultant, le désir de celui-ci est déclaré contraire à la volonté des esprits. C'est la superstition du fong-choui (vent et eau), l'une des plus invétérées dans l'Empire du Milieu. Telle est cette doctrine du taoïsme, qui partie d'une philosophie très élevée et comparable à l'origine aux plus hautes conceptions religieuses de la race blanche, au christianisme, au judaïsme, au bouddhisme, à l'islamisme, n'est plus qu'un tissu de superstitions enfantines, de pratiques de magie, et de rites dont le sens s'est perdu. L'essai de synthèse philosophique qu'avait tenté Lao-tze a échoué, il n'est resté que le fonds vague de pratiques populaires nées spontanément au sein de la race jaune, et que rien n'a pu détruire.

À peu près contemporain de Lao-Tze, Confucius ou Koung-Fou-Tze partit de ce même fonds pour établir sa doctrine. Mais plus positif, moins spéculatif que lui, il n'essaya pas d'échafauder de système métaphysique. Il accepta telles quelles les conceptions de ses contemporains sur les esprits, les traitant seulement avec un peu d'intime dédain. Il ne se perd pas en considérations sur la divinité, sur l'absolu, ni sur l'au-delà, et se contente d'indiquer des règles de morale pratique. Par là, il s'est montré vraiment chinois, et a mérité de passer, aux yeux de ceux de sa race, pour le plus grand homme de la Chine. Il faut avouer qu'il n'en est pas tout à fait de même pour nous. Notre besoin de logique nous force à chercher une base à la morale, que cette base, d'ailleurs, soit religieuse ou scientifique. Un Chinois ne se torture pas tant l'esprit : ce qui est permis est bon, ce qui est défendu est mauvais, il ne va pas plus loin, cela lui suffit. Confucius fait de même. Pou-hao-can, cela n'est pas convenable, tel est son critérium moral. Et, depuis deux mille cinq cents ans, les Chinois redisent après lui pou-hao-can.

On voit que l'admiration que l'on a eue longtemps en Europe pour Confucius, que l'on prenait de confiance pour un positiviste, est un peu outrée. Rien chez lui qui ressemble à une théorie, à un kantisme quelconque ; aucune idée élevée du devoir : des préceptes de morale vulgaire, et c'est tout.

Nous avons dit du reste, que Confucius ne fait nullement la guerre aux esprits ; s'il ne se prononce pas sur leur origine, leur nature, leur genre d'existence, il ne prêche pas moins leur respect et leur vénération. Il parle du génie du ciel, des génies du foyer, des montagnes, des fleuves, de tous les innombrables esprits qui peuplent le ciel et la terre, et il recommande de leur faire des sacrifices, ainsi que les ancêtres l'ont toujours fait. Il cherche surtout à ne pas heurter les lois et les usages établis, et se défend de rien innover. Mais, ce culte traditionnel est pour lui beaucoup moins important que l'amour du prochain.

Sans le défendre formellement, le confucianisme proscrit tacitement le culte des images. C'est une doctrine de lettrés : l'écriture est la chose sainte par excellence. Le nom d'un esprit ou d'un ancêtre écrit sur une tablette suffit pour attirer son âme, son koei, ou du moins une de ses âmes, car cela n'empêche pas son autre koei, dédoublement de celui-ci, de demeurer dans le tombeau auprès du corps. Il y a là une question qui ne semble pas avoir été bien élucidée par les Chinois, qui ont accepté à la fois les données taoïstes et confucianistes. Nous verrons même que la plupart ont admis en même temps la doctrine bouddhiste qui veut que selon ses mérites ou ses démérites, l'âme monte au ciel des élus, descende aux enfers ou se réincarne, ce qui fait un second dédoublement. Mais la logique chinoise s'accommode très bien de cela.

Les temples de Confucius ne contiennent pas de statues. À la place d'honneur trônent les tablettes du sage, accompagnées de celles des saints de la localité et des esprits protecteurs de la région. Le culte de Confucius était jusqu'ici réservé aux lettrés ; aussi ses temples portent-ils le nom de temples des lettrés.

Il ne faudrait pas croire cependant que les lettrés, qui regardent officiellement un peu de haut les rites taoïstes, s'astreignent à ne pas pénétrer dans les temples de la religion vulgaire. Il n'y a pas incompatibilité entre les deux doctrines, et le même mandarin qui vient de faire brûler des baguettes odoriférantes devant les tablettes de Confucius ne manquera pas de faire ses dévotions devant les statues de Koan-Yin, de Mâ-Tsou, l'Impératrice du ciel et des divers Génies aux figures grotesques ou terribles. Il est vrai qu'il ira très volontiers ensuite se prosterner devant Bouddha, et que l'on a vu des processions bouddhistes s'arrêter devant des chapelles catholiques et invoquer Jésus.

Lao-Tze avait bien esquissé la théorie des sanctions finales, mais sa théorie de la montée progressive des âmes vers l'Absolu était trop métaphysique pour des esprits chinois. Pourtant, à un certain moment, on sentit le besoin formel d'une récompense pour les bons et d'une punition pour les méchants, d'un paradis et d'un enfer en un mot. Le bouddhisme, un peu déformé, matérialisé, épaissi, donna satisfaction à ce besoin. Mais toute sa philosophie profonde, tout son idéalisme et sa métaphysique transcendantale se perdirent en passant dans l'Empire du Milieu. La trinité indienne et l'innombrable panthéon brahmanique dont le bouddhisme avait hérité, vinrent seulement s'ajouter au pandémonium taoïste, comme viendraient s'y ajouter la trinité chrétienne et les personnages de notre Histoire religieuse le jour où les missionnaires européens seraient forcés d'abandonner leurs chapelles. Les temples et les monastères bouddhistes sont très nombreux en Chine, et les bonzes qui les entretiennent et les peuplent ne manquent jamais d'associer dans leurs prières les génies nationaux de l'Empire à Bouddha et à la Trimourti. Ils récitent des prières sanscrites qu'ils ne comprennent pas, et leur vie présente un curieux mélange d'austérité et de sensualisme. Mais pas un d'eux certainement n'a réfléchi aux dogmes profonds et aux préceptes du bouddhisme.

Au point de vue moral, on peut dire que les deux seules idées qu'ait apportées le bouddhisme à ses adeptes chinois sont la croyance à la récompense ou au châtiment dans un autre monde, et le respect de la vie sous toutes ses formes. Ces idées mêmes ne sont pas très profondément entrées dans la conscience des Célestes, et tel bouddhiste convaincu qui, pour rien au monde, ne toucherait à la vermine qui le dévore, assistera sans révolte au supplice d'un malheureux découpé en morceaux ou écorché vif.

En résumé, l'on peut dire que le Chinois est, non pas religieux, mais superstitieux. Ce n'est pas un positiviste ou un athée : il a le sens des forces supérieures qui régissent le monde, mais n'a jamais cherché à les définir. Ce n'est pas un indifférent : il tremble au souffle de toutes les imaginations qui le traversent. C'est un esprit qui n'a rien de notre besoin de logique, qui ne peut s'élever aux conceptions métaphysiques, pas plus du reste qu'il ne peut se plier à la rigueur scientifique. Et dans sa terreur des puissances supranaturelles qu'il ne connaît pas et qu'il ne s'est jamais efforcé de définir, il accepte tout ce qu'on lui offre, sans choisir. Et quel exemple plus péremptoire pourrait-on en donner que cet empereur qui, adorateur par tradition des génies taoïstes du ciel et de la terre, se réserve aussi le culte de Confucius, le prophète des lettrés, et l'ennemi des images divines ?