Henri Lecourt

LA CUISINE CHINOISE

Éditions Albert Nachbaur, Pékin, 1925, XII+150 pages.

  • H. Lecourt : "Maintenant, pourra-t-on objecter, à quoi vise le présent travail ? A rien, répondrons-nous, il comble une lacune qui aurait parfaitement pu rester lacune et ne répond, par conséquent à aucun besoin, il n’a été fait, ni en vue d’appeler l’attention du sinologue ni en vue de viser à l’érudition, c’est une contribution à la curiosité et rien de plus."
  • Albert Nachbaur : "Dans l’énorme bibliographie consacrée à la cuisine, on chercherait en vain, écrit en langue européenne un document sur la gastronomie chinoise. Les auteurs les plus réputés parmi gourmets et gourmands en parlent peu ou prou et Ali-Bab lui-même, dans ses études culinaires effleure à peine le sujet. Il faut donc louer M. Lecourt, un de nos compatriotes résidant en Chine depuis de nombreuses années, connaissant à fonds le chinois et les chinois, d’avoir comblé cette lacune. Les notes qu’il publie ici sont du plus haut intérêt et les recettes qu’il indique lui ont été fournies par les meilleurs des célestes maître queux. Puissent-elles venir ajouter un peu de fantaisie dans les menus des repas français."
  • Prière au dieu de l'âtre, l'excellent Tsao wang : "Cher vieux, vous voici arrivé parmi nous qui allons vous laisser vous morfondre pendant toute une année, au dessus du foyer, à surveiller la cuisson des aliments, soyez nous bienveillant, répandez sur tous votre bonté et si quelqu’un s’oubliait en votre présence, soyez plein de mansuétude..."

Extraits : Le dieu de l'âtre - Ce qu’on ne doit pas ignorer
Recettes de : Grillades et choses frites - Étuvée et Bain-marie - Sauces fermentées et condiments
Fabrication du sucre et sucreries - Préparations à l’alcool
Cuisine rétrospective

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Couverture. Henri Lecourt : La cuisine chinoise. Éditions Albert Nachbaur, Pékin, 1925, XII+150 pages.

Notre couverture représente, à gauche, place d’honneur en Chine, le dieu du Foyer Tsao Wang. A sa droite est placée Madame Tsao Wang, que les Chinois appellent Tsao Wang Nai Nai. Ces deux personnages tiennent un sceptre appelé « jou i » c’est-à-dire comme ou avec la pensée.

A droite se trouve un serviteur porteur d’une pancarte sur laquelle est inscrit le caractère chann ‘bon’. Près de lui, au premier plan, on voit un secrétaire souriant portant dans ses bras le registre dans lequel seront inscrites toutes les bonnes actions.

A gauche, près de Madame Tsao Wang est un second serviteur qui tient un cartouche avec le mot ngo, ‘mauvais’. Et au dessous est un scribe à barbe rouge et l’air rébarbatif qui est muni du registre d’inscription des péchés et des mauvaises actions.

Le chien et le coq placés de chaque côté d’un foyer incandescent sont là pour montrer que Tsao Wang et sa femme vivent en famille. Des fleurs et des bougies de cire rouge ornent la table. On aperçoit le cheval du dieu conduit par la palefrenier muni de la cravache.

L’inscription qui figure au fronton se lit Tong tch’ou sou ming, et signifie : Celui qui commande à la cuisine de l’est.

L’inscription de droite dont deux caractères sont cachés par la tête du serviteur doit être rétablie ainsi : Chang t’ienn hao cheu, quand il montera au ciel il fera part des bonnes actions.

L’inscription de gauche également incomplète de deux caractères doit être lue : Hoei kong kiang ki siang, quand il sera de retour de son palais il distribuera à tous du bonheur.

Le cuistot. Henri Lecourt : La cuisine chinoise. Éditions Albert Nachbaur, Pékin, 1925.

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Le dieu de l'âtre

Les Chinois rendent un culte à une foule de dieux, déesses, génies, patrons, toutes divinités tenues en grande estime : dieu du tonnerre, dieu de l’éclair, déesse de la compassion, déesse de la variole, génies des montagnes, des fleuves, patrons des villes et des villages.

Mais parmi les dieux composant ce nombreux aréopage, il en est un qui reçoit des hommages plus particuliers, auquel on rend un culte plus sincère et plus général, c’est le bienfaisant dieu du foyer Tsao wang.

Son origine est très lointaine. De son vivant il s’appelait Tchang k’oei. L’empereur Chenn nong en fit l’officier préposé au feu. Il devint, après sa mort, le génie de l’âtre.

Sous la dynastie des Tcheou il fut compris dans un groupe de cinq petits génies sans nom spécial, choisis et invoqués comme dieux protecteurs des habitations, auxquels on faisait les cinq offrandes, ou seu, c’étaient les génies de la porte : Menn chenn, des fenêtres : Hou chenn, des galeries : Hing chenn, de l’atrium : Tchong liou chenn et du foyer : Tsao chenn.

Il n’est resté de ces cultes que celui du génie de l’âtre, bienfaisant protecteur des fourneaux, lequel au lieu de diminuer, s’est considérablement développé dans la suite des temps et qui se pratique encore avec ferveur dans toutes les familles, tandis que les quatre autres compagnons de Tsao kiunn tombaient dans un oubli presque complet...

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Ce qu’on ne doit pas ignorer

Avant d’entrer dans la partie pratique, j’estime qu’il est indispensable de ne pas ignorer certains petits détails et de connaître au moins les principaux produits employés ou leurs succédanés, c’est pourquoi j’ai crû devoir commencer par fournir ces indications d’une manière très sommaire.

Que ce soit au restaurant ou dans une famille, le repas chinois comporte tout un code de la civilité puérile et honnête, mais outre que la chose est très compliquée elle nous entraînerait bien trop loin et sortirait du cadre d’un livre de cuisine, aussi n’en parlerai-je que très succinctement, laissant de côté les repas de grande cérémonie.

Qu’on sache donc seulement que la table est toujours ronde quand il y a plus de trois convives. Elle comporte deux places d’honneur qui font presque toujours face à la porte d’entrée, la place la plus honorable étant à gauche (à main droite de celui qui entre). Voici, d’ailleurs un croquis schématique de la disposition d’une table de huit couverts, avec indications de l’ordre des places occupées selon le rang, l’âge, la position de chacun.

Plan de table. Henri Lecourt : La cuisine chinoise. Éditions Albert Nachbaur, Pékin, 1925.

L’amphitryon doit s’asseoir, dans le cas présent, à la place numéro 8. Celle règle ne souffre pas d’exception et il sera bien, le cas échéant, de ne pas l’oublier sous peine de passer pour un mal appris, un goujat, pour un lao kann comme on dit à Tien Tsin en patois local, ce qu’on peut traduire par « paysan mal dégrossi » « rustre ». Il y a aussi un tas de formules alambiquées pour se placer, remercier, offrir, inviter, boire, commencer et terminer. En thèse générale, pour ne pas « gaffer » toujours se régler sur les autres. Jouer à la « morra », avaler quelques tasses d’alcool et la glace est rompue. Ne pas prendre dans le plat commun avant que le signal n’en ait été donné par geste ou par quelques mots stéréotypés. Remercier chaque fois que les bâtonnets du voisin vous apporteront un morceau et répliquer par le même geste. Notre politesse, bien que moins raffinée, a cours ici. Ne pas s’effaroucher des éructations qui terminent le repas c’est la preuve qu’on est tche pao la (exactement « repu ») et il vous est permis de donner votre note dans le concert général.

Couverture 4e. Henri Lecourt : La cuisine chinoise. Éditions Albert Nachbaur, Pékin, 1925.

Notions générales sur les produits

Bien des produits employés n’ont pas leur équivalent en français et il est souvent impossible de les identifier à cause de l’absence d’une terminologie bien établie. Un petit dictionnaire spécial ne serait pas déplacé mais en allongeant singulièrement ce travail il le rendrait indigeste, ce qui, pour un livre de cuisine ne serait pas une recommandation. De nombreux renvois accompagnent le texte les indications qu’ils donnent seront suffisantes pour guider.

Sauf indication contraire, la viande employée est toujours le porc frais, les mahométans, nombreux en Chine, le remplacent par le mouton. Depuis quelques années les Chinois mangent aussi du bœuf. Le beurre est totalement inconnu on le remplace par divers corps gras, graisse du mouton et surtout du cochon, l’huile de sésame, l’huile d’arachides. Le vinaigre chinois est obtenu par l’acidification de l’alcool de grains, il est beaucoup moins acide que le nôtre. Un produit universellement employé dans l’alimentation des Célestes est le soya ou fromage de haricots présentant un aspect analogue à notre fromage blanc. Il se fabrique avec une espèce particulière de pois oléagineux et selon qu’il est travaillé on en fait des sauces, des condiments, des sucreries.

Certains produits ont leurs similaires chez nous tels que moutarde, sel, poivre, on substitue souvent à ce dernier des graines pulvérisés qu’on appelle hoa tsiao moins irritantes que le poivre.

Les condiments employés sont nombreux, outre ceux qui viennent d’être énumérés il faut ajouter le piment qui accompagne de nombreuses sauces. On le fait frire dans l’huile de sésame à laquelle il communique sa saveur et son goût, particuliers. Les hien ts’ai sont composés de céleri, de petits cornichons, de petits haricots en cosse marinés au sel ce qui leur vaut ce nom de légumes salés.

Le Chinois ajoute à ses sauces, à ses bouillons quelques feuilles d’une sorte de persil à odeur très accentuée tenant le milieu entre le persil et la pimprenelle, on l’appelle pour cette raison hiang ts’ai l’herbe parfumée. L’ail domine dans certains plats de haut goût, puis vient la fameuse ciboule chinoise, assaisonnement préféré du « populo », dont l’odeur est autrement violente que celle de l’ail, et d’une persistance remarquable. Qui n’a pas tiqué aux douces émanation d’un « pousse » venant de se régaler de son mets favori ? On peut suivre le sillage parfumé qu’il laisse traîner derrière lui. On emploie beaucoup le gingembre, l’anis, etc.

Ce que nous traduisons par « vin » n’est pas du vin comme nous l’entendons. Le vin chinois tsieou est un alcool obtenu par distillation de certains grains, riz, millet sorgho, au moyen d’un alambic rudimentaire d’où un goût empyreumatique quelquefois très prononcé et très désagréable. Dans les recettes qui suivent on peut toujours le remplacer par du cognac. Les alcools chinois sont nombreux, celui qu’on utilise à la cuisine est le hoangtsieou ou lao tsieou vin jaune ou vin vieux.

La table. Henri Lecourt : La cuisine chinoise. Éditions Albert Nachbaur, Pékin, 1925.
I. Grillades. Henri Lecourt : La cuisine chinoise. Éditions Albert Nachbaur, Pékin, 1925.


Grillades et choses frites

Ce chapitre avait tout d’abord reçu le titre de "FRITURES", mais le mot tch’ao qui désigne l’opération n’est pas l’équivalent de notre mot friture. Sa définition est : cuire, rôtir, griller dans une poêle. C’est aussi torréfier, grillade. On l’emploie pour dire torréfier du café, griller des châtaignes ; c’est "faire revenir" comme on dit à la cuisine, mais c’est plus que cela faire revenir n’étant qu’un commencement de cuisson. Tch’ao c’est faire cuire avec un peu de graisse.

No. 1. Poulet en grillade. Tch’ao k’i.

Plumer, vider et débiter en plusieurs morceaux un jeune poulet. Employer deux onces de saindoux, un peu de vin jaune et de tsing tsiang, du sel selon goût, un peu d’oignon et de gingembre hachés, une demi once de sucre. Faire cuire à l’eau une demi livre de châtaignes, les éplucher et les séparer en deux (on peut les remplacer par le cœur d’un chou haché et cuit à l’eau) un grain d’anis étoilé.

Quand la graisse est chaude, y jeter oignon, gingembre et poulet. Tourner et bien mélanger. Ajouter l’anis, verser le vin jaune. Couvrir. Au bout d’un moment ajouter le tsing tsiang, le sel, un verre d’eau, puis les châtaignes (ou le chou). Couvrir la casserole et après quelques minutes y jeter le sucre. Bien mélanger le tout à la mouvette. La cuisson terminée verser dans un bol et arroser avec un peu d’huile de sésame.

Le t’sing tsiang est un condiment d’un usage courant et général dans la cuisine chinoise. Il est obtenu par la fermentation du soya ou fromage de haricots.

No. 5. Rognons en tranches. Tch’ao yao pienn.

Mettre deux rognons de porc dans une terrine d’eau fraîche. En enlever les peaux, couper chacun en deux longitudinalement, ôter la partie centrale nerveuse et graisseuse, les essuyer dans un linge propre, et débiter en tranches minces qu’on replace dans la terrine d’eau froide pour enlever tout ce qui reste de sang. Les sortir et les laisser macérer pendant une demi heure dans du vin jaune. Puis les passer un instant dans une nouvelle eau froide, les en sortir pour les immerger pendant quelques minutes dans de l’eau plus que tiède, les disposer ensuite sur une assiette.

Placer dans la poêle 1/2 once de saindoux et quand la graisse est bien chaude y jeter les tranches de rognon. Arroser avec une tasse de bouillon de poulet, 1/2 once de tsing tsiang, 1/2 livre de crevettes sèches qu’on a fait préalablement gonfler pendant une demi heure dans de l’eau froide (les crevettes peuvent être remplacées à volonté par une demi once de ciboule ou bien par deux onces de pousses de bambou ou encore par sept champignons. Délayer dans un peu d’eau une petite quantité de farine de haricots à laquelle on ajoute une pincée de sucre, verser dans la poêle et bien remuer, la farine de haricots ayant la propriété d’épaissir la sauce ; lorsque celle-ci sera épaisse à point allonger avec un demi verre de vinaigre. Remuer encore. Placer dans une assiette, semer une gousse d’ail hachée menu et arroser avec 1/10 d’once d’huile de sésame.

Nota. Ne pas trop prolonger la cuisson des rognons, ils deviendraient durs en rendant de l’eau ce qui ferait une sauce trop fluide et donnerait un goût désagréable.

No. 11. Ailerons de Requin au Gras. Tch’ao yu tseu.

Préparer ainsi un aileron de requin : le faire cuire à l’eau, enlever soigneusement les peaux de chaque côté et faire tremper à l’eau froide pendant une nuit. Enlever les fragments d’os qui pourraient s’y trouver et veiller à ce qu’il ne reste pas de sable. Faire cuire un crabe et l’éplucher avec soin. Une demi livre de crevettes épluchées, six onces de porc frais, une livre de lèvres de poisson, deux tranches de jambon, deux pousses de bambou, trois champignons secs (les faire au préalable gonfler dans l’eau et les débarrasser de la terre de la racine) les débiter en petits morceaux, un bol de bouillon de poulet ou de canard, une bonne pincée de sucre, un peu de farine de haricots enfin 2/10 d’once d’huile de sésame.

Verser dans la casserole le bouillon de poulet, dès qu’il sera sur le point de bouillir, y jeter les champignons, laisser cuire un instant puis ajouter la chair du crabe. Verser le vin jaune, sucrer, et placer l’aileron de requin, laisser mijoter un moment et mettre la farine de haricots. Mélanger soigneusement et un instant après verser dans un plat creux. Orner avec les tranches de jambon et les lamelles de bambou, arroser le tout avec l’huile.

Nota : on n’emploiera que l’un ou l’autre des produits, soit le crabe, soit les crevettes. etc.

II. Etuvée. Henri Lecourt : La cuisine chinoise. Éditions Albert Nachbaur, Pékin, 1925.




Étuvée et Bain-marie

Ces façons de procéder s’expriment en chinois avec l’un des deux caractères suivants : tcheng, se dit de l’air chaud ou de la vapeur qui s’élève ; faire cuire à la vapeur, et tounn, synonyme du précédent mais qui semblerait mieux convenir à notre expression « bain-marie ».

Ces deux mots sont cependant employés indistinctement pour désigner l’une et l’autre des opérations.

La cuisson à l’étuvée est très employée en Chine, et il n’est pas de maison, si miséreuse soit-elle, qui ne possède un chaudron spécial sur lequel s’adapte le tchou mié tseu, plus communément appelé tchou pi tseu. C’est un clayon en sparterie fait de lattes très minces d’écorce de bambou. On le place comme un couvercle au-dessus de l’eau dont la vapeur assurera la cuisson des mets placés sur le tchou pi tseu. Le temps de cette cuisson, comme on le verra dans les recettes qui suivent, est souvent indiqué par le nombre de fois qu’on devra remplacer l’eau évaporée. Pour éviter un contact trop immédiat entre le clayon et ce qu’on cuit, contact qui pourrait présenter quelque inconvénient, on en tapisse souvent le fond soit avec des feuilles de lotus, soit avec des feuilles de choux, soit même avec un linge. Un couvercle, aussi hermétique que possible, complète l’appareil.

La méthode de cuisson au bain-marie consiste à placer le mets à cuire dans un récipient qu’on entoure du riz qui servira au repas, quand celui-ci est cuit, celui-là l’est également. Ce dernier procédé est très pratique et bien préférable, à tous points de vue, à ce que nous entendons par bain-marie.

No. 1. Canard à l’étuvée (Cuisson humide). Tcheng t’ang ya.

Préparer un récipient de grandeur suffisante pour contenir un canard entier et possédant un couvercle fermant convenablement.

Plumer vider, nettoyer un canard. Confectionner un hachis composé de deux onces de jambon, quatre champignons, deux onces de "kann pei" préalablement macérés quelques instants dans du vin jaune, deux onces d’herbes du Seu Tch’oann , un peu d’oignon et de gingembre, délayer ce hachis avec deux onces de vin jaune autant de tsing tsiang. Quand le mélange est bien complet, bourrer avec cette préparation, l’intérieur du canard. Placer ce dernier dans le récipient qui servira à la cuisson. Remplir avec du bouillon de poulet ou autre, couvrir soigneusement (cette précaution est indispensable) mettre ce récipient dans un plus grand qui contiendra l’eau servant de bain-marie, faire partir à feu vif et modérer progressivement le feu. La cuisson doit être lente et prolongée pendant deux heures au moins.

Nota. Le bouillon ainsi préparé est délicieux mais le canard a perdu tout son goût.

No. 23. Boulettes de viande aux huit parfums. Tcheng pa pao jeou yuen.

Préparer un hachis ainsi composé ; une livre de viande entrelardée, un peu d’oignon et de gingembre, un bon morceau de jambon, deux onces d’amandes de graines de sapin, une once de champignons secs qu’on aura mis au préalable dans l’eau pour les gonfler, une once de pousses de bambou très tendres (n’en prendre au besoin que les extrémités), six pi tsi, deux morceaux de potiron et de gingembre préparés au soya, un morceau de farine de haricots, deux morceaux de gingembre.

Faire avec cette préparation des boulettes, les placer dans un bol et les arroser avec deux onces de tsing tsiang et autant de vin jaune. Cuire au bain-marie ou mieux, au milieu d’une casserolée de riz. Au moment de servir verser un peu d’huile de sésame.

Pi tsi, scirpe tubéreux, (Heleocharis) bulbe comestible s’emploie dans de nombreuses préparations, se mange aussi crû. Très juteux, ce tubercule contient un liquide laiteux. Au cours des chaleurs estivales, les Chinois sont grands amateurs des pi tsi glacés.

No. 37. Riz aux huit Choses Précieuses. Tcheng pa pao fann.

Laver à l’eau fraîche et faire cuire à l’eau un cheng de riz glutineux lui incorporer ensuite une livre et demi de graisse et une livre de sucre blanc.

Préparer d’autre part un mélange composé de : deux onces de kienn cheu préalablement cuits à l’eau, autant de graines de lotus aussi cuites à l’eau et dont en enlève les germes, autant de li tchi, autant de jujubes secs dont les noyaux auront été sortis, autant de cerises confites, un peu de fleurs de cannelier. Mélanger toutes ces substances et diviser en autant de parties qu’on voudra. Déposer chaque partie dans une tasse préparée à cet effet, terminer le remplissage complet de chaque tasse avec le riz.

Placer toutes ces tasses au bain marie. Lorsque l’eau sera évaporée, la remplacer par une nouvelle quantité d’eau. Cette opération doit être renouvelée trois fois.

Lorsque la cuisson sera terminée renverser le contenu de chaque tasse sur des assiettes et servir. Pendant la cuisson veiller à ce que l’eau n’envahisse pas la préparation.

VIII. Sauces. Henri Lecourt : La cuisine chinoise. Éditions Albert Nachbaur, Pékin, 1925.




Sauces fermentées et condiments

Ce huitième chapitre est le complément indispensable des recettes qui précèdent, car il traite des condiments et des sauces fermentées dont l’emploi est général dans la cuisine chinoise et qui figurent dans presque toutes les préparations que nous avons données. On y trouvera entre autres la recette pour faire le mienn tsiang ou sauce à la farine fermentée avec du sel, appelée aussi dans un langage moins commun t’ienn mi tsiang. Chacun pourra fabriquer le fameux ts’ing tsiang appelé aussi tsiang yeou employé dans presque toutes les recettes mentionnées.

Le caractère générique est tsiang, qui signifie sauce de soya ou de haricots fermentés, condiment qui sert d’assaisonnement. Ce produit est la base de toutes les choses fermentées. Mais il signifie aussi purée, marmelade, confitures, en général préparations offrant la consistance de la boue.

No. 1. Préparation du Mienn tsiang. Tsao t’ienn mi tsiang.

Ce condiment est composé avec de la farine fermentée avec du sel. Voici la manière de le préparer. Nettoyer 3/10 de boisseau de haricots appelés ts’ann teou que nous connaissons sous le nom de « soya ». Les faire macérer pendant une nuit dans de l’eau froide. Le lendemain les sortir et les faire cuire à l’eau, jusqu’à ce qu’ils se laissent écraser facilement. Les réduire en pulpe et en faire une pâte avec 5/10 de boisseau de farine blanche. Cette pâte doit avoir la consistance d’une boue épaisse. En former une galette et cuire à l’étuvée. Diviser en petits morceaux, les mettre dans un panier ou bien sur une natte et placer ce panier dans un endroit humide. Les abandonner ainsi pendant une dizaine de jours, au bout de ce temps la moisissure doit commencer à se manifester. Les exposer au soleil pendant quelques jours.

Mettre dans une jarre une livre de sel et verser assez d’eau pour le dissoudre. Exposer cette jarre au soleil, et jeter dedans tous les morceaux de farine au soya. Brasser à l’aide d’un bâton et agiter vigoureusement la préparation de façon à n’avoir plus qu’une bouillie épaisse comme de la crème. Laisser toujours exposé au soleil s’il restait quelques grumeaux les sortir et les écraser entre deux pierres plates, ou au mortier. Au bout de quelque temps le liquide s’épaissit et prend une teinte rougeâtre ce qui indique la fin de l’opération. On peut conserver cette préparation dans une autre jarre. On s’en sert comme assaisonnement dans une foultitude de recettes.

No. 2. Fabrication du Ts'ing tsiang. Tsao tsiang yeou.

Nettoyer un boisseau de haricots jaunes (servant à préparer le soya), les faire cuire à l’eau jusqu’à ce qu’ils soient en purée. Mélanger à cette pulpe sept livres de farine sèche pour en obtenir une pâte épaisse, en faire une galette qu’on place dans un panier plat. Couvrir de paille et déposer dans un endroit frais comme une cave. Abandonner ainsi pendant deux jours, et ensuite suspendre dans un courant d’air pendant 7 ou 8 jours. Au bout de ce temps une moisissure jaunâtre commence à paraître.

Verser dans une jarre un liquide composé de vingt livres d’eau et cinq de sel, exposer en plein soleil. Quand la température de l’eau s’est assez élevée pour qu’au toucher elle paraisse chaude, jeter dedans la pâte de farine et de haricots. Ne pas couvrir la jarre, la laisser au soleil. Une fois par jour brasser vigoureusement avec un bâton. Au bout d’un mois d’exposition, le mélange vire au noir, mais on ne peut en faire usage que quatre ou cinq mois après. Laisser au soleil pendant tout ce temps sans couvrir la jarre. Cependant en cas de mauvais temps, pluie ou vent poussiéreux il faut recouvrir.

On ne se sert que de la partie liquide en laissant se déposer au fond tous les sédiments. On peut décanter et conserver en bouteilles.
Sert de condiment et d’assaisonnement.

X. Sucreries. Henri Lecourt : La cuisine chinoise. Éditions Albert Nachbaur, Pékin, 1925.




Fabrication du sucre et sucreries

Bien que depuis quelques années les Chinois aient perfectionné leurs procédés, il n’en est pas moins vrai que l’art du bonbon et des sucreries en général est resté rudimentaire. Ils ont cherché à imiter certains produits venus d’Europe, mais l’imitation n’est pas parvenue à supplanter l’original. Ils ignorent la dragée, la praline, le chocolat, la vanille. A présent ils emploient les parfums artificiels, essences venues de l’étranger. Bons pâtissiers ils ignorent presque tout de la confiserie.

Le sucre en Chine est tout extrait de la canne et se fabrique rudimentairement dans les provinces où croît la canne, c’est à dire, dans le Midi. Ce sucre est vendu sous plusieurs formes, sucre brut, jaunâtre, mieux raffiné ou sucre blanc, sucre granulé, sucre cuit, c’est le sucre au grand cassé, candi etc.

T’ang est le caractère désignant le sucre en général, on lui accole un qualificatif pour le spécifier hoang t’ang sucre jaune ; ping, sucre candi, c’est-à-dire, en forme de glaçon, ou de cristal, etc.

No. 1. Préparation du Sucre. Tsao t’ang.

Écorcer et débiter en tronçons d’un pouce de long 50 livres de canne à sucre. Les piler dans un mortier, les mettre dans un sac propre les presser pour en extraire le jus. On peut remplacer par même quantité de betteraves à sucre, le procédé est le même.

Verser le jus obtenu dans une casserole et y mélanger quelques pincées de chaux éteinte, chauffer à feu doux, enlever l’écume au fur et à mesure qu’il s’en produit. Ajouter encore un peu de chaux et quand il ne monte plus d’écume verser dans un tonnelet laisser reposer quelques jours. Remettre dans la casserole, incorporer à nouveau une pincée de chaux et laisser sur le feu jusqu’à consistance sirupeuse. Clarifier en battant dans le sirop quelques blancs d’œufs. Laisser refroidir. On obtient ainsi un excellent sucre jaune.

No. 7. Sucrerie « peau de bœuf ». Nieou pi t’ang.

Placer sur le feu une grande casserole contenant six livres de sucre de canne et de l’eau en quantité suffisante, chauffer doucement ce mélange et laisser épaissir. Délayer une demi livre de farine de haricots (kiennfenn) dans le moins possible d’eau, l’incorporer à la préparation et ne pas cesser de remuer pendant 2 h 1/2. Verser alors sur le marbre huilé, et étirer cette sucrerie avec les mains huilées, en bandes d’un centimètre et demi de large. Couper avec les ciseaux de 10 en 10 centimètres. Givrer en roulant dans du sucre granulé de première qualité. On peut laisser ainsi ou rouler entre la paume des mains en forme de sucre d’orge.

XI. Alcools. Henri Lecourt : La cuisine chinoise. Éditions Albert Nachbaur, Pékin, 1925.


Préparations à l’alcool

Il est très rare que les particuliers mettent en pratique ces préparations on les trouve à trop bon compte chez tous les épiciers, et beaucoup mieux confectionnées qu’à la maison.

Nous avons donc écourté ce chapitre dans lequel on trouvera notamment la formule pour fabriquer le fameux vin jaune d’un emploi si général dans la cuisine chinoise, et celle d’un vinaigre qui diffère essentiellement du nôtre.

C’est le caractère tsieou, alcool, que nous rendons toujours par le mot « vin » et dans la fabrication duquel n’entre pas un grain de raisin, et qui est simplement un alcool de grains riz, millet, sorgho. Les Chinois distillent aussi des fruits. Leurs alcools, jamais rectifiés, ont tous un goût empyreumatique.

No. 1. Vin jaune ou alcool de riz (non distillé). Hoang tsieou.

Laver à grande eau deux piculs de riz glutineux et le laisser tremper dans l’eau pendant deux jours. Le sortir et le faire cuire à l’étuvée, après cuisson le mettre dans un récipient et le laisser refroidir. Le verser ensuite dans une grande jarre avec vingt livres de gluten qu’on aura préparé d’avance de cette façon : pétrir le gluten avec de l’eau, couper cette pâte en morceaux et envelopper chacun d’eux dans de la paille de riz, placer le tout dans un endroit frais jusqu’à ce que la moisissure apparaisse bien accentuée. (Il est recommandé de faire cette préparation en automne).

Laisser fermenter, introduire deux livres d’écorces d’oranges du Foukien (cédrat) et couvrir la jarre. Après trois jours de macération verser de l’eau, plus on en mettra plus on obtiendra d’alcool, mais moins le produit aura de force. Agiter plusieurs fois par jour avec un bâton pendant une semaine au bout de ce temps, mettre le tout dans un sac qu’on soumettra à la pression pour en exprimer tout le liquide, le verser dans une casserole et la mettre sur le feu. Aux premiers bouillons retirer, laisser refroidir. Mettre en bouteilles bien bouchées. Si l’on veut de l’alcool de première qualité ne pas consommer avant une dizaine d’années. Cet alcool s’appelle alors Hoa Tiao (sculpture de fleur).

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Cuisine rétrospective

Trois ouvrages principaux traitant des rites, nous sont parvenus de la haute antiquité chinoise, ce sont le Tcheou Li, le I Li et le Li Ki. Nous ne parlerons que de ce dernier qui peut être considéré comme l’ancêtre des livres de cuisine. De même que les deux autres il compte parmi les classiques.

Ce vénérable Li Ki ou mémoire sur les bienséances donne peu de recettes mais il contient des indications fort intéressantes sur la cuisine des anciens.

Au cours des siècles il eut à subir des remaniements, son texte n’est pas complet. Déjà au temps de Confucius on s’en plaignait, puis vint la destruction par le feu de tous les livres anciens, ordonnée par Cheu Hoang-ti, celui là même qui fit construire la grande muraille ; le Li Ki n’échappa pas à l’autodafé. C’est l’ouvrage qui donna le plus de difficultés lors de la reconstitution des bibliothèques. Malgré toutes ces péripéties et sa recomposition un peu hétéroclite, ce livre renferme des morceaux magnifiques. C’est le livre le plus volumineux des classiques.

Il s’étend longuement sur les cérémonies très compliquées des repas, sur l’étiquette la politesse, la contenance à tenir.

Dans les festins, y lit-on, on employait le millet glutineux et non glutineux, le sorgho, différentes herbes. On servait des bouillons de viandes, bœuf, mouton, porc, des hachis de viandes macérées dans du vinaigre, on servait aussi ces mêmes viandes rôties. Les condiments étaient la moutarde, le vinaigre, l’anis, le gingembre, la cannelle. Les venaisons étaient nombreuses, gibiers de poils et de plumes, lièvres, cailles, faisans, outardes, perdrix, petits oiseaux, gros gibier, loups sangliers, cerfs, daims.

Le poisson était servi en tranches, frais, salé, fumé. On le mangeait très épicé.

Les friandises, réservées surtout aux vieillards se composaient de différentes galettes ayant pour base la farine de riz ou de froment, de millet grillé. Il n’est pas question de sucre.

On consommait beaucoup de fruits, châtaignes, jujubes, noisettes, kakis, concombres ; pastèques, melons, pêches. abricots, prunes, azeroles, poires.

Dans les grands repas on servait en entier un cochon de lait rôti, farci d’herbes et de plantes aromatiques, oignons, ail.

Certaines parties des animaux ne se servaient pas, on ne servait pas les intestins du loup, ni les rognons du chien, ni le filet du chat sauvage, ni l’extrémité du râble d’un lièvre, ni la tête du renard, ni la cervelle du cochon de lait. On ne mangeait pas le croupion de l’oie.

Le Li Ki recommande de bien vérifier la fraîcheur du poisson, et de percer les fruits pour s’assurer qu’ils ne sont pas véreux.

Avant la cuisson la viande devait être coupée en tranches minces. Tantôt on la faisait macérer dans du vinaigre, tantôt on la salait, on la boucanait. La viande de bœuf se servait le plus souvent aromatisée au gingembre, celle du cerf, du sanglier de l’élan était longuement battue avant d’être séchée.

Les boissons se composaient de liquides tirés du riz, du sorgho, on buvait aussi de l’eau acidulée au vinaigre, ou avec le jus des prunes sûres.

Les banquets étaient méticuleusement réglés selon les rites d’après l’âge et la qualité des invités, des locaux spéciaux devaient être réservés pour y réunir les gens de même rang.

Quelques recettes :

Rôti : Pour rôtir un animal, cochon de lait, agneau, poulet, lièvre etc. égorger la bête, enlever les intestins, et les remplacer par des jujubes, envelopper l’animal dans une natte de roseaux et entourer le tout d’une bonne épaisseur d’argile. Placer sur des charbons ardents. Lorsque la glaise est entièrement desséchée, la détacher avec les doigts. Se laver les mains pour manipuler la viande et enlever la peau avec les poils ou les plumes.

Cochon de lait à l’étuvée : Faire bouillir de l’eau dans une grande chaudière. Au milieu de cette eau placer une marmite contenant la chair débitée en tranches d’un cochon de lait. S’assurer que l’eau bouillante n’envahit pas la marmite contenant la viande. Ajouter quelques herbes aromatiques, oignon etc. L’odeur qui s’exhale est agréable. Prolonger le feu durant trois jours et trois nuits alors ajouter à ce ragoût du vinaigre et quelques tranches de viande conservée au vinaigre. Saler.

Viande battue : C’était là une sorte de beefsteak. Débiter dans le filet des tranches de bœuf, de mouton, d’élan, de cerf ou de daim. Battre convenablement à plat sur les deux faces et en tous sens, enlever nerfs et tendons. Cuire à la poêle et servir avec du vinaigre.

Bœuf en grillade : Pour faire une grillade de bœuf battre la viande au préalable, la faire cuire en grillade, enlever la pellicule carbonisée, étendue sur un clayon de roseaux, saupoudrer de sel, cannelle, gingembre. Ne la servir que bien séchée.
La viande de mouton se traite de même, aussi la chair de l’élan, du cerf, du daim.
Pour obtenir de la viande plus juteuse, la faire tremper dans l’eau, et la faire frire.

Foie de chien au gras : Prendre le foie d’un chien et l’envelopper avec la graisse provenant des intestins de l’animal. Tremper dans l’eau et faire rôtir jusqu’a ce qu’il ait pris belle couleur.

Riz à la graisse de loup : Laver du riz et le laisser tremper. Hacher la graisse contenue dans la cavité thoracique d’un loup. Mélanger riz et graisse et faire du tout une bouillie. Laisser mijoter à feu doux.

Le fourneau. Henri Lecourt : La cuisine chinoise. Éditions Albert Nachbaur, Pékin, 1925.



Suite du dieu de l'âtre

C’est que son rôle dans la famille est des plus importants. C’est lui qui est chargé de rendre compte au Pur Auguste des événements qui se sont déroulés dans la maison au cours de l’année écoulée. Aussi de quels soins, de quelles prévenances on l’entoure ! Quotidiennement on le prie, on l’implore, on le prend à témoin, on sollicite de lui un pardon pour une peccadille. On s’abstient à cause de lui, de faire le mal, et quand on l’a fait on proteste devant lui de son repentir, on tente même naïvement de le corrompre par des présents. C’est que Tsao kiunn est toujours là, surveillant diligent délégué par le Pur Auguste. Il est le témoin de toutes les choses domestiques, c’est aussi un dieu tutélaire et bienveillant, chargé du soin de toute la famille.

Quand quelqu’un de la maisonnée meurt c’est Tsao yé qui écrit sur le front du mort en caractères invisibles aux humains : obéissant ou rebelle, croyant ou incroyant, bon ou méchant, incorrigible, cruel etc. Selon cette inscription l’âme du défunt est dirigée sur tel tribunal du monde inférieur où elle reçoit récompense ou punition d’après les lois de la transmigration.

Tous les Chinois le craignent car Tsao kiunn entend tout ce qui se dit, tout ce qui se chuchote, il voit tout ce qu’on cache, possède les secrets de chacun, c’est un témoin silencieux de toute la vie familiale, mais il est plein de mansuétude et on l’aime, bien qu’on le redoute.

Lorsqu’un événement presse et que le génie de l’âtre ne peut s’absenter, il renseigne le génie de la ville lequel, à son tour, attend le passage des Chenn inspecteurs pour les mettre au courant. Ces derniers sont alors chargés de rendre compte aux génies célestes.

Le respect de Tsao wang est poussé si loin qu’il n’est permis de brûler dans le foyer de la cuisine, ni os, ni plumes, ni d’y jeter n’importe quoi de sale.

Chaque fois que revient le dernier jour du mois Tsao yé avertit sommairement le ciel des pêchés grands et petits commis par les hommes et les femmes composant la famille. Ce n’est qu’en fin d’année qu’il rend compte en détail.

Bien que la dévotion témoignée au dieu de l’âtre soit de chaque jour puisque chaque matin on brûle en son honneur et devant son image un bâtonnet parfumé, c’est le 23 de la douzième lune que commence la vraie cérémonie cultuelle.

Ce soir là, à la nuit close, on accomplit ce qu’on appelle faire la conduite à Tsao kiunn.

Ce jour là toute la maison a été nettoyée, les papiers de tenture renouvelés, la toilette du foyer a été faite. Les brus, qui étaient dans leur propre famille doivent absolument à cette date, réintégrer le domicile du mari, il ne leur est pas permis d’être présentes au sacrifice fait dans leur famille d’origine.

Le soir donc du 23, en présence de la famille, le maître de la maison détache en grande cérémonie l’image de Tsao wang, on lui offre en sacrifice des sucreries afin qu’il ne puisse prononcer des paroles amères contre les maîtres de céans et qu’il ne dise de mal de personne. Pour se concilier tout à fait ses bonnes grâces on offre aussi de la paille et du grain pour son cheval, un bol d’eau pour l’abreuver. On brûle des lingots en papier.

Cinq baguettes parfumées sont allumées dans la cassolette. Les assistants se prosternent bien bas tandis que le chef de la famille met le feu à l’image du bienveillant Tsao kiunn. Pendant qu’elle flambe, et est ainsi censée monter au ciel, on prie toujours, prosternés :

— Monsieur Tsao wang ! Monsieur Tsao wang ! quand vous serez tout là-haut devant le tribunal céleste, ne dites pas de mal de nous. Bien sûr que, pendant l’année que vous avez passée au milieu de nous plus d’une fois nous vous avons manqué de respect, on vous a enfumé, et vous n’avez guère profité de notre cuisine, cher bon vieux, vous savez bien que nous vous aimons, ne nous en veuillez pas ! En vérité nous sommes des rustres, des grossiers nous n’entendons rien à la politesse et nous implorons votre générosité, quand vous serez en présence de Lao tienn yé.

Tsao kiunn n’est pas rébarbatif et se laisse généralement convaincre alors on grignote les sucreries offertes on remet tout en place et on attend le retour d’un bon génie de l’âtre.

Ce rite du sacrifice à Tsao wang est général, riches ou pauvres, toutes les familles le pratiquent. Les choses se passaient en grande pompe au palais des empereurs.

La croyance populaire est que Tsao yé, dieu tutélaire du foyer, reçoit du Pur Auguste mandat pour une année c’est donc un nouveau génie qu’on attend. Ce remplaçant est censé entrer en fonctions dans la nuit du 30 de la douzième lunaison.

Cette nuit là toute la famille veille, vieux et jeunes, personne ne dort, chacun attend l’arrivée du nouveau génie, et de la nouvelle année.

La réception du dieu du foyer a lieu pendant la deuxième veille. On colle sur le fourneau dans une logette disposée à cet effet, l’image nouvellement acquise de Tsao kiunn. Il est souvent représenté accompagné de sa chère moitié, Madame Tsao wang.

En même temps que l’image on s’est procuré dans les boutiques spéciales une formule de compliments pliée selon les rites et placée sous enveloppe à l’adresse de Tsao wang. Le chef de famille prend cette formule officielle et la brûle devant l’image du délégué céleste. Il lui fait ainsi parvenir ses hommages et ceux de la maisonnée. Il brûle aussi du papier monnaie en forme de lingots, tandis que dans la cassolette fument des bâtonnets odorants et que des chandelles de cire rouge se consument de chaque côté de l’image révérée. Le chef de famille fait alors trois prosternations profondes, tous les hommes de la famille viennent à tour de rôle et selon leur rang dans la maison, présenter à genoux leur adoration, pendant qu’au dehors, en un roulement continu, crépitent les pétards assourdissants.

Dans la matinée on offre un repas au nouveau dieu de l’âtre et on s’excuse de le recevoir si mal.

Ces cérémonies, lorsqu’on prie l’excellent Tsao wang d’étendre sa bienveillance à toute la maisonnée, ne manquent pas de grandeur et sont fort impressionnantes : Cher vieux, lui dit-on, vous voici arrivé parmi nous qui allons vous laisser vous morfondre pendant toute une année, au dessus du foyer, à surveiller la cuisson des aliments, soyez nous bienveillant, répandez sur tous votre bonté et si quelqu’un s’oubliait en votre présence, soyez plein de mansuétude...

Et l’image souriante a l’air de consentir, il écoutera d’une oreille bienveillante les turpitudes quotidiennes, fermera les yeux sur les peccadilles et n’aura ainsi que de bons rapports à fournir au ciel en fin d’année.

L’étiquette exige que les femmes ne prennent pas part à ces cérémonies, du moins officiellement, mais il en est tout autrement dans l’intimité de la famille.

Chaudrons. Henri Lecourt : La cuisine chinoise. Éditions Albert Nachbaur, Pékin, 1925.

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