Robert Lockhart HOBSON (1872-1941)
CENT PLANCHES EN COULEURS d'ART CHINOIS
reproduisant les pièces caractéristiques de toutes les époques : poteries et porcelaines, jades, laques, peintures, bronzes, meubles, etc.
et précédées d'un aperçu historique sur l'art chinois
Traduction de J. V. Gardet. Éditions A. Lévy, Paris, date non précisée (vers 1928 ?).
C'est un fait curieux qu'en dépit de quatre cents ans de trafics directs avec la Chine, nous autres, Européens, commencions aujourd'hui seulement
à comprendre la véritable nature de l'art chinois. Autrefois, nous avons eu, il est vrai, des moments d'engouement pour les choses de l'empire du Milieu : séduits par leur joliesse ou amusés par
leur grotesque, nous avons raffolé des « chinoiseries » et des « magots » ; mais, bornées à l'art déjà décadent de la dynastie mandchoue, nos conceptions tenaient pour archaïque ou vétuste tout
ce qui remontait ne fût-ce qu'aux Ming.
Nous savons maintenant que la période des Ming est la dernière et la moindre de toute la série des grandes époques au cours desquelles évolua l'art chinois, qui, né sous la dynastie des Han,
parvint à son apogée sous celles des T'ang et des Song.
De récentes découvertes ont profondément modifié une autre impression. Ne s'était-on pas imaginé que l'art chinois s'était développé, à huis clos, soustrait à toute répercussion des évènements
extérieurs ? Il est aujourd'hui parfaitement démontré qu'aux heures les plus magnifiques de sa longue histoire, la Chine a, non seulement laissé pénétrer, mais volontiers accueilli des
influences, venant de l'Asie Centrale ou Occidentale — scytho-sibérienne, hellénique, byzantine, persane, et indienne — et que si, plus tard, elle subit, en effet, des périodes d'isolement
virtuel, elle se montra assez disposée à faire des expériences, même d'art européen, quand elle en eut connaissance, au cours des dix-septième et dix-huitième siècles. La Chine s'est trouvée en
contait effectif avec l'empire romain sous la dynastie des Han ; sous celle des T'ang, lors de sa plus grande expansion, elle a été en communication constante avec l'Asie Occidentale : de telle
sorte que, pendant les années mêmes de sa formation artistique, elle supportait précisément des influences extérieures, et voilà pourquoi l'art de la dynastie des T'ang s'exprime à bien des
égards d'une façon plus intelligible à l'Européen que celui plus moderne qu'on nous apprit à considérer comme typiquement chinois. Sous les Song la Chine fut plus isolée, sa culture plus
nationale et plus traditionnelle. Pendant la courte domination mongole qui suivit, elle reprit contact avec l'Occident pour en être bientôt coupée de nouveau sous les Ming. Alors, pendant deux
siècles, entièrement réduite à ses propres ressources, son art, cessant de se développer, tendit dans toutes les branches à se figer. De là des exagérations et, de plus en plus, la prédominance
de l'extravagant et du bizarre.
Ce sont justement ces singularités, ces traits les moins louables de la production artistique chinoise, qui attirèrent le marchand étranger du
dix-septième et du dix-huitième siècle, et le Chinois, toujours prêt à faire la moitié du chemin quand il aperçoit un client, de complaire à la fantaisie de l'acheteur et d'inonder l'Europe de
cette pacotille qui a donné une si fausse impression du goût des Fils du Ciel. Tant que durèrent ces erreurs, rien ne l'engageait à nous envoyer des choses plus réellement chinoises, car il avait
toujours pour celles-ci de meilleurs débouchés sur place.
Soudain, au cours des vingt dernières années, la situation changea du tout au tout. Le rail, posé par des Européens, pénétra à l'intérieur de la Chine ; en s'améliorant, les possibilités de
voyage au sein du pays induisirent les hommes de science et les érudits à aller étudier les vieilles capitales et les vestiges du grand passé qui subsistent au fond des provinces. Les ouvrages
illustrés publiés par ces explorateurs et les quelques spécimens d'objets anciens qu'ils exhumèrent et rapportèrent sont pour les orientalistes européens une révélation, ils leur dessillent les
yeux et, par delà les banalités du dix-huitième siècle, s'étendent, fuyant aux lointains du passé, les perspectives de grandes et glorieuses époques d'un art dont nul n'avait auparavant
rêvé.
Au même moment, la construction de voies ferrées ou d'autres travaux provoquent incidemment l'ouverture de tombes et ramènent au jour tout un mobilier funéraire : des poteries représentant des
êtres humains, des animaux, des ustensiles, etc., découvertes du plus haut intérêt ethnographique et souvent fort remarquables au point de vue artistique, projetant des clartés nouvelles sur la
vie et l'industrie de la Chine ancienne. Bon nombre de ces témoins de millénaires révolus prirent le chemin de l'Europe et contribuèrent à augmenter la vogue nouvelle des choses de Chine. Une par
une, les collections s'organisent, la demande de pièces va croissant, le courant qui vient de Chine s'établit d'abord, s'élargit bientôt, devient tel enfin que se crée en Europe et en Amérique un
marché suffisamment achalandé pour attirer des spécimens vraiment représentatifs des plus anciennes et des plus grandes époques de l'art chinois, reliques précieuses jusque-là jalousement gardées
par leurs possesseurs indigènes.
Si rapide, en effet, fut l'accélération de ce mouvement, qu'il permit de réunir, et presque seulement d'après des collections anglaises, la
magnifique série de reproductions que contient le présent volume et qui illustre toutes les époques de l'art chinois. Les diverses sections représentées ici — bronzes, jades, sculpture, peinture,
tissus, laques, céramique — ont été traitées par des spécialistes dans un certain nombre de monographies de prix relativement élevé où ces reproductions furent primitivement publiées (ainsi que
de nombreuses simili-gravures et un texte rédigé pour les besoins de l'expert). Le lecteur devra s'y référer s'il désire de plus amples détails sur les chefs-d'œuvre. La présente introduction est
trop succincte pour me permettre d'espérer y donner autre chose qu'un rapide coup d'œil sur l'ensemble du sujet.
Bien qu'en Chine les temps historiques ne datent que de la dynastie des Tcheou (1122-255 avant l'ère chrétienne), les temps légendaires et semi-légendaires remontent à 2852, année à partir de
laquelle la chronologie chinoise est supposée commencer. Mais il n'était venu à l'esprit de personne de rechercher les vestiges d'un effort artistique quelconque antérieurement au second
millénaire avant l'ère chrétienne, jusqu'à la découverte par le Dr. Andersson (1921-1924) au Ho-nan et au Kan-sou, de poteries d'une pâte finement préparée, d'une galbe correct, artistiquement
décorées de peintures d'argiles colorées, dont la facture peut fort bien remonter au-delà des origines officielles de la chronologie chinoise. Cette trouvaille donne l'idée des résultats qu'il
est permis d'attendre des fouilles scientifiques entreprises dans le sol quasi vierge de la Chine ; pour l'instant, toutefois, les seules épaves du deuxième millénaire avant J.-C. recueillies
jusqu'ici, se bornent à quelques bronzes de date incertaine et à des fragments d'os sculptés et de poterie blanche trouvés sur l'emplacement des tombeaux de la dynastie des Yin (1401-1122 av.
J.-C.). Tous ces objets sont décorés de motifs conventionnels et raides qui nous sont mieux connus par quelques restes authentiques de la dynastie suivante, celle des Tcheou (1122-255).
La Chine était alors un chapelet d'États semi-indépendants égrenés le long du fleuve Jaune. Relativement petite, c'est pourtant elle qui a donné
naissance à des hommes tels que Confucius et Lao Tseu, et qui a produit les livres considérés comme les œuvres classiques de la Chine. Les philosophes et les rituels tcheou ont exercé sur la vie
chinoise une action profonde perpétuée jusqu'à nos jours, et l'influence de l'art tcheou ne s'est jamais complètement effacée. Les reliques de cette époque reculée consistent en bronzes, en jades
et en une certaine quantité de poteries retirées des tombeaux. Les poteries ont été, de toute évidence, faites en vue des rites funéraires et non pour l'usage domestique : dans la majorité des
cas leurs formes rappellent celles des vases de bronze liturgiques. Par contre, les bronzes et les jades comprennent des objets de valeur artistique réelle, encore qu'ils représentent un art
évidemment limité par les règles et les conventions rituelles. La décoration est presqu'entièrement hiératique et les formes sont celles des vases servant au culte ; ces objets n'en ont pas moins
un air d'impressionnante majesté digne de ces temps fertiles en grands hommes et en législateurs. La seule influence étrangère susceptible d'avoir touché l'art chinois au cours de ces siècles est
l'influence scytho-sibérienne, encore n'a-t-elle pu se faire sentir que dans les dernières années de la dynastie des Tcheou.
L'agglomérat féodal sans forte cohésion fut soudé en un empire par le grand conquérant ts'in qui prit le titre hautain de Che Houang Ti. Conformément à sa politique de faire disparaître toute
trace de la dynastie qu'il avait renversée, il donna l'ordre de brûler tous les livres et de réunir, pour les faire fondre, les vases de bronze considérés comme documents historiques en raison de
leurs inscriptions. Le métal servit à couler des statues colossales qui, par la suite, furent elles aussi détruites. La dynastie des Ts'in ne dura que cinquante-cinq ans, et il est difficile de
marquer une différence entre son art et celui des Han qui lui succéda. Ce qu'il y a de certain c'est que, vers cette époque, l'art chinois subit de grandes modifications, ses chaînes tombèrent,
plus de règles sacramentelles, plus de conventions ; artistes et artisans eurent toute latitude de se laisser entraîner par leur fantaisie, de donner à leurs créations telle forme et telle
décoration qui leur convînt. Plus s'enrichit notre documentation sur l'art des Han (et de nouvelles œuvres sont constamment ramenées au jour), plus nous frappe la fertilité de l'imagination alors
libérée. La beauté des sujets tirés de la nature, des animaux, des oiseaux, la vivacité des mouvements dans les cortèges et les scènes d'histoire sont admirablement rendues, la fantaisie trouve
moyen de se jouer même des motifs animaux les plus stylisés introduits en Chine par l'art sibérien des peuplades des frontières septentrionales. Tous ces caractères sont reflétés par les bronzes
et les jades de l'époque. La céramique, elle aussi, fait un grand pas en avant en se servant de l'émail qui lui vient, sans doute, de l'Asie Occidentale ; il n'est pas jusqu'aux bibelots
funéraires qui ne prennent une forme artistique et ne se revêtent d'attrayants reliefs et d'ornements gravés ou colorés. Les vases de bois se recouvrent de laque rouge et noir, sur certains
d'entre eux des motifs très fins sont peints et gravés ; les rares échantillons de tissus Han que l'on a retrouvés témoignent d'une technique étonnamment avancée.
On ne possède pas encore de peintures han sur soie ou sur papier, mais il y a de bonnes raisons de croire qu'il en existait déjà. M. Waley cite
un poème où sont décrites les peintures murales du palais Ling-kouang, au Chan-tong, au deuxième siècle avant notre ère, et les dalles de pierre sculptée trouvées dans la même province et dont le
travail date du deuxième siècle de notre ère, sont manifestement exécutées d'après des motifs peints. En outre, il serait inconcevable que les peintures sur soie de Kou K'ai-tche, du quatrième
siècle, fussent les incunables de la peinture chinoise. sa maîtrise de la ligne floue et « son profond et subtil sentiment de la vie » affirment un art déjà parvenu à maturité.
On ne sait rien de la sculpture chinoise antérieure aux Han et de cette époque même bien peu d'œuvres subsistent. Les bas-reliefs du Chan-tong sont de la peinture sur pierre plutôt que de la
sculpture et l'on peut dire que les deux seuls restes de ronde-bosse han sont deux lions à demi submergés dans l'enceinte du cimetière wou au Chan-tong. Bien que déjà conventionnels, ces lions
donnent une impression de grande puissance et de forte vitalité ; ils démontrent qu'alors, comme plus tard, le sculpteur chinois rend avec un bonheur spécial la vigueur et le mouvement des
animaux. Il se peut que certains objets de moindre dimension en bronze et en jade, tels que l'ours de la collection Oppenheim et le bœuf de la collection Raphaël, soient de l'époque des Han. Si
c'est le cas, il faut avouer qu'ils attestent une grande habileté sculpturale, malgré leur échelle réduite.
Toute pleine de guerres et de bouleversements dynastiques, la période entre les Han et les T'ang reste encore, en ce qui concerne l'histoire de l'art, dans l'obscurité, mais les pièces que l'on
possède témoignent du moins de progrès dans toutes les branches. Pour la peinture nous avons déjà cité le grand nom de Kou K'ai-tche : au sixième siècle Hie Ho promulguait ses six canons de
l'art, preuve concluante que le pinceau avait dès lors une technique nettement formulée.
Le bouddhisme venu de l'Inde apporta avec lui une sculpture religieuse qui atteignit son plus haut point de perfection sous la dynastie des Wei du Nord et sous celle des Souei. Les personnages
sveltes et gracieux de l'art mystique du sixième siècle et le flottement harmonieux de leurs draperies ont un charme tout particulier et les lions ailés des sépultures des Leang, à Nankin, sont
dignes d'une place d'honneur parmi les œuvres magistrales des meilleurs animaliers du monde.
Durant l'époque classique de la dynastie T'ang, alors que la Chine à son apogée était, peut-être, la puissance la plus civilisée du globe, les
progrès de l'art furent à la hauteur de la nation. Parmi les peintres t'ang plusieurs portent des noms qui éveillent des échos dans toutes les mémoires : Wou T'ao-tseu, célèbre par ses splendides
tableaux religieux exécutés avec une largeur et une puissance étourdissantes ; Han Kan et Wang Wei, ce dernier créateur du paysage song monochrome, et Li sseu-hiun, fondateur de l'école du
paysage en couleurs. Il ne subsiste aujourd'hui que peu de chose des originaux de l'époque t'ang, à l'exception des peintures religieuses dues à des artistes provinciaux et retrouvées dans les
grottes de Touen Houang : mais l'influence des grands maîtres ne s'est jamais perdue et de bonnes copies reflètent assez leur « patte » et leur puissance.
Les sculptures religieuses t'ang des temples souterrains de Long Mên et autres lieux se caractérisent par une plus grande plénitude dans le rendu de la forme humaine et par une expression
dramatique plus affirmée que celles des époques des Wei et des Souei. Fréquemment, ces œuvres ne sont que grossièrement ébauchées d'après des formules invariables, mais, de temps en temps, le
sculpteur chinois, pour exprimer l'idéal bouddhique d'insondable contemplation et de détachement absolu, s'élève à de sublimes hauteurs ; une statue telle que le gigantesque Bouddha de Long Mên
ne peut que prendre rang parmi les chefs-d'œuvre que l'homme a su tirer de la pierre. Sa majesté inspire une sorte d'effroi sacré et de vénération, et il a une expression de vérité qui s'impose,
comme s'impose, à un moindre degré, celle de la belle céramique lohan, dont s'enorgueillit le British Museum.
Parce que principalement religieuse, la sculpture chinoise est anonyme et peu de nom d'artistes sont venus jusqu'à nous. Han Po-t'ong et Yang Houei-che, de l'époque des T'ang, constituent des
exceptions et on nous dit que les magnifiques chevaux du mausolée de T'ang T'ai Tsong ont été conçus par Yen Li-pên.
Vitalité et force soutenues par la virtuosité dans le métier, telles sont les caractéristiques des arts appliqués de l'époque des T'ang. Elles se manifestent dans le travail des métaux, dans la
taille du jade, dans les tissus, dans les faïences, toutes matières dont les Chinois ont toujours joué avec une maîtrise hors de pair.
La céramique se distingue par la grande beauté de la ligne, attestant le maniement impeccable du tour à ébaucher et le génie du galbe. La
décoration consiste principalement en émaux de couleur — bleu, vert, jaune d'ambre et blanc jaunâtre — disposés en taches, en marbrures ou bien séparés par des motifs fortement gravés. Et si
l'usage abonde des reliefs estampés et appliqués, on n'est pas sans rencontrer de la peinture au pinceau. La découverte de la porcelaine est un fait accompli, encore qu'il nous reste à apprendre
la date et la manière de son avènement.
La deuxième époque classique de l'art chinois est celle des Song (960-1279). En peinture, c'est une floraison de grands maîtres. Les préférences vont au paysage et ses interprètes se divisent en
plusieurs écoles. Il y a une stricte tradition, qui s'en tient presque servilement aux exemples des vieux maîtres ; mais une émancipation se produit : dans un élan de réaction contre ce style,
l'empereur Houei Tsong (1101-25) ordonne à ses académiciens de prendre la nature pour modèle. Ma Yuan et Hia Kouei viennent en tête des novateurs : abandonnant les formules du passé, ils peignent
à libres touches (et à l'encre diluée) ces romantiques paysages qui sont des visions de poète plutôt que des sites réels.
C'est aux premières années du dixième siècle que remonte le typique et si chinois « paysage à personnages » dont Kouan T'ong fut l'inventeur. Les artistes du temps des Song ont traité avec une
égale maîtrise d'autres genres tels que les oiseaux et les fleurs, et l'on a résumé les caractéristiques de l'époque en ces mots : « simplicité et noblesse de la ligne alliées au plus suprême
raffinement ». Le portrait eut, lui aussi, ses artistes qui, dans un sentiment bien song, visèrent surtout à « traduire l'âme du modèle ».
En sculpture, l'ancien rigorisme de la ligne, déjà adouci par les ébauchoirs de l'époque des T'ang, disparaît complètement : les formes s'arrondissent et se font presque sensuelles, la beauté
humaine ne porte plus guère trace de religieux ascétisme. Mais à partir de cette période la décadence s'affirme, encore qu'il continue à s'exécuter, en modèles réduits, de fort bonnes statuettes
de métal, de jade, de bois, d'ivoire et de faïence.
Les générations postérieures ont toujours, en Chine, parlé des faïences et des porcelaines song sur un ton de vénération et ce que nous
connaissons des unes et des autres justifie ce respect. Les produits de l'époque des Song diffèrent si profondément de ceux de l'époque des T'ang qu'il serait malaisé d'en comparer les mérites
réciproques. À la faïence tendre et blanche, avec ses glaçures au plomb, vivement colorées, se substituent définitivement la porcelaine dure ou le grès aux couvertes feldspathiques de grand feu
et toute une gamme de teintes nouvelles, pour la plupart monochromes — blanc d'ivoire et blanc crème, verts légers et gris subtils, clair de lune pâle, bruns foncés et noirs profonds, fastueux
rouge cramoisi et pourpre somptueux. Les formes sont encore élégantes et simples, sauf quand elles se compliquent délibérément en copiant des bronzes archaïques. s'il est ajouté quelque
décoration, c'est habituellement de la ciselure, de la gravure ou du moulage en relief. Ces procédés sont imposés par l'emploi dominant des glaçures monochromes, mais il y a certains genres de
grès song, tels que ceux fabriqués à Ts'eu-tcheou, sur lesquels des motifs peints en noir et en brun sont utilisés avec effet. Dans tous les cas, qu'elle soit peinte ou autrement exécutée,
l'ornementation s'apparente à la simplicité, à l'élégance raffinée et à l'impeccable proportion des espaces qui donnent son cachet à la peinture sur soie de l'époque. La décoration sous émail
bleu ou en émaux de couleurs sur la couverte, bien que déjà pratiquée dans une certaine mesure pour les objets de moindre importance, n'est pas encore à la mode.
En ce qui concerne les arts secondaires, et bien qu'ils soient moins richement représentés dans les collections européennes, on peut affirmer avec confiance que, sous les Song, leur floraison fut
tout aussi luxuriante que celle de la céramique. On ne connait guère d'objets en métal qui soient certainement de l'époque et ceux que l'on possède sont difficiles à différencier des T'ang. Nous
savons pertinemment, par contre, que les bronziers song ont fait preuve de grande habileté dans la reproduction des anciens types tcheou et han. Cette passion pour l'antique, stimulée par les
amateurs qui se mirent vers ce temps à réunir de grandes collections, s'empara également des tailleurs de jade et autres artisans.
Les quelques spécimens de laques que l'on peut attribuer à l'époque des Song sont des objets ou bien en rouge et noir unis, ce qui ne les rend
pas faciles à distinguer de ceux de l'époque des Han, ou bien chargés d'incrustations compliquées selon les traditions des T'ang ainsi que nous les connaissons par la fameuse collection shoso-in
de Nara, au Japon.
Pendant la courte durée de la dynastie des Yuan (1280-1368), alors que la Chine était une annexe du vaste empire mongol étendu sur toute la largeur de l'Asie, la reprise du commerce et des
rapports avec l'Occident a dû exercer une certaine influence sur l'art chinois, mais, avec les maigres données dont nous disposons actuellement, il est difficile d'en déterminer la mesure. Les
peintres yuan, parmi lesquels Tchao Mêng-fou est un de ceux dont le nom nous est le plus familier, eurent tendance à revenir au vieux style traditionnel des T'ang, et si la silhouette du cheval
et de son cavalier figure fréquemment dans les tableaux attribués aux artistes yuan, nous pouvons y voir un reflet des goûts mongols. Dans les autres branches de l'art, le départ entre le Yuan et
le Song est tellement délicat à établir qu'il serait illusoire d'essayer de traiter séparément la période yuan dans une esquisse aussi sommaire que celle-ci.
Chassés par la dynastie indigène des Ming (1368-1644), les Mongols furent rejetés de l'autre côté de la Grande Muraille ; ils y restèrent, constituant à la fois une menace permanente pour la
Chine et une barrière entre elle et l'Asie Occidentale. Le peu de commerce avec l'extérieur se fit par voie de mer. L'art chinois tira dès lors sa nourriture du sol natal et l'on ne doit pas
s'étonner d'avoir à constater que les peintres s'adonnèrent surtout à la copie des vieux modèles. La seule sculpture ming d'un peu d'importance consiste en quelques sujets religieux de grandeur
nature, en bronze et en fonte. Dans les arts mineurs il se produisit de nombreux changements de modes et de techniques mais, somme toute, à cette époque, l'exécution dans son ensemble est
estimable, elle a de la vigueur et de la verdeur. Vases de bronze doré ou tacheté d'or du règne de Siuan Tö, statuettes de bronze excellemment modelées, laques de Pékin aux profondes fouillures
et aux teintes de rouge et de brun, jades au fini net, ingénieuses conceptions de motifs ciselés dans l'ivoire et le bois, tous méritent une mention.
En céramique, la fabrique de porcelaine de Tching-tö tchen adoptait en se développant les principes qui lui ont valu sa renommée mondiale. Les
porcelaines polychromes et peintes en bleu devenaient à la mode, reléguant au second plan les vieilles vernissures monochromes. La décoration en émaux colorés sur vernis devenait du grand art et
empruntait des motifs aux tableaux et aux brocarts. Les superbes potiches ming en trois couleurs s'ornaient de couvertes teintées — violet foncé, turquoise, vert feuille, jaune, et pourpre
aubergine — avec des motifs aux contours tracés par des filets d'argile ou par des lignes incisées et, parfois, sculptés en relief et ajourés. Il s'est exécuté des porcelaines de la plus extrême
délicatesse et du plus exquis raffinement pour les empereurs ming et leur cour, particulièrement au quinzième siècle sous les règnes de Siuan Tö et de Tch'eng Houa, mais ce sont des objets moins
fragiles et plus communs qui ont d'abord fait connaître en Europe la céramique des Ming, d'autant qu'il s'en fabriqua de grandes quantités pour l'exportation. Naturellement ces articles nous sont
encore à l'heure qu'il est plus familiers que les ravissants objets faits pour les connaisseurs indigènes, et bien qu'ils ne puissent, en élégance, soutenir la comparaison avec eux, ils ont
cependant une vigueur, une fraîcheur, un galbe qui leur assurent une place honorable dans les collections occidentales.
L'art de la dynastie mandchoue ou ts'ing (1644-1912) n'a pas grande nouveauté à nous offrir. Des traditions héritées de tant de siècles l'avaient bien mené à une maîtrise absolue de la matière et
de la technique, mais il était fatal qu'en l'absence de toute inspiration neuve des signes de décadence se manifestassent. A l'exception de travaux adroits de styles traditionnels, la peinture
ts'ing n'a rien de notable, encore qu'elle soit fertile en jolis dessins d'ordre secondaire. C'est tout de même cette peinture des derniers Ming et des Ts'ing qui, comme le dit Binyon, « a donné
à l'Europe à peu près tous les motifs floraux d'ornementation qu'elle connait ».
Dans les premières décades du dix-huitième siècle l'imitation de l'antique fit à nouveau fureur. Il y eut des bronzes et des jades pré-han, des
porcelaines song et ming. L'art de l'époque se distingue par la finesse de la matière et la perfection de la technique, et, si la décoration manque de spontanéité, du moins le fini est-il
irréprochable. Le merveilleux bleu saphir du bleu et blanc K'ang Hi doit sa pureté et son éclat aux soins apportés à la préparation du cobalt d'où est tirée la couleur. La « famille verte »,
aboutissement des produits ming en cinq couleurs, se distingue par un magnifique violet-bleu, teinte dont l'emploi, à peine connu des potiers ming, prévient la difficile combinaison d'une
sous-vernissure bleue avec des émaux sur couverte. Les couleurs d'émail — vert, jaune, aubergine, noir composite — donnent de beaux effets, tant sur le biscuit non vernissé que sur la surface
glacée. Mais l'appoint majeur des potiers ts'ing à l'art céramique a trait aux couvertes monochromes. Le rouge « sang de bœuf » K'ang Hi, bien que créé pour rivaliser avec le rouge «
sacrificatoire » des premiers Ming, présente un caractère qui lui est propre. L'émail « peau-de-pêche » est un autre succès de l'époque. Le règne de K'ang Hi revendique l'invention du noir
miroité ainsi que celle du bleu-poudre, mais il y a bien d'autres monochromes — tels le rouille de fer, le poussière de thé, le rouge soufflé, le jaune moutarde, les verts pomme, sauge, et
feuille de camélia — qui sont particulièrement ts'ing, sans compter les coloris opaques de la « famille rose », tels que le rubis rosé, ou l'émail « œuf d'oiseau ».
Au cours de la troisième décade du dix-huitième siècle les émaux transparents de la « famille verte » furent en grande partie supplantés dans la décoration de la porcelaine par les coloris
opaques de la « famille rose », opacités où diverses nuances de rose et de carmin (dérivés de l'or) jouent le rôle principal et, désormais, ils ne se rencontreront plus que rarement, sauf dans
des dispositifs comportant l'emploi mixte de couleurs transparentes et de couleurs opaques. C'est de cette palette composite que se servit l'école à laquelle laissa son nom Kou Yue-siuan, maître
verrier et décorateur qui florissait au début de la période K'ien Long.
L'empereur K'ang Hi fonda à Pékin une École des Arts Appliqués où, pendant plus d'un siècle, le travail des métaux, la verrerie, la manipulation
de la laque, l'émaillage sur pâte crue, la sculpture sur bois et sur ivoire, la taille du jade, etc., firent florès sous l'égide impériale. La laque rouge de Pékin exécutée sous ce règne et sous
les deux suivants se distingue par un travail minutieusement et habilement fouillé que nous ne pouvons nous empêcher d'admirer, même quand la surabondance de l'ornementation nous fatigue. Ce sont
là, d'ailleurs, les sentiments qu'inspirent, pour la plupart, les œuvres d'art chinoises du dix-huitième siècle, prodiges d'une exécution pleine de talent auxquels il manque l'originalité et le
souffle vivifiant du génie.
Depuis le dix-huitième siècle, l'art chinois est en pleine décadence. ses meilleurs ouvrages ne sont que des imitations et le reste ne vaut guère qu'on en parle. Ce n'est pas que les Chinois
aient perdu toute leur dextérité manuelle : ils demeurent de très fins artisans et nous en avons la preuve à nos dépens par les faux antiques qu'ils nous envoient. Mais ils ont cessé de produire
quoi que ce soit d'ordre plus relevé que le truquage. Aux temps de sa jeunesse et de sa virilité, l'art chinois a créé des choses que nous reconnaissons aujourd'hui devoir ranger parmi les
chefs-d'œuvre du génie humain. Les grandes peintures religieuses de Wou Tao-tseu ont disparu et quelques vieilles copies ne nous en donnent que de pâles reflets, mais si elles étaient vraiment,
comme il nous le faut supposer, beaucoup plus belles encore que la majestueuse fresque de trois divinités bouddhiques actuellement au British Museum, à quel sublime n'atteignaient-elles pas ! De
l'avis de beaucoup de bons juges, les paysages, les oiseaux, les fleurs dûs aux artistes de l'époque des Song l'emportent sur tout ce que l'Europe a pu faire en ce genre. À coup sûr, il n'est
Européen qui se puisse targuer d'une maîtrise de la ligne souple, supérieure à celle des peintres-calligraphes qualifiés de la Chine, et, aux époques classiques, il y avait, pour soutenir la
virtuosité du pinceau, l'inspiration poétique et une technique profondément étudiée.
Mais nulle part, peut-être, la suprématie des Chinois n'est aussi marquée que dans la céramique. Le galbe impeccable des faïences T'ang, la
subtile élégance des porcelaines monochromes song, la somptuosité des produits ming en trois couleurs défient toute rivalité. L'influence du potier chinois est universelle, et il était déjà sur
le déclin qu'il œuvrait assez bien encore pour fournir de modèles l'industrie porcelainière débutante de l'Europe. En vérité, son art de céramiste confine à la magie et nous serions bien empêchés
de dire ce qui est le plus admirable de sa virtuosité manuelle, de son intuition de la forme et de l'ornement ou de son sentiment de la couleur aussi osé et aussi sûr que celui de la
nature.
Dans les tissus également et dans le travail des métaux, les Chinois se placent au premier rang de l'artisanat ; quant à la taille du jade et des pierres dures il les faut mettre hors de pair,
et, pour le traitement de la laque, ils partagent la primauté avec leurs voisins les Japonais.
Bref, il y a dans son œuvre variée, tant de bon et si peu de mauvais que si l'on venait à instituer entre les nations un concours artistique la Chine se verrait assurément proclamer la mieux
douée du monde.