Histoire générale de la Chine

Histoire générale de la Chine, ou Annales de cet empire. par le père Joseph-Anne-Marie de Moyriac de Mailla (1669-1748). Tome XI, De 1649 à 1722. Kang-hi (Kangxi)

Tome onzième, 1780. De 1649 à la mort de l'empereur Kang-hi (1722)

Pages 1-368 de 610 pages.

Le tome onzième couvre la période 1649-1780. Le père de Mailla s'est arrêté dans son ouvrage à la mort de Kang-hi (1722). Le Roux Des Hautesrayes a rédigé la suite (pages 369-610). Comme le dit R. G. Irwin, dans ses Notes on the Sources of de Mailla : "It should be noted that, whereas de Mailla had scrupulously confined himself to Chinese (and in one instance Manchu) sources, the contribution of des Hautesrayes, in Vol XI, pages 369-610, was based, not on Chinese texts at all, but on the writings of Jesuit missionaries, available in the volumes of Lettres édifiantes and Mémoires concernant les Chinois". On trouvera ces derniers ouvrages dans la bibliothèque chineancienne.

  • Le rebelle Tchang-hien-tchong et le pirate Tching-tching-kong - la régence - astronomie mahométane ou européenne ? - Ou-fan-koueï
  • Le kaldan, prince des Éleutes - les Tchang-kolao - Taï-ouan - le traité russo-chinois de Nipchou, 1689 - la bataille d'Oulan-poutong
  • Les visites de l'archevêque de Tournon et du légat Mezzabarba - la carte de la Chine - la requête de Tchin-mao - le tremblement de terre de Pékin
  • Le testament.

Extraits : 1649. Tchang-hien-tchong, le monstre - 1669. Astronomie mahométane ou européenne ? - 1693. Fièvre maligne
1696. Grand festin et sacrifice avant le départ de l'armée - 1696. Au pays d'Ortos (lettre au prince héritier)
Le jugement de Mailla sur Kang-hi


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1649. Tchang-hien-tchong, le monstre

A la nouvelle que les Mantchéous étaient arrivés dans le Chen-si, & qu'ils se disposaient à venir l'attaquer, Tchang-hien-tchong envoya Lieou-tsin-tchong, l'un de ses généraux, avec une division considérable, toute composée de soldats du Ssé-tchuen, s'emparer de Han-tchong-fou, qui est comme la clef de cette province. Cet officier entra sans difficulté dans la place ; mais à l'approche des Tartares, il la leur livra, & passa à leur service. Furieux de cette défection, Tchang-hien-tchong jura la perte de tous les peuples du Ssé-tchuen. Ses satellites, ministres trop fidèles de ses cruautés, se répandant aussitôt dans Tching-tou, forcèrent les maisons & en arrachèrent les habitants, qu'ils chargèrent de chaînes & traînèrent hors des murailles. Le tyran voulut se rassasier de ce spectacle horrible : on entendait de tous côtés les hurlements de la rage & le cris du désespoir, poussés par cette multitude d'hommes, de femmes & d'enfants de tout âge. Sitôt qu'il parut, ces infortunés tombèrent à ses pieds, implorant sa miséricorde, & demandant qu'on séparât au moins l'innocent d'avec le coupable. Quelqu'endurcis que fussent la plupart des soldats employés souvent à ces sortes d'exécutions sanguinaires, ils ne purent tenir contre ce spectacle touchant : plusieurs joignirent leurs prières aux cris de ces malheureux pour exciter sa pitié & demander grâce. La nature sembla un moment avoir repris le dessus ; le tyran fut attendri, & demeura quelque temps indécis ; mais bientôt il rougit d'avoir été sensible, & entrant dans un nouvel accès de fureur, il ordonna d'arrêter les soldats qui lui avaient paru touchés du sort de ces victimes innocentes, & les fit tous avancer dans la plaine : là ils furent investis par ses satellites, dont chacun prit le caractère & fit les fonctions de bourreau ; lui-même courait de rang en rang pour animer leur férocité, défendant d'épargner personne sous peine de la vie. Bientôt un fleuve de sang couvrit la terre, & plus de six cent mille hommes furent égorgés : il fit jeter les cadavres dans la rivière, afin que les habitants des contrées qu'elle arrosait furent avertis par le spectacle de ses eaux changées en sang & des corps qu'elle charriait, du sort affreux qui les attendait eux-mêmes.

Conversant un jour, suivant sa coutume, avec ses soldats, il en vit un dont tous les autres louaient hautement la bravoure ; Tchang-hien-tchong le considère quelque temps, & n'ayant entre les mains qu'une ceinture, il la lui donna. Le soldat surpris de voir sa bravoure mise à si vil prix, s'en plaignit à quelques-uns de ses camarades avec trop peu de précaution ; le tyran, qui en fut informé, fit mettre sous les armes ses troupes, & en ayant séparé environ deux mille, du nombre desquels était ce soldat, il les fit passer au fil de l'épée.

Sur le rapport d'un de ses espions, qu'on ho-chang ou prêtre d'idole, en grande réputation dans Tching-tou, avait parlé de lui d'une manière peu respectueuse, ce tyran, sous prétexte de faire un grand sacrifice à Foé, le fit venir, & avec lui tous les ho-chang de cette ville, dont le nombre allait à plus de deux mille ; il les immola tous, non à Foé dont il ne s'embarrassait guère, mais à sa cruauté, que la soif de répandre le sang irritait sans cesse.

Ce n'étaient là que les prémices de sa barbarie ; il envoya aux officiers qui commandaient dans les villes soumises à sa tyrannie des ordres d'exercer le même traitement envers les ho-chang de leur département : on en compta plus de vingt-cinq mille mis à mort dans la seule province de Ssé-tchuen ; les femmes & les enfants n'étaient pas plus à couvert de ses fureurs que les hommes ; les cruautés les plus inouïes & les plus incroyables, signalèrent le règne affreux de ce monstre.

Tchang-hien-tchong triomphait à peine du succès de ses fureurs, quand il apprit que les Tartares n'attendaient plus à Han-tchong-fou que l'arrivée d'un renfort, pour venir l'attaquer avec leurs forces réunies. Sur cette nouvelle, il rassembla toutes ses troupes distribuées dans les provinces voisines ; & lorsqu'elles furent arrivées au rendez-vous, il manda les principaux officiers & leur adressa ce discours :

— La province de Ssé-tchuen n'est plus qu'un amas de ruines & qu'un vaste désert ; j'ai voulu signaler ma vengeance, & en même temps vous détacher des richesses qu'elle offrait, afin d'empêcher que votre ardeur ne se ralentît pour la conquête de l'empire, dont j'ai tout lieu de me flatter. Compagnons assidus des hasards, que j'ai courus jusqu'ici, vous le deviendrez de ma gloire & de ma fortune ; je veux que vous soyez alors au point de n'avoir pas même de nouveaux désirs à former. L'exécution de mes projets est facile ; mais il me reste de l'inquiétude sur un obstacle qui peut empêcher ou retarder la conquête que je médite : un cœur efféminé n'est pas propre aux grandes entreprises ; il ne faut aux héros que la seule passion de la gloire ; vous avez tous des femmes, & la plupart de vous en ont même plusieurs à leur suite. Ces femmes ne peuvent qu'embarrasser dans les camps, & surtout dans les marches ou dans les expéditions qui exigent de la célérité ; craignez-vous de n'en pas retrouver ailleurs, d'aussi belles & d'aussi accomplies ? Encore un peu de temps & je vous en promets d'autres qui nous donneront sujet de nous féliciter d'avoir fait le sacrifice que je vous propose. Défaisons-nous donc de l'embarras que celles-ci nous causent ; je sens qu'on ne mérite de persuader qu'en donnant l'exemple : demain, sans plus de délai, je ferai conduire toutes mes femmes sur la place d'armes. Ayez soin de vous y trouver, & faites publier, sous des peines sévères, l'ordre à tous vos soldats sans exception de s'y rendre en même temps que vous accompagnés chacun de leurs femmes ; le traitement que je ferai aux miennes, fera la loi commune. »

Tchang-hien-tchong avait pris quatre femmes, pour se conformer aux empereurs de la Chine ; & il avait attaché à leur service trois cents jeunes filles, qu'il menait toujours à sa suite en qualité de concubines. Elles étaient l'élite des plus belles femmes qu'on avait pu lui trouver ; chacune d'elles était dans le cas de disputer à toutes les autres le prix de la beauté. Il en choisit parmi elles une vingtaine, qu'il crut nécessaires pour le service des quatre reines ; toutes les autres liées inhumainement, furent traînées dans cet état sur la place d'armes où il se trouva lui-même. Ses troupes montaient à plus de deux cent mille hommes : officiers & soldats, tous accompagnés de leurs femmes, se rendirent à l'heure assignée. Tchang-hien-tchong parcourut les rangs, faisant une revue générale, il ordonna qu'on séparât les femmes. Bientôt il les fit investir par les troupes choisies pour cet horrible massacre. Ses deux cent quatre-vingt concubines étaient placées à la tête de l'armée, il donna le signal, toutes furent égorgées ; plus de quatre cent mille autres femmes eurent le même sort, & furent sacrifiées au caprice barbare d'un chef sanguinaire.

Cette terrible exécution finie, il s'abandonna aux transports d'une joie immodérée ; il allait de rang en rang témoigner aux soldats la satisfaction qu'il ressentait de leur prompte obéissance.

Cependant le commandant du détachement tartare qui était arrivé à Han-tchong, sur la nouvelle que Tchang-hien-tchong approchait à la tête d'une armée formidable, sortit de la ville avec toutes les troupes qui étaient à ses ordres ; il se fit précéder, suivant la coutume de sa nation, par cinq à six cavaliers des meilleurs archers qu'il eut, du nombre desquels il mit Lieou-tsing-tchong. A peine fut-il hors des murs, qu'on vint lui annoncer que l'armée des rebelles n'était éloignée que de quarante à cinquante ly. Cette nouvelle lui fit hâter sa marche, il fit tant de diligence que les cinq à six cavaliers qui le précédaient, arrivèrent à la vue de l'ennemi dans le temps qu'il faisait halte. Les sentinelles de Tchang-hien-tchong coururent à sa tente l'avertir que l'armée tartare paraissait ; Tchang-hien-tchong, sûr de la fidélité de ses espions, rit de l'avertissement, & leur demanda si les Tartares avaient des ailes : à peine finissait-il de parler, que plusieurs de ses gens accoururent coup sur coup lui confirmer la même nouvelle. Persuadé que c'était en eux l'effet d'une terreur panique, il fit arrêter tous ceux qui étaient venus l'avertir, en leur disant qu'il allait lui-même s'assurer de la vérité, & qu'à son retour il les traiterait comme ils le méritaient : il sortit de sa tente sans casque ni cuirasse, & prenant une pique il monta à cheval & s'éloigna de son camp. Lieou-tsing-tchong le reconnut & le fit remarquer aux autres cavaliers ; un d'eux poussant son cheval à toute bride courut sur lui & lui lança une flèche qui l'étendit sur la place. Ce coup heureux délivra l'empire d'un monstre odieux, sauva la vie à une multitude d'innocents qu'il avait fait lier & qu'il voulait faire mourir ce jour-là même après son dîner.


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1669. Astronomie mahométane ou européenne ?

Comme on ne pouvait, sans un ordre exprès de l'empereur, rien changer à l'astronomie de Tang-jo-ouang, Yang-kouang-sien, son délateur & son successeur dans la place de chef du tribunal des Mathématiques, se voyait avec chagrin forcé de suivre les mêmes calculs qu'il avait établis. Ce nouveau président intrigua tant, qu'il engagea le tribunal des Rites, de qui celui de Mathématiques dépend, & plusieurs mandarins qui lui étaient subordonnés, à se joindre à lui pour demander l'abolition de l'astronomie européenne, comme erronée, & le rétablissement de l'ancienne, qui était celle de la nation. Malgré le crédit de la cabale qu'il faisait agir, il ne put réussir à surprendre la jeunesse de l'empereur ; ce prince comprit mieux que ses grands le mobile & le motif de cette demande : cependant il lut le placet, & pour réponse il ordonna aux neuf tribunaux de Pé-king de s'assembler, & d'examiner avec soin le contenu de la supplique ; mais voulant se mettre en état de décider lui-même la question, il se fit instruire secrètement par des personnes versées dans cette matière, afin de connaître laquelle des deux astronomies donnait avec plus de justesse le mouvement des astres.

Yang-kouang-sien persuadé que l'empereur adopterait la décision des neuf tribunaux, mit tout en usage pour gagner leur suffrage ; il y réussit, & tous répondirent par un placet commun, qu'après avoir consulté les plus habiles gens, ils jugeaient qu'on devait rétablir l'ancienne astronomie. Le jeune empereur ne se rendit point au jugement des tribunaux : il manda tous les présidents des autres tribunaux, fit en même temps venir Nan-hoaï-gin [Ferdinand Verbiest, jésuite] & Yang-kouang-sien. Là, devant une nombreuse assemblée, après avoir parlé avec dignité de l'importance d'employer dans le tribunal des Mathématiques une astronomie sûre, il s'adressa à Nan-hoaï-gin & à Yang-kouang-sien, & leur demanda s'ils n'auraient point quelque moyen sensible de faire voir à tous ceux qui étaient présents, laquelle des deux astronomies marquait avec plus de justesse les révolutions des astres. Yang-kouang-sien qui n'avait que des connaissances bornées, se trouva embarrassé de la proposition. Nan-hoaï-gin voyant qu'il gardait un profond silence, prit la parole, & dit à l'empereur qu'il y avait plusieurs moyens faciles ; que s'il voulait ordonner de placer un gnomon, Yang-kouang-sien & lui supputeraient chacun, suivant leur méthode, à quel point l'ombre marquerait le lendemain à midi ; qu'alors on jugerait laquelle des deux était la plus exacte. Cette manière de décider la question parut si simple, qu'elle eut l'approbation du prince & de toute l'assemblée. On plaça plusieurs styles de différentes grandeurs : l'antagoniste de Nan-hoaï-gin ne put donner aucune supputation satisfaisante ; l'Européen détermina juste les points qu'il avait indiqués. L'empereur dit en souriant aux chefs des tribunaux, qu'ils voyaient eux-mêmes qu'il ne faut jamais précipiter ses jugements, & qu'il avait eu raison de ne pas se décider sans examen. Ce prince ne s'en tint pas à cette seule expérience ; il fit supputer, suivant les deux méthodes, par le tribunal des Mathématiques, plusieurs éclipses passées dont on avait les observations ; & ayant examiné lui-même la différence des calculs, il prononça en faveur de l'astronomie européenne, qu'il trouva beaucoup plus exacte que celle des Chinois : en conséquence de quoi il ordonna de s'y conformer à l'avenir.

Les présidents des neuf tribunaux qui avaient si légèrement porté leur jugement sur la foi de Yang-kouang-sien, forcés de se rendre à des preuves si convaincantes, furent irrités contre lui ; ils l'accusèrent d'avoir tenté de tromper son souverain, & d'être incapable de remplir la place qu'il possédait : ils demandèrent qu'il en fut destitué & livré au tribunal des Crimes pour y être examiné à la rigueur. Sur cette plainte, il fut arrêté & conduit devant ce tribunal, qui, après l'avoir convaincu de fourberie & de plusieurs injustices commises dans le tribunal dont il était le chef, prononça contre lui la peine de mort : tous ses biens furent confisqués ; mais l'empereur d'un naturel porté à la clémence, se contenta de le faire descendre au rang du peuple, & de l'exiler à Ouei-tchéou de la province de Kiang-nan, sa patrie. Il mourut en chemin, peu de temps après son départ de Pé-king. Nan-hoaï-gin le remplaça dans le tribunal des Mathématiques. Ce nouveau président profitant de l'accès qu'il avait auprès de l'empereur, lui représenta que l'astronomie de Tang-jo-ouang ayant obtenu la préférence, il était de la justice de réhabiliter la mémoire de son auteur, flétrie par l'accusation de Yang-kouang-sien, & de révoquer l'arrêt porté contre la religion qu'il professait. L'empereur renvoya l'examen de cette affaire au tribunal des Rites. Les mandarins qui le composaient, après avoir délibéré quelque temps, répondirent que Tang-jo-ouang ayant été reconnu innocent des crimes dont Yang-kouang-sien l'avait noirci, il était juste de le réintégrer dans ses dignités, & de lui rendre les mêmes honneurs que s'il fut mort dans la place de président qui lui avait été injustement enlevée ; à l'égard de la religion, attendu que c'était une doctrine étrangère, ils dirent qu'on pouvait permettre aux Européens exilés à Kouang-tchéou, de retourner à leurs maisons & à leurs églises, pour y pratiquer les exercices de leur religion ; que cependant il paraissait à propos de leur défendre de la prêcher aux Chinois, & à ceux-ci, de l'embrasser : cette décision du tribunal, fut confirmée dans tous ses points.


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1693. Fièvre maligne

A la quatrième lune de cette trente-deuxième année de son règne, Kang-hi fut attaqué d'une fièvre maligne qui fit craindre pour sa vie. Les médecins du palais ne négligèrent aucun des moyens que l'art leur fournissait pour le guérir ; mais ils les épuisèrent en vain, & aucun remède n'eut de succès. L'empereur se ressouvint alors que Tchang-tching & Pé-tsin [Gerbillon & Bouvet, jésuites] lui avaient vanté la vertu de remèdes, apportés d'Europe, auxquels il avait lui-même donné le nom de chin-yo ; voyant que les soins de ses médecins ne lui étaient d'aucun soulagement, il proposa lui-même de prendre le remède des Européens. Les médecins s'y opposèrent avec opiniâtreté, alléguant qu'il y aurait de la témérité à faire, sur l'empereur même, l'expérience d'un remède inconnu. Trois des plus fameux furent de même avis, & ajoutèrent qu'il serait convenable de suspendre pendant quelques jours toute espèce de drogue, afin d'examiner la marche de la nature & de découvrir plus sûrement le caractère de la maladie, mais l'empereur, à l'insu de ses médecins, prit le spécifique européen, & le soir du même jour il se trouva sans fièvre : il continua d'aller de mieux en mieux les jours suivants. Cependant quelque temps après il ressentit de nouveau plusieurs accès d'une fièvre intermittente, lesquels quoiqu'assez légers, lui causèrent de l'inquiétude. Ce nouvel accident lui fit donner l'ordre de publier, par toute la ville, que si quelqu'un avait un spécifique contre la fièvre, il eût à venir sans délai en donner avis au palais ; & que ceux qui en étaient attaqués, pouvaient se présenter pour être guéris. Il chargea quelques-uns des grands officiers du palais de recevoir les remèdes qu'on apporterait, & de les administrer aux malades.

Parmi ceux qui s'annoncèrent pour avoir des recettes infaillibles, un ho-chang se fit remarquer par sa singularité, & divertit les courtisans. Ce bonze se présenta, d'un air grave & les mains vides, devant les officiers nommés par l'empereur, & demanda qu'on le conduisit auprès du puits le plus profond du palais, d'où ayant tiré un seau d'eau, il en remplit un vase de porcelaine qu'il posa à terre ; ensuite il le reprit, il & tournant vers le soleil, les mains élevées, il le lui offrit. Le charlatan réitéra la même cérémonie vers les quatre parties du monde, en faisant des gestes & des contorsions ridicules ; alors il présenta le vase aux quatre grands nommés par l'empereur, en les assurant qu'aucune fièvre ne pouvoir résister à la vertu de cette eau mystérieuse. Tout ce qu'il y avait là de spectateurs se mirent à rire ; on ne laissa pas cependant de faire prendre de cette eau à quelques-uns des fébricitants ; mais le prétendu remède se trouvant sans efficacité, le ho-chang fut chassé du palais comme un imposteur.

Les Européens, Tchang-tching, Hong-jo [de Fontaney, jésuite] & Pé-tsin se rendirent aussi au palais avec une certaine provision de quinquina ; ils le présentèrent aux quatre grands, & leur enseignèrent la manière de l'administrer. On en fit, dès le lendemain, l'essai sur plusieurs malades, qu'on garda à vue, & qui furent guéris dès la première prise. Les grands chargés de veiller aux expériences, rendirent compte à l'empereur de l'effet étonnant du remède ; ce monarque se serait déterminé à en prendre dès l'instant, si le prince héritier ne s'y fût opposé, & n'eût même fait des reproches aux grands d'avoir parlé si avantageusement d'un remède dont on faisait la première expérience. Ceux-ci se justifièrent, en disant que ce spécifique, loin de pouvoir jamais nuire, était au contraire salutaire même en santé, & ils offrirent d'en prendre. Le prince s'étant fait apporter du vin, voulut lui-même en faire le mélange avec l'écorce péruvienne, & sur les six heures du soir il en donna une prise à chacun des quatre grands, qui se retirèrent chez eux, & dormirent fort tranquillement sans éprouver la moindre incommodité.

L'empereur passa fort mal cette nuit. Sur les trois heures du matin, il fit appeler Soukétou ; & ayant su que lui & les trois autres grands avaient pris du quinquina, sans en avoir éprouvé aucune incommodité, il n'hésita plus à en prendre lui-même, & sa fièvre disparut. L'usage qu'il en fit pendant quelques jours, le rétablit parfaitement. Kang-hi récompensa ceux qui avaient marqué du zèle pour lui procurer des remèdes efficaces ; mais il punit sévèrement les trois médecins qui avaient proposé de laisser agir la nature, & de suspendre tout remède. Le tribunal des Crimes, devant lequel ils furent traduits, les ayant condamnés à mort, l'empereur commua leur peine en celle de l'exil. Il récompensa les Européens, auxquels il publiait qu'il était redevable de la vie, & leur fit présent d'une maison située dans le Hoang-tching ou l'enceinte du palais, qui avait appartenue à un gouverneur du prince héritier, qu'on avait exilé, & dont les biens avaient été confisqués. Il ordonna au tribunal des Édifices Publics d'y faire toutes les réparations & les changements qu'ils demanderaient ; & les ayant fait venir au palais, il les admit en sa présence & les assura de sa protection. Il fit remettre à Pé-tsin des présents pour le roi de France, en lui recommandant d'informer ce monarque de la faveur qu'il venait de leur accorder.


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1696. Grand festin et sacrifice avant le départ de l'armée

A la première lune de l'année suivante (1696) Kang-hi indiqua pour le quatorze un grand festin, auquel il invita tous les officiers qui devaient être de l'expédition. Le jour fixé pour cette fête, ce prince tint sa cour avec la plus grande pompe. Il parut d'abord sur son trône dans la salle d'audience, environné de ses grands, de ses gardes & des ministres d'État, tous assis sur des sièges magnifiquement ornés, & chacun suivant son rang & sa dignité. Paraissaient ensuite, à droite, les mandarins de guerre jusqu'au pont Kin-chouï-kiao, & à gauche les mandarins chargés des vivres ; après eux, à la droite, les généraux des troupes chinoises ; au-delà du pont, les officiers subalternes, assis de chaque côté ; au-delà de la porte Ou-men, étaient assis pareillement les mandarins reformés, les docteurs, les lieutenants & le corps de l'artillerie. Une symphonie bruyante ouvrit la fête : alors l'empereur ayant fait s'approcher le pé Féyankou, qu'il avait nommé grand-général de cette expédition, il lui présenta une coupe de vin. Cet officier l'ayant reçue à genoux, se leva, descendit les marches du trône, se mit de nouveau à genoux, & vida la coupe après qu'il eut frappé la terre de son front. Les officiers généraux, tartares & chinois, reçurent le même honneur, ainsi que les mandarins des vivres ; tous observèrent le même cérémonial. L'empereur ordonna ensuite à ses gardes du corps de présenter, en son nom, du vin à tous les autres officiers. Ceux-ci reçurent la coupe à genoux, & vinrent, dix par dix, la boire au bas des degrés du trône, après avoir frappé la terre de leur front une seule fois. Cette cérémonie dura près de deux heures. Lorsque le festin fut fini, le grand maître de la maison impériale, suivi des gens qui composaient son tribunal, distribua des pièces de soie au grand-général, aux gardes du corps, & à tous les lieutenants-généraux....

...Tout étant réglé pour le départ, l'empereur fit un sacrifice solennel au Tien, & lui adressa cette prière :

« La trente-cinquième année de Kang-hi, le vingt-septième de la seconde lune, recevez mon hommage, protégez le plus soumis de vos sujets, souverain Ciel, suprême Empereur ! J'invoque votre assistance, avec une confiance respectueuse, dans la guerre que je me vois forcé d'entreprendre. Vous m'avez comblé de faveurs : un peuple immense reconnaît ma puissance, & vous avez signalé sur moi les effets d'une protection toute extraordinaire. J'adore dans le silence & le respect vos bienfaits ; je ne sais comment manifester la reconnaissance qui me pénètre. Mon désir le plus ardent a toujours été de voir les peuples de l'empire, même les nations étrangères, jouir des douceurs de la paix. Le kaldan détruit mes plus chères espérances ; il sème partout le désordre ; il foule aux pieds vos lois, méprise les ordres de son souverain, qui tient votre place sur la terre : c'est le plus faux & le plus méchant de tous les hommes. Vous m'avez accordé une première victoire sur lui : je l'ai défait & réduit aux dernières extrémités. Ses malheurs n'ont apporté aucun changement à sa conduite ; aux violences déclarées, il substitue l'intrigue & la cabale ; il se joue des serments les plus sacrés. Objet de la haine du genre humain, ô Tien, sans doute qu'il a mérité votre colère ! Le seul dessein de venger la terre de punir ses forfaits me met les armes à la main. Je tiens de vous le droit de faire la guerre aux méchants. Pour m'acquitter de ce devoir, je marche en personne à la tête de mes troupes, que je divise en plusieurs corps afin d'investir le kaldan. Mon départ est fixé au troisième jour de la seconde lune. Prosterné devant vous, j'implore votre secours, & je vous offre ce sacrifice, animé de l'espérance d'attirer sur moi vos grâces signalées. Je ne forme qu'un seul vœu ; celui de faire jouir d'une paix inaltérable le pays immense sur lequel vous m'avez établi. »

Après les cérémonies du sacrifice, l'empereur se rendit à la salle de ses ancêtres, pour les avertir, suivant la coutume, de l'expédition qu'il allait faire en Tartarie. Les deux jours suivants furent employés à achever les préparatifs qui regardaient spécialement sa personne. Il partit de Pé-king, le trente de la deuxième lune.


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1696. Au pays d'Ortos (lettre au prince héritier)

« Je vous envoie un cheval éleute, dont j'espère que vous serez content ; je ne sais pas si on fera bien de le nourrir avec des fèves comme on fait en Chine. Vous recevrez aussi de vrais moutons kalkas ; il sont excellents, comme vous le savez, & d'un goût bien supérieur à ceux des autres pays.

Le deux de la onzième lune les Mongous vinrent, de grand matin, m'annoncer qu'au pays de Sirha, à cinquante ly de celui où j'étais campé, le Hoang-ho avait gelé dans deux endroits différents, & que la glace était fort épaisse ; ce qui ne s'était jamais vu jusque là.

On trouve ici tout ce qu'on peut souhaiter pour la nourriture ; il n'y a que des queues & des langues de cerfs, dont je n'ai pu me procurer qu'une cinquantaine de chaque espèce : je vous les envoie, avec le gros poisson, dont le goût me semble peu agréable. On me présente partout des faisans gras, & d'une chair admirable ; il y en a une très grande quantité dans ce pays. J'ai aussi une provision abondante d'excellentes oranges & de raisins, parmi lesquels, ceux de la petite espèce, qu'on appelle sou-tsé-pou-tao (raisins de Corinthe) sont très délicieux. Ce qu'on m'offre ici me semble plus exquis que tout ce qu'on trouve de bon à Pé-king.

Le trois, avant le lever du soleil, je fis passer le Hoang-ho aux gens de ma suite ; les princes du pays d'Ortos, les ouang, peïlé, peïtsé, kong & les autres taïkis m'offrirent cent vingt-deux chevaux, dont vingt pour mon usage : ils ajoutèrent à ce présent, plus de trois cents chevaux ordinaires, dont cent vingt sont destinés pour le service des officiers du palais.

Lorsque la plus grande partie de mon cortège fut sur l'autre bord du Hoang-ho, je passai moi-même ce fleuve avec tant de tranquillité & de calme, qu'il me semblait être sur la rivière de Tchang-tchun-yuen (maison de plaisance de l'empereur à deux lieues de Pé-king).

Le pays des Ortos m'a semblé, en tout, répondre à l'idée qu'on s'en forme à Pé-king. La petite chasse y est fort agréable, on y trouve grande quantité de lièvres & de faisans. Le terrain, quoique coupé de petites collines, peut cependant passer pour un pays de plaine ; les pâturages y sont excellents. Dès ma tendre jeunesse j'avais ouï dire que les lièvres d'Ortos avaient un fumet exquis ; je puis maintenant l'assurer d'après ma propre expérience. »

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Le cinq de la lune on fit dix-huit ly, & on arriva au bord du Hoang-ho, qui était couvert de glace d'un demi-pied d'épaisseur : toute la suite de l'empereur passa dessus le lendemain dans trois endroits différents. Le soir, les mères & les épouses des princes d'Ortos les ouang, peïlé, peïtsé, kong & taïkis vinrent saluer ce monarque, qui fut surpris de la candeur & des bonnes mœurs de ces peuples, comme il le marque dans la lettre qu'il écrivit à ce sujet au prince héritier, son fils :

« Jusqu'ici, lui dit-il, je n'avais point l'idée qu'on doit se former des Ortos, c'est une nation très policée, & qui n'a rien perdu des anciennes coutumes des vrais Mongous. Tous leurs princes vivent entre eux dans une union parfaite, & ne connaissent point la différence du tien & du mien : il est inouï de trouver un voleur parmi eux, quoiqu'ils ne prennent aucune précaution pour la garde de leurs chameaux & de leurs chevaux. Si par hasard un de ces animaux s'égare, celui qui le trouve en prend soin jusqu'à ce qu'il en ait découvert le propriétaire, & il le lui rend alors sans le moindre intérêt. Entre les princesses que les ouang et les peïlé reconnaissent pour leurs mères, il n'en est aucune qui la soit véritablement : cependant ils ont pour elles un respect & une déférence qu'on trouve rarement dans des enfants bien nés à l'égard de celles qui les ont mis au monde.

Les Ortos sont intelligents en tout, principalement dans la manière d'élever des bestiaux. La plupart de leurs chevaux sont doux & traitables. Les Tchahar, au nord des Ortos, ont la réputation de les élever avec beaucoup de soin & de succès ; je crois cependant que les Ortos les surpassent encore en ce point. Malgré cet avantage, ils ne sont pas, à beaucoup près, aussi riches que les autres Mongous. Ils manient l'arc avec peu de grâce, & en général ils s'acquittent mal de cet exercice ; mais leurs arcs sont des plus forts, & ils atteignent le but avec une adresse merveilleuse.

On jouit dans ce pays d'un air fort sain ; les eaux sont excellentes, & les aliments d'un goût exquis. Le froid n'y est pas fort rigoureux, & jusqu'ici je ne l'ai point trouvé aussi vif que celui que j'éprouvai, à la quatrième lune, près du Kerlon : je saurai dans la suite à quoi m'en tenir sur cet objet. »


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Le jugement de Mailla sur Kang-hi

Ce monarque expira le vingt de décembre (1722) sur les huit heures du soir, & son corps fut transporté à Pé-king le même nuit.

Le prince que l'empire venait de perdre, était un des plus grands hommes dont le trône de la Chine s'honore : on ne voyait rien dans sa personne qui ne fût digne du plus puissant monarque de l'Asie. D'une taille au-dessus de la moyenne & bien proportionnée, le visage bien fait & plein, des yeux remplis de vivacité plus ouverts que le commun des Chinois, le front large, le nez un peu aquilin, la bouche belle, un air gracieux & doux, mais majestueux & grand, qui inspirait à ceux qui approchaient de sa personne, de l'amour & un respect qui le faisaient aisément distinguer au milieu d'une cour nombreuse : telles étaient les qualités extérieures de Kang-hi. Ces dehors avantageux, mais souvent trompeurs, annonçaient chez ce monarque une âme grande, qui le laissait maître absolu de régler ses passions ; un esprit vif & pénétrant ; un jugement sain & solide ; une mémoire heureuse, à laquelle rien n'échappait.

Dès sa plus tendre enfance, il avait fait pressentir ce qu'il serait un jour. Chun-tchi, son père, attaqué de la petite vérole, jugeant son état désespéré, demanda à ses enfants, qu'il fit appeler, lequel d'entre eux se sentait assez de force pour soutenir le poids d'une couronne nouvellement conquise. L'aîné s'excusa sur sa jeunesse, & pria son père de disposer à son gré de sa succession ; mais Kang-hi, le plus jeune, qui n'avait encore que huit ans, se jeta à genoux devant le lit du monarque expirant : il lui dit avec beaucoup de fermeté qu'il se croyait assez fort pour prendre l'administration de l'empire ; & qu'en ne perdant point de vue les exemples de ses ancêtres, il espérait gouverner au contentement des peuples. Chun-tchi déjà prévenu en sa faveur, & décida sur cette réponse, & le nomma aussitôt son successeur sous la tutelle de quatre régents qui devaient régler les affaires pendant sa minorité.

Le jeune Kang-hi, pour remplir de si heureuses espérances, s'appliqua fortement à réunir en sa personne les qualités solides qui pouvaient lui concilier l'estime & l'attachement des deux puissantes nations, qu'il avait sous ses lois : il montra bientôt par ses succès étonnants en tout genre, ce que le sang tartare tempéré par une éducation chinoise, peut procurer de force & de sagesse dans le gouvernement.

Il se distingua dans les différents exercices destinés à donner au corps cette souplesse & cette vigueur capables de soutenir les plus violentes fatigues. Personne de sa cour ne monta un cheval avec plus de grâce & ne le surpassa à la course, soit en rase campagne, soit en gravissant les montagnes les plus escarpées ; personne aussi ne montra tant d'adresse & de force à manier l'arc, le fusil & l'arbalète ; & à frapper un but en tirant de la droite également comme de la gauche, à pied comme à cheval, en courant & de pied ferme.

Outre l'expérience des armes & l'équitation, il s'appliqua surtout au maniement des affaires : c'est principalement dans le grand art de gouverner, si utile aux souverains, qu'il fit les plus rapides progrès ; il les dut sans doute autant aux circonstances de son règne, qu'à une application infatigable, & à l'excellente mémoire, au jugement sain, à la sagesse & à l'équité dont la nature l'avait doué. En 1666, lorsqu'entrant dans sa majorité, il prit les rênes du gouvernement, il commença par punir le premier des quatre régents, qui avait abusé de l'autorité qu'on lui avait confiée, & commis des injustices dont personne n'avait osé se plaindre. Cet exemple de fermeté remplit dès lors tout le monde de crainte & d'admiration.

Kang-hi eut bientôt occasion de développer les ressorts de son génie, & de mettre en usage les principes de politique dont il avait appris la théorie, lorsque à peine sorti de l'adolescence, il lui fallut, pour soutenir son trône chancelant, faire face à des ennemis nombreux & puissants qui l'attaquèrent de toutes parts ; donner la chasse à des pirates formidables qui infestaient les côtes ; dissiper les armées innombrables du brave Ou-fan-koueï, qui avait soulevé presque toutes les provinces méridionales ; obliger les rois de Canton & de Fou-kien à se soumettre ; dompter celui de Chen-si, arrêter & prévenir la conjuration des esclaves, qui, au nombre de cinquante mille, ayant conspiré de tuer leurs maîtres en une nuit, devaient en même temps mettre le feu aux quatre coins de Pé-king, d'où ils se proposaient de chasser les Tartares ; enfin éteindre dans le sang des princes mongous, rejetons des anciens maîtres de la Chine, des droits qu'ils prétendaient faire revivre, en profitant des conjonctures critiques où se trouvait le jeune monarque, au milieu de son palais, dans Pé-king, dégarni de troupes. Voilà ce que fit Kang-hi, touchant à peine à l'âge de vingt ans : un souverain consommé dans l'art de gouverner, & guidé par une longue expérience se serait glorifié de ce chef-d'œuvre de politique. Cependant il faut l'avouer, il fut heureux de ce que la mésintelligence qui régnait entre ces divers chefs les empêcha d'agir de concert. S'ils ne se fussent pas croisés dans leurs desseins ambitieux c'en était fait de la monarchie des Mantchéous : il n'en fallait pas tant pour l'écraser dans son berceau. Mais aussi, quelle activité, quelle prudence dans Kang-hi, pour déconcerter leurs plans de confédération ! Et quelle valeur & quelle fidélité dans ses capitaines & dans ses ministres, pour dissiper leurs armées innombrables avec des forces très inférieures !...

...L'équitable postérité assignera sans doute à ce prince une place distinguée parmi les plus grands monarques. Uniquement partagé entre les affaires d'État, les exercices militaires & les arts libéraux ; bienfaisant, brave, généreux, savant, politique actif & vigilant, génie profond & universel, n'ayant rien du faste & de la mollesse des cours asiatiques, quoique sa puissance & ses richesses fussent immenses,...


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