Tong-kien-kang-mou, Histoire générale de la Chine

Tome septième, 1778.

De 888 à 959. Quelques faits marquants :

  • Au milieu de la réinstallation de la féodalité héréditaire, le monde chinois tombe dans l’anarchie.
  • La Chine du sud est partagée en dix royaumes.
  • Le domaine impérial est réduit à la Chine du nord.
  • Après l'assassinat ou le dépôt des derniers empereurs Tang, et au milieu de guerres constantes, cinq dynasties se succèdent, dont trois d'origine turque ou tartare.

Extraits : Cinq dynasties : cinq chutes, cinq avènements --- Encore un siège

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Cinq dynasties : cinq chutes, cinq avènements

907. Des Tang aux Héou-Leang

Le jour déterminé pour la cérémonie, Tchang-ouen-yu & les autres envoyés, assis dans des chars & tenant entre leurs mains l’acte de cession, le sceau de l’empire & les autres marques de l’autorité impériale, se rendirent à l’hôtel de Tchu-ouen au milieu des mandarins rangés sur deux files ; ils s’avancèrent ensuite jusqu’au bas d’une salle, dans laquelle Tchu-ouen avait fait élever un trône, sur lequel il était assis, revêtu des habits impériaux : les envoyés entrèrent avec beaucoup de respect dans cette salle, suivis d’une foule de mandarins qui se partagèrent en deux bandes, & se rangèrent, ceux de lettres du côté de l'est, & ceux d’armes du côté de l'ouest : ils se mirent à genoux, tandis que Tchang-ouen-yu & ses collègues, debout, lurent à haute voix l'acte de cession, qu’ils remirent ensuite avec le sceau & les autres attributs de l’empire entre les mains de Tchu-ouen. Alors, descendant les degrés du trône avec beaucoup de respect, ils se firent suivre par tous les mandarins, & sortirent de la salle en ordre pour se ranger dans la cour qui était en face, où ils firent les neuf prosternations ordinaires, en reconnaissant Tchu-ouen pour le maître & le souverain de l’empire.

Cette cérémonie finie, ils rentrèrent tous dans le même ordre & avec le même respect qu’ils étaient sortis, & prirent chacun leur place pour assister au banquet que le nouvel empereur leur donna suivant la coutume. Au moment que le repas allait commencer, Tchu-ouen prenant un vase rempli de vin, leur dit que s’il était parvenu à porter l'auguste nom de Hoang-ti, c’était à leurs belles actions & à leurs services qu’il p.115 le devait. Tchang-ouen-yu & les autres grands de Lo-yang, qui avaient, jusque-là, fidèlement servi la dynastie des Tang, furent honteux du compliment & ne purent répondre ; il n’y eut que Sou-siun & Siué-y-kiu qui exaltèrent les vertus du nouvel empereur & le louèrent beaucoup ; ils finirent en disant que le Tien, touché de l’éclat de tant de grandes qualités, l'avait choisi pour lui confier l’empire, & que les peuples se soumettraient à ses volontés.

Peu de jours après, le nouveau monarque assembla sa famille dans son palais, pour lui donner aussi un festin.

923. Des Héou-Leang aux Héou-Tang

...Cette désertion n’empêcha pas que le prince de Tçin, de retour à Oueï-tchéou de la guerre des Tartares, ne pensât à exécuter le dessein qu’il avait arrêté de se faire reconnaître empereur ; & à la quatrième lune, montant sur un tertre, qu’on avait fait élever au midi de la ville, il y offrit un sacrifice, auquel tous les généraux & tous les mandarins assistèrent, revêtus de leurs habits de cérémonie. S’asseyant ensuite sur un trône, qu’on lui avait préparé dans le même endroit, il déclara qu’il ne prenait le titre d’empereur que pour continuer la dynastie des Tang, qui avait fait à ses ancêtres la faveur de les adopter, quoique d’une nation étrangère. Il voulut par cette raison que sa famille conservât le nom de Tang, qu’il donna à la dynastie qu’il fondait. Lorsqu’il eut achevé de parler, tous les grands le saluèrent comme leur légitime empereur, & le reconduisirent dans son palais, où ils le saluèrent de nouveau, pour lui témoigner la joie qu’ils avaient de le voir enfin élevé à cette dignité.

937. Des Héou-Tang aux Héou-Tçin

...L'empereur voyant tout perdu pour lui, & n’ayant de troupes à Lo-yang pour se défendre, voulait tantôt s’enfuir du côté de l’ouest, tantôt il voulait retourner à Ho-yang, où il espérait plus de sûreté pour sa personne. Il était dans cette cruelle incertitude, lorsqu’on lui donna avis de tous côtés que le prince de Tçin était déjà à Ho-yang, que Tchang-tsong-king, qui en était gouverneur, lui avait ouvert ses portes, & qu’il était sur le point d’arriver à Lo-yang. L’empereur ne voulant point tomber entre les mains de son ennemi, se fit suivre par les deux impératrices, les princes ses fils, & monta dans une des tours du palais, où il fit porter le sceau de l’empire & les autres marques de la dignité impériale ; y ayant ensuite fait mettre le feu, ce prince, avec sa famille, périt au milieu des flammes, laissant l’empire à Ché-king-tang son rival, qui conserva à sa dynastie le nom de Tçin, que le roi des Tartares lui avait donné.

947. Des Héou-Tçin aux Héou-Han

L’empereur ayant mandé Fan-tchi, il lui fit rédiger par écrit sa soumission, conçue en ces termes :

« Moi, votre petit-fils & votre sujet Ché-tchong-koué, accablé de malheurs & de chagrin, mon esprit est dans le trouble, mon règne est fini, ma dynastie n’a plus l’empire ; maintenant l’impératrice & Fong-chi mon épouse, avec toute ma famille la corde au col, nous attendons que vous décidiez de notre sort ; j’ai remis le sceau de l’empire à mes fils Ché-yen-hin & Ché yen-pao, afin qu’ils le portent à Votre Majesté.

Fou-tchour, interprète du roi tartare, lut à l’empereur les ordres du roi son maître, que ce prince reçut dans la posture la plus humiliante, comme le dernier de ses sujets. Tchang-yen-tché abandonna la ville au pillage ; ses soldats y commirent pendant deux jours des désordres incroyables : il fit sortir l’empereur du palais, sans lui permettre d’en emporter la moindre chose, & il lui donna des gardes qui le surveillaient de si près, que personne ne pouvait lui parler ; il lui refusa même le plus nécessaire. Ce traitement indigne révolta tout le monde, d’autant plus que Tchang-yen-tché n'avait point d’ordre d’en agir d’une manière si barbare. Le lendemain de la détention de l’empereur, le roi tartare lui écrivit de sa propre main pour le consoler de sa disgrâce ; il lui marquait que son intention était qu’on lui fournît abondamment tout ce qui lui serait nécessaire.

951. Des Héou-Han aux Héou-Tcheou

A la veille de leur départ de Tchen-tchéou, plusieurs milliers d’entre [les officiers & les soldats] entourèrent Kouo-oueï, en criant :

— Voilà notre empereur, nous n’en voulons point d’autre ! La famille des Han et devenue notre ennemie, nous n’avons plus que des rigueurs & des châtiments à attendre d’elle.

Le reste de l’armée se joignit à eux & témoigna sa joie par des cris redoublés de vive Kouo-oueï ! dix mille années de vie à notre empereur ! Ce général ne pouvant réprimer leur ardeur indiscrète, céda à leur empressement & leur fit dire, que puisqu’ils s’opiniâtraient dans leurs desseins, ils se disposassent à retourner à Ta-léang. Il se fit précéder par un de ses officiers qu’il chargea d’un placet pour l’impératrice, dans lequel il demandait la permission d’aller rendre les honneurs accoutumés aux ancêtres de la famille régnante. Il ordonna aussi à cet officier de publier, en arrivant, qu’on ne s’effrayât point des changements qui allaient se faire ; qu’à son retour il conduirait tout avec tant de prudence & de modération, qu’il ne se commettrait aucun désordre.

Le prince Lieou-pin, rendu à Song-tchéou, reçut la nouvelle de cette révolution, & que Kouo-tsong-oueï, détaché avec sept cents chevaux, venait à lui : à peine achevait-on de lui donner cet avis, qu’on vint lui dire qu’il paraissait à la vue des murailles. Aussitôt il fit fermer les portes, & monta sur le rempart, afin de lui demander quel motif l’amenait, avec les troupes qui le suivaient. Kouo-tsong-oueï lui répondit que Kouo-oueï l’envoyait pour l’informer de la conduite que les officiers & les soldats avaient tenue à Tchen-tchéou, ajoutant que ses cavaliers étaient destinés à lui servir d’escorte. Lieou pin lui fit ouvrir les portes, & l’ayant pris par la main, il voulut lui demander de plus amples éclaircissements, mais il avait le cœur si serré, qu’il lui fut impossible de proférer une parole ; ses larmes seules purent se faire un passage. Kouo-tsong-oueï n’oublia rien pour le consoler, & pour lui persuader qu’il n’avait rien à craindre. Cependant Tchang-ling-tchao, qui commandait la garde du prince, sollicité par cet officier, qui l’instruisit plus à fond de l’état des choses, abandonna Lieou-pin, & alla se joindre aux sept cents hommes qu’il avait amenés. Le prince ne douta plus qu’il ne fût trahi, & qu’il s'était forgé des fers par son imprudence...

Après que l’impératrice eut déclaré Lieou-pin déchu du trône, elle nomma Kouo-oueï régent de l’empire ; tous les mandarins & grands des provinces l’en félicitèrent par des placets, dans lesquels ils l’exhortaient à s’asseoir sur le trône, vers lequel il avait déjà fait les premiers pas ; ce qui engagea l’impératrice à le faire reconnaître empereur au commencement de l’année suivante.

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Encore un siège

Au commencement de la guerre, Li-cheou-tchin avait fait distribuer sous main de grosses sommes aux soldats de l’armée impériale, & corrompus par ses libéralités, ils avaient promis de se joindre à lui à la première action ; mais les bienfaits de Kouo-oueï l’emportèrent : loin de penser à tenir leurs promesses à l’égard du premier, ils investirent la place où il s'était enfermé, & s’avancèrent au pied des murailles, avec une ardeur qui ne lui causa pas peu d’étonnement. Leurs officiers, voulant en profiter, proposèrent au général de livrer un assaut à la ville, se flattant de l’emporter d’emblée ; Kouo-oueï modéra cette ardeur, en leur disant :

— Votre valeur vous empêche de faire attention aux difficultés de s’emparer d’une place aussi bien fortifiée, & défendue par un homme tel que Li-cheou-tchin ; quand je serais assuré de m’en rendre maître au premier assaut, comme je ne le pourrais sans une perte considérable, je n’y consentirais point encore : épargnons le sang du soldat ; il ne nous coûtera que du temps pour la réduire. Vous n’ignorez pas combien Li-cheou-tchin méprise nos connaissances dans l’art de la guerre ; voici l’occasion de lui donner une leçon, & de lui prouver que notre habileté n’est pas inférieure à la sienne, en le prenant, pour ainsi dire, au filet.

Afin de le bloquer, il fit creuser un fossé large & profond, bordé d’une muraille fort élevée, qui embrassait la ville dans son circuit, & par le moyen d’un grand nombre de corps-de-gardes, placés de distance en distance, il resserra les assiégés au point qu’il leur coupa toute communication au dehors. Li-cheou-tchin devina d’abord le dessein de son ennemi, & pour retarder ses opérations, il faisait de fréquentes sorties sur les travailleurs, où il avait toujours du désavantage : désespéré de l’inutilité de ses efforts, il tenta d’envoyer au prince de Chou, pour lui demander du secours, des courriers travestis tantôt en paysans, tantôt en déserteurs, quelquefois même en soldats ; mais les assiégeants faisaient si bonne garde, que pas un seul de ces envoyés n’échappa à leur vigilance.

Le siège durait depuis quelques mois, & les vivres manquèrent tout à coup dans la ville. La famine y devint si grande, que les habitants mourraient par milliers. Li-cheou-tchin, aigri par le souvenir de la prétendue prophétie qui l'avait porté à la révolte, fit venir le ho-chang qui lui avait promis l’empire, & lui demanda ce qu’il pensait de la cruelle extrémité où ils étaient réduits :

— Le signe céleste, répondit le devin, qui domine sur ce pays-ci, est sur sa fin ; lorsqu’il ne restera plus qu’un homme & son cheval, alors vous vous élèverez comme une pie.

Malgré l’obscurité de cette réponse, dont Li-cheou-tchin ne comprit point le sens, il fut assez bon pour s’en contenter.

949. Au commencement de l’année suivante, Li-cheou-tchin tenta de forcer quelque quartier de l’armée impériale ; il fit faire une sortie par Ouang-ki-hiun, à la tête de mille ou douze cents hommes d'élite, qui tombèrent si brusquement sur un des quartiers, en mettant le feu partout où ils passaient, qu’en un instant il fut embrasé : cette attaque imprévue y répandit le trouble & la confusion, & il aurait été forcé, si Lieou-tsé, accourant pour le soutenir, ne lui eût donné le temps de se reconnaître : les assiégeants, revenus de leur surprise, poussèrent les ennemis à leur tour avec tant d’ardeur, qu’ils leur tuèrent cent hommes. Ouang-ki-hiun fut blessé dans la retraite, & eut beaucoup de peine à s’échapper.

A la quatrième lune, on vit l’étoile Taï-pé en plein jour ; ce phénomène fut regardé comme un pronostic si fâcheux, qu’on défendit de le regarder, & que Ssé-hong-tchao fit mourir quelques gens du peuple qui étaient contrevenus à cette défense.

Vers le même temps, Li-cheou-tchin, voyant ses vivres presque entièrement consommés, & que la ville, si peuplée avant le siège, avait déjà perdu plus de la moitié de ses habitants, morts de faim & de misère, voulut faire un dernier effort : il sortit avec toutes ses troupes, & vint donner en désespéré sur un des quartiers de l’armée impériale. Kouo-oueï, qui était sur sa gardes, le reçut si vertement, que ceux qui purent se sauver du carnage jetèrent leurs armes pour fuir avec plus de vitesse. Oueï-yen-lang, un de leurs généraux, fut fait prisonnier, & Ouang-ki-hiun, vivement poursuivi, fut contraint de mettre les armes bas, & de se rendre avec les douze cents hommes qu’il commandait.

Le premier jour de la sixième lune, il y eut une éclipse de soleil.

Kouo-oueï, enhardi par cet avantage, résolut de forcer Li-cheou-tchin, qui tint encore plus d’un mois malgré tous ses efforts. Enfin il se rendit maître des faubourgs ; alors Li-cheou-tchin, se voyant sur le point de tomber entre les mains de ses ennemis, prit un parti désespéré, il s’enferma dans son palais avec sa femme & ses enfants, & y ayant fait mettre le feu, il périt avec eux dans les flammes. Après la mort du commandant, Kouo-oueï entra dans la ville sans beaucoup de peine, & se saisit de Li-tsong-yu, un des fils de Li-cheou-tchin de quelques-uns de ses officiers, de ses ministres & du ho-chang, dont les fausses prédictions l'avaient précipité dans l’abîme où il venait de tomber. Il envoya tous ce rebelles à Ta-léang, où ils furent mis en pièces au milieu des rues. Son intention était aussi d’y envoyer tous les papiers de Li-cheou-tchin, mais il en fut empêché par le conseil de Ouang-tao, qui lui représenta qu’il allait compromettre un grand nombre de familles intéressées dans cette affaire : ainsi il prit le parti de les jeter tous au feu, afin de ne laisser aucune trace de cette révolte.

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