Lettres édifiantes et curieuses

écrites de 1689 à 1781 par des missionnaires jésuites de Pékin et des provinces de Chine.

 

Edition du Panthéon littéraire. Tome III intégral et IV partiel : La mission de Chine

sous la direction de Louis AIMÉ-MARTIN. A Paris, Société du Panthéon littéraire, MDCCCXLIII. 

 

Un peu d’histoire - Le commentaire de Virgile Pinot

Table des matières

Le père Ferdinand Verbiest
Le père Ferdinand Verbiest

Un peu d'histoire : Après les pères Ricci et Schall, Ferdinand Verbiest.
La mission française à Pékin.


... Depuis que le père Schall avait été dépouillé de sa charge de président du tribunal des Mathématiques, à l’époque de son incarcération, il s’était glissé de nombreuses fautes dans le calendrier chinois. L’empereur Cang-hi s’en plaignit. On lui conseilla de consulter les mathématiciens d’Europe, retenus captifs. On s’adressa au père Verbiest, savant mathématicien, né à Pittham, près de Courtray, en Belgique, le 9 octobre 1623, arrivé à Pékin en 1662, mis en prison en 1664 et chargé de chaînes si lourdes que, ne pouvant se tenir debout, il était contraint de se coucher. Le père Verbiest, interrogé sur le calendrier nouveau « n’eut pas de peine à prouver jusqu’à l’évidence, l’ignorance et la mauvaise foi de Yang-koang-sien, de ses amis et de ses partisans. Par des expériences répétées à la vue de toute la cour et sensibles aux yeux, il fit toucher au doigt, pour ainsi dire, un grand nombre d’erreurs répandues dans le calendrier, dont les calculs et les prédictions ne répondaient pas à la réalité, et confondit avec tant de force ses ennemis, qu’ils finirent par reconnaître eux-mêmes leur ignorance ».

L’empereur ordonna aussitôt (1669) de délivrer le père Verbiest et ses deux compagnons de captivité, et appréciant son talent, son savoir et ses services, il le nomma successivement président du tribunal des Mathématiques, second, puis premier commissaire, chargé de connaître des mémoires présentés au trône ; enfin, il lui conféra un titre d’honneur de deuxième classe ; Tong-fong-ta-fou, grand homme que Sa Majesté ordonne de vénérer. Lire la suite

Le commentaire de Virgile Pinot sur les Lettres édifiantes et curieuses


On a tenté plusieurs fois de tracer la physionomie des Lettres édifiantes et curieuses, de ces petits recueils périodiques qui eurent tant de succès au XVIIIe siècle parce qu’ils apportaient non seulement des renseignements sur les missions et sur le nombre considérable des conversions que faisaient les Jésuites dans les pays lointains, mais aussi des faits nouveaux sur des pays mal connus. Jamais le goût des récits de voyage n’a été plus vif que pendant la première moitié du XVIIIe siècle, et les rédacteurs des Lettres édifiantes n’agirent pas sans intention en conservant à ce recueil son caractère de « choses vues », de récit direct adressé par un Jésuite de Chine ou d’ailleurs à un confrère de Paris et reproduit en toute simplicité dans le recueil.

M. Martino constate avec juste raison le caractère de naïveté de ces Lettres, qui fut une des causes de leur succès : « Le Livre, aussitôt ouvert, donne l’impression d’une merveilleuse candeur, d’une bonne foi naïve qui va souvent jusqu’à la maladresse... Les propos et le style, le récit comme les appréciations sont d’une simplicité, d’une médiocrité parfois, qui doit ravir d’aise l’immense majorité du public et si les habiles directeurs de la Compagnie de Jésus qui eussent pu modifier à leur gré les termes de ces lettres, leur laissèrent ce ton si caractéristique, c’est qu’ils le savaient propre à attirer vers l’œuvre des missions toutes les sympathies des bonnes gens ».


On ne saurait mieux dire, et de la naïveté du recueil on peut être tenté de conclure à sa véracité. Mais il nous faut essayer de pénétrer un peu dans la composition de ces lettres si simples en apparence, pour voir si Saint-Simon a eu raison de les appeler « d’artificieuses relations ». Il est possible que Saint-Simon soit seulement poussé par sa haine des Jésuites. Mais il est possible aussi qu’il ait formulé ce jugement d’après des renseignements précis en vertu des méritoires sur la Chine que lui fournissait l’ex-Jésuite Foucquet, et que nous ne connaissons pas. Lire la suite

Table des matières

 

L'empereur Cang hi
L'empereur Cang hi

1. Lettres écrites sous l'empereur Cang-hi, entre 1689 et 1722  :


Prémare
: Traversée de France en Chine. — Cap de Bonne-Espérance. — Asham, Malacca, Sancian, Macao. *** Bouvet : Traversée. — Canton et les environs. — Voyage à Nankin. — Réception que l’empereur fait aux jésuites. *** Prémare : État de la Chine. — Excès de population. — Misère du peuple. — Travaux des missionnaires. *** Pélisson : Église chrétienne construite à Pékin. Persécution. *** du Tartre : Traversée. — Cap-Vert. — Gorée. — Cap de Bonne-Espérance. — Îles de la Sonde. — Détroit de Java. — Les Malais. — Golfe du Tonquin. — Tempête. — Chine méridionale. *** Chavagnac : Sancian. — Macao. — Canton. — Usages chinois. — Efforts des missionnaires. *** Fouquet : État des missions en Chine. — Difficultés de leurs progrès. *** Mémoire sur l’état des missions de la Chine. — Travaux des jésuites portugais et français. *** Chavagnac : Provinces intérieures. — Détails sur le pays, sur les mœurs, sur les conversions, sur les dames chinoises, sur les idoles. *** Fontaney : Aperçu de l’établissement des missions en Chine. — Tombeaux des fondateurs. — Maladie de l’empereur. — Médecine chinoise. — Discussions entre les différents ordres de missionnaires. — Nouveaux détails sur l’église de Pékin. — Notions sur Nangasuki et le Japon. — Églises de Canton. *** Jartoux : Description de la nouvelle église. — Scrupules des jésuites au sujet d’une espèce de sceptre. — Soupes économiques distribuées aux pauvres. *** Gozani : les Juifs de la Chine. *** d’Entrecolles : la mort du père Charles de Broissia. *** Gerbillon : Plan de Pékin et des environs. — Prédications et conversions. *** Bouvet :  — Confrérie fondée à Pékin. *** d’Entrecolles : Disgrâce d’un prince. — État de la cour. *** Mémorial du père Thomas sur la visite de l’illustrissime seigneur Charles Thomas Maillard de Tournon. *** Parennin : Le progrès des missions. *** Jartoux : Le gin-seng et sur la récolte de cette plante. *** d’Entrecolles : État du Kiang-si et de ses Églises. *** Jacquemin : L’île de Tsong-ming dans la province de Nankin. *** d’Entrecolles : La fabrication de la porcelaine. *** Laureati : Le thé, les arbres, les métaux. *** Parennin : Mort du frère Bernard Rhodes. — Détails sur ses travaux. *** d’Entrecolles : Progrès des travaux apostoliques. — Difficultés toujours renaissantes au-devant des missionnaires. — Calomnies répandues de toutes parts contre eux.  *** de Mailla : Navigation. — Forme et équipage des vaisseaux. — Île Formose.  *** Domenge : Récit d’une persécution.  — Entraves mises au commerce avec les étrangers. — Persécutions contre les chrétiens. — Notions des Chinois sur les îles Lieou-kieou, Formose, les îles de la Sonde et le midi de l’Asie. *** xxx : Le musc.  *** xxx: Mort de l’impératrice. — Deuil. — Maladie de l’empereur.  *** Porquet : Voyage en barque.  *** d’Entrecolles : Tremblements de terre. — Enfants exposés et baptisés. — État des familles chinoises. — Usages relatifs aux sépultures. — Édits sur les chemins, etc.  *** xxx: Ambassade russe — Révolte à Formose.  *** d’Entrecolles : Porcelaine. — Notions nouvelles sur sa fabrication. *** Jacques : Traversée. — Île Bourbon. — Archipel de Poulo-condor. — Camboge, Tsiompa, Cochinchine. — Canton et les pays environnants. — Mœurs et usages. *** Gaubil : Désolation dans les chrétientés. — Remarques sur les enfants exposés.

 

2. Lettres écrites sous l'empereur Yong-tching, entre 1723 et 1735  :

Le père Parennin
Le père Parennin

Parennin : Traduction faite en langue tartare, par ordre de l’empereur d’ouvrages des savants français — Explications sur les langues tartare et chinoise. — Figure et propriétés de quelques plantes. *** Mailla : Proscription de la religion chrétienne. *** Parennin : Histoire d’une famille de princes chinois, chrétiens et exilés. — Mort de l’empereur Yong-tching. — Avènement de l’empereur Kian-long. *** Motifs du prince Jean pour embrasser la religion catholique. *** Notice des ouvrages composés ou traduits en chinois par les missionnaires jésuites. *** Contancin : Le gouvernement de l’empereur Yong-tching. *** d’Entrecolles : Ferveur des chrétiens réduits à un petit nombre. *** Gaubil : — Mémoire sur les îles que les Chinois appellent Lieou-kieou. *** Mémoire sur le Thibet et sur le royaume des Eleuthes. *** Desideri : Le Thibet. *** d’Entrecolles : De l’inoculation chez les Chinois. — Industrie chinoise. — Fleurs artificielles. *** Parennin : Récit d’une ambassade portugaise. *** Contancin : Gouvernement et police de la Chine. *** Prémare : Critique d’un ouvrage de l’abbé Renaudot. *** Le Coulteux : Voyage secret dans l’intérieur des provinces. *** Contancin : Le gouvernement et la police de l’empire chinois. — Édits et ordres de l’empereur. Rapports des mandarins, vice-rois et autres. *** de Goville : Réponse aux faits calomnieux qui lui sont imputés. *** Parennin : Le gouvernement, les mœurs et l’état des connaissances chez les Chinois. *** xxx : Éloge de l’empereur Kang-hi. *** Résumé de la situation de la Chine au 17e siècle. *** de Mailla : Constance des Chinois convertis. *** Porquet: Les missionnaires ont ordre de quitter la Chine. *** de Mailla : Discussions des missionnaires avec les mandarins. — Examen des livres chrétiens par ordre de l’empereur. *** d’Entrecolles : Découvertes des Chinois dans les sciences naturelles et dans les arts. *** Parennin : Incertitude de l’empereur sur les mesures à prendre relativement aux chrétiens. *** Parennin : Expériences de physique faites en présence des mandarins. — Notions astronomiques, historiques, géographiques et statistiques.

L'empereur Kien-long
L'empereur Kien-long

3. Lettres écrites sous l'empereur Kien-long, entre 1736 et 1781  :

D’Entrecolles: Notions de botanique chinoise. *** État de la religion dans l’empire de la Chine en 1738. *** Parennin : Dissertation sur les antiquités chinoises. — Préceptes de morale des Chinois. *** Chalier : Mort du père Parennin. — Son éloge. *** Baborier : Voyage dans les provinces intérieures. — Les barques. — Les hôtelleries. — La douane. *** Gaubil : Association chrétienne fondée en Chine. — Mort d’une princesse. — État des églises à Pékin. *** Loppin : Traversée. — Visite aux chrétientés du centre. Voyage à Pékin. — Particularités sur l’état de la religion. — De l’opinion du peuple et des mœurs. *** de Neuvialle : Courses, prédications et succès dans les montagnes du nord-ouest. *** Des Robert : État des missions dans la province de Kou-quang. *** Attiret : Voyage de Macao et de Canton à Pékin. — Description des palais et jardins de l’empereur. — Effets du bref du pape contre les cérémonies chinoises.  *** du Gad : État des chrétientés dans les provinces intérieures.  *** Benoist : Persécutions contre les chrétiens.  *** Relation de la persécution générale de 1748.  *** Forgeot : Suite des persécutions. *** Mémoire sur la cire d’arbre.  *** Amiot : Voyage de Canton à Pékin. — Fêtes chinoises. *** Prémare : Réflexions sur la langue chinoise. — Critique de la forme donnée à quelques ouvrages. *** xxx : Réponse à des attaques faites contre les jésuites et leurs missions en Chine.  *** Amiot : Courage et patience des jésuites dans l’accomplissement de la tâche qu’ils se sont imposée. — État des provinces du nord-ouest. — Nouvelles possessions de l’empereur. — Cérémonies dont le père Attiret est obligé de faire le dessin. *** Gaubil : I. Projets de travaux scientifiques. — Notice sur les voyages des romains à la Chine. — Indication du chemin qu’ils prirent. II. Découverte d’un manuscrit en caractères estranghelo. — Respect des Chinois et des Tartares pour les papiers de famille. — Esprit de fausseté qu’on remarque dans les lettrés. III. Les cartes de la Chine, de la Corée et du Thibet. — Les lamas. IV. La chronologie chinoise. — Collection des antiquités. — Histoire de la dynastie des Ming. V. Plaintes sur le mauvais usage qu’on fait à Paris des ouvrages envoyés par les missionnaires. — Les Russes en Chine. — Les Chinois au Japon, au Kamtschatka, et peut-être même en Amérique. VI. Cartes. — Ambassade et mission portugaise. — Désir de l’empereur chinois d’avoir une ambassade de France. VII. Astronomie chinoise. Géographie du Thibet. VIII. Sur la marche des Chinois et des Japonais vers la Californie. — Réfutations et explications. — Histoire des dynasties chinoises. IX. Astronomie. — Caravane russe. — Réflexions sur les voyages que, d’après M. Deguignes, les Chinois auraient faits en Californie. — Rectifications sur les idées qu’en Chine on avait du Japon. — Remarque sur la carte de d’Anville. X. Observations sur divers points de géographie. XI. Astronomie chinoise. — Géographie de la Tartarie et du Thibet.  *** Roy : Mort du père Masson. — Conduite à tenir par les missionnaires. — Abnégation d’un prêtre de la foi évangélique. *** Lamatthe. — Misères à supporter par les chrétiens. — Congrégations et catéchistes. *** du Gad : Mort de plusieurs missionnaires. *** Amiot : Mort du père Gaubil. *** Roy : Prédications et conversions dans les provinces. *** Lamatthe : Récit de quelques persécutions. *** Cibot : Les missions détruites dans les provinces. — Résistance à Pékin. *** xxx : Ames des aïeux — Cérémonies du mariage. — Divorce. — Deuil. —  Difficultés à vaincre pour maintenir les chrétientés. *** Bourgeois : Traversée. — Java. — Royaume de Bantam. — Vampou et Canton. — Voyage de Pékin. — Particularités sur les mœurs, caractères et usages. Divinités chinoises. *** Benoist : Sur les jardins, les palais, les occupations de l’empereur. *** Lamatthe : Persécutions. *** Ventavon : Persécutions. — Animosité des mandarins. *** Bourgeois : Missions dans les montagnes du Nord. *** Mémoire sur les Juifs établis en Chine. *** Ventavon : Traversée. — Aventure du père Bazin. — Persécution au Tonkin. — Séjour à Canton. — Voyage de Pékin. — Costume de l’empereur. — Jésuites et ouvriers au palais. — Respect des grands pour la religion chrétienne. *** xxx : Langue chinoise. — Études des mandarins. *** Dolliers : Persécutions exercées contre les chrétiens. — Leur zèle. *** Benoist : Ardeur chrétienne d’une famille de mandarins. *** xxx : Sur la mort de Ma Joseph. *** Cibot : État de la religion chrétienne en Chine. — Fêtes et congrégations chrétiennes. *** xxx : Sur la mort d’un dame chinoise convertie à la foi chrétienne. *** Bourgeois : Persécution et accueil. — Vicissitudes des missionnaires. *** Benoist : Détails sur l’empereur. — Sur la cour. — Sur les sciences. — Conversation de l’empereur. — Fêtes du palais. — Questions de l’empereur sur les phénomènes célestes. — Repas chinois.  *** xxx : Mort du père Benoît. *** Ventavon : Révoltes partielles. — Église brûlée et rebâtie. *** xxx : Détails sur les Miao-tsée. — La persécution en Chine. — Paix dans l’empire. — Mort de l’impératrice-mère. — Jésuites bien en cour. — Mélange de grandeur et de cruauté dans le gouvernement. — Respect pour les vieux livres et les anciens usages. *** Extrait de la relation de la persécution qu’a essuyée M. Glayot. *** Bourgeois : Douleurs et consolations. *** Dufrêne : Conversions nombreuses. *** Lamatthe : Affaires de la religion. *** Dolliers : Traversée. — Accidents du voyage. *** Bourgeois : Mort du père Dolliers, missionnaire. — Détresse des chrétiens en Chine.*** xxx : Mort des pères Cibot, Dolliers et Colas.

 

Un peu d'histoire, suite


Le père Verbiest, religieux exemplaire et apôtre, fait servir son influence auprès de l’empereur et le prestige de sa science et de ses dignités à la propagation de l’Évangile, à la protection et à la défense des églises. Augustiniens, dominicains, franciscains et jésuites l’en remercient chaudement et, aux heures difficiles, ont recours à son intervention toute puissante.

Par ordre de l’empereur, il fabrique de nouveaux instruments pour l’observatoire, d’après les principes de l’Europe. « Il fait fondre sous ses yeux toutes les pièces, les réunit en corps, et en compose ces riches instruments que l’on admire encore aujourd’hui ».

Ce travail à peine fini, Kang-hi lui demande de fondre plus de trois cents canons. Il s’excuse sur le peu de connaissance qu’il a des machines de guerre. Kang-hi insiste, le religieux se met à l’œuvre, et après un an, la fabrication de cette artillerie est terminée à la satisfaction générale de la cour.

En dehors de ces travaux et d’autres de même nature, il compose un grand nombre d’ouvrages religieux et scientifiques. « L’astronomie et la religion, dit M. Huc, la direction du tribunal des Mathématiques et des diverses chrétientés, l’enseignement qu’il donne à l’empereur et l’instruction des néophytes, sont, tour à tour, l’objet de ses soins et de sa sollicitude ».

Epuisé par un travail excessif, il meurt le 28 janvier 1688.
Kang-hi lui désigne comme successeur à la présidence du tribunal d’Astronomie  le père Grimaldi, qu’il avait chargé, en 1686, de faire parvenir sûrement au Tsar de Russie, des lettres de Sa Majesté. Pendant les absences du père Grimaldi, lesquelles furent assez fréquentes et de longue durée, le père Thomas Pereyra remplit les fonctions de vice-président du tribunal des Mathématiques. Son beau talent pour la musique lui avait conquis les bonnes grâces de Kang-hi, qui s’y adonnait avec passion. Il fit construire et mettre dans l’église des Pères portugais un orgue de grande dimension ; puis, au haut de la tour de la même église, il plaça une belle horloge et une série de cloches fondues par ses soins suivant les proportions de l’harmonie. Arrivé à Pékin au mois de janvier 1673, il expira le 24 décembre 1708.

A l’époque où nous sommes arrivés, il n’y avait à Pékin qu’une mission, la mission portugaise, qui comptait cinq ou six missionnaires, logés dans deux maisons, et faisait partie de la vice-province portugaise de Chine. Le vice-provincial résidait, soit à Pékin, soit à Nankin, soit à Macao, soit à Chang-haï.

Mais, vers la fin du XVIIe siècle, une autre mission, la mission française, s’établit à Pékin.

La mission française de Chine a pris naissance sous cette triple inspiration : la propagation de l’Évangile, l’avancement des sciences, l’influence de la France.

Le père de Fontaney nous a raconté, dans une lettre au père de la Chaise, les origines de cette mission : « Ce fut vers la fin de 1684, dit-il, que Dieu fit naître l’occasion d’envoyer des missionnaires français en Chine. On travaillait alors, en France, par ordre du roi, à réformer la géographie. MM. de l’académie royale des Sciences, qui étaient chargés de ce soin, avaient envoyé des personnes habiles de leur corps dans tous les ports de l’Océan et de la Méditerranée, en Angleterre, en Danemark, en Afrique et aux îles d’Amérique, pour y faire les observations nécessaires. On était plus embarrassé sur le choix des sujets qui seraient envoyés aux Indes et à la Chine, parce que ces pays sont moins connus en France, et que MM. de l’académie couraient risque de n’y être pas bien reçus, et de donner ombrage aux étrangers dans l’exécution de leur dessein. On jeta donc les yeux sur les jésuites, qui ont des missions en tout ce pays-là, et dont la vocation est d’aller partout où ils espèrent faire plus de fruit, pour le salut des âmes.

« Feu M. Colbert me fit l’honneur de m’appeler un jour, avec M. Cassini, pour me communiquer ses vues. Ce sage ministre me dit ces paroles que je n’ai pas oubliées : « Les sciences, mon Père, ne méritent pas que vous preniez la peine de passer les mers, et de vous réduire à vivre dans un autre monde, éloigné de votre patrie et de vos amis. Mais comme le désir de convertir les infidèles et de gagner des âmes à Jésus-Christ, porte souvent vos Pères à entreprendre de pareils voyages, je souhaiterais qu’ils se servissent de l’occasion, et que, dans le temps où ils ne sont pas si occupés à la prédication de l’Évangile, ils fissent sur les lieux quantité d’observations qui nous manquent pour la perfection des sciences et des arts. »

La mort de Colbert suspendit quelque temps l’exécution de ce dessein. Son successeur, le marquis de Louvois, le reprit et demanda aux supérieurs de la Compagnie six jésuites habiles dans les mathématiques. Les pères de Fontaney, Gerbillon, le Comte, de Visdelou, Bouvet et Tachard furent choisis. « Ce fut là, dit Abel Rémusat, le premier noyau de cette mission française de la Chine, si célèbre pendant plus de cent ans, et dont les membres ont tant contribué à faire connaître les contrées orientales de l’Asie ».

Tous ces religieux étaient des hommes distingués, d’un talent supérieur, instruits, zélés, dans la force de l’âge.

Ils partirent de Brest le 3 mars 1685, et n’arrivèrent à Pékin que le 7 février 1688. L’empereur leur fit l’accueil le plus aimable, leur témoigna son grand désir de les garder, et, le 4 juillet 1693, il leur donna, dans la première enceinte de son palais, une maison et un vaste emplacement pour y bâtir une église...


C. de Rochemonteix, Joseph Amiot, la Mission française à Pékin

Le commmentaire de V. Pinot, suite


Nous savons par différents témoignages venant des intéressés eux-mêmes et qui s’en plaignent, que les lettres des missionnaires n’étaient pas publiées dans leur état original. Le père de Mailla par exemple écrit de Pékin, le 17 septembre 1730 qu’à la suite d’une de ses lettres qui a été publiée dans les Lettres édifiantes, le père du Halde a ajouté au bout une autre lettre venant d’un autre missionnaire. Mais il s’est bien gardé d’en prévenir le public ou le père de Mailla. Or la partie ainsi ajoutée contient le récit de la présentation d’un placet à l’empereur de Chine, ce qui est une fausseté.

Vers la même époque, le 10 novembre 1730, le père de Prémare écrit a Fourmont qu’il a trouvé dans le XIXe recueil des Lettres édifiantes un petit écrit de lui pour réfuter les Anciennes Relations de deux voyageurs mahométans de Renaudot. Le père du Halde n’a pas publié la lettre entière qui était beaucoup plus longue. Il en a fait seulement, « assez bien d’ailleurs », un résumé. Mais il s’est permis à deux reprises (pp. 458 et 497) d’ajouter dix lignes au manuscrit du père de Prémare et celui-ci ajoute : « C’est deux allonges dont l’éditeur auroit pu se passer ».

Foucquet apprend en 1736 de l’abbé de Rothelin que la lettre du père Parrenin qui se trouve dans le XXIe tome des Lettres édifiantes n’a pas été publiée telle qu’elle se trouve dans l’original ; et Foucquet répond à l’abbé de Rothelin : « C’est le sujet d’une plainte ancienne que cette infidélité des éditeurs. Vers l’année 1702 ou 1703 j’écrivis une lettre à M. le duc de la Force qu’on s’avisa d’imprimer dans le second ou le troisième recueil et que j’ay vue absolument défigurée par les changemens que l’éditeur de ce tems-là eut la hardiesse de faire. Aussi ay-je pris la résolution de ne rien écrire jamais de semblable. J’en avisay le procureur et je tins parole ». Comme on le voit, le père du Halde ne faisait que suivre un usage déjà établi par son prédécesseur, le père Le Gobien.

Pour nous rendre compte des procédés du père du Halde, nous pouvons examiner en détail la manière dont il publie cette lettre du père Parrenin à M. de Mairan dont parlait l’abbé de Rothelin à Foucquet. C’est une lettre dont le manuscrit nous a été conservé, ce qui nous permet d’apercevoir immédiatement que l’imprimé n’est pas identique à l’original. Certains passages ont été supprimés. Mais, en outre, d’autres passages ont été ajoutés et nous pouvons en connaître la provenance, car les lettres du père Parrenin à M. de Mairan ont circulé parmi les savants au XVIIIe siècle, un conseiller au Châtelet, Léonard des Malpeines, a pris soin de noter toutes les différences entre les manuscrits des différentes lettres qu’il a eues sous les yeux et les textes imprimés.

La lettre du père Parrenin, telle qu’elle est imprimée dans le XXIe recueil des Lettres édifiantes est en réalité une mosaïque. La véritable lettre du père Parrenin commence seulement à la page 89 de l’imprimé. Les pages qui précèdent, que le père du Halde donne comme faisant partie de la même lettre sont prises au commencement de la lettre du père Parrenin à M. de Mairan du 12 octobre 1729. Quant aux extraits de la lettre de M. de Mairan au père Parrenin qu’on trouve pp. 79-89, ce sont des citations faites par le père Parrenin dans sa lettre à M. de Mairan du 12 octobre 1729 et dans celle du commencement du mois d’août 1730. D’autre part, le père du Halde supprime la partie la plus importante de la lettre du père Parrenin donnant une traduction littérale des annales des premiers temps de la monarchie chinoise et il met cette note pour s’excuser : « On n’a pas jugé à propos de donner ici cette traduction. Outre qu’elle occuperoit une bonne partie de ce volume, elle ne seroit pas du goût de la plupart des lecteurs ». Comme il a donné malgré tout cette traduction dans sa Description de la Chine, avec quelques modifications, nous verrons un peu plus tard jusqu’à quel point les questions de goût ont pu seules le déterminer à cette suppression. Enfin les pages 114-116 sont de la composition du père du Halde ainsi que les pages 177-179.

Nous avons donc des raisons de nous méfier du père du Halde. Son rôle n’est pas celui d’un simple éditeur, mais presque celui d’un collaborateur. Quels sont les principes qui l’ont guidé ?

Le père du Halde corrige sans doute le style du père Parrenin qui s’avance d’une allure un peu traînante. Mais ces corrections de style en général sont légères, et quand il y a une altération un peu importante nous pouvons toujours nous demander si c’est la rudesse de l’expression de son texte qui l’a choqué ou l’idée défavorable que cette expression pourrait donner des Chinois. Le père Parrenin parle par exemple d’une « forte et puante boisson » que boivent les Chinois. Le mot est peut-être un peu rude, mais le père Parrenin le justifie et l’aggrave par une note : « Je dis puante et, de mauvais goût pour un nez et un gosier européen, car pour les Chinois elle leur plaît en toute manière et ils s’en enivrent à petits frais ». Le père du Halde supprime le mot « puante » et la note. Est-ce le mot qui l’a choqué ? Est-ce la note qui lui a fait craindre que l’on sache que les Chinois s’enivrent ?

La Chine est le pays le plus heureux, parce qu’il n’y a ni guerre, ni peste, ni famine, ou tout au moins si rarement ! C’est le père du Halde qui affirme cela en interprétant très librement, pour ne rien dire de plus, la pensée du père Parrenin.

  • Manuscrit : Ceux qui gouvernent aujourd’hui la Chine n’ignorent pas les remèdes qu’il faut apporter à tant de maux, mais sans avoir lu le Machiavel, ils scavent fort bien que la Chine ne peut subsister en paix avec ce grand nombre d’habitants s’il n’y a de tems en tems, ni peste ni famine. Pour ce qui est de la peste telle qu’on la voit souvent en Europe, il faut bien un siècle pour en voir ici ... La disette est fréquente tantôt dans une province tantôt dans une autre.
  • Imprimé : Si la disette n’éclaircissait pas de tems en tems ce grand nombre d’habitants que contient la Chine, il seroit difficile qu’elle pût subsister en paif. Il n’y a point de guerre comme en Europe, ni de peste, ni de maladies populaires ; à peine en voit-on dans un siècle.


Le père du Halde n’admet pas non plus qu’on mette en doute la science des Chinois. Ils ont apporté avec eux des plaines de Sennaar après la dispersion des peuples, les connaissances astronomiques, et cette science astronomique s’est maintenue sans interruption jusqu’à nos jours. Mais il ne faudrait pas que l’on pût en douter comme permettaient de le faire certaines expressions du père Parrenin qu’il importe de préciser.

  • Manuscrit : Cela supposé il est vraisemblable que la colonie qui vint d’abord à la Chine n’étoit pas tout à fait dépourvue de gens qui entendissent ces sortes de sciences. S’ils en perdirent quelque chose en chemin faisant, cela n’alla pas jusqu’à un oubli total et un peu d’application suffit pour en rappeler le souvenir.
  • Imprimé : Cela supposé il est vraisemblable que la colonie qui vint d’abord à la Chine n’étoit pas tout à fait dépourvue de gens capables d’observer les astres, de connoitre leurs mouvemens et d’expliquer les phénomènes du ciel.


Une question sur laquelle le père du Halde est encore plus chatouilleux est celle des croyances populaires des Chinois. Quelques missionnaires ont, il est vrai, dans la simplicité de leur cœur et en toute naïveté, exposé les difficultés qu’ils éprouvaient à convertir les Chinois. Mais les lettres de ce genre n’ont pas été publiées, c’est qu’elles ne sont rien moins qu’un panégyrique des Chinois. Ainsi le père de Prémare lorsqu’il était jeune missionnaire en Chine et qu’il parlait librement, mais sans oser d’ailleurs envoyer sa lettre au père de la Chaize ou au père Verjus, supérieur des missions, disait franchement ce qu’il pensait des superstitions des Chinois : « Ils n’ont point de connaissances claires des créatures et du créateur et je n’en ai point trouvé qui sçussent ce que c’est de raisonner juste et avec méthode sur les effets de la nature qu’ils se mettent peu en peine de sçavoir, sur leur âme qu’ils ne connoissent pas, sur l’existence d’un premier être tout parfait, tâchant d’en effacer dans leur esprit toutes les idées, sur l’état d’une autre vie ne se mettant en peine que de celle-cy, sur la nécessité d’une religion n’en ayant aucune qui les gêne ».

Ces Chinois qui ne se soucient aucunement de l’être suprême sont par contre extrêmement superstitieux : « Les Chinois ignorent la nature, c’est pourquoi ils attribuent quasi toujours ses effets les plus communs à quelque mauvais génie qu’ils tachent d’apaiser par des cérémonies impies et ridicules. Ils craignent et, rendent des respects aux démons sans sçavoir ce que c’est que ces diables qui les épouvantent si fort : il est comme seur qu’avant que d’être chrétiens ils ne connoissent point de substance purement spirituelle, aussi il faut qu’ils avouent que leurs diables sont corporels, tantôt ce sera quelque idole ou plutôt le diable qui habite dans l’idole, tantôt ce sera quelque haute montagne ou quelque gros arbre ou quelque dragon imaginaire qu’ils se figurent dans le ciel ou au fond des antres de la mer, tantôt enfin, ce qui est bien plus extravagant, ce sera comme la quintessence de quelque bête comme un renard, un singe, une tortue, une grenouille, etc. ».

Il est certain que les ennemis des Jésuites n’en ont jamais tant dit sur les superstitions des Chinois. Et ce sont des lettres que le père Le Gobien et le père du Halde ont résolument écartées.
Si le père du Halde ne croit pas aux prodiges que rapportent les histoires chinoises, il croit du moins aux miracles qui peuvent se produire en Chine pour favoriser la religion chrétienne. Au besoin même il en inventerait : il le faut pour satisfaire la clientèle pieuse des Lettres édifiantes

 

Dans la lettre du père Parrenin insérée dans le XXIe recueil des Lettres édifiantes et curieuses nous avons vu que certaines pages étaient de la main du père du Halde lui-même et ne se trouvaient pas dans le manuscrit original. Or dans deux de ces pages (177 179) ainsi ajoutées, le père du Halde met au compte du père Parrenin un développement sur les « croix de feu » environnées d’étoiles brillantes que l’on vit dans trois différentes provinces de la Chine en 1718, 1719 et 1722, et auxquelles on ne peut donner le nom d’aurores boréales. Et le père Parrenin, transcrit par le père du Halde, ajoute : « Ce spectacle qui attira tous les regards dura dans l’air un temps assez considérable pour qu’on pût l’examiner à loisir. On en grava une planche dans la ville de Hang-tchéou, capitale de la province de Tche-kiang et les estampes qu’on en tira furent répandues dans tout l’empire, on y marque le lieu et le jour où chaque croix a paru, de combien de temps a été sa durée et la multitude des personnes qui l’ont considérée avec la plus grande attention ». Tout cela semble donc être l’énumération des circonstances qui peuvent rendre vraisemblable une observation de ce genre, et il est possible qu’un missionnaire dont le père du Halde a eu la lettre sous les yeux ait interprété les faits de cette manière. Mais ce n’est certainement pas le père Parrenin. Le père Parrenin écrit en effet à M. de Mairan en septembre 1735 (lettre insérée dans les Lettres édifiantes, XXIVe Recueil, mais avec suppression de ce passage) : « Je crois, Monsieur, aussi bien que vous, que les croix de feu, les arcs lumineux qui parurent à Han-tchéou et dans le Chan-toun en 1718 et 1719 estoient des espèces d’aurores boréales. Les Chrestiens les prirent pour des prodiges qu’ils expliquèrent chacun suivant leurs souhaits. On nous en écrivit de là icy mais sans aucune observation sur laquelle on peut compter. Je ne sçai pas si les mandarins s’en apperçurent, du moins se gardèrent-ils bien d’en avertir la cour où on ne vit rien ».

Nous sommes donc obligés d’avouer avec Saint-Simon que les Lettres édifiantes sont légèrement artificieuses. C’est une œuvre d’apologétique. Ces lettres sont naïves sans doute mais d’une naïveté plus feinte que réelle. La véritable naïveté des correspondants de Chine nous eût donné des Chinois une idée assez différente. Ils n’auraient pas aussi bien dissimulé que les Chinois étaient parfois ivrognes ou débauchés. Ils auraient vanté sans doute la vertu des Chinois, mais ils auraient mis quelques ombres au tableau. C’est le père du Halde qui a fait du Chinois le parangon de vertu que le XVIIIe siècle admirera parce que ces Lettres sont des lettres d’édification morale. Et non moins des lettres d’édification religieuse. Il faut montrer au public français l’importance de la mission de Chine, l’abondance de la moisson qui attend les missionnaires jésuites, puisque les Chinois qui ne sont ni superstitieux, ni idolâtres, semblent être tout prêts pour qu’on leur prêche l’évangile. Et Dieu lui-même ne semble-t-il pas favoriser la mission par ces miracles et ces croix de feu dont de nombreuses estampes répandues dans tout l’empire — véritables images de piété — apportent aux Chinois la nouvelle ?

Ces Lettres édifiantes et curieuses, plus encore que curieuses sont édifiantes. Pour une publication de ce genre, il est nécessaire que les lettres des pères Gaubil ou Parrenin passent par les ciseaux du père du Halde.


Virgile Pinot, La Chine et la formation de l’esprit philosophique en France (1640-1740), pp. 158 sqq.