Jean-Frédéric Bernard (ca. 1683-1744)

VOYAGE D'UN AMBASSADEUR

que le Czar de Moscovie envoya par terre à la Chine l'année 1653.

Recueil de voyages au Nord, chez J.-F. Bernard, Amsterdam, 1732, tome IV, pages 535-555.

  • Natalia Platonova : "Ayant conquis le khanat de Sibérie dans les années 1580 et s’avançant ensuite au-delà de l’Oural, les Russes atteignirent les rives du Pacifique et le bassin de l’Amour vers le milieu du XVIIe siècle. Ils entamèrent alors des relations de voisinage direct avec la Chine conquise par les Mandchous en 1644. En 1654, le tsar Alekseï Mikhaïlovitch (1645-1676) envoya l’ambassade de Fiodor Baïkov pour nouer des relations diplomatiques avec Pékin et s’informer des possibilités de commerce bilatéral. Après un très long et éprouvant voyage, ce dernier séjourna en Chine de mars à septembre 1656, mais sa mission se solda par un échec. La deuxième ambassade russe, dirigée par Nikolaï Spafari Milescu, en 1675-1678 échoua elle aussi."

  • Relation : "Cet ambassadeur partit de la ville de Tobol en Sibérie au mois de mars 1653. Après quatre semaines & trois jours de navigation sur la rivière Irtis, qui se rend dans l'Obi, il arriva à la ville de Tara le vingt-septième juillet. Il en partit le premier août, & arriva le dix septembre à Belou Voday, c'est-à-dire aux Eaux Blanches ; il y fut quatre semaines pour prendre des guides & des bêtes de somme que le prince Ablay lui devait fournir..."

Texte in extenso : [Poursuite du voyage. En Chine] - [Arrivée à Cambalu. L'échec de l'ambassade]
[Description de Cambalu, des Cathayens, des Tartares] - [Le retour en Moscovie]
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Châtelain, Zacharias: Nouvelle carte de Moscovie... et chemin d'un de ses ambassadeurs a Peking... (détail). Universitätsbibliothek Bern, SOB RoEu ka 4: 18- http://dx.doi.org/10.3931/e-rara-28961.
Châtelain, Zacharias: Nouvelle carte de Moscovie... et chemin d'un de ses ambassadeurs a Peking... (détail). Universitätsbibliothek Bern, SOB RoEu ka 4: 18- http://dx.doi.org/10.3931/e-rara-28961.

...Il en partit le quinze octobre avec cinquante chevaux & quarante chameaux que ce prince lui avait envoyés. Après huit jours de marche il arriva à un lieu nommé Calbasin ; il n'y trouva qu'une grande maison presque ruinée. De là il fut à Loukaragay, qui en est à deux journées ; il gagna après les bords de la petite rivière Henkutia, qui est à une journée de Loukaragay ; elle vient d'entre des rochers, & se va perdre dans l'Irtis. À main droite en remontant la rivière Irtis, est l'habitation d'un laba, ou prêtre kalmuck, qui a quelques maisons de pierre sur l'autre rive de l'Irtis. Ce laba vit de la culture de la terre, il a à son service des Buchares ; l'on cultive en cet endroit du blé, de l'orge, du millet & d'autres grains.

Le 22 novembre, l'ambassadeur arriva à la résidence du prince Ablay. Ses sujets demeurent sous des huttes bâties de brique, ils ont toutes sortes de bestiaux & de grains. Ce prince faisait donner tous les mois à l'ambassadeur, & à ceux de sa suite, pendant qu'ils furent là, trente kaepen [1 kaep=40 livres] de blé & d'orge, cinq kaepen de farine de froment, vingt moutons & dix chevreaux.

Le 27, le prince envoya son frère vers l'ambassadeur, pour voir les présents du Tzaar, ou Grand duc de Moscovie.

Le 27 décembre l'ambassadeur fut porter au prince Ablay les présents de Sa Majesté Tzaarienne. Il demeura deux jours à sa cour, & après avoir passé quatre mois & dix jours dans ses États, il prit avec lui son ambassadeur, & ils arrivèrent ensemble le troisième avril, après douze jours de marche, à une petite rivière nommée Beska, qui prend sa source entre des rochers, & va se perdre dans l'Irtis. Le prince Ablay fait cultiver la terre proche de cette rivière, & il y a même fait bâtir quelques maisons de pierre par des ouvriers que le Grand Cham lui a envoyés du Cathay.

Le trentième janvier l'ambassadeur quitta le prince Ablay pour continuer son voyage, & après quatorze jours de marche, il arriva à la résidence du prince Kol. À quatre journées de là est une petite ville nommée Kol, où il ne remarqua que deux maisons bâties de brique habitées par des prêtres kalmucks.

À cinq journées de la ville de Kol est le grand lac, nommé en langue kalmuque, Kisilbas ; la rivière Irtis le traverse. Après que l'ambassadeur eut marché huit jours au-delà de ce lac, le long de l'Irtis, il entra dans les terres d'un taitsa [prince] mogol.

Deux jours après il arriva au pays du taitsa Irdekulu, qui demeure avec ses sujets sous des tentes dressées le long de l'Irtis. Après sept jours de marche, toujours entre des rochers, il entra dans le pays d'un taitsa kalmuck, appelé Suruktakon, où la rivière Irtis prend son origine, à un lieu nommé Bulugan, qui est la résidence de ce taitsa. De là aux terres du taitsa Sudbiligenia mogol, il y a vingt-deux journées de chemin qui se fait par des montagnes fort hautes. Le pays qui dépend du taitsa Semfi, aussi mogol, en est à huit journées de chemin ; il y a trois autres journées de là jusques aux terres du dernier taitsa mogol, nommé Dobrona : car du pays que possède ce prince, jusques aux frontières du Cathay, il ne reste que 15 journées de chemin.

Tous ces princes kalmucks & mogols habitent sous des tentes, qu'ils transportent ça & là quand ils veulent changer de demeure.

*

[Poursuite du voyage. En Chine]

L'ambassadeur employa deux mois à aller depuis les frontières du Cathay jusques à la ville de Kokotam, qui est la première des villes qui se rencontrent de ce côté-là. Il souffrit dans ce chemin de montagnes très hautes, tenues par les Mogols & par les Kalmucks, de grandes incommodités ; il fut même contraint de s'arrêter des deux ou trois semaines en quelques endroits faute de vivres & d'eau, qu'il fallait porter pendant le voyage. Comme l'ambassadeur fut à dix journées au deçà de Kokotam, il fit savoir son arrivée au gouverneur, afin qu'il lui envoyât des vivres & des chevaux, suivant la coutume de la Chine ; mais le gouverneur s'en excusa sur ce qu'il n'en avait aucun ordre du Grand Cham son maître. L'ambassadeur ne laissa pas de passer outre, après avoir demeuré huit jours à Kokotam, il en partit le 21 janvier avec deux mandarins que le gouverneur lui donna pour le conduire à la ville capitale du Cathay nommée Cambalu.

La ville de Kokotam est fermée d'une muraille faite de terre & flanquée de tours de brique, il y en a six plus grosses que les autres, dans lesquelles sont percées les portes de la ville, fermées chacune de deux battants de bois de chêne, couverts de plaques de fer. L'ambassadeur ne remarqua aucune pièce d'artillerie sur ces tours, ni aux côtés des six portes de la ville. Il vit dehors & dedans la ville plusieurs pagodes bâties de briques vernies, comme aussi quantité de boutiques bâties de pierre, sur le derrière desquelles les marchands sont logés. Tout le trafic se fait en lalas, qui valent un peu plus de trois onces d'argent fin : les petites denrées se troquent contre le tabac & le thé. Ces boutiques étaient fournies de toutes sortes d'étoffes de soie, de damas, de satins, de taffetas, de toiles de coton teintes de diverses couleurs, &c.

La terre y produit toute sorte de grains, & les forêts les fournissent de bois.

L'ambassadeur partit de Kokotam le 21 janvier pour aller à la ville de Kapty, qui en est à douze journées ; c'est la seconde ville du Cathay qu'il rencontra sur sa route. Plusieurs princes mogols qui ont secoué le joug d'autres princes de leur nation, & qui se sont engagés au service du Grand Cham, campent dans l'espace du pays qui est entre ces deux villes. Ils n'ont point de demeure arrêtée, non plus que les autres princes de leur nation.

L'ambassadeur étant donc arrivé le dix février proche de la ville de Kapty, il fit savoir au gouverneur sa venue, & lui fit demander des vivres & des bêtes de somme. Il s'excusa sur ce qu'il n'en avait point d'ordre du Grand Cham son maître, & qu'il en écrirait à la Cour.

La ville de Kapty est entre ces hautes roches, sur lesquelles la muraille de la Chine est élevée. Cette muraille est bâtie de pierre, elle a trois brasses de haut & la moitié autant de large ; elle est défendue & flanquée par des tours de brique éloignées de plus de cent brasses les unes des autres. En quelques endroits les tours sont sur la muraille, en d'autres il s'en faut dix brasses qu'elles ne touchent à la muraille. Elle s'étend depuis la ville de Suktsey où croît la rhubarbe, jusques sur le bord de la mer, à ce que me dirent les Katayens, les Buchares, & les Kalmucks.

Dix jours après que le gouverneur eut écrit au Grand Cham sur le sujet de l'ambassadeur, l'ordre vint de lui donner les choses dont il aurait besoin. Il partit de Kapty le 21 février avec deux mandarins envoyés par le Grand Cham pour le conduire à Cambalu, où il arriva après sept jours de marche. Dans cette marche il passa par dix-huit villes bâties de pierre ou de brique ; il y vit peu d'armes à feu, mais seulement quelques petits canons de fer, quelques soldats avec des fusils & des piques. Il y remarqua des ponts de pierre bâtis fort proprement.

Les gens de quelque considération ont un ou deux valets qui les suivent, & qui leur portent un parasol ou un bâton doré ; mais les gouverneurs, les princes & les gens de marque, vont en litières portées par quatre ou par huit porteurs. L'on crie devant eux nem toec, c'est-à-dire, attendez un peu.

*

[Arrivée à Cambalu. L'échec de l'ambassade]

Le 3 mars 1656, l'ambassadeur étant arrivé à une verste ou demie verste de la ville de Cambalu capitale du Cathay, deux mandarins l'y vinrent recevoir. L'un était Tartare & l'autre Chinois, tous deux présidents du premier tribunal de la Chine. Ils conduisent d'abord l'ambassadeur dans une pagode, où ils lui firent servir du café & du thé. Leurs pagodes sont bâties à l'honneur & à la mémoire de leur Talemana, qui vivait anciennement dans cette pagode, & qui passe auprès d'eux pour leur Dieu. Après ce régal les deux mandarins commandèrent à l'ambassadeur de se mettre à genoux, & d'incliner la tête devant la pagode, lui disant, inclinez-vous devant notre roi. L'ambassadeur refusa de le faire, & leur dit que ce n'était pas la coutume en son pays de s'incliner de la sorte, & de se mettre à genoux ayant le bonnet sur la tête. Ils présentèrent à l'ambassadeur du thé bouilli avec du beurre & du lait de vache, lui disant que cette boisson lui était envoyée de la part du roi. L'ambassadeur leur dit qu'il était carême, & que selon sa religion il ne pouvait pas en boire.

L'ambassadeur remarqua sous la première porte de la ville de Cambalu, où il passa, trois petits canons de fonte long d'une aune & demie : il en vit encore deux autres de même longueur un peu plus avant dans la ville. Après avoir marché plus de trois verstes dans la ville, il arriva à la maison qu'on lui avait préparée, elle n'avait que deux chambres, elles étaient tendues de tapis faits de racines d'herbes.

Pendant que l'ambassadeur fut en la ville de Cambalu, l'on lui donnait tous les jours par l'ordre du Grand Cham pour sa nourriture, un mouton, deux poissons, trois plats de farine, près d'une livre de thé, deux plats de riz, & environ une pinte d'eau-de-vie. Pour ses gens, ils avaient de la chair de bœuf, chacun du riz, de deux tasses d'eau de vie.

Le quatrième mars le Conseil envoya quérir les présents du Tzaar ; l'ambassadeur refusa de les donner, & dit que l'on n'en usait pas ainsi dans sa Cour, que l'on n'y donnait les lettres ni les présents qu'au prince même, au temps de l'audience, & que le Grand Cham ne la lui pouvait pas refuser. Ces envoyés répondirent que si cette coutume se gardait à la Cour du Tzaar, il n'en était pas de même en celle du Cathay ; qu'un prince ne pouvait pas prétendre établir des lois dans les États des autres, & enfin qu'ils étaient envoyés pour apporter les présents. Le refus que l'ambassadeur fit de les donner n'empêcha pas que ces gens ne les emportassent. Ils dirent à l'ambassadeur que le Grand Cham lui donnerait audience, & qu'il lui présenterait lui-même la lettre du Tzaar. Quelques jours s'étant passés, l'on vint quérir l'ambassadeur pour aller présenter la lettre du Tzaar au Conseil, ce qu'il refusa encore. Il ajouta qu'il était envoyé au Grand Cham, & non à son Conseil.

L'on mit après cela l'ambassadeur dans une autre maison, où il y avait quatre chambres semblables à celles de son premier logement.

Le dixième l'on envoya quérir par diverses fois l'ambassadeur pour aller au Conseil présenter la lettre du Tzaar. Il continua dans son premier refus, disant que cela était contre son ordre, & qu'il ne s'en pourrait jamais justifier auprès du Czar son maître. Quelques jours après l'on rapporta à l'ambassadeur ses présents, à cause, disaient-ils, qu'il ne s'était pas voulu mettre à genoux, & qu'il n'avait pas voulu présenter au Conseil la lettre du Tzaar. ils ajoutèrent que non seulement les ambassadeurs étrangers ne voyaient point l'empereur de la Chine, mais que les Chinois mêmes ses sujets ne le voyaient point, & qu'il n'y avait que les principaux seigneurs du pays qui le pussent voir.

*

[Description de Cambalu, des Cathayens, des Tartares]

Je ne saurais dire au juste comment la ville de Cambalu est grande, parce que l'on ne nous permit pas de sortir de notre logis, durant le séjour que nous y fîmes. Je n'en sais que ce que m'en ont dit les Mogols & les Cathayens, qui tiennent qu'elle a quarante verstes ou huit lieues de large, & autant de long.

Les principales marchandises qui se trouvent à Cambalu sont des brocards relevés d'or & de toutes sortes de figures, comme fleurs, dragons, serpents & autres ; l'on y fait aussi des satins, des velours, des tapis & d'autres étoffes de soie. L'argent, les pierreries & les perles y sont apportées du pays de Karatsei, autrement nommé le vieux Cathai par ceux du pays. Il y a de Cambalu au pays de Karatsei deux mois de chemin. Ils disent qu'il est bien plus grand que le nouveau Cathai, & que l'on y trouve beaucoup de fourrures de martres zibelines, de renards, de castors & de tigres.

Leurs maisons sont bâties de pierre & couvertes de tuiles colorées, fort petites & fort basses, si ce n'est le palais du Grand Cham. Il est fort élevé, spacieux, & peint de diverses couleurs, le haut du toit est doré ; ce palais est fermé d'une muraille de brique, où sont percées cinq portes qui ne s'ouvrent que très rarement, & qui sont toujours bien gardées par des soldats. Il est fermé d'un fossé plein d'eau, revêtu de grosses pierres, avec un pont aussi de pierre à chaque porte. Proche de chacun de ces ponts est dressée une haute colonne de pierre blanche, haute de six brasses, sur laquelle sont gravés des caractères chinois. Il y a une grande place devant le palais, ou les courtisans s'assemblent trois fois tous les mois pour faire la révérence au prince.

Les Cathayens fêtent toutes les nouvelles lunes, & arborent ce jour-là dans les rues plusieurs étendards & banderoles. Ce jour-là tous les grands seigneurs & officiers de l'Empire viennent richement vêtus dans la place qui est devant le palais, où ils s'asseyent chacun selon son rang. Après avoir été assis une heure ou environ, il sort du palais un officier du Grand Cham, qui leur commande à tous de s'incliner vers le palais : ce qu'ayant fait ils se rasseyent. Environ une heure après le même officier revient, & tous les autres s'inclinent derechef, l'officier retourne une autre fois & ils s'inclinent pour une troisième fois. Cet officier leur donne à chacun un billet écrit, qu'ils reçoivent avec grande soumission. Ces seigneurs ôtent après cela les habits magnifiques dont ils étaient parés, & s'en retournent chez eux. Le Grand Cham a aussi vingt-six éléphants que l'on a accoutumé à s'incliner devant lui.

Les Cathayens affectent de mettre sur leurs habits, sur les toits de leurs maisons, sur leurs pagodes, & enfin partout des représentations de serpents & de dragons.

Leur pays produit toutes sortes de fruits en grande abondance. Ils ont aussi du poivre, du clou de girofle, de la muscade, du gingembre, du benjoin, du thé & des badianes [ou bananes].

La terre y porte aussi de toutes sortes de grains, il y en a même d'une espèce que l'on recueille deux fois l'année. Pour du seigle, je n'y en vis point. Les rues des villes du Cathay sont pavées de grandes pierres, & ont des deux côtés des conduits où tombent les immondices des maisons.

Dans le Cathay, à ce que me dirent les Cathayens, il n'y a point d'autre grande rivière que celle qui est nommée Chatul qui vient de la Bucharie & se perd dans la mer. Ils ajoutèrent que cette rivière ne passe pas loin de la ville de Cambalu, que les Hollandais remontent de la mer avec leurs vaisseaux cette rivière, & que son embouchure est fort dangereuse pour les vaisseaux. Les gens du pays nous dirent aussi qu'il y avait à Cambalu un étang dont l'eau est rouge, & que l'on y pêche du poisson qui paraît de la même couleur, mais que la chair n'en est pas rouge. Sur le sujet du Grand Cham qui gouvernait pour lors la Chine, ils me dirent qu'il était Tartare de nation, qu'anciennement la Chine était gouvernée par un roi chinois ; que depuis trente ans les Tartares avaient conquis la Chine ; que Dai-Begham y régnait lorsque les Tartares s'en rendirent les maîtres, qu'il se pendit de désespoir ; que son petit-fils lui survécut, & qu'il fut transporté par les confidents du roi son grand-père dans l'ancien Cathai. Le pays ainsi abandonné demeura en proie aux Tartares, qui l'ont toujours gouverné depuis. Il est resté fort peu de Cathayens naturels en la ville de Cambalu, & ceux qui y demeurent sont tenus dans un grand esclavage.

Tous les officiers du Cham sont Tartares de nation, & tous bien armés. Les armes au contraire sont défendues aux Cathayens, sous de grandes peines.

Les Cathayens, aussi bien les hommes que les femmes, sont d'une stature & d'une beauté médiocre. Celle des femmes consiste à avoir le pied petit. Elles se le forment de la sorte dès leur jeunesse, elles portent des habits courts avec des manches fort larges. Ils ont les cheveux épais. L'habit des hommes est une veste fort longue, ils la ferment par dessous le bras gauche avec deux boutons. Les habits du commun peuple sont de couleur obscure, mais les personnes de qualité en ont de diverses couleurs très vives. Ils se couvrent la tête d'un petit bonnet à l'extrémité duquel est une houppe de soie, mais en été ils ont de petits chapeaux. Les femmes cathayennes portent leurs cheveux comme les Tartares. Les Cathayens adorent des idoles faites de terre, de bois & d'autres matières, les unes dorées, les autres argentées, ou peintes de diverses couleurs, ils les gardent dans leurs pagodes, où ils vont la nuit les adorer, & font brûler devant elles des chandelles de cire ou de suif. Leurs cloches dont ils ont très peu, sont de fonte & de fer.

Ils mangent, dit-on, de tout indifféremment, des grenouilles, des tortues & des chiens, dont la chair se vend publiquement dans les boutiques.

Les Tartares sont belles, ont le pied de la grandeur ordinaire, & sont habillées de même que les femmes kalmuques. Leur habit traîne jusqu'à terre ; les hommes y sont en général vêtus de noir, ou de quelque autre couleur brune. Ils ont la même croyance & la même religion que les Cathayens.

Les grands seigneurs, quand ils marchent par les rues, se font porter un parasol. On les voit accompagnés de plusieurs valets qui ont chacun à la main un bâton doré par le bout. Une centaine d'autres, plus ou moins selon la qualité de la personne, le suivent, & quand il passe dans une rue, tous ceux qui s'y rencontrent à cheval doivent mettre pied à terre, & ne remonter que quand ils l'ont perdu de vue.

Le bois est si rare au Cathay, qu'il en faut pour neuf ou dix sols toutes les fois que l'on veut faire cuire à manger.

Il vient en ce pays-là diverses nations étrangères que le trafic y attire, Français, Hollandais, Espagnols, Italiens & autres. Elles y ont l'exercice de leur religion libre ; je vis même dans les maisons de quelques-uns de ces étrangers des images de N. S. J. C., de la Vierge, & des Saints. Ces gens-là ont converti, dit-on, un grand nombre de Cathayens à la foi catholique. Ils sont établis dans le Cathay depuis plusieurs années, mais les Cathayens ne savent pourtant pas quand ils y sont entrés, & d'où ils sont venus. Il y a aussi au Cathay plusieurs Persans qui y exercent librement la loi mahométane. On tient qu'ils y sont entrés avec Tamerlan, comme on le voit par leurs livres.

Du temps que nous étions là, le Grand Cham faisait la guerre au fils de l'Empereur du Cathay, dernier mort ; mais nous ne pûmes savoir s'il gouvernait le vieux Cathay. Quelques-uns en doutent.

L'année 1655, le 7 juillet, il arriva à Cambalu une troupe de 28 Hollandais qui étaient partis, à ce que l'on nous dit, de leur pays avec trois vaisseaux sur chacun desquels il y avait cent personnes. L'on ajoutait qu'il s'en était perdu deux en chemin, & que de trois cents hommes qui étaient sur ces vaisseaux, il ne s'en était sauvé que soixante & quinze, dont ces vingt-huit étaient venus en ambassade vers le Grand Cham ; que les autres étaient demeurés sur le vaisseau. L'on ne leur permit pas de sortir de leur logis pendant qu'ils furent à Cambalu ; c'est pourquoi nous ne leur pûmes parler. Ces Hollandais envoyèrent à l'ambassadeur, comme il était sur le point de son retour, deux lettres pour Moscou, l'une cachetée, l'autre ouverte.

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[Le retour en Moscovie]

Enfin nous partîmes de la ville de Cambalu pour retourner en Moscovie, le quatrième septembre 1656. Nous allâmes d'abord à la ville de Kapty, & nous eûmes encore plus à souffrir au retour qu'en venant, parce que l'hiver approchait, & que nous trouvions fort peu de vivres & de fourrages sur les chemins. La plupart de nos chameaux & de nos chevaux moururent de faim & de soif, ou demeurèrent ensevelis dans la neige ; de sorte que nous fûmes contraints d'en acheter d'autres fort chèrement. Les Cathayens nous avaient marqué un autre chemin que celui que nous avions suivi en venant, entre le pays des Mogols & celui des Buchares. Enfin, après avoir souffert mille incommodités, nous arrivâmes au pays du prince Ablay après six mois de marche, le 31 [c.a. : ?] juin de l'année 1656, & de là à la ville de Tobol. Nous avons employé trois ans & cinq mois dans notre voyage.

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