Joseph-François Charpentier de Cossigny (1736-1809)

VOYAGE À CANTON

capitale de la province de ce nom, à la Chine ; suivi d'

OBSERVATIONS SUR LE VOYAGE À LA CHINE

de lord Macartney et du citoyen Van Braam, et d'une Esquisse des arts... des Chinois
André, libraire, Paris, an VII.

  • "Tout ce qui regarde l'Inde et la Chine paraît avoir droit à la curiosité du public. Il s'est empressé de lire les relations des ambassades anglaise et hollandaise, auprès de l'empereur de la Chine. On y trouve en effet des détails très curieux..."
  • "Cependant ces deux ouvrages m'ont paru incomplets dans bien des points, inexacts dans quelques-uns, fautifs dans quelques autres. Leurs auteurs n'ont pas pris, sur les arts et sur la législation des Chinois, les renseignements que les circonstances les mettaient à portée d'obtenir. Ils ne nous ont pas fait connaître l'esprit des lois qui sont le plus opposées à nos usages, à nos mœurs, à nos principes. Ces considérations m'ont déterminé à faire part au public de mes observations sur les deux ouvrages que je viens de citer. Je les ai étendues, lorsque le sujet m'a paru susceptible de développement, ou lorsqu'il m'a conduit à des résultats qui peuvent intéresser le lecteur."
  • "Enfin je donne une esquisse incomplète des arts des Chinois, sur lesquels j'ai pris des notions dans le cours de mes voyages à la Chine ; mais dont une partie exige des recherches plus exactes. En attendant, l'esquisse que je donne des arts des Chinois, ne sera peut-être pas sans utilité. Elle détaille quelques procédés nouveaux ; elle en indique d'autres qui sont totalement ou partiellement inconnus en Europe ; elle donne quelques recettes dont l'efficacité est constatée par l'expérience. Elle mettra les artistes ingénieux sur la voie des découvertes."

Extraits : Observations sur le voyage dans l'intérieur de la Chine de Lord Macartney - Le voyage, second volume
Observations sur le voyage à la Chine de l'ambassade hollandaise
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Observations sur le voyage dans l'intérieur de la Chine,
par Lord Macartney

On conçoit qu'un séjour à la Chine, aussi court que celui de l'ambassade anglaise, ne peut pas fournir des connaissances fort étendues, ni fort exactes, de la constitution, des lois, des mœurs, des usages, des coutumes, de la religion, des arts d'un peuple aussi nombreux. Cependant l'on doit savoir gré à sir Staunton, d'avoir réuni les observations de ses compagnons de voyage, aux siennes propres. L'auteur prouve qu'il a des connaissances, et paraît avoir été guidé par l'amour de la vérité. Si je le trouve inexact dans quelques points, c'est qu'il n'a pas eu le temps de les constater. La réputation de cet ouvrage, et celle des personnes qui ont coopéré à sa confection, m'engagent à relever les erreurs que j'y ai aperçues, et à noter les détails qui ne m'ont pas paru complets.

Je n'ai pas voyagé dans l'intérieur de la Chine, mais j'ai résidé quelques mois à Canton, dans un temps où il était libre aux Européens de sortir de la ville, et j'ai dès lors conçu une grande estime, pour l'un des plus anciens peuples du globe, et celui dont la population est sans contredit la plus nombreuse.

Les observations que je donne au public, ajouteront aux connaissances que l'on a sur ce vaste empire, et ne seront peut-être pas sans utilité dans quelques points.

Je dévoilerai les vues étendues et ambitieuses du gouvernement britannique, dont les désirs ne sont pas satisfaits par l'immensité des possessions territoriales dont il recueille les revenus dans les Grandes Indes. Aveuglé sur ses propres intérêts, insatiable de conquêtes et de domination, aspirant à l'envahissement du commerce du monde entier, il ne voit pas qu'une grande extension ferait sa perte. Ses propres moyens ne lui permettent pas un si grand agrandissement, et tôt ou tard, il rentrera dans les limites que la nature semble lui avoir prescrites. La France dont les destinées lui promettent de jouer le premier rôle sur le globe, a trop négligé, sous l'ancien régime, les moyens d'étendre ses possessions dans les Indes Orientales, d'y multiplier ses colonies, et d'agrandir son commerce. La faiblesse du gouvernement lui faisait craindre la rivalité des Anglais ; l'impéritie de ses ministres les rendait indifférents aux projets les plus avantageux à la nation ; les dépenses d'une cour fastueuse ne laissaient aucuns moyens, pour leur exécution. Espérons que le nouvel ordre de choses amènera des résultats plus satisfaisants ; et qu'à la paix, la nation prendra en considération les plans d'établissements qui lui seront présentés par des voyageurs citoyens et observateurs, pour accroître le commerce de la République et pour lui donner dans les Indes Orientales une puissance qui convienne à son étendue et à sa dignité. J'ai remis, en différents temps, plusieurs mémoires au gouvernement sur cet objet, et j'ai appris avec satisfaction que mes vues avaient été approuvées par des citoyens éclairés, et quelques-unes adoptées par le public instruit. Lorsque les circonstances le permettront, je les présenterai de nouveau, avec tout le zèle d'un citoyen qui désire ardemment la prospérité de sa patrie.

Je n'ai pas eu le dessein de faire une critique littéraire ; mais de rendre compte des connaissances qui sont le fruit de mes voyages ; de réveiller l'attention de ma nation sur des objets d'utilité publique, et d'inspirer aux voyageurs le goût de l'observation, afin qu'ils puissent se rendre utiles à leur patrie, en lui faisant part de leurs découvertes et de leurs réflexions. Si je me suis trompé sur quelques points, je recevrai avec reconnaissance les avis qu'on voudra bien me donner de mes erreurs. Ma devise est la vérité et l'amour de la patrie.

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Observations sur le second volume du voyage de Lord Macartney

Page 58. — On avait supposé que les Chinois avaient l'art de fondre la corne, et que c'était par la fusion, qu'ils parvenaient à en faire des feuilles minces, de toute grandeur, propres à la construction des lanternes. Suivant les détails fournis par sir Staunton, le procédé consiste à séparer les lames qui composent la corne, au moyen de l'eau bouillante, et à les coller ensemble. Pour cela, on les expose à l'effet pénétrant de la vapeur qui les rend, dit-il, extrêmement molles ; on racle les bords des pièces qu'on veut joindre ; on les applique l'une sur l'autre, et on les presse avec des tenailles, pour qu'elles s'incorporent l'une dans l'autre. Si ces détails sont complets, voilà un art nouveau à introduire en Europe.

Pages 141 et suivantes. — Les présents à faire aux personnes en place, sont regardés dans tout l'Orient, comme un devoir indispensable. On ne peut approcher d'elles sans avoir quelque chose à leur offrir. La richesse des présents de l'ambassadeur, leur multiplicité, leur choix, les dépenses considérables de l'armement destiné à leur transport, prouvent bien l'importance des vues du gouvernement dans cette expédition.

Page 152. — « La cale des jonques est divisée en une douzaine de compartiments, formés avec des planches de deux pouces d'épais... »
Page 153. — « De là il arrive quelquefois qu'un négociant a ses marchandises sans avaries dans un compartiment, tandis qu'un autre a les siennes avariées, dans les compartiments voisins, où il se trouve une voie d'eau. »
Cette construction est fort bonne pour les jonques chinoises qui ne s'exposent pas dans des mers orageuses, qui naviguent dans les beaux temps, et qui n'éprouvent pas des roulis violents, et des tangages forts, parce qu'elles sont larges et plates.
J'ai lu, il y a quinze ou dix-huit ans, un mémoire fait par un officier de mer distingué qui avait pour épigraphe divide et impera, dans lequel il proposait de placer de fortes cloisons dans la cale des vaisseaux, et de la distribuer en compartiments, non seulement pour empêcher les avaries, mais encore pour préserver les vaisseaux du naufrage.
Le ciment qui est appliqué sur les joints des planches, est, dit l'auteur, composé de chaux et d'huile. Il ne dit pas si la chaux doit être vive ou éteinte. Ce ciment est la galle de Surate, composé de chaux-vive réduite en poussière, et d'huile, dans laquelle on a fait fondre du brai sec. « Cette composition devient très dure, très tenace et résiste au feu... Il n'y a pas de doute qu'elle ne soit préférable au goudron, à la poix, au suif. »

Page 180. — Les Chinois ne mettent guère de carreaux de verre aux fenêtres. À Canton ils se servent de nacre de perles et d'une espèce de coquilles d'huîtres, taillées très minces, au travers desquelles passe la lumière, mais affaiblie. Je ne connais pas le papier de la Corée qui sert au même usage, à moins que ce ne soit le même que celui qui est employé à quelques lanternes.

Page 183. — « La viande la plus abondante à la Chine, est le bœuf et le cochon ». Cela peut être dans les provinces septentrionales, mais dans celle de Canton on n'y consomme guère de bœuf. Le cochon y est très abondant, et il est exquis. La viande en est succulente et très légère. Le cochon de la Chine est, comme on sait, d'une autre espèce, que celui d'Europe.

Page 183. — En parlant des nageoires de requins et des nids d'oiseaux, l'auteur dit, que ces deux choses sont très grasses et remplies de jus. L'assaisonnement les lui a sans doute fait paraître telles, car ces deux choses n'ont ni graisse, ni jus, ni goût. C'est par cette raison qu'on y ajoute souvent de la graisse et du jus. Pour en donner une idée, je les comparerai au cartilage. Je dirai à cette occasion, que je suis surpris que l'auteur n'ait pas parlé du souy de la Chine. C'est un jus fait avec de la viande de cochon et des pois du pays, auquel on ajoute beaucoup de sel pour le conserver. Les Chinois en mettent très souvent dans leurs ragoûts. Le souy du Japon est plus estimé. Les Européens eux-mêmes en font cas.

Page 202. — « On voyait dans cet enclos beaucoup de moutons et de chevaux. Jusqu'alors on n'avait aperçu que fort peu de bétail d'aucune espèce. Quoique le sol soit bas et propre à former des pâturages, les prairies y sont très rares. Il n'y a pas un seul recoin de terre en friche. » L'avantage des prairies naturelles et artificielles est érigé en principe parmi tous les agronomes européens. On ne s'est pas encore avisé d'en contester la nécessité. Voilà cependant la nation la plus ancienne, la plus nombreuse et la plus habile en agriculture, qui n'a point de prairies, et qui a reconnu sans doute par l'expérience, que la méthode qu'elle suit depuis longtemps, de cultiver toutes les terres, est préférable. Les Chinois consomment moins de viande que les Européens, ils ont besoin d'une plus grande quantité de production végétale pour leur subsistance. Les débris de ces productions suffisent sans doute à la nourriture des bestiaux qu'ils élèvent, et leur immense population fournit des bras à la culture. Quelque bonnes que puissent paraître ces raisons, pour justifier la méthode des Européens, je désirerais que des agriculteurs éclairés voulussent bien discuter ce sujet, sans prévention. Il est un des plus intéressants pour les progrès de l'agriculture, et, par conséquent pour la prospérité de l'empire, et pour le bien de l'humanité.

Page 222. — « Il n'y a point à la Chine de poste établie pour la commodité du peuple. L'empereur seul reçoit continuellement des messagers à cheval, qui lui apportent des nouvelles de toutes les parties de ses vastes États, et qui voyagent avec une célérité presqu'égale à ce que les Européens peuvent faire de mieux en ce genre. Les dépêches du souverain font en un jour cent cinquante milles. Mais les correspondances ordinaires du gouvernement et celles des mandarins, sont portées par des messagers qui vont moins vite. Ceux-ci sont quelquefois chargés des paquets des individus, qui obtiennent cette permission comme une faveur particulière ». Dans un autre endroit, l'auteur dit que les lettres de l'empereur sont mises dans un sac ou panier plat, attaché autour du corps du messager. Au bas du sac sont suspendues des clochettes, dont le bruit annonce à chaque station l'arrivée du courrier. La distance entre les stations est de dix à douze mille. Il est étonnant que cet établissement ne soit pas fait pour le public. Dans un pays aussi peuplé, le commerce de l'intérieur est immense et nécessite des correspondances entre des provinces éloignées. Il est vrai que les Chinois n'ont pas le goût des voyages, comme les Européens, et qu'ils ne sont pas, comme ceux-ci, appelés à leurs capitales qui sont les centres de la plupart des affaires. Dans l'Indoustan, il n'y a point de postes. Les correspondances se font par des exprès ou par les marchands qui voyagent, ou par les pèlerins qui vont faire leurs dévotions aux pagodes. Les Anglais avaient établi dans le Bengale, le Bahar et l'Orixa, une poste de coureurs, qu'on nommait le dack, pour le service de l'administration. Une caste d'indigènes, qu'on appelle bérars était consacrée à ce service. Il consistait non seulement à porter les lettres, mais les palanquins et les paquets des voyageurs. Lord Cornwallis, cédant aux plaintes de ces malheureux, qui éprouvaient toutes sortes de mauvais traitements, et aux cris de l'humanité, a supprimé cet établissement, pendant son gouvernement dans le Bengale. Cette disposition fait l'éloge de son cœur.

Page 234. — « La famine se fait quelquefois sentir dans cette partie de la province ; et ce désastre est dû, tantôt aux débordements qu'occasionnent dans certaines saisons, les torrents qui tombent des montagnes, tantôt aux ravages des sauterelles. » Il est étonnant que la Chine ait une population si extraordinaire, quoiqu'elle soit sujette à éprouver des famines. Ce peuple laborieux et industrieux n'a pas sans doute trouvé le moyen d'empêcher les effets funestes des débordements des torrents, ni les ravages des sauterelles. Les personnes qui n'ont pas vu les dégâts causés par ces insectes, ne peuvent pas s'en faire une idée. Ce sont des nuées qui interceptent les rayons du soleil, et qui détruisent les champs les plus verts, dans un jour ; ensuite elles prennent leur vol, et vont ravager les champs voisins. L'île de France était autrefois exposée à ce fléau, mais depuis qu'on y a introduit des martins, espèce d'oiseaux, très communs dans l'Indoustan, qui se nourrissent d'insectes, et qui multiplient beaucoup, cette colonie n'a plus vu de sauterelles. J'engage les amis de l'humanité, qui vont à la Chine, soit du Bengale, soit de la côte de Coromandel, soit de celle de Malabar, soit des îles de France et de la Réunion, à porter à la Chine des martins. Je n'assurerai pas qu'ils se multiplieront dans les provinces septentrionales, ni qu'ils viendront à bout de détruire les sauterelles ; mais au moins ils en diminueront la quantité, et ils détruiront d'autres insectes, fléaux de l'agriculture.

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Observations sur le voyage à la Chine
de l'ambassade de la Compagnie hollandaise des Indes Orientales. Tome premier

Dans son épître à George Washington, l'auteur avance que le peuple chinois est le plus ancien de tous ceux qui habitent actuellement ce globe. Il veut dire apparemment que ce peuple est celui qui a été réuni en société civilisée le plus anciennement, et qu'il est celui qui vit sous les mêmes lois depuis le plus de temps. Je crois que dans ce sens les Indiens sont encore plus anciens. Les Chinois ont changé souvent de dynasties ; ils ont été soumis plusieurs fois à des Tartares ; mais ces révolutions n'en ont apporté aucune dans leurs lois et dans leurs mœurs. Les conquérants ont adopté celles des vaincus. Il n'est pas difficile, ce me semble, de donner une explication de ce phénomène politico-moral. Les Tartares qui ont conquis la Chine étaient des peuples agrestes, sans lois positives, sans connaissances, et trouvaient un peuple soumis, dont la civilisation et l'industrie excitaient leur étonnement et leur admiration. Ils sentaient qu'il eut été difficile à contenir, s'ils avaient voulu changer sa législation, ses principes, ses mœurs, ses coutumes ; que sa subsistance n'eût pas été assurée, et que le défaut de vivres eût pu le jeter dans le désespoir, et lui donner l'énergie qui lui manquait, pour attaquer ses oppresseurs. D'ailleurs les Tartares n'avaient pas le talent d'imaginer des changements politiques, et, par conséquent, ne pouvaient pas en avoir la volonté. Formant le très petit nombre, les vainqueurs ont adopté les lois de la multitude, et ont été entraînés par cette masse imposante.
Ce qui a le plus contribué à perpétuer l'ancienne législation des Chinois, c'est le respect religieux et comme superstitieux, pour tout ce qu'ils tiennent de leurs ancêtres, pour leurs anciens usages, pour leurs lois, pour leurs principes. Ils croient avoir atteint le dernier degré de la perfection humaine, d'où il résulte qu'ils ne sont pas disposés à adopter des changements. C'est un point de conformité qu'ils ont avec les anciens Égyptiens. Platon dit qu'une loi d'Égypte défendait de rien changer, ni dans le chant, ni dans les instruments, ni dans la peinture, ni dans la sculpture. Voici pourquoi je présume que les anciens philosophes regardaient toute innovation dans la musique comme dangereuse. Ce n'est pas seulement parce qu'elle ramollit et qu'elle relâche les mœurs, comme on l'a soupçonné ; mais c'est parce qu'une innovation quelconque en entraîne d'autres.

Page 43. — « Ce moulin à sucre a deux rouleaux ou billots de bois cylindriques qui, avec deux chaudières, complètent tout l'appareil de cette manufacture. La canne est pressurée en passant entre ces deux cylindres fort pesants, que mettent en mouvement deux buffles, au moyen d'un arbre à queue auquel il sont attachés et qu'ils font tourner. Cette description est incomplète. Il semblerait d'ailleurs que la pesanteur ferait toute la pression, tandis qu'elle est occasionnée par la proximité et par le mouvement des cylindres. Les moulins des Européens en ont trois, au moyen desquels la canne éprouve deux pressions. Il en résulte vraisemblablement qu'elle retient moins de suc. J'ai essayé de passer une troisième fois, des cannes en les doublant, entre deux cylindres. J'ai retiré à part le peu de suc qu'elles ont donné, et je l'ai fait cuire ; j'ai obtenu fort peu de sucre d'une qualité très inférieure.

Page75. — « J'ai profité de cette circonstance pour aller voir un joli temple consacré au philosophe Kong-fou-Tsé (Confucius). Ce temple est fort grand et bien entretenu. La salle est terminée par un superbe dôme octogone. La coupole du dôme est chargée de dorure et embellie par des peintures. » Ce monument consacré à la mémoire du philosophe qui a éclairé les Chinois sur les préceptes de la morale, ne peut pas s'appeler un temple. Confucius n'est pas honoré comme un Dieu. La construction de ce dôme prouve que les Chinois sont plus habiles en architecture qu'on ne le croit. Je suppose que la coupole est en pierres, quoique l'auteur n'en dise rien, et qu'il ne parle ni des piliers ni des murs qui la soutiennent. Il ne dit pas quel est son diamètre, quelle est son élévation, etc.

Page 108. — Rien n'est plus propre à faire connaître l'industrie laborieuse des Chinois, que la description des travaux qu'ils ont faits, pour arroser les champs de riz et pour mettre en culture les terres des montagnes. Plusieurs d'entre elles ont été plantées de pins et de mélèzes, et de camellia sesanqua ; d'autres sont divisées en terrasses de quatre à cinq pieds d'élévation, placées par degrés, depuis le haut jusqu'en bas : chaque terrasse a un parapet, et des petites fosses destinées à égoutter l'eau de pluie surabondante. Il y a, sur les parties les plus élevées, d'amples réservoirs, où l'eau pluviale est recueillie et conservée, pour être distribuée dans les temps de sécheresse. Ils ont aussi des machines hydrauliques, au moyen desquelles ils élèvent l'eau de la plaine, jusqu'au sommet des montagnes. Ces travaux prouvent une grande population, beaucoup d'industrie, de patience et de labeur. Je ne sache pas qu'aucun autre peuple en ait fait de pareils, excepté les Arabes qui cultivent le café à Bendérabassy sur des montagnes. Il n'y ont pas élevé les eaux, mais ils ont profité des sources qui découlent du haut des montagnes, pour les faire passer successivement au pied des cafés qu'ils y cultivent.

Page 138. — « Nous avons passé sur un pont extrêmement long. Il est au-dessus d'une rivière d'une grande largeur, construit partie en pierres de taille partie en briques, parcourant un espace de huit cent cinq pas, sur une largeur de vingt pieds, à en juger par la simple vue. Le pont est composé de quinze arches qui ne se suivent pas, parce qu'il y a, dans différents points, cinq intervalles sans arches ni ouvertures. C'est le pont le plus vaste que mes yeux aient aperçu à la Chine. » Cette description me paraît aussi incomplète que toutes les précédentes. Les Chinois ont eu sans doute des raisons pour donner à ce pont une forme sinueuse ; on ne peut pas les deviner. Pourquoi cinq intervalles sans arches ni ouvertures ? Ces massifs sont-ils factices où naturels ? Dans l'un et l'autre cas, quelles sont les matières qui les composent ? Les arches sont-elles cintrées, elliptiques ou planes ? Y a-t-il un parapet ou des garde-fous ? etc. etc. Le Voyage de Lord Macartney ne fait mention d'aucun pont de ce genre ; mais il y est question d'un pont de quatre-vingt-dix arches sur le Grand canal dont il ne donne pas les dimensions.

Page 157. — « La relation de notre voyage peut faire juger de la ponctualité avec laquelle les ordres de l'empereur, pour les commodités de notre voyage, sont exécutés ; mais puisque les mandarins n'ont pas sur les coulis un pouvoir capable de produire l'obéissance, on voit de quelle classe du peuple dépendent les désagréments qui ne nous sont pas épargnés. » C'est nous donner une fausse idée du pouvoir des mandarins et de l'esprit de subordination qui règne à la Chine. L'ambassade anglaise, qui a été traitée avec beaucoup plus d'égards que la hollandaise, n'a pas été dans le cas de porter les mêmes plaintes. Si l'on avait fait accompagner les coulis par des soldats, le transport des effets de l'ambassade eût été plus régulier ; mais les services qu'on exigeait de ces porte-faix n'étaient pas libres, et vraisemblablement mal payés. Il n'est pas étonnant qu'ils s'y soient soustraits, toutes les fois qu'ils ont pu le faire impunément. ! Dans une aussi grande population que celle de la Chine, il eût été bien difficile de retrouver les déserteurs.

Page 198. — « On m'ajoute que nous sommes placés dans l'opinion du souverain et de son premier ministre fort au-dessus des Anglais, et tous ces détails sont assaisonnés d'autres louanges. Le bon Van Braam-Houck-Geest paraît avoir été la dupe de sa bonhommie, puisqu'il a la naïveté de répéter ce qu'on lui a dit. Les plus grands mandarins de l'empire avaient été au-devant de l'ambassadeur anglais, et l'ont accompagné à Pékin et jusqu'à Canton. Il a été dispensé de la cérémonie humiliante, pour un Européen, de la prosternation. Les Chinois ont bien su distinguer l'envoyé officiel d'un grand monarque, d'avec l'envoyé des commissaires d'une compagnie de marchands. Il est vraisemblable aussi que la magnificence, la richesse, le choix des présents de l'ambassade anglaise, comparés à la mesquinerie de ceux de la hollandaise a influé sur l'opinion que le gouvernement chinois a pris de l'un et de l'autre.

Page 259. — Van Braam pense qu'on ne peut guère supposer tout au plus que huit cent mille hommes de troupes, tant à pied qu'à cheval, pour les quinze provinces de l'empire chinois, tandis que sir Staunton, d'après des renseignements qui ont été fournis à Lord Macartney, par des mandarins militaires de la première classe, en porte le nombre à dix-huit cent mille hommes, dont un million de fantassins, et huit cent mille cavaliers. Le premier se fonde sur le petit nombre de troupes qu'il a vues sur sa route, et l'autre se fonde pareillement sur toutes celles qui faisaient parade, lors du passage de l'ambassadeur, pour lui faire honneur. Il paraît, par le récit des deux voyageurs, que l'Anglais a reçu partout des honneurs plus distingués que le Hollandais. il ne serait donc pas étonnant qu'au passage du premier dans les villes des trois ordres, et même dans les villages, les mandarins militaires qui l'accompagnaient, eussent ordonné à toutes les garnisons de chaque poste, de se rassembler, et que le second n'ait vu que les troupes qui étaient de service, au moment de son passage. On ne peut pas accuser sir Staunton d'exagération dans aucun de ses récits ; l'amour de la vérité paraît les avoir dictés ; la candeur semble être le principe de son caractère ; et d'ailleurs il appuie sa croyance, par celle de Lord Macartney et de toutes les personnes de l'ambassade, et par les témoignages des mandarins du premier ordre qu'ils ont eu occasion de connaître et d'étudier, et en qui ils ont pris confiance.

Page 265. — « Le repas fini, on a apporté à chaque convive une tasse de lait de fèves (catjang) ». Ces prétendues fèves seraient-elles le pois cattian, dont il se fait à Batavia une grande consommation par le peuple et par les marins ? Les Hollandais en embarquent toujours sur leurs vaisseaux, pour leurs équipages. Ce cattian n'est guère plus gros que nos lentilles ; il est rond et non aplati. Nous ne l'avons pas introduit à l'île de France, parce qu'il nous a paru d'un goût médiocre, et parce que nous y cultivons beaucoup d'autres espèces de pois préférable à celles-ci. Il eût été bon de connaître la manière de préparer ce lait de fèves, qui est vraisemblablement une émulsion. On n'en fait pas mention dans le voyage de l'ambassade anglaise. Peut-être qu'on n'obtient ce lait, que lorsque les fèves sont nouvelles, et que la saison en était passée, lorsque les Anglais étaient à Pékin.

Page 300. — « L'on nous a servi des pâtisseries et des confitures. Ayant goûté de quelques-unes, nous les avons trouvées aussi bonnes que nous aurions pu les désirer en Europe ». Les Chinois font d'excellentes confitures, qui ont la propriété de se conserver beaucoup plus longtemps que celles d'Europe. Peut-être dépend-elle de la qualité du sucre. Cependant les confitures de Batavia et celles de Manille ont la même propriété, et l'on emploie dans ces deux villes le sucre du pays. Cette substance, lorsqu'elle a voyagé par mer, aurait-elle éprouvé un commencement de fermentation qui affaiblirait sa propriété conservatrice ? A-t-on dans ces pays, une méthode de cuire ou de clarifier le sirop, préférable à celle des Européens ? Cette qualité dépend-elle de la nature des fruits ? Quoi qu'il en soit, le fait est constant. J'ai employé à l'île de France, pendant de longues années, du sucre de Batavia pour des confitures, que j'ai fait faire avec soin ; elles ne se sont jamais conservées longtemps, quoique le climat de cette colonie soit beaucoup moins chaud que celui de Java.

Page 310. — Des feux d'artifice en plein jour sont une nouveauté pour les Européens. Notre Hollandais n'a pas été aussi satisfait de ce spectacle que les Anglais. J'ignore jusqu'à quel point les Chinois ont porté l'industrie dans ce genre mais je puis assurer que celle des Indiens a été fort loin. J'ai vu à Goretti près de Chandernagor, dans le Bengale, un feu d'artifice superbe, qui aurait fait honneur au plus fameux artificier italien. L'usage des artifices est général dans l'Indoustan. Lorsque les princes maures veulent témoigner de la considération à quelqu'un qui leur rend visite, ou qui passe chez eux, ils ne manquent pas, s'il s'arrête le soir, de le régaler d'un feu d'artifice ; mais ils ne connaissent pas ceux de jour. Il me semble, qu'ils sont plus à craindre le jour que la nuit, parce que dans le premier cas, on n'aperçoit pas les étincelles. Je crois donc que la cour de Pékin a eu l'intention de donner aux Européens un spectacle nouveau pour eux.

Page 319 et suivantes. — C'est avec plaisir que j'ajouterai des éloges à mes critiques. Les réflexions de l'auteur sur le degré des connaissances, où les Chinois sont parvenus, dès la plus haute antiquité, sur le principal ressort de sa législation, qui est le respect filial, sur son attachement à ses lois, à ses usages, à sa morale, sont très philosophiques, et font honneur au jugement de l'auteur.

Page 323. — L'auteur pense qu'il serait facile aux Européens de contraindre les Chinois, « à faire des réformes nécessaires, afin d'arrêter les criantes concussions et les fraudes que les mandarins de Canton portent jusqu'au dernier degré, et qui sont fort onéreuses au commerce de l'Europe ». Il croit « prudent de ne pas s'expliquer plus clairement sur ce sujet, et de passer sous silence et le projet et le plan ». Cette discrétion est louable, mais il n'est pas difficile de deviner les vues de l'auteur. Au surplus, quels que soient les moyens qu'on imagine pour remplir ce but, dès qu'ils ont la force et la violence pour principes, ils ne sont ni justes, ni honnêtes. Les Chinois ne recherchent point les Européens, ne les invitent point à venir commercer chez eux. S'il convient à ceux-ci d'aller chercher du thé à la Chine, ils doivent se soumettre à toutes les entraves que ce commerce entraîne, et à toutes les conditions qu'y mettent les vendeurs, ou y renoncer, si elles leur paraissent trop dures et insoutenables. Des représentations sont la seule voie légitime qui leur soit ouverte, pour faire cesser les vexations dont ils se plaignent. Je suis persuadé qu'elles seraient écoutées de l'empereur ; mais il est très difficile de les lui faire parvenir. Si on réussissait, il est vraisemblable que leur effet ne serait que momentané, à moins que les Européens n'eussent, à la cour, un résident habituel, avec un caractère reconnu ; et les usages de l'empire s'y opposent.
Cette manie des Européens de vouloir soumettre tous les peuples à leurs volontés, ne peut être mieux prouvée que par la déclaration franche et publique d'un Hollandais, à l'occasion de l'empire le plus étendu et le plus puissant du globe, pour des intérêts purement commerciaux.

Page 337. — « Nous n'avons peut-être pas aperçu la vingtième partie de toutes les beautés que renferme Yuen-Ming-Yuen : car l'on m'a assuré que la circonférence totale de ce séjour est de près de trois cents lys (trente lieues) ». Un jardin qui a trente lieues de tour, paraît une chose incroyable. On est porté à supposer de l'exagération. Cependant on doit se rappeler qu'une grande partie du terrain est cultivée, qu'on y élève beaucoup de troupeaux de toute espèce, et que cette habitation est une des propriétés utiles de l'empereur, dont il tire des revenus. Les dépenses particulières de sa maison sont payées avec les revenus de ses terres. Il en a dans plusieurs parties de l'empire. Les plus considérables sont, dit-on, en Tartarie.


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