Joseph-Marie de Prémare (1666-1736)

RECHERCHES SUR LES TEMPS ANTÉRIEURS à ceux dont parle le Chou-king

extrait de : "Le Chou-king, un des livres sacrés des Chinois", publié par Joseph de Guignes.
Tillard, libraire, Paris, 1770, pages XLI-CXXIX de CXLIV+476 pages.

 

J. de Guignes : "Cet ouvrage devient très précieux, puisqu'il nous donne toutes les anciennes fables chinoises. Les Chinois n'ont pas un ancien corps de mythologie, comme nous l'avons dans Hésiode, dans Homère, etc. pour les Grecs. La mythologie chinoise n'a donc pas l'authenticité de celle-ci et ne peut être regardée comme contenant les plus anciennes traditions, mais je ne nie pas en même temps qu'il n'y en ait de fort anciennes."

Fo-hi - Kong-kong - Niu-va
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J.M. de Prémare : "On a publié jusqu'ici en Europe beaucoup de livres qui traitent de l'histoire chinoise ; mais on tomberait dans l'erreur, si on se persuadait que tout cela est aussi certain qu'on le dit. Ces écrivains ne conviennent point du temps où l'on doit fixer le commencement de la Chine. Les uns disent que Fo-hi a été son premier roi ; & pour le sauver du déluge, ils ont recours à la chronologie des Septante, encore ont-ils bien de la peine d'en venir à bout. Les autres commencent par Hoang-ti, s'appuyant sur l'autorité de Se-ma-tsien, auteur ingénieux & poli, mais qui n'est pas si sûr qu'ils le pensent. D'autres enfin, suivant, à ce qu'ils croient, Confucius, débutent par l'empereur Yao. Aucun n'a parlé en détail de ce qui précède Fo-hi ; on dit pour raison que ce sont des fables ; on devrait ajouter que ce qui suit Fo-hi n'est pas moins fabuleux.

Pour moi j'en ai toujours jugé autrement, & je crois que ces sortes de fables doivent être recueillies avec soin. George le Syncelle ne nous a conservé que de simples tables chronologiques des anciens rois d'Égypte ; & les savants sont bien aises de trouver dans ces premiers âges de quoi exercer leur critique. La Chronique des Chinois, ouvrant un champ encore plus vaste, donne aux curieux un plus beau jour pour faire paraître leur érudition & leur esprit. C'est pourquoi j'ai dessein de ramasser ici tout ce que j'ai trouvé dans un assez grand nombre d'auteurs chinois, qui ont rassemblé tout ce qu'ils ont appris des anciens temps, & je commence avec eux par la naissance du monde."

*

Fo-hi

Ce prince, par lequel plus d'un auteur veut qu'on commence, a plusieurs beaux noms ; il s'appelle Tai-hao, ou le très éclairé, le très grand, « parce qu'il avait toutes les vertus du Ching ou sage, & une clarté semblable à celle du soleil & de la lune. On le nomme encore Tchun-hoang, ou le seigneur du printemps ; Mou-hoang, ou le souverain du bois ; Tien-hoang, ou le roi du ciel ; Gin-ti, ou le seigneur des hommes ; Pao-hi embrassant la victime, & ordinairement Fo-hi, qui soumet la victime. »

La fille du seigneur, nommée Hoa-su, c'est-à-dire, la fleur attendue, ou attendant la fleur, fut mère de Fo-hi. « Se promenant sur les bords d'un fleuve de même nom, elle marcha sur la trace du grand homme ; elle s'émut, un arc-en-ciel l'environna, & par ce moyen elle conçut ; & au bout de douze ans, le quatrième de la dixième lune, elle accoucha vers l'heure de minuit ; c'est pourquoi l'enfant fut nommé Soui » ou l'année, c'est-à-dire, Jupiter, l'étoile de l'année, parce qu'il achève son cours en douze ans, comme l'année en douze mois ; & parce que Jupiter est aussi la planète du bois, Fo-hi s'appelle Mou-hoang, & on dit qu'il régna par la vertu du bois. Son nom de famille est Fong, c'est-à-dire le vent. L'auteur du Choue-ven dit qu'autrefois les Ching ou sages se nommaient « enfants du ciel, parce que leurs mères les enfantaient par l'opération du ciel. »

Fo-hi naquit à Kieou-y, & fut élevé à Ki-tching. On ne peut rien dire de certain sur tous ces noms de pays. Les Chinois prétendent que ceux-ci sont à l'occident.

« Fo-hi avait le corps de long ou de dragon, la tête de bœuf ; Ven-tse dit le corps de serpent & la tête de ki-lin. D'autres disent qu'il avait la tête longue ; les yeux, beaux ; les dents, de tortue ; les lèvres, de long ; la barbe, blanche, qui tombait jusqu'à terre ; il était haut de neuf pieds un pouce ; il succéda au ciel & sortit à l'orient ; il était orné de toutes les vertus, & il réunissait ce qu'il y a de plus haut & de plus bas. »

Un dragon-cheval sortit du fleuve, portant une mappe ou table sur son dos ; ce monstre embarrasse les interprètes. Kong-ngan-koue dit qu'« il réunit la semence du ciel & de la terre, il a le corps du cheval et les écailles de long, qu'il est ailé, & qu'il peut vivre dans l'eau. » Tout le monde convient que l'Y-king a été fait d'après cette mappe, qui était sur le dos de ce dragon-cheval. On convient encore que tout l'Y-king se rapporte aux deux symboles, Kien & Kouen, qui ne font qu'un seul & même tout. On convient enfin que Kien désigne le ciel & le dragon, que Kouen désigne la terre & la cavale. Comme cette mappe, nommée ho-tou, servit à faire l'Y-king, de même le lo-chu servit pour tracer les lettres ; c'est pour cela qu'on a vu que Se-hoang reçut le lo-chu. Il est donc faux que Fo-hi ait fait le premier les lettres, & que le lo-chu ne parut au monde qu'au temps du grand Yu.

Le chapitre Hi-tse dit que Fo-hi « en haut considéra les images du ciel, en bas il prit des modèles sur la terre, son corps lui fournit plusieurs rapports intimes, il en trouva dans toutes les créatures les plus éloignées, alors il plaça pour la première fois les huit symboles pour pénétrer les huit vertus de l'esprit intelligent, & pour ranger par ordre tous les êtres, suivant le caractère de chacun. »

Tchu-hi dit qu'« en traçant les symboles il devint le premier père des lettres. » Il résulte cependant, d'après ce que j'ai rapporté jusqu'ici, que les lettres existaient longtemps avant Fo-hi, si on peut se servir des termes avant & après dans une chronique aussi confuse que celle-ci.

Le livre San-fen dit que « Fo-hi fut empereur à trente ans, que vingt-deux ans après il reçut le ho-tou, & qu'au bout de vingt-deux autres années il fit le livre céleste. »

Le Hi-tse dit qu'« au commencement on gouvernait les peuples par le moyen de certains nœuds qu'on faisait à des cordes, qu'ensuite le sage mit à la place l'écriture pour servir aux officiers à remplir tous leurs devoirs, & aux peuples à examiner leur conduite, & c'est sur le symbole Kouai qu'il se régla pour exécuter son ouvrage. »

Yang-tching-tsai explique cela de cette manière : « Il est évident, dit-il, que les deux parties du symbole Kouai sont en bas, Kien, le ciel ; & en haut, Toui, la bouche ou la langue. Cette écriture, conclut-il, était donc la bouche & la parole du ciel. Le San-fen a donc raison de l'appeler Tien-chu ou livre céleste ; c'est par là que Fo-hi perfectionna sa loi de paix, pour être la règle immuable de tous les rois à venir. Cette loi céleste était comprise en dix paroles, ou plutôt elle était au-dessus de toutes paroles ; par elle tout le monde se purifiait le cœur dans le silence de la retraite, par elle les vertus du prince & des sujets s'agrandissaient & s'étendaient. Ce bon roi montait chaque jour de grand matin sur une terrasse, pour instruire lui-même son peuple. »

Le Vai-ki prenant ces deux mots Chu Ki pour les lettres, au lieu que c'est plutôt un livre divin, Tien-chu, une écriture céleste, dit avec raison que toutes les lettres se réduisent à six classes ; mais il se trompe dans l'ordre dont il les range, & dans l'idée qu'il en donne. Ceux qui sont venus après lui ayant mieux aimé copier ce qu'il en avait dit, que de se donner la peine d'aller à la source, sont tombés dans les mêmes erreurs ; mais ils disent vrai quand ils ajoutent que par ce moyen Fo-hi « fit que dans tout l'univers la justice & la raison se rapportassent aux lettres, & que toutes les lettres du monde se rapportassent aux six classes ou règles qu'il appela lo-chu » : c'est donner une grande idée de cette écriture.

Pour revenir aux huit symboles, qu'on peut voir au bas de la figure, si l'on vient à les doubler, il en naîtra soixante-quatre, de six lignes chacun ; mais c'est une question parmi les Chinois, de savoir qui les a le premier ainsi doublés. Ceux qui veulent que ce soit Fo-hi paraissent approcher plus de la vérité ; Lo-pi, qui est de ce sentiment, dit avec raison que pour concevoir comment Fo-hi put trouver dans treize symboles tout ce qui est rapporté dans le Hi-tse, il faut nécessairement avoir recours aux deux sections de trois lignes dont chacune des six lignes est composée. J'ai fait déjà sentir cela en parlant du symbole Kouai, sur lequel l'écriture a été formée. La même chose arrive dans tous les autres : donc les symboles doublés étaient en usage dès le temps de Fo-hi ; cela est clair. Lo-pi ajoute que Fo-hi tira des symboles de six lignes tout ce qui concerne le bon gouvernement. Par exemple, le symbole Li lui donna l'idée de faire des filets pour la chasse & pour la pêche, & ces filets furent une nouvelle occasion d'inventer la toile pour faire des habits ; c'est sur le symbole Kouai qu'il forma son livre des lois, &c. C'est donc se tromper que de penser que du temps de Fo-hi on se servait encore de cordes nouées, & que l'usage des livres ne vint que sous Hoang-ti ; c'est la conclusion du Lou-se.

*

Kong-kong

Il n'y a peut-être point de personnage, dans toute l'antiquité chinoise, sur lequel les opinions soient plus partagées que sur celui-ci. Le Vai-ki & plusieurs autres livres disent que Kong-kong était premier ministre sous Fo-hi, & cependant le même Vai-ki rapporte que ce Kong-kong combattit contre Tcho-yong, qu'il ne put le vaincre, et que de rage il donna de la tête contre le mont Pou-tcheou : or l'empereur Tcho-yong est antérieur à Fo-hi de plusieurs siècles. D'autres auteurs, en assez grand nombre, font combattre Niu-va & Kong-kong, comme je dirai ci-après.

« Hoai-nan-tse dit que Kong-kong disputa l'empire à Tchouen-hio, que dans sa colère il donna un coup de corne contre Pou-tcheou, que les colonnes du ciel en furent brisées, & les liens de la terre rompus, que le ciel tomba vers le nord-ouest & que la terre eut une brèche au sud-est. »

Ven-tse dit aussi que Kong-kong « fit le déluge, ce qui obligea Tchouen-hio à le faire mourir. » D'autres mettent cet événement sous Kao-sin, qui ne régna qu'après Tchouen-hio. Hoai-nan-tse dit qu'autrefois Kong-kong donna de toutes ses forces contre le mont Pou-tcheou, en sorte que la terre tomba vers le sud-est ; qu'il disputa l'empire de l'univers à Kao-sin, & qu'il fut précipité dans l'abîme. Kia-kouei dit que Kong-kong descendait de Chin-nong ; que sur la fin du règne de Tchouen-hio il tyrannisa les rois tributaires, livra bataille à Kao-sin, & se fit empereur. Plusieurs autres, après Hoai-nan-tse, placent Kong-kong du temps de l'empereur Yao, & disent qu'il fut relégué à la région des ténèbres (Yeou-tcheou). Le même Hoai-nan-tse dit que du temps de Chun, Kong-kong excita le déluge pour perdre Kong-sang. Enfin Sun-tse attribue au grand Yu la victoire sur Kong-kong. Voilà donc le même fait, avec les mêmes circonstances, arrivé sous presque tous les empereurs depuis Fo-hi & même depuis Tcho-yong jusqu'au fondateur de la famille de Hia ; ce qui est bien à remarquer. Lo-pi, pour tâcher de répondre à cette difficulté, dit qu'il y a eu plusieurs Kong-kong ; que celui qu'on met sous Fo-hi était un roi tributaire, que celui dont on parle sous Yao, était fils de Chao-hao, & que celui que l'on place sous Chun descendait de Chin-nong ; mais la difficulté demeure tout entière. Car comment pouvoir attribuer à plusieurs hommes un même fait aussi extraordinaire qu'est celui de faire une brèche au ciel, de briser les liens de la terre, & d'exciter un déluge universel pour perdre Kong-sang ? Or ce fait se trouve répété partout où l'on parle de Kong-kong ; & d'ailleurs le sentiment de Lo-pi ne peut être pris que pour un système, & ce système ne vaut pas mieux que celui des auteurs qui font passer quinze empereurs pour autant d'officiers de Fo-hi ; système que Lo-pi rejette bien loin.

Quoi qu'il en soit, Kong-kong en chinois offre la même idée que Πανουργός en grec. Le livre Kouei-tsang dit qu'« il avait le visage d'homme, le corps de serpent & le poil roux ; il était superbe & cruel, & il avait des ministres aussi méchants que lui. Il se vantait d'avoir la sagesse du sage, & disait qu'un prince comme lui ne devait point avoir de maître. Enivré de sa prétendue prudence, il se regardait comme un pur esprit, & se faisait appeler la vertu de l'eau ; il chargeait le peuple d'impôts, & les exigeait à force de supplices ; il employa le fer à faire des coutelas & des haches, & le peuple sans appui périssait misérablement ; il se plongea dans toutes sortes de débauches, & ses débauches le perdirent. Un de ses principaux ministres se nommait Feou-yeou. Tse-tsan dit que ce méchant homme fut défait par Tchouen-hio, & qu'il se jeta dans le fleuve Hoai. Son corps était rouge comme le feu, & il ressemblait à un ours. Un autre ministre encore plus cruel se nommait Siang-lieou. Le Chan-hai-king dit qu'il avait neuf têtes pour dévorer les neuf montagnes, & le met au nord du mont Kouen-lun. »

Kong-kong régna en tyran pendant quarante-cinq ans : son fils était, comme lui, sans mérite ; il mourut au solstice d'hiver, & devint un esprit malin. Le Fong-sou-tong donne à Kong-kong un autre fils nommé Sieou, qui fut si grand voyageur qu'on le prit après sa mort pour l'esprit qui préside aux voyages. Tso-chi dit qu'un fils de Kong-kong, nommé Keou-long, acquit du mérite dans l'agriculture ; sous l'empereur Tchouen-hio, il eut la charge de Heou-tou. C'est une erreur, ajoute le Fong-sou-tong, de le prendre pour l'esprit de la terre. Le même Tso-chi parle d'un autre fils de Kong-kong nommé Huen-min, dont on a fait une étoile qui préside à la pluie.

Lie-tse & Yun-tse mettent Kong-kong avant Niu-va ; mais on demande s'il faut le traiter de roi (vang), ou bien de pa ou de prince ? Lo-pi répond qu'il n'a été ni l'un ni l'autre, mais un usurpateur. L'idée de pa était inconnue dans l'antiquité, & n'a commencé à paraître que lorsqu'on n'a plus reconnu de véritable roi (vang). Se-ma-kouang dit que les anciens empereurs avaient sous eux trois Kong : le premier demeurait à la cour près du roi, & les deux autres partageaient entre eux le gouvernement de l'univers ; on appelait ceux-ci les deux Pe ; ce qui est fort différent de ce qu'on entendit dans la suite par les cinq a, qui furent l'un après l'autre à la tête des rois leurs égaux.

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Niu-va

C'est la sœur, ou, selon d'autres, la femme de Fo-hi ; on l'appelle encore Niu-hi & Niu-hoang, la souveraine des vierges, & Hoang-mou, c'est-à-dire, la souveraine mère ; mais son plus beau nom est Ven-ming. Dans l'Y-king, le sage accompli est souvent désigné par ces deux mots ; ven veut dire pacifique, & ming signifie la lumière. Le roi Chun, dans le Chou-king, s'appelle Ven-ming par la même raison. On donnait à Fo-hi pour nom de race Fong, c'est-à-dire, le vent, & on donne à Niu-va celui de Yun ou la nuée. Le Choue-ven dit que Niu-va est une vierge divine qui convertit toutes choses. On lit dans le texte du Lou-se, qu'elle a fait le ciel, & dans le Chan-hai-king, qu'elle a pris de la terre jaune & en a formé l'homme : c'est ainsi, ajoute-t-il, que l'homme a commencé. On a vu ci-devant que Fo-hi a fait le ciel & la terre. La même chose pourrait se dire de Chin-nong dans le sentiment de ceux qui disent que Fo-hi, Niu-va & Chin-nong sont les trois souverains ; car le Fong-sou-tong assure que le titre de Hoang ne convient proprement qu'au ciel ; & dans l'opinion que Fo-hi, Niu-va & Chin-nong étaient des hommes, il ajoute qu'ils étaient semblables au souverain ciel, & que c'est pour cela qu'on les appela Hoang.

Niu-va avait le corps de serpent, la tête de bœuf, & les cheveux épars ; en un seul jour elle pouvait se changer spirituellement en 70 ou 72 manières. Elle sortit du mont Chin-kouang ; en naissant elle était douée d'une intelligence divine, ne laissant aucune trace sensible. Non seulement elle est la déesse de la paix, mais sa victoire sur Kong-kong fait voir ce qu'elle peut dans la guerre ; c'est donc en même temps la pacifique Minerve & la belliqueuse Pallas fille de Jupiter ; elle préside encore aux mariages comme Junon, mais on ne peut pas dire de Junon ce qu'on dit de Niu-va, qu'elle obtint par ses prières d'être vierge & épouse tout ensemble. C'est ainsi que la reine Kiang-yuen devint la mère de Heou-tsi, & resta vierge.

Kong-kong, dit Lo-pi, fut le premier des rebelles ; il excita le déluge pour rendre l'univers malheureux ; il brisa les liens qui unissaient le ciel & la terre, & les hommes, accablés de tant de misères, ne pouvaient les souffrir ; alors Niu-va déployant ses forces toutes divines, combattit Kong-kong, le défit entièrement & le chassa. Après cette victoire, elle rétablit les quatre points cardinaux, & rendit la paix au monde. La terre étant ainsi redressée, & le ciel mis dans sa perfection, tous les peuples passèrent à une vie nouvelle. On trouve dans d'autres auteurs quelques circonstances qui ne sont point à négliger. Yun-tse dit que Kong-kong donna de ses cornes contre le mont Pou-tcheou, qu'il renversa les colonnes du ciel, qu'il rompit les liens de la terre, que Niu-va rétablit le ciel & tira des flèches contre dix soleils. Hoai-nan-tse ajoute que Niu-va purifia par le feu des pierres de cinq couleurs, & qu'elle en boucha les brèches du ciel ; qu'elle prit les pieds d'une monstrueuse tortue, pour redresser les quatre termes ; qu'elle tua le dragon noir, pour rendre la paix à la terre ; qu'elle brûla des roseaux & en ramassa les cendres pour servir de digue au débordement des eaux. Le ciel avait reçu au nord-ouest une grande brèche, & la terre avait été rendue insuffisante au sud-est : Niu-va répara tout, en donnant à la terre de nouvelles forces, & remplissant les brèches que Kong-kong, par sa révolte, avait faites au ciel.

Ces deux faits, l'un de Kong-kong en mal, & l'autre de Niu-va en bien, ont paru si extraordinaires aux Chinois modernes, que ne pouvant les expliquer, ils ont pris le triste parti de les réfuter. Tchao-siue-kang parle ainsi au rapport d'Yuen-leao-fan :
« Puisqu'on appelle le mont Pou-tcheou la colonne du ciel, il faut qu'il soit d'une hauteur extrême ; Kong-kong ne peut avoir guère plus d'une toise de haut, quelque grand qu'on le fasse ; & quelques forces qu'on lui donne, il ne pouvait remuer plus de trois mille pesant ; comment donc veut-on que d'un coup de sa tête il ait ébranlé le mont Pou-tcheou ? Ce qu'on dit de Niu-va est encore plus extravagant, car le ciel est éloigné de la terre de je ne sais combien de mille & de mille toises ; & Niu-va, quoique reine de la terre, n'était après tout qu'une femme : comment donc peut-elle voler au ciel pour le radouber avec des pierres de cinq couleurs ? »
Il ajoute que ce sont autant de pures chimères.

Niu-va victorieuse s'établit dans une plaine sur le mont Tchong-hoang ; elle passa ensuite sur le mont Li, & comme elle régna par le bois, on dit que sa domination est à l'orient.

« Ses mérites, dit Hoai-nan-tse, pénètrent jusqu'au plus haut des cieux, & s'étendent jusqu'au plus profond des abîmes ; son nom se répand sur tous les siècles futurs, & sa lumière remplit tout l'univers ; montée sur le char du tonnerre, elle le fait tirer par des Long ailés & soumis à ses ordres ; un nuage d'or la couvre & l'environne ; elle se joue ainsi dans le plus haut des airs, jusqu'à ce que, parvenue au neuvième ciel, elle fait sa cour au seigneur (Ti) à la porte de l'intelligence ; ne respirant que l'union & la paix, elle se repose auprès du Tai-tsou, & comblée de tant de gloire, loin de vanter ses mérites, elle se tient dans un humble & respectueux silence. »

On attribue à Niu-va plusieurs instruments à vent & à anche.
« Les deux premiers, nommés Seng & Hoang, lui servaient pour communiquer avec les huit vents ; par le moyen des kouen ou flûtes doubles, elle réunit tous les sons en un seul, & accorda le soleil, la lune & les étoiles ; c'est ce qui s'appelle un concert parfait, une harmonie pleine : sa guitare était à cinq cordes ; elle en jouait sur les collines & sur les eaux ; le son en était fort tendre ; elle augmenta le nombre des cordes jusqu'à cinquante, afin de s'unir au ciel, & pour inviter l'esprit à descendre ; mais le son en était si touchant qu'on ne pouvait le soutenir ; c'est pourquoi elle les réduisit à vingt-cinq, pour en diminuer la force ; & alors il n'y eut plus rien dans l'univers de si caché ni de si délicat, qui ne fût dans l'ordre. »

Niu-va régna 130 ans ; son tombeau est en cinq endroits différents ; on prétend qu'elle a plusieurs fois apparu. Quelques auteurs ne la comptent que comme ayant aidé Fo-hi à gouverner, prétendant qu'une femme ne peut s'asseoir sur le trône de l'univers.

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