Simon Foucher (1644-1696)

Simon Foucher (1644-1696) : Lettre sur la morale de Confucius, philosophe de la Chine Daniel Horthemels, Paris, 1688. — Pierre Savouret, Amsterdam, 1688.

LETTRE SUR LA MORALE DE CONFUCIUS

philosophe de la Chine

Daniel Horthemels, Paris, 1688. — Pierre Savouret, Amsterdam, 1688.

  • En 1687 paraît à Paris le Confucius Sinarum philosophus des pères jésuites Couplet, Herdtrich, Intorcetta et Rougemont. Un gros in-folio, en latin. Une référence pour les intellectuels, mais peu pratique au grand public, qui peut avoir envie de découvrir à moindre frais Confucius en français. Deux traducteurs-compilateurs-commentateurs latin-français y travaillent, et éditent l'année suivante deux opuscules : le chanoine Simon Foucher et, peut-être, le journaliste Jean de Labrune. À moins que ce ne soit le président Cousin, dit-on. Ou le père Couplet lui-même, dit-on encore. Le nom de l'auteur aura semble-t-il moins d'importance que le fait de rendre Confucius et une idée de sa morale accessibles pour la première fois en français.
  • Simon Foucher : "Le présent que je vous fais ne saurait manquer de vous être agréable. Vous aimez les bonnes maximes de morale : en voici des meilleures & des plus solides. Si le lieu d'où elles viennent les pouvait rendre plus considérables, elles le seraient à cause de son éloignement. Ce sont des perles ou des pierres précieuses de la Chine, & quelque chose de plus grand prix, parce qu'il n'y a rien de comparable aux trésors de la sagesse, comme dit l'Écriture. Je pourrais dire la même chose à l'égard de leur antiquité, si la vérité n'était de tout temps, & si l'on pouvait penser que ces maximes, pour être plus anciennes, en fussent aussi plus véritables & plus solides."
  • "Vous verrez ici des sentiments qui se rapportent à ceux des Grecs, surtout de Socrate & de Platon. Ces deux grands hommes vivaient à peu près du temps de Confucius. Les lois des Académiciens s'y trouvent aussi, soit que ce Chinois les ait tirées des anciens, ou que le bon sens les lui ait inspirées, de même qu'aux Académiciens qui sont venus après lui. Au reste, Monsieur, ces enseignements ne sont pas seulement bons pour les gens de la Chine, mais je suis persuadé qu'il y a peu de Français qui ne s'estimât fort sage & fort heureux s'il les pouvait réduire en pratique.
    Vous en jugerez par vous-même ; je vais les rapporter suivant l'ordre de ces Livres."


Extraits : Du premier livre - Du second livre - Du troisième livre - Deuxième partie du second livre
Voilà, Monsieur, ce que j'ai cru devoir vous donner de Confucius.

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Maximes de Confucius.Simon Foucher (1644-1696) : Lettre sur la morale de Confucius, philosophe de la Chine Daniel Horthemels, Paris, 1688. — Pierre Savouret, Amsterdam, 1688.

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Du premier livre

1. I : Il faut renouveler l'homme ; et, de même qu'un miroir que l'on veut rendre clair, il lui faut ôter toutes ses taches, en le purgeant de ses mauvaises habitudes & le nettoyant, en sorte qu'il soit exempt de troubles, soit de la part des passions, soit de la part des préjugés, afin qu'il revienne à la perfection de sa nature.

1. II : C'est ce que l'on fera, si l'on prend une ferme résolution de travailler à acquérir le souverain bien qui consiste dans une parfaite conformité à la droite raison, soit par nos sentiments, soit par nos inclinations.

1. III : Le plus court chemin & le moyen le plus prompt pour disposer ainsi les hommes, est de les attirer par l'exemple de ceux qui les gouvernent.

1. IV : Commencez à bien gouverner votre famille avant que de vouloir régner sur les peuples, & apprenez ainsi à commander.

1. V : Ce que vous avez à faire à l'égard de votre esprit, c'est de le porter à son plus haut point de connaissance & à la plus grande certitude qu'il peut avoir dans ses jugements.

1. VI : Lorsque l'entendement sera élevé à sa perfection, la volonté ne manquera pas de se porter aussi à la sienne.

1. VII : Et lorsque la volonté sera réglée, on ne fera que de bonnes actions.

1. VIII : Il y a deux choses à rectifier, savoir le dedans & le dehors de l'homme. Or, le dehors est bien conduit lorsque le dedans est dans la rectitude nécessaire ; et, si on n'est bien réglé dans l'intérieur, on ne saurait produire au dehors que des actions de dérèglement ; d'où il s'ensuit que la première chose à laquelle il faut travailler, est de rectifier son entendement, en le délivrant de l'erreur & des préjugés.

1. IX : Un homme déréglé au dedans & au dehors de lui-même ne saurait bien gouverner une famille ni un empire.

1. X : Le père doit avoir un vrai amour pour son fils, & le fils une vraie obéissance pour son père.

1. XI : Il y a une liaison étroite & comme une parenté entre le prince & les sujets.

1. XII : Si vous cherchez des richesses extérieures avec avarice, vous vous mettez en état de n'en avoir jamais.

1. XIII : Celui qui estime plus l'or que la vertu perdra l'or & la vertu.

1. XIV : L'amour d'un peuple pour son roi est un lien plus fort pour le tenir en obéissance que la crainte, & jamais les peuples ne sont bons sujets quand ils ne le sont que par crainte.

1. XV : À l'égard de nos semblables & égaux, nous devons nous comporter comme nous voudrions que l'on se comportât au nôtre.

1. XVI : La clémence d'un prince, à l'égard de ses sujets, doit être comme l'amour d'un père à l'égard de ses enfants.

1. XVII : Les soins d'un prince, pour enrichir ses sujets, doivent être comme ceux d'un père pour enrichir ses enfants.

1. XVIII : Un prince doit se dépouiller de ses intérêts particuliers, & ne se point considérer comme personne privée, ne s'attribuant rien de propre, & suivant en tout la raison & la bienséance.

1. XIX : Le gain d'un prince doit se mesurer par l'utilité publique.

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Du second livre

2. I : Tout péché vient de ce que l'on n'examine pas ce que l'on doit examiner.

2. II : Il faut chercher le moyen d'acquérir notre perfection, & d'arriver à la fin que nous nous proposons en voulant être heureux.

2. III : Il ne faut se proposer des vertus extraordinaires, ni trop éloignées de la pratique, ne devant point aspirer à l'impossible, ni demander plus que la condition humaine ne peut accorder.

2. IV : Il ne faut point s'attendre à des preuves surnaturelles ni miraculeuses, & l'on ne doit pas se faire de la réputation parmi les peuples par des prestiges.

2. V : Le sage suit la voie ordinaire que le Ciel & la nature lui montrent.

2. VI : Il n'y a point d'homme si stupide, ni de femme si ignorante, qui ne soit capable de réduire en pratique les moyens que le Ciel nous a donnés, pour nous porter à notre perfection.

2. VII : La règle du moyen universel est naturelle. Nous l'apportons avec nous en naissant.

2. VIII : Chacun doit se contenter de son partage, recevant de bon cœur ce que le Ciel lui destine. S'il faut faire le personnage de pauvre ou de riche, cela doit être égal pour le sage.

2. IX : Le sage marche comme dans une plaine, & le fou va se précipitant par des chemins périlleux, & par des voies inégales.

2. X : Le sage ressemble à un tireur à l'arc, qui ne rapporte la faute qu'à lui seul lorsqu'il ne donne pas à son but.

2. XI : Celui qui s'avance vers la vertu, comme s'il montait une montagne, ne regarde point derrière de peur de se décourager par la longueur du chemin qu'il pourrait avoir fait ; il ne considère que le chemin qui lui reste à faire, songeant plutôt à le diminuer qu'à le mesurer.

2. XII : Une femme qui aime la paix, remplira sa famille de satisfaction & de bonheur.

2. XIII : Si on choisit les sages pour gouverner dans le monde, on doit espérer que les peuples seront heureux ; et si on choisit des téméraires & des imprudents, la ruine des États s'ensuivra infailliblement.

2. XIV : Celui qui gouverne doit observer les règles qui suivent :
1° Qu'il tâche de se perfectionner toujours de plus en plus.
2° Qu'il choisisse & aime les sages.
3° Qu'il conserve du respect pour ceux qui sont au-dessus de lui naturellement.
4° Qu'il honore ses premiers magistrats & ses principaux ministres.
5° Qu'il cède au conseil des administrateurs de la justice & de ceux qui sont les plus expérimentés.
6° Qu'il aime ses sujets comme ses propres enfants.
7° Qu'il fasse venir les meilleurs artisans pour le bien de son empire ; qu'il les distingue & leur donne de l'emploi ; qu'il ne renvoie jamais sans récompense ceux qui ont travaillé pour le bien public.
8° Qu'il reçoive honorablement les étrangers.
9° Qu'il défende & protège ses sous-gouverneurs comme ses propres membres.
10° Qu'il médite souvent & examine s'il travaille sans cesse à se conformer à la droite raison.

2. XV : Voici les règles que chacun doit observer en travaillant à se perfectionner de plus en plus :
1° Que l'on tâche d'observer tout ce qui peut contribuer à faire découvrir la vérité, & que l'on ne travaille point à cela faiblement, comme par hasard ; mais de dessein formé, & sans réserve comme étant la chose du monde la plus importante & la seule nécessaire.
2° Si l'on doute au sujet de quelque action particulière de la vie, que l'on suive l'autorité de ceux qui passent pour les plus éclairés.
3° Que l'on tâche de se défaire de ses doutes & de se fixer l'esprit, soit par des réflexions, soit par des expériences.
4° Que l'on distingue bien le vrai du faux, discernant ce que l'on sait de ce que l'on ne sait pas.
5° Que l'on agisse avec constance lorsque l'on aura reconnu ce que l'on doit faire.

2. XVI : On ne doit attendre aucune récompense de la vertu sinon la vertu seule, elle se soutient d'elle-même, & se satisfait de sa propre nature, étant à la fin des actions vraiment raisonnables.

2. XVII : Si tu es arrivé à ta perfection, tâche de perfectionner les autres ; mais souviens-toi de commencer par te perfectionner toi-même.

2. XVIII : Le sage ne peut se déguiser dans ses actions.

2. XIX : Le saint ou le parfait sage est entièrement conforme à l'idée que le Ciel a formée du saint & parfait.

2. XX : Le saint sera tout-puissant, il saura toute chose et aura toute vertu au Ciel & en Terre.

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Du troisième livre

Confucius et un disciple Simon Foucher (1644-1696) : Lettre sur la morale de Confucius, philosophe de la Chine Daniel Horthemels, Paris, 1688. — Pierre Savouret, Amsterdam, 1688.

3. I : Les discours trop recherchés & remplis d'éloquence sont nuisibles ; ce sont des appâts de l'erreur. La rhétorique est la peste des esprits. Il faut toujours considérer si l'on dit vrai ; & jamais si l'on parle d'une manière agréable à la multitude.

3. II : Je dois examiner ma conscience sur trois choses :
1° Savoir si je me suis comporté, à l'égard des autres, comme j'aurais souhaité qu'on l'eût fait à mon égard, & cela avec la même sincérité & le même zèle.
2° Si j'ai servi mes amis, non pas sous apparence d'amitié tendant à mes intérêts, mais par de vrais & simples motifs d'honnêteté.
3° Si j'ai médité sur la doctrine qui m'a été enseignée, & si j'ai tâché de la réduire en pratique.

3. III : Fuyez la fréquentation des méchants, & associez-vous avec les sages.

3. IV : Si vous avez péché par fragilité, ne manquez pas de vous corriger incessamment.

3. V : Ne mangez point pour le plaisir, mais seulement pour rendre votre corps utile au travail.

3. VI : Un pauvre content de son état vaut mieux qu'on riche arrogant ; mais un riche qui ne s'enorgueillit point vaut mieux que l'un & l'autre.

3. VII : Celui qui est vraiment philosophe, ne doit pas se tourmenter de ce que les hommes ne le connaissent point, ou ne l'écoutent pas ne voulant pas profiter de ses lumières ; car c'est leur faute & non pas la sienne.

3. VIII : Confucius s'appliqua d'abord à étudier les préceptes des anciens & à philosopher de son mieux.

3. IX : À 30 ans, il fut si ferme & si constant, qu'aucune chose ne l'ébranlait. Il ne craignit plus les événements de la fortune ; & rien n'était capable de le détourner de l'étude de la philosophie.

3. X : À 40 ans, il n'hésita plus, & ses doutes s'évanouirent.

3. XI : À 50 ans, il reconnut la Providence divine, & il sut pénétrer dans les desseins du Ciel, voyant la nécessité & l'utilité qu'il y avait de retourner à la pure lumière de la raison, qui est le plus grand présent que le Ciel ait fait au genre humain.

3. XII : À 60 ans, la force de son entendement se trouva portée à sa perfection, & ce fut alors qu'il éprouva ce que c'est que d'avoir l'esprit grand & bien cultivé par une bonne & solide philosophie.

3. XIII : Enfin, à 70 ans, il n'avait plus rien à craindre de la part de son corps ni des passions humaines. Il n'avait plus de combats à rendre contre lui-même ; étant paisible possesseur d'une paix intérieure, il ne pouvait plus vouloir le mal.

3. XIV : Les sources de la vérité & de la philosophie sont inépuisables, & peuvent faire naître dans nos esprits une infinité de plaisirs.

3. XV : Un de ses disciples lui ayant demandé ce qu'il pensait de lui, il lui répondit : vous êtes un vase prêt à recevoir quelque chose.

3. XVI : L'homme parfait est universel, il ne se resserre point à ses intérêts particuliers, au lieu que l'homme imprudent est abject & esclave. Il dépend des accidents de son propre corps, & ne s'étend point au-delà des objets qui environnent l'extérieur de sa personne.

3. XVII : Celui qui s'applique uniquement aux actions extérieures, ne se perfectionne point l'esprit ; & celui qui ne s'adonne qu'à la contemplation, ne jouit pas du profit qu'il peut faire & n'en sait pas la mesure.

3. XVIII : Si vous savez, faites connaître que vous savez ; si vous ne savez pas, avouez franchement que vous ne savez pas.

3. XIX : Rejetez tout ce qui est incertain & douteux, quand il s'agit de science.

3. XX : Et quand vous aurez quelque connaissance certaine, prenez garde de quelle manière vous la publierez, ayant égard non seulement à vous-même, mais à la capacité de ceux à qui vous avez à parler.

3. XXI : Toutes les cérémonies sont inutiles à des gens malicieux ou ignorants.

3. XXII : Entre les personnes éclairées, il n'y a pas lieu de contester.

3. XXIII : N'admirez point dans la musique le plaisir que l'oreille en reçoit, mais la beauté de la convenance & de l'accord.

3. XXIV : L'homme déréglé ne peut demeurer avec la pauvreté, ni avec les richesses, il combat contre toutes sortes d'états, et se dégoûte de tout.

3. XXV : La vertu est bien facile à avoir, puisque le simple désir l'obtient.

3. XXVI : Le philosophe agit toujours en vue de la vérité, laquelle ne dépend point des circonstances particulières des choses sensibles : il sait qu'à l'égard de ces choses on ne doit pas s'obstiner, car elles n'ont rien de stable ni de permanent.

3. XXVII : Faites toutes choses de gré.

3. XXVIII : Le philosophe est prompt à agir, & lent à parler & à décider.

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Deuxième partie du second livre

Rejetez tout ce qui est incertain & douteux, quand il s'agit de science.
Rejetez tout ce qui est incertain & douteux, quand il s'agit de science.

[a] I : Il est difficile qu'un homme accoutumé à la rhétorique, & qui se laisse conduire par l'élégance du discours, devienne jamais philosophe, & ne se charge point des tâches de la multitude.

[a] II : Les avaricieux sont insensés.

[a] III : Les vraies richesses viennent du Ciel. Les choses extérieures n'enrichissent point, mais seulement la bonne disposition d'esprit.

[a] IV : Confucius vivait de viandes communes & faciles à préparer. Il buvait de l'eau, et couchant sur la dure, il n'avait point d'autre chevet que son bras placé sous sa tête ; avec cela il avait pour le moins autant de plaisir que ceux qui vivent autrement. La satisfaction du cœur cause un véritable plaisir. Celui qui se fonde sur les choses extérieures, ressemble à une nuée volante qui se dissipe & se détruit d'elle-même.

[a] V : Si le Ciel allongeait mes jours, j'emploierais encore ce temps à chercher la vérité & à apprendre toujours quelque chose de nouveau.

[a] VI : Confucius ne parlait que très rarement de quatre choses : savoir, des choses étrangères, des monstres & des événements casuels, des prodiges ou choses surnaturelles, & des séditions publiques.

[a] VII : Celui qui combat ma doctrine parce qu'elle est vraie, combat contre le Ciel, disait Confucius.

[a] VIII : Je n'ai point encore vu la vertu achevée d'un parfait sage. Pour ce qui est de celle qui appartient au philosophe on à l'amateur de la sagesse, j'espère que je la verrai quelque jour.

[a] IX : Quelqu'un avertissant Confucius de quelque faute qu'il faisait : que je suis fortuné, dit-il, j'ai trouvé un homme pour me reprendre !

[a] X : Les oiseaux chantent tristement lorsqu'ils approchent de la mort, & les hommes au contraire commencent à bien parler quand ils sont prêts à rendre l'âme.

[a] XI : Il faut que le philosophe soit d'accord avec lui-même.

[a] XII : Apprenez toujours, mais surtout si vous avez appris quelque chose, tâchez de ne le point oublier.

[a] XIII : Que cet homme était heureux, disait Confucius, il était content de sa destinée.


[b] I : Confucius, étant parmi les artisans, dit : Je me ferais volontiers artisan moi-même, & prendrais un art, quoique bas en apparence, sachant bien qu'il n'y a rien de bas en ce qui peut être utile au public.

[b] II : Il déplorait le luxe, faisant connaître que ceux qui gouvernent doivent avoir grand soin d'empêcher les superfluités des meubles & des habits, ces choses ne servant qu'à rendre les hommes plus sujets & plus indigents.

[b] III : Quoiqu'un empereur vienne à mourir, une bonne loi ne meurt point avec lui.

[b] IV : Confucius, indigné de ce qu'on l'appelait savant : Je parais savant à des gens qui ne le sont pas, dit-il.


[c] I : Le sage ne s'attristera point lui-même, & ne sera point ému par crainte. Il ne craindra point, parce qu'il n'y a rien qui soit capable de lui nuire : & il ne s'attristera point, parce que la tristesse est inutile, ce qui est une fois, ne pouvant pas n'avoir point été ; & parce que tout ce qui arrive venant par la permission du Ciel, il n'a pas raison de désapprouver un événement plutôt qu'un autre : parce qu'il n'en sait pas les suites, & ne saurait juger par conséquent du bien ni du mal qui en pourrait arriver ; outre que d'ailleurs il doit penser que la Providence céleste en juge mieux que lui, & lui destine toujours ce qui lui convient le mieux.

[c] II : Amasser des vertus, c'est se fonder sur la sincérité & la fidélité de l'esprit, lequel doit avoir pour but de se porter à la vérité, & de se tourner toujours vers ce qui est conforme à la droite raison.

[c] III : Il est bon de savoir terminer promptement les procès, mais il est plus avantageux d'empêcher qu'il n'y en ait.

[c] IV : Un gouverneur impudent disait, je ferai mourir tous ceux qui ne suivront pas les lois. Confucius lui répondit, commence plutôt à te rendre vertueux & à donner bon exemple ; ensuite fais enseigner partout la sagesse & la vertu, & ne pense pas que les vices de l'esprit se guérissent par la mort.

[c] V : D'être appelé illustre, ce n'est pas l'être pour cela : distinguez entre les discours de la multitude & la vérité. Celui qui est vraiment illustre ne se soucie de rien moins que de passer pour illustre, & les autres font le contraire.

[c] VI : Quand on néglige les méchants, & qu'on ne fait point état de ceux qui ont aversion pour la philosophie, on peut faire, si on choisit les philosophes, que les méchants deviennent bons, & soient après cela dignes d'être choisis.


[d] I : Quelqu'un m'a fait une injure, je ne le mépriserai point pour cela : & si je vois d'ailleurs qu'il soit digne d'être aimé, je ne laisserai pas de l'aimer. Mais si d'autre part il mérite d'être haï, je ne l'aimerai point ; non pas à cause de l'injure qu'il m'a faite, mais parce qu'il est véritablement haïssable, non pas pour sa propre personne, mais pour le vice qui est en lui.

[d] II : C'en est fait, disait Confucius, il n'y a personne qui aime la vérité ni la vertu.

[d] III : Je passerai des jours entiers sans rien apprendre de nouveau par mes méditations : n'importe il n'y a rien de meilleur que de travailler à s'instruire ; & celui-là a toujours profité qui s'est appliqué à chercher la vérité.

[d] IV : Le sage a plus soin de la nourriture de son esprit que de celle de son corps.

[d] V : Celui qui est grand parleur est dangereux.

[d] VI : Vous êtes jeune, fuyez la volupté ; vous êtes à l'âge viril, fuyez les querelles ; vous êtes arrivé à fa vieillesse, fuyez l'avarice.

[d] VII : Vous voyez un sage, regardez en lui ce qui vous manque ; vous voyez un méchant, ne le touchez que comme vous toucheriez de l'eau bouillante.


[e] I : Celui qui aime la vertu & se plaît à exercer la charité, s'il ne s'applique aussi à chercher la vérité & à apprendre, il tombera dans l'aveuglement, agissant sans choix & sans examen.
Celui qui se plaît à la prudence, a la connaissance de la vérité ; s'il ne se met point en peine d'apprendre, il tombera dans l'incertitude & dans la perplexité d'esprit.
Celui qui se contente de la simple foi, se conduisant seulement par autorité, s'il ne se met point en peine d'apprendre, il se trouvera souvent dans la nécessité de combattre contre les autres & contre lui-même.
Celui qui aime la candeur & l'honnêteté, s'il ne se met point en peine d'apprendre, il aura de grands chagrins, bien des troubles d'esprit, & trouvera des difficultés qu'il ne pourra surmonter.
Celui qui se plaît à exercer sa constance en supportant de grandes douleurs, s'il ne se met point en peine d'apprendre, se rendra insolent, rebelle, rempli d'imprudence & de folie.

[e] II : Ceux qui se conservent un dehors spécieux, & ne se mettent point en peine de se cultiver au-dedans d'eux-mêmes, sont des larrons qui entrent la nuit par des trous & par des fenêtres.


[f] I : Le sage exposera sa vie pour le bien public, & pour défendre sa patrie.

[f] II : Tous ceux qui aiment la vérité, & tâchent d'apprendre de jour en jour, reconnaissant ce qui leur manque, songeant à se corriger, en faisant réflexion sur ce qu'ils découvrent de bon & de vrai, doivent être appelés philosophes.

[f] III : Si les magistrats ont du temps, ils ne sauraient mieux l'employer qu'à apprendre & à philosopher.
Si les personnes privées ont du temps après avoir sérieusement philosophé, elles ne sauraient mieux l'employer qu'aux affaires de la république, & à communiquer les trésors de leur connaissance.

[f] IV : Si étant magistrat, vous avez découvert des crimes, ne vous en réjouissez pas comme si vous aviez fait une découverte heureuse. Usez de clémence & de miséricorde, sachant que toute la faute ne vient point des coupables, mais qu'ils ont pour complices l'ignorance, le mauvais exemple, les fausses espérances, ou la crainte de quelques maux qu'ils ne pensaient pas pouvoir éviter autrement.

[f] V : Chacun peut supporter les calamités de sa destinée, mais personne ne peut se défendre des suites fâcheuses de l'erreur, ni de celles du péché que l'on commet de propos délibéré : les regrets s'ensuivent nécessairement, la conscience étant un juge & un punisseur que l'on ne peut éviter.

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Voilà, Monsieur, ce que j'ai cru devoir vous donner de Confucius

Conclusion. Simon Foucher (1644-1696) : Lettre sur la morale de Confucius, philosophe de la Chine Daniel Horthemels, Paris, 1688. — Pierre Savouret, Amsterdam, 1688.
Voilà, Monsieur, ce que j'ai cru devoir vous donner de Confucius

J'ai marqué les livres dont j'ai tiré ces maximes. On peut consulter l'original sur les matières que l'on souhaite de voir plus au long & en plus de façons. Je ne doute point que vous ne reconnaissiez combien ces sentiments s'accordent avec le christianisme. On en pourrait trouver de semblables dans les proverbes de Salomon & dans plusieurs autres livres canoniques, aussi bien que chez les Académiciens & chez les stoïciens. Au reste, il paraît assez que Confucius avait une grande estime & un grand zèle pour la philosophie...

Pour ce qui regarde notre philosophe, quoiqu'il n'y ait rien dans ce que j'en ai rapporté qui ne puisse être interprété en bonne part, je donne Confucius tel que je le trouve ; et, quoique je l'aie un peu ajusté à la française, je ne pense pas pourtant l'avoir entièrement déguisé. Il eut été à souhaiter qu'il se fût donné lui-même. Mais il a eu cela de commun avec la plupart des grands hommes, qu'il n'a presque rien écrit de son chef ; de sorte que nous n'avons sa doctrine que sur le rapport de ses disciples. Cependant nous sommes redevables à tous ceux qui nous ont conservé les restes précieux de ce savant Chinois. On assure qu'il a eu trois mille disciples, entre lesquels il en avait choisi soixante-douze, & entre ceux là dix. On lui attribue quelques histoires & quelques mémoires sur les devoirs des princes, & sur les odes & les enseignements des anciens empereurs de la Chine.

Cependant il faut remarquer que la médiocrité dont parle notre philosophe, regarde l'usage des choses extérieures ; & cela se réduit à la maxime des Grecs ne quid nimis, rien de trop. On ne doit point être prodigue ni avaricieux ; on ne doit point manger trop ni trop peu ; on ne doit point être trop mal habillé ni trop somptueusement, ni se charger de superfluités ; mais, à l'égard de la perfection intérieure de l'esprit, il n'y a point de médiocrité à observer. Car on ne saurait trop se conformer à la droite raison. Il ne faut pas appréhender de se rendre l'esprit trop juste, ni de trop s'éloigner de l'erreur, des troubles & des préjugés ; on ne saurait être trop équitable, etc. Aussi, quand Aristote parle des choses qui concernent la prudence, il dit : Ut vir prudens definierit [Comme l'homme prudent en eût agi.]. Pour faire comprendre que l'on ne peut donner en cela de règle fixe, à cause que la conduite de ces actions & la mesure qu'on y doit prendre dépendent des circonstances, au lieu que la fin à laquelle on doit tendre doit toujours être fixe, & l'on ne peut trop s'en approcher. Voilà le fondement de la morale de Confucius ; & c'est pour cela que le Saint, suivant lui, ne saurait être conforme à l'idée que le Ciel a formée du saint & du parfait, étant capable d'une perfection infinie, & ne pouvant être achevée qu'il n'ait atteint à la nature divine.

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