Se-ma Ts'ien : Les Mémoires Historiques, tome cinquième

Se-ma Ts'ien : Les Mémoires Historiques, tome cinquième

traduits et annotés par Édouard Chavannes

Première édition : Ernest Leroux, Paris, 1905.

Table des matières - Extraits : L'entrevue de Kia-kou - [Jeu d'échecs]

Feuilleter le cinquième tome des Mémoires Historiques

 

Télécharger

Table des matières

 

Quatrième section : Maisons héréditaires (suite) :

  •   Chapitre XLIII  : Tchao.
  •   Chapitre XLIV  : Wei.
  •   Chapitre XLV   : Han.
  •   Chapitre XLVI  : T’ien King-tchong Wan.
  •   Chapitre XLVII : K’ong-tse

Appendices : De l’authenticité des Annales écrites sur bambou — Le voyage au pays de Si-wang mou.


Extrait : L'entrevue de Kia-kou

 


La dixième année du duc Ting (500 av. J.-C.), au printemps, Lou fit la paix avec Ts’i. En été, un grand officier de Ts’i, Li Tch’ou, dit au duc King :

— Le duc de Lou se sert de Kong K’ieou et cette circonstance est dangereuse pour Ts’i.

Alors le duc de Ts’i envoya un ambassadeur pour inviter le duc de Lou à une réunion amicale ; on se réunit à Kia-kou. Le duc Ting, de Lou, se disposait à y aller amicalement avec ses chars ordinaires ; K’ong-tse, qui exerçait les fonctions de conseiller, lui dit :

— Votre sujet a entendu dire que, lorsqu’il y a une affaire pacifique, on doit avoir fait des préparatifs de guerre, et que, lorsqu’il y a une affaire guerrière, on doit avoir fait des préparatifs de paix. Dans l’antiquité, lorsqu’un seigneur sortait de son territoire, il ne manquait pas de prendre ses officiers avec lui pour l’accompagner. Je vous demande de prendre avec vous vos maréchaux de gauche et de droite.

Le duc Ting dit :

— Je vous approuve.

Il prit avec lui ses maréchaux de gauche et de droite. Il se rencontra avec le prince de Ts’i à Kia-kou. On disposa une esplanade avec trois marches en terre et les deux princes se virent suivant les rites des entrevues. Après s’être salués et s’être cédé le pas, ils montèrent sur l’esplanade. Quand ils eurent terminé le rite de s’offrir le vin de part et d’autre, un fonctionnaire de Ts’i s’avança rapidement et vint dire :

— Je propose qu’on fasse la musique des quatre points cardinaux.

Le duc King y consentit. Aussitôt, guidons en plumes et en poils, plumes et genouillères, piques et hallebardes, épées et boucliers de s’avancer au bruit des tambours et des cris. K’ong-tse s’avança promptement et gravit les marches de l’esplanade, mais sans monter sur la dernière ; il leva ses manches et dit :

— Nos deux princes tiennent une réunion amicale. Que vient faire ici la musique des barbares I et Ti ? Je demande que des ordres soient donnés aux officiers pour que les officiers repoussent ces danseurs.

Comme les danseurs ne s’en allaient pas, les assistants regardèrent alors Yen-tse et le duc King ; le duc King éprouvait de la honte dans son cœur ; il fit donner un signal avec le drapeau et renvoya les danseurs. Au bout d’un moment, un fonctionnaire de Ts’i s’avança rapidement et dit :

— Je propose qu’on fasse la musique de l’intérieur du palais.
Le duc King y consentit. Des chanteurs grotesques et des nains se présentèrent en faisant des tours. K’ong-tse s’avança promptement ; il gravit les marches de l’esplanade, mais sans monter sur la dernière, et dit :

— Quand des hommes de basse condition jettent le trouble parmi des seigneurs, leur crime mérite la mort. Je demande que des ordres soient donnés aux officiers pour que les officiers appliquent la loi.

Alors on mit à mort les nains ; leurs mains et leurs pieds furent dispersés. Le duc King, saisi de crainte, fut ébranlé ; il comprit qu’il ne s’était pas conformé à la justice. A son retour, il eut fort peur et dit à ses officiers assemblés :

— Les gens de Lou soutiennent leur prince par la doctrine des sages ; mais vous, vous ne m’avez instruit que dans les doctrines des barbares I et Ti et vous avez fait que je me suis rendu coupable envers le prince de Lou. Quel remède y apporter ?

Un fonctionnaire s’avança et lui répondit :

— Quand le sage a commis une faute, il s’en excuse par des actes réels ; quand un homme inférieur a commis une faute, il s’en excuse par des paroles vides ; ô prince, si vous êtes affligé de ce que vous avez fait, excusez-vous en d’une manière réelle.

Alors le marquis de Ts’i, pour s’excuser de sa faute, rendit les champs de Yun, Wen-yang et Koei-yn qu’il avait pris à Lou.

Extrait : [Jeu d'échecs]


La maison de Han se trouva en péril ; Kong-tchong dit au roi de Han :

— Les royaumes alliés, nous ne pouvons mettre en eux notre confiance. Maintenant, il y a longtemps que Ts’in désire attaquer Tch’ou. Le mieux serait, ô roi, que vous vous serviez de Tchang I pour vous mettre en bonne intelligence avec Ts’in, que vous gagniez l’amitié de Ts’in par le don d’une ville importante, et que de concert avec lui vous attaquiez au Sud Tch’ou ; c’est là un procédé qui vous permettra d’échanger un contre deux.

Le roi de Han approuva ce discours et avertit Kong-tchong d’avoir à se tenir prêt à partir pour aller dans l’ouest négocier avec Ts’in. Le roi de Tch’ou l’apprit et en fut fort irrité ; il appela auprès de lui Tch’en Tchen pour l’informer (de ce qui se passait) ; Tch’en Tchen lui dit :

— Il y a déjà longtemps que Ts’in désire attaquer Tch’ou. Maintenant si, en outre, il obtient de Han une ville importante et des soldats tout équipés et si Ts’in et Han réunissent leurs forces militaires pour attaquer Tch’ou, c’est là ce que Ts’in souhaitait dans ses prières et ses sacrifices aux dieux. Quand il aura obtenu cela, Tch’ou sera certainement attaqué. Ô roi, si vous suivez mes conseils pour arranger cette affaire, vous avertirez la population sur toute l’étendue de votre territoire que vous levez des troupes, en disant que c’est pour secourir Han ; vous ordonnerez que les chars de combat couvrent les routes ; vous enverrez un ambassadeur en multipliant les chars mis à sa disposition et en augmentant les présents dont il sera chargé, pour faire que le roi de Han croie que les secours de Votre Majesté sont déjà partis. Même si Han ne peut pas vous obéir, il ne manquera pas cependant d’être reconnaissant envers Votre Majesté ; certainement il ne viendra plus ici en se mettant à la suite de Ts’in comme les oies sauvages dans leur vol ; ainsi Ts’in et Han ne seront plus d’accord. Même quand les hostilités nous atteindront, Tch’ou n’en souffrira pas beaucoup. Si (Han) peut vous obéir et rompt ses bons rapports avec Ts’in, Ts’in en sera certainement fort irrité et en concevra un grand ressentiment contre Han. Han étant au sud en relations avec Tch’ou, fera peu de cas de Ts’in ; faisant peu de cas de Ts’in, lorsqu’il répondra à ses demandes, il lui manquera d’égard. Ainsi vous profiterez des hostilités entre Ts’in et Han pour sauver du péril le royaume de Tch’ou.

Le roi de Tch’ou approuva ce conseil ; alors il répandit des avertissements sur toute l’étendue de son territoire pour lever des troupes en disant que c’était pour secourir Han ; il ordonna aux chars de combat de couvrir les routes ; il envoya un ambassadeur en multipliant les chars mis à sa disposition et en augmentant les présents dont il était chargé, et dit par son entremise au roi de Han :

— Quoique le royaume de moi, pauvre prince, soit petit, je l’ai mis tout entier sur le pied de guerre ; je désire que votre grand royaume fasse tout ce qu’il veut à l’égard de Ts’in ; moi, pauvre prince, je me propose avec mon royaume de Tch’ou, de suivre Han jusque dans la mort.

En entendant ces paroles, le roi de Han fut très content et contremanda le départ de Kong-tchong. Kong-tchong lui dit :

— Vous avez tort. En effet, celui qui réellement nous attaque, c’est Ts’in ; celui qui prétend faussement nous secourir, c’est Tch’ou. Si, ô roi, vous vous fiez aux vaines promesses de Tch’ou et si vous rompez à la légère avec le puissant Ts’in qui est votre ennemi, vous deviendrez un sujet de grande risée pour l’empire. D’ailleurs Tch’ou et Han ne sont point des royaumes fraternels ; bien plus il n’y a pas entre eux de conventions anciennes par lesquelles ils aient projeté de combattre Ts’in. C’est parce qu’il y a apparence pour lui-même d’une attaque prochaine que (Tch’ou) lève des troupes en disant qu’il veut secourir Han. C’est là certainement un stratagème de Tch’en Tchen. En outre, ô roi, vous avez déjà envoyé des gens pour annoncer à Ts’in vos intentions ; si maintenant je ne pars pas, ce sera tromper Ts’in. Si vous trompez à la légère le puissant Ts’in et si vous ajoutez foi aux machinations de Tch’ou, je crains que Votre Majesté n’ait certainement à s’en repentir.

Le roi de Han ne l’écouta pas et rompit aussitôt avec Ts’in. Ts’in en fut fort irrité ; il augmenta le nombre de ses soldats pour attaquer Han et lui livra une grande bataille ; aucun secours de Tch’ou ne vint à Han]. La dix-neuvième année (314), Ts’in nous fit essuyer une grande défaite à Ngan-men. Pour obtenir la paix, l’héritier présomptif Ts’ang fut envoyé en otage dans le pays de Ts’in.

La vingt et unième année (312), Han allié à Ts’in, attaqua Tch’ou ; il vainquit le général de Tch’ou, K’iu Kai, et coupa quatre-vingt mille têtes au nord de la rivière Tan.

[12 ans après...]

.... Tchou assiégea Yong-che.

Han demanda des secours à Ts’in. Ts’in ne les avait pas encore fait partir, lorsqu’il envoya Kong-suen Mei dans le pays de Han. Kong-tchong lui dit :

— Pensez-vous que Ts’in se dispose à secourir Han ?

Kong-suen Mei répondit :

— Le roi de Ts’in a tenu ce langage : « Je me propose de passer par Nan-tcheng et Lan-tien pour faire sortir mes troupes dans le pays de Tch’ou en vous attendant. » Mais il semble qu’il y ait là une contradiction.

Kong-tchong lui demanda :

— Pensez-vous qu’il en soit réellement ainsi ?

Kong-suen Mei répondit :

— Le roi de Ts’in met assurément en honneur l’ancienne sagesse de Tchang I.
« Autrefois en effet, quand le roi Wei, de Tch’ou, attaqua Leang, Tchang I dit au roi de Ts’in : — Si vous vous alliez à Tch’ou pour combattre Wei, Wei se tournera brusquement et se rendra à Tch’ou; comme d’ailleurs Han est depuis longtemps l’allié de Wei, Ts’in se trouvera ainsi isolé. Mieux vaut faire sortir vos soldats pour tromper Wei. Wei et Tch’ou se livrèrent une grande bataille et Ts’in se retira après s’être emparé du territoire extérieur au Si-ho.
« Or maintenant voici quelle est la situation : Ts’in en apparence se dit l’allié de Han, mais en réalité il est secrètement en excellents rapports avec Tch’ou. Comme vous croirez à tort que vous pouvez vous attendre à Ts’in, vous ne manquerez pas d’engager à la légère les hostilités contre Tch’ou ; Tch’ou, de son côté, ayant obtenu secrètement que Ts’in ne vous rendrait aucun service, vous tiendra tête volontiers. Si, lorsque la bataille se livrera, vous êtes vainqueur de Tch’ou, alors Ts’in profitera avec vous de la victoire remportée sur Tch’ou, se glorifiera dans le San-tch’oan et s’en retournera. Si, lorsque la bataille se livrera, vous n’êtes pas vainqueur de Tch’ou, Tch’ou vous fermera le San-tch’oan et y tiendra garnison sans que vous puissiez y porter remède. A mon avis, cela sera funeste pour vous.


Kong-tchong effrayé dit :

— Mais alors que faut-il faire ?

Kong-suen Mei répondit :

— Mettez au premier rang Han, et au second Ts’in ; préoccupez-vous d’abord de vous-même et ensuite de Tchang I. Le mieux est pour vous de faire au plus vite la paix entre votre royaume et Ts’i et Tch’ou ; Ts’i et Tch’ou ne manqueront pas de vous confier la direction de votre royaume. Ce que vous n’aurez pas aimé, c’est Tchang I, et en réalité vous n’aurez pas manqué de l’appui de Ts’in.

.... Alors Tch’ou leva le siège de Yong-che.

Téléchargement

memoires_historiques_t.V.doc
Document Microsoft Word 3.7 MB
memoires_historiques_t.V.pdf
Document Adobe Acrobat 3.6 MB