Blanche et Bleue, ou Les deux couleuvres-fées
Roman chinois, traduit par
Stanislas Julien (1797-1873)
Librairie de Charles Gosselin, Paris, 1834, 342 pages.
... Il est un autre genre de compositions plus modestes [c.a. : que Les Deux Cousines, ou La Femme Accomplie], et aussi répandues en Chine, qui ne paraissent pas moins dignes d’exciter la curiosité et l’intérêt des lecteurs européens ; ce sont celles qui sont principalement destinées aux classes inférieures, et qui sont basées sur les croyances populaires, qu’elles ont pour but de propager ou d’entretenir par des récits merveilleux, propres à frapper l’imagination. C’est à cette classe qu’appartient le Roman que nous publions aujourd’hui. S. Julien, Avertissement.
Résumé - Extraits : Hân-wen est condamné à l'exil - Blanche affronte Fa-haï - Arrangement de mariage
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Blanche est une femme, que Fo a fait passer dans le corps d’une couleuvre blanche, pour
expier, pendant des siècles, les fautes de sa vie antérieure. Au bout de dix-huit cents ans ce dieu décide que l’astre Wen-sing (l’astre de la littérature) descendra sur la terre, où il doit
parvenir aux plus hauts honneurs. En conséquence, il permet à Blanche de reprendre un corps humain, et d’épouser Hân-wen, afin de donner le jour à l’astre Wen-sing, qu’il veut récompenser d’une
manière éclatante. Pendant plusieurs années Blanche est exposée aux plus grands périls, il lui arrive même une fois de perdre la vie ; mais comme de hautes destinées se rattachent à son
existence, Bouddha ordonne à un dieu placé sous ses ordres de la protéger lorsqu’elle est en danger de périr, et de lui communiquer son souffle divin, après que la vue du génie de l’astre
Nân-sing l’a fait mourir de frayeur. Enfin, après beaucoup de vicissitudes où domine toujours le merveilleux, Blanche arrive au terme de sa grossesse ; : une lumière brillante illumine toute la
maison, et l’astre Wen-sing descend dans le monde.
Dès ce moment le rôle de Blanche est accompli ; et comme elle n’avait pas encore expié toutes ses fautes lorsque Bouddha la choisit pour être, à l’égard de l’astre Wen sing, l’instrument de ses
desseins, il ordonne au religieux Fa-haï de l’ensevelir sous la pagode de Louï-pong. Vingt ans après, lorsque Blanche a rempli la mesure de ses souffrances, Fa-haï vient la tirer de sa prison, et
l’élève au séjour des dieux.
Hân-wen partit avec les gendarmes, et marcha en se dirigeant vers Sou-tcheou ; il s’arrêtait
de temps en temps pour boire et manger, dormait la nuit, et se remettait en route dès que le jour était venu. Ils arrivèrent bientôt à Sou-tcheou.
Les gendarmes allèrent présenter leur mandat à la ville de Wou-hien. Le gouverneur en ayant pris connaissance, exila Hân-wen à la poste Siu-kiang ; ensuite, il écrivit sa réponse officielle,
adressée au magistrat de qui il relevait, et la remit aux gendarmes que nous laisserons retourner dans la province de Tché-kiang.
Hân-wen étant arrivé à sa destination, rendit visite au chef de la poste et alla prendre du repos. Le lendemain, il se leva de bonne heure, pesa une once d’argent et l’offrit à ce magistrat. Ce
cadeau de Hân-wen lui inspira des dispositions bienveillantes, et il ne songea nullement à gêner sa liberté.
Hân-wen prit la lettre de M. Wang, sortit de la maison, et alla dans la rue de Wou-kia pour demander la pharmacie de M. Wou. Il le trouva et lui remit la lettre. Quand M. Wou l’eut ouverte et
examinée un instant, il pria Hân-wen d’entrer dans le salon, et le fit asseoir auprès de lui, à la place fixée par les rites.
— Monsieur Hân-wen, lui dit-il, puisque mon ami intime, Fong-chan, m’écrit cette lettre pour me prier de prendre soin de vous, vous pouvez compter sur tout l’intérêt que m’inspire cette haute
recommandation.
Hân-wen se leva pour le remercier, et se disposa à partir ; mais M. Wou le retint à dîner. Hân-wen ne put se refuser à cette invitation. Pendant le repas, M. Wou le pria de lui raconter en détail
tout ce qui lui était arrivé. Hân-wen répondit franchement à toutes les questions de M. Wou, que ce récit remplit d’une tristesse difficile à décrire.
Quand le repas fut terminé, M. Wou alla dans son cabinet, prit dix onces d’argent, et se rendit avec Hân-wen à la poste de Siu-kiang. Dès qu’il eut aperçu le directeur :
— Je ne vous cacherai point la vérité, lui dit-il ; M. Hân-wen, que voici, est mon parent : j’ai été touché de compassion en le voyant condamné dans un âge si tendre. Je désire prier votre
seigneurie d’effacer sa faute, et de me le laisser emmener chez moi. J’ose espérer que vous voudrez bien accepter un faible cadeau.
A ces mots il tira l’argent de sa manche et le présenta au magistrat. Celui-ci reçut avec empressement les dix onces ; il laissa apercevoir sur son visage la joie dont il était rempli, et fit un
signe affirmatif.
M. Wou rédigea à la hâte une caution et la présenta au directeur ; ensuite il ramena Hân-wen chez lui.
Depuis ce jour, Hân-wen s’établit dans la boutique de M. Wou, où il continua d’étudier la pharmacie.
[Blanche supplie le religieux Fa-haï de laisser son époux la rejoindre]
Blanche le supplia encore plusieurs fois en versant des larmes ; mais Fa-haï fut sourd à ses prières. La petite Bleue, qui se tenait auprès d’eux, ne put contenir les transports de sa colère, et
l’accabla d’injures :
— Ane tondu, lui dit-elle, un disciple de Bouddha doit mettre avant tout, le bien de ses semblables. Puisque tu brises les liens d’amour qui unissent les hommes, puisses-tu être malheureux sur la
terre et sur l’eau, et tomber au fond des enfers ! Je vais te déchirer en mille pièces pour assouvir ma fureur.
A ces mots, elle détache sa ceinture de soie rouge et la jette dans l’air. Elle se change sur-le-champ en un dragon de feu qui s’élance vers le visage de Fa-haï.
— Ta puissance est bien chétive, lui dit le religieux, souriant d’un air de mépris : je vais te montrer à mon tour ce dont je suis capable.
Soudain il élève son vase d’or de la main droite, et y reçoit le dragon de feu.
La fureur de Blanche ne connaît plus de bornes. Elle lance avec sa bouche une perle enflammée pour frapper le visage de Fa-haï.
Le religieux est glacé d’effroi, et la seule ressource qui lui reste est de lancer son vase d’or au milieu des airs. Tout à coup le tonnerre gronde, mille éclairs déchirent le voile des ténèbres,
des vapeurs rouges arrêtent la perle brûlante, et enveloppent la tête de Blanche dans un réseau de feu.
A peine Blanche a-t-elle vu la puissance magique du vase sacré de Bouddha, qu’elle est frappée de terreur, et son âme est prête à s’échapper. Sans perdre de temps, elle reprend sa perle
précieuse, monte sur un nuage avec la petite Bleue, et s’enfuit en toute hâte.
[Blanche reçoit sa belle-sœur Hiu-chi] ... La petite Bleue servit le thé dans la chambre à
coucher.
— Ma sœur, lui dit ensuite Hiu-chi, votre grossesse touche bientôt à son terme ; vous devez prendre toutes les précautions convenables. Je ne forme qu’un vœu : c’est que vous ayez un fils qui
puisse propager les rejetons de la famille de Hiu.
— Je vous remercie, lui dit Blanche, de ces paroles bienveillantes que j’estime autant que l’or. J’ai appris que ma belle-sœur est devenue enceinte en même temps que sa servante ; j’aurais une
prière à lui adresser : j’ignore si elle daignera répondre à mes vœux.
— Ma sœur, lui répondit Hiu-chi en souriant, parlez, je n’ai rien à vous refuser.
— Votre servante, lui dit Blanche toute joyeuse, arrivera comme vous, ce mois-ci, au terme de sa grossesse. Si nous avons chacune un fils, je désire qu’ils soient unis comme des frères ; si nous
avons deux filles, elles se regarderont comme des sœurs ; mais si l’une obtient un fils et l’autre une fille, je désire qu’ils soient fiancés ensemble. J’ignore quelles sont vos
dispositions.
— Ce serait une affaire charmante, lui dit Hiu-chi en souriant ; je serai ravie de me rendre à votre désir. Ma résolution est prise ; je jure de n’en jamais changer.
Blanche allait répondre, lorsque Hân-wen entra dans la chambre. Aussitôt, elle l’informa du projet qu’elle venait de former avec Hiu-chi.
— Puisque ma sœur est dans de si bonnes dispositions, lui dit Hân-wen en riant, je veux lui remette un faible présent, comme gage de notre promesse.
En disant ces mots, il ôte de son doigt un anneau de jade, et le présente à Hiu-chi. Celle-ci détache de sa tête une aiguille d’or, qu’elle remet à Hân-wen. Hân-wen retint sa sœur, et lui offrit
une collation.
Quand le repas fut terminé, Hiu-chi prit congé de ses parents, et fit connaître à son mari le projet de mariage qui devait resserrer encore les liens des deux familles. Cette nouvelle remplit
Kong-fou d’une joie inexprimable.