Trois contes du Loung-tou-koung-ngan


L'épouse d'outre-tombe — Un mari sous une cloche — Le bâton du muet

Traduction de Léon de Rosny (les deux premiers contes) et de Giuseppe Barone (le dernier)

Jules Gay, Paris, 1864. — Bulletin de l'Athénée oriental, I, 1868, et III, 1873 — Le Muséon, Louvain, 1882.


Extraits : Introduction de L. de Rosny. L'épouse d'outre-tombeIntroduction de G. Barone. Le bâton du muet

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Illustrations extraites de l'édition chinoise, non forcément reliées aux trois contes proposés.

Illustration 2. Trois contes du Loung-tou-koung-ngan : L'épouse d'outre-tombe - Un mari sous une cloche - Le bâton du muet. Trad. L. de Rosny, G. Barone — Gay, Paris, 1864 - Bulletin de l'Athénée oriental, 1868, 1873 — Le Muséon, Louvain, 1882.


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Introduction de Léon de Rosny

Illustration 3. Trois contes du Loung-tou-koung-ngan : L'épouse d'outre-tombe - Un mari sous une cloche - Le bâton du muet. Trad. L. de Rosny, G. Barone — Gay, Paris, 1864 - Bulletin de l'Athénée oriental, 1868, 1873 — Le Muséon, Louvain, 1882.

Le hasard a mis entre mes mains un petit ouvrage chinois intitulé Loung-tou-koung-ngan, et, dans un moment de loisir, j'y ai lu une assez singulière histoire.

Un jour, je ne sais trop à quel propos, j'ai raconté cette petite histoire à quelques amis de la littérature orientale, parmi lesquels se trouvait M. Gay, dont les bibliophiles connaissent les curieuses éditions.

M. Gay m'a exprimé le désir d'avoir une traduction française de mon conte ; et, lorsqu'il en eut pris connaissance, il me demanda la permission de l'imprimer dans sa jolie collection elzévirienne.

L'offre était assurément très flatteuse, mais le peu d'importance et la brièveté du conte ne me paraissaient pas mériter un tel honneur. Il insista ; j'accédai à sa demande, d'abord pour lui être agréable, ensuite parce qu'il m'a semblé que ce conte, quelque court qu'il fût, esquissait un trait de mœurs essentiellement caractéristique et digne d'attention. Ce trait de mœurs, je l'ai signalé dans le titre de ma traduction : l'Épouse d'outre-tombe.

L'Épouse d'outre-tombe, je m'explique, cela veut dire une jeune fille qui devient l'épouse légitime d'un jeune homme, par suite d'un mariage contracté devant un magistrat entre une morte et un vivant. Il faut sans doute aller à Péking ou à Canton pour rencontrer de pareilles aventures ; mais, en réfléchissant bien, on y découvre peut-être un nouveau motif pour accorder aux Chinois un certain sentiment vrai de la morale, qui va s'affaiblissant, depuis longtemps, dans nos pays civilisés.

Mon intention n'est pas, à ce propos, de faire comparaître, sur les légers feuillets de cet in-18, les philosophes ou les moralistes de la Chine et de l'Europe, d'examiner leurs œuvres, de discuter et de peser leurs idées pour en déduire une conclusion à l'avantage des uns ou des autres. Je voudrais seulement qu'on fût d'accord avec moi pour admettre qu'il existe encore en Asie plus d'un bon usage à suivre, plus d'un sage précepte à méditer.

Les écrivains qui ont écrit sur la Chine, sont presque tous tombés dans le défaut qui consiste à se placer à un extrême (nihil medium est). Les uns ont vu pâlir les sages de la Grèce à côté des philosophes du Céleste-Empire ; les autres n'ont aperçu en Chine que des potiches et des magots.

Pour ce qui est de la morale, il faut reconnaître que peu de nations ont autant écrit sur son compte que les Chinois ; peu de nations aussi, je l'avoue, ont répété sur ce chapitre autant de lieux communs et de fadaises.

Depuis Confucius jusqu'aux pédants de la Chine moderne, des millions d'hommes, pendant des milliers d'années, ont répété sur tous les tons des apophtegmes ressassés sur l'humanité et la justice : l'humanité n'a pas toujours été pour cela fort respectée, la justice a souvent été mise sous les talons ; il est resté néanmoins, dans les instincts du peuple aux cheveux noirs, une certaine routine du devoir que les progrès de notre civilisation ne nous ont pas donné le droit de dédaigner.

L'amour surtout, cet énergique moteur des nobles actions, a grandi à la faible lueur de ces instincts populaires, et il a trouvé dans les cœurs honnêtes une base solide et durable, une base que la philosophie moderne de l'Europe a élargie, mais qui, dans les milieux où nous vivons, n'a pas cessé d'être mouvante.

En Chine, l'idéal n'est pas exclusivement le rêve des imaginations adolescentes : on ne lui oppose jamais le mot réalité. L'idéal des âmes pures, environné de gazes légères, ne s'élève pas jusqu'à l'empyrée pour se perdre dans l'azur du ciel. L'idéal de la jeunesse est sérieux, comme la pensée sur les toiles de nos grands peintres. L'ange des premiers désirs revêt bien, là-bas comme ici, une blanche tunique ; mais il n'a pas d'ailes, et il s'égare rarement au-delà des horizons les plus prochains.

Inhumée parmi nous, la poésie, dans la jeune Chine, jouit encore de ses généreuses prérogatives : elle enracine le sentiment de la vertu dans les cœurs naissants et les prépare à recevoir la première impression de l'amour ; puis, lorsque la nature, partout exubérante, demande à se répandre en torrents de passion ; lorsque la fièvre ardente de la jeunesse domine toutes les facultés de l'organisme et les captive, elle apporte le parfum bienfaisant qui fait retrouver le bonheur à l'heure paisible du réveil.

Les romanciers du Céleste-Empire se sont plu à dépeindre la société chinoise sous ses faces les plus opposées. Les uns, cherchant leurs modèles dans les centres les plus infects de dépravation, ont obtenu parfois un immense succès de scandale, et leurs épopées de l'alcôve, condamnées par des décrets souverains, n'en ont pas moins eu, dans les membres de la famille impériale elle-même, d'ardents et zélés propagateurs. D'autres écrivains au contraire, moins portés à tout sacrifier aux bas instincts populaires, ont pensé que la mission du romancier était moins de peindre, dans sa désolante vérité, la nature prise en flagrant délit de faiblesse, que de représenter les hommes sinon tels qu'ils sont, du moins tels qu'ils devraient être.

La femme, ce puissant mobile de la civilisation, n'a pas été précisément envisagée de la même manière chez les Chinois et chez les nations de l'Europe chrétienne. En Chine, elle est à peu près exclusivement consacrée aux soins domestiques : à l'intérieur elle est tout, au dehors rien. Chez les familles aisées, elle demeure dans un véritable gynécée, où elle n'a pour toute société que ses parents et les servantes mises à son service. De loin en loin, il lui arrive d'être admise dans une petite fête de famille, mais encore doit-elle s'y maintenir dans une scrupuleuse réserve. Habituée dès sa plus tendre enfance à éviter le contact des hommes, elle laisse à son père et sa mère le soin de lui choisir un époux ; et, lorsque ceux-ci ont arrêté leur choix, elle sait qu'elle n'a rien de mieux à faire que de s'en trouver satisfaite. Convaincue de la supériorité de cet époux, quoiqu'il puisse être, elle se soumet d'autant plus aisément à toutes ses volontés que la vie n'est pour elle qu'une obéissance continuelle. Jeune fille, elle est soumise à ses parents ; épouse, à son mari ; veuve, à son fils aîné.

L'amour n'est souvent, chez la femme chinoise des classes aisées, qu'un amour de raison. Elle aime son époux, moins pour les charmes extérieurs de sa personne, que pour la supériorité de son esprit, pour ses talents, pour son érudition. Le titre de savant est pour un jeune homme la garantie d'un brillant mariage. Cet amour de raison fait aussi que la jalousie est moins fréquente en Chine que dans nos pays. Une épouse légitime, qui n'a point eu d'enfant à un certain âge, obéit avec calme à la coutume qui permet à son époux de faire venir une concubine sous le toit conjugal pour obtenir des héritiers. Quelquefois même c'est elle qui demande à son mari d'établir plusieurs lits dans la propre maison qu'elle habite. La loi, il faut le dire, conserve en tout temps et partout, à la première épouse, le caractère de femme légitime et lui donne le droit de commander aux concubines.

Ce titre d'épouse légitime est considéré comme éminemment honorable à la Chine, et rien ne semble de nature à y porter la moindre atteinte. La jeune fille l'achète au prix d'une soumission et d'un dévouement qui ne doit pas avoir de borne. Sa vie entière doit se passer à élever ses enfants, à les instruire, et avant tout à servir le père et la mère de son époux. Devenue veuve, elle peut se remarier, mais non sans attirer sur elle le mépris général.

Le conte, dont il est donné ci-après la traduction, montrera, par un court exemple, comment les Chinois entendent ce qu'ils appellent les devoirs de la piété conjugale et quel prix ils attachent au titre de légitime épouse. Ce petit conte appartient à un recueil populaire de Causes célèbres, dans lequel on a réuni les jugements vrais ou supposés d'un personnage qu'on peut considérer avec justesse comme le Salomon de la Chine.

Voyons donc comment, dans sa sagesse, le fameux juge Pao-koung parviendra à unir par les liens les plus indissolubles du mariage un amant à son amante morte pour sa chasteté ; et comment, sans toucher au texte sévère des anciens rites sur la morale, il s'y prendra pour assurer à la jeune fille défunte, et au jeune homme qui lui survit, la récompense due à l'honnêteté de leurs sentiments mutuels.


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L'épouse d'outre-tombe

Il y avait une fois, dans le district de Hiao-kan (département de Teh-ngan-fou), un bachelier de dix-huit ans, dont le nom de famille était Hiu et le prénom Hien-tchoung. La nature lui avait accordé des sourcils gracieux, des yeux brillants, un esprit vif et des manières distinguées.

En face de chez lui demeurait un boucher nommé Siao Fou-han, lequel avait une fille nommée Chouh-yu, âgée de dix-sept ans, et de la plus grande beauté. Elle passait tout son temps dans sa chambre à broder des fleurs.

Cette chambre donnait sur la route ; aussi voyait-elle constamment passer l'étudiant Hiu. Les yeux des deux jeunes gens se rencontrèrent, et bientôt il leur vint à tous deux des pensées d'amour.

Un jour qu'ils s'étaient longuement entretenus, l'étudiant Hiu séduisit, par ses paroles, la jeune fille, qui consentit à ses propositions. Aussi monta-t-il, cette nuit même, à l'aide d'une échelle, dans l'appartement de Chouh-yu, où il s'introduisit à la dérobée.

Ils se prirent alors mutuellement les mains, et entrèrent dans la chambre à coucher, où ils confondirent leurs sentiments et leurs pensées.

Quand le coq chanta, l'étudiant Hiu descendit de la chambre de la jeune fille et s'en retourna chez lui, après avoir promis de revenir la nuit suivante.

Chouh-yu lui dit alors :
— Pour pénétrer dans ma chambre, cette nuit, vous avez dû adosser une échelle contre ma fenêtre ; je craindrais, si vous usiez encore du même procédé, que l'on vînt à s'en apercevoir, ce qui perdrait ma réputation. J'ai donc préparé une sorte de poulie à laquelle j'enroulerai une pièce de toile blanche qui pendra dans la rue. La nuit prochaine, vous saisirez fortement cette pièce de toile, et moi, en la tirant du haut, je vous ferai monter. N'est-ce pas là une bonne idée ?

L'étudiant Hiu lui exprima sa satisfaction ; et, grâce à ce stratagème, il put continuer ses allées et venues pendant la moitié d'une année. Les voisins avaient bien fini par s'apercevoir de ce manège, mais le père de la jeune fille l'ignorait complètement.

Il arriva qu'une certaine nuit le bachelier Hiu avait été invité à boire par des amis. Au moment où ils se séparèrent, l'heure étant très avancée, le jeune homme ne se rendit pas au rendez-vous ordinaire.

Un moine bouddhiste, nommé Ming-sieou, qui mendiait ce soir-là, vit la toile blanche pendant de la chambre de la demoiselle Chouh-yu jusqu'à terre. Pensant que ce devait être une pièce de toile qu'on faisait sécher et qu'on n'avait pas encore retirée, il songea à la dérober.

Il posa donc sa crécelle à terre, s'avança silencieusement jusqu'à la pièce de toile et la saisit. Mais, tout à coup, il s'aperçut que, du haut de la chambre, il y avait une personne qui tirait et le faisait monter.

Notre bonze comprit aussitôt l'affaire ; et, persuadé que ce ne pouvait être qu'une femme qui avait fait pendre cette toile pour introduire son amant, il se laissa enlever.

Arrivé dans la chambre, il reconnut qu'il y avait, en effet, une jeune fille. Il en ressentit une grande joie, et dit :
— Moi, petit moine, je suis assurément uni par le sort avec mademoiselle ; j'espère donc qu'elle voudra bien m'accorder la faveur de passer la nuit avec moi. Le champ de mon bonheur me semblera immense comme l'Océan ; et, ce bienfait sera pour moi comme le Ciel.

La demoiselle Chouh-yu, en l'invectivant, lui répondit :
— Mon union est la belle union des phénix ; comment consentirais-je à m'avilir avec vous, tête chauve ? Je vais vous abandonner mon aiguille de tête, et vous allez vous dépêcher de descendre et de vous sauver.

Le bonze répondit :
— C'est vous qui, en me tirant, m'avez fait monter ; pour cette nuit, puisque je suis venu, je ne m'en irai pas.

Puis, il s'élança brusquement sur Chouh-yu, pour l'embrasser et la prier d'accéder à ses désirs.

La jeune fille, furieuse, cria alors, aussi haut qu'elle put :

— Au voleur ! au voleur !

Mais, par malheur, son père et sa mère étaient endormis, de sorte qu'ils n'entendirent point sa voix.

Le bonze, craignant toutefois que quelqu'un vînt à s'apercevoir de ce qui se passait, tira un couteau et tua la jeune fille. Puis, après s'être emparé de son aiguille de tête, de ses boucles d'oreilles et de son anneau, il descendit de la chambre et s'en alla.

Le lendemain, après le déjeuner, la mère de Chouh-yu, s'apercevant que sa fille n'était pas encore venue, s'en alla pour voir où elle était. Elle la trouva assassinée dans sa chambre, sans que rien indiquât quel avait pu être le coupable.

Les voisins, depuis longtemps scandalisés de ce qui se passait, dirent à Siao Fou-han que sa fille entretenait des relations continues avec l'étudiant Hiu Hien-tchoung depuis plus de six mois ; que, la nuit dernière, le jeune homme avait été boire chez des amis, et qu'il était évident que, dans l'ivresse, il avait tué sa maîtresse, sans savoir ce qu'il faisait.

Siao Fou-han, instruit de la sorte, en informa Pao-koung, juge éclairé comme les génies, et lui présenta l'acte d'accusation suivant :
« Je présente une accusation pour crime de viol et d'assassinat. Disciple du mal, Hiu Hien-tchoung, jeune homme au cœur pervers et séducteur pernicieux, semblable à une caille amoureuse, est accouru et frappé de la beauté de ma fille Chouh-yu, par cent stratagèmes, il a tenté de la déshonorer.
La nuit dernière, emporté par les vapeurs du vin, il a attaché un couteau à sa ceinture et est entré clandestinement dans la chambre à coucher de Chouh-yu.
Il l'a embrassée et a voulu la violer ; mais ma fille, qui est chaste, n'a pas voulu céder à ses désirs.
Voyant alors qu'il ne pouvait aboutir à ses fins, il a tiré son couteau et l'a tuée.
Il a pris ensuite son aiguille de tête et ses boucles d'oreilles, et s'est sauvé.
Les voisins peuvent attester, devant votre tribunal, la vérité de ce que j'avance.
Les pêchers et les abricotiers ont été foulés aux pieds et se sont changés en ronces et en châtaignes. La roue du char d'or a pénétré dans l'étang de boue. Le dragon et le serpent ont aussitôt pris la fuite et sont devenus baleine et crocodile. Les lois sont devenues semblables au duvet de l'oie, qui tourbillonne au gré du vent.
Prosterné au pied de votre tribunal, je viens demander justice. »

Or, en ce temps-là, Pao-koung était un magistrat qui s'était élevé au plus haut degré de la droiture, et avait acquis une perspicacité au delà de toute expression.

Ayant donc reçu la plainte de Siao Fou-han, il fit de suite assigner le principal accusé et les témoins.

Une fois que tout le monde fut arrivé, Pao-koung interrogea d'abord les voisins Siao-meï et Ou-fan.

Ils répondirent unanimement que la demoiselle Siao Chouh-yu couchait dans un pavillon qui donnait sur la route, et que, depuis plus de six mois, elle n'avait cessé d'avoir des intrigues avec l'étudiant Hiu Hien-tchoung, et de tromper son père et sa mère, qui n'en savaient rien. Le fait des relations illicites était ainsi avéré, mais non point l'accusation de viol.

Quant à ce qui touche l'assassinat, comme l'événement s'est passé durant l'obscurité de la nuit, il n'est personne qui puisse jeter la lumière sur ce crime. L'étudiant Hiu Hien-tchoung dit à son tour:
— Pour ce qui est des relations intimes que nous avons entretenues, non seulement je ne les cacherai pas, mais je les avouerai sincèrement. Si c'est là ce dont on m'accuse, je n'ai aucune objection à présenter. Mais pour ce qui est du meurtre, je déclare que je ne suis pas le coupable.

Le boucher Siao Fou-han répliqua :
— Il avoue les fautes légères, et nie les graves. C'est cependant un fait évident : dans la chambre de ma fille, lui seul a pénétré. Si ce n'est pas lui qui l'a tuée, qui ça peut-il être ? Admettez que ce ne soit pas pour la violer qu'il l'ait tuée, toujours est-il qu'il lui a enlevé la vie. Comment ma fille qui s'observait aurait-elle pu concevoir de l'amour pour un jeune homme aussi léger et aussi insensé ? Si Votre Excellence ne veut pas le soumettre à la question, espère-t-elle qu'il se décidera jamais à avouer la vérité ?

Le juge Pao-koung, voyant la figure noble et le naturel agréable de l'étudiant Hiu, pensa en lui-même que ce jeune homme n'avait rien qui ressemblât à la race des scélérats. Il lui adressa donc cette question :
— Pendant que vous aviez des relations avec la demoiselle Chouh-yu, n'y avait-il personne dans le bas, sur la route ?

L'étudiant Hiu répondit :
— Dans les premiers temps de nos relations, il n'y avait personne ; mais, ce mois-ci, il y vint un bonze, et, la nuit passée, ce bonze mendiait de ce côté-là, en faisant crier sa crécelle.

Pao-koung réfléchit un moment, puis, entrant dans une grande colère, il s'écria :
— C'est vous qui l'avez tuée, vous devez mourir. Acceptez-vous la sentence de bon gré, oui ou non ?

Hin Hien-tchoung, terrifié, répondit :
— De bon gré !

Alors le juge fit signe aux gendarmes de donner vingt coups à l'étudiant Hiu, et ensuite de l'enfermer jusqu'à la fin de l'instruction. Puis il manda secrètement deux agents de police, nommés Wang-tchoung et Li-i, et leur dit :
— Où reste habituellement le bonze qui demandait hier l'aumône ?

Wang-tchoung répondit :
— Il se tient ordinairement près du pont où l'on contemple la lune, et se repose devant la statue de la déesse Kouan-in.

Pao-koung leur fit alors cette recommandation :
— Rendez-vous tous deux secrètement dans cet endroit, et, si vous m'apportez des éclaircissements, je vous récompenserai.

Or il advint que, cette nuit même, le bonze Ming-sieou alla de nouveau mendier en faisant crier sa crécelle. Quand l'heure de la troisième veille fut arrivée, il s'en retourna au pont pour s'endormir.

Tout à coup il entendit sous le pont la voix de trois démons. Le premier disait :
— Montez !

Le second disait :
— Descendez !

Le troisième sanglotait d'une manière effrayante.

Le bonze s'assit en ce moment, pour invoquer la protection d'Amida Bouddha.

Alors un des démons, qui avait l'apparence d'une femme, se mit à répandre de nouveaux gémissements, en disant :
— Ming-sieou ! Ming-sieou ! tu es venu pour me séduire ; j'ai résisté, le nombre des années que j'avais à passer sur la terre n'était pas accompli, tu m'as tuée sans motif ;
Tu as ensuite volé mon aiguille de tête et mes boucles d'oreilles ;
Je t'ai dénoncé au roi des Enfers : il a ordonné à deux diables de m'accompagner et de venir prendre ta vie ;
Plutôt que d'invoquer Amida Bouddha, pour rendre la paix à ton âme, va chercher mes bijoux, renvoie-les-moi par un des deux diables, et je me désisterai de ma plainte. Si tu ne t'empresses d'agir de la sorte, je te dénoncerai une seconde fois à la cour céleste, qui ne manquera pas de te retirer la vie ; et alors tous les bouddhas du monde ne parviendront pas à te sauver. »

Le bonze Ming-sieou prit son chapelet, joignit les mains, et dit :
— Ma passion, à moi, vil bonze, était ardente comme le feu ; j'ai voulu me satisfaire sur toi, tu n'as pas consenti ; dans la crainte que quelqu'un vînt à se saisir de moi, dans un instant d'égarement, je t'ai tuée. J'ai toujours ton aiguille de tête, tes boucles d'oreilles, ton anneau et tes perles ; demain je les prendrai et j'achèterai des papiers votifs ; puis, je ferai des prières pour te faire passer à l'autre rive. Je t'en conjure, ne fais pas de rapport contre moi à la cour céleste.

L'ombre de la jeune fille pleura de nouveau, puis les deux diables recommencèrent à crier et redoublèrent leurs gémissements.

Le bonze se remit en prières en promettant, pour le lendemain, de faire passer la jeune fille sur l'autre rive.

Tout à coup les deux gendarmes se montrèrent avec des chaînes pour attacher le bonze Ming-sieou, qui pensa avec effroi que c'étaient les diables.

Le gendarme Wang-tchoung dit alors :
— Son Excellence le juge Pao nous a ordonné de nous saisir de toi ; nous ne sommes pas des diables.

Terrifié, le bonze demeura immobile comme un bloc de terre, et c'est tout au plus s'il put demander grâce au nom de Bouddha.

Le gendarme Wang-tchoung lui dit :
— Tu es un homme rusé ; mais Bouddha ne protège pas les hommes coupables de viol.

Puis il le chargea de chaînes et l'emmena, tandis que le second gendarme Li-i ramassait le sac du bonze, sa natte et autres objets.

Or donc, de grand matin, le juge Pao manda les deux gendarmes et la courtisane qui avait été louée pour jouer le rôle de fantôme sous le pont et y avait fait entendre ses plaintes ; puis il leur ordonna de raconter les faits.

Le jour suivant, ayant enchaîné Ming-sieou, il le fit venir en sa présence pour le confronter avec la courtisane. De point en point, elle raconta qu'étant au bas du pont elle avait joué le rôle du fantôme de la demoiselle Chouh-yu, et qu'elle avait fait avouer au bonze Ming-sieou qu'il avait voulu la violer, et que, n'y ayant pas consenti, il avait fini par la tuer. Telles étaient les circonstances de l'événement.

Le juge Pao ordonna alors qu'on prît de l'argent, pour en récompenser la courtisane, ainsi que les deux gendarmes.

Puis on fouilla dans la casaque trouée du bonze Ming-sieou, d'où l'on retira une aiguille de tête, des boucles d'oreilles et un anneau, que Siao Fou-han, père de la demoiselle Chouh-yu, reconnut pour avoir appartenu à sa fille.

Le bonze Ming-sieou n'essaya pas de nier les faits, et il avoua qu'il méritait la peine de mort.

Pao-koung, s'adressant alors à Hiu Hien-tchoung, lui dit :
— Il est maintenant évident que c'est ce scélérat tondu qui a assassiné la demoiselle Chouh-yu : il doit perdre la vie.
Quant à vous qui êtes bachelier, pour avoir entretenu des relations avec une jeune fille vierge, vous méritez d'être dépouillé de votre habit de lettré. Il reste encore une chose à régler. Vous n'avez pas épousé la demoiselle Chouh-yu, qui est morte sans être mariée. Bien que vous ayez eu tous deux un commerce clandestin, vous n'en avez pas moins été en quelque sorte comme mari et femme. Ensuite, cette jeune fille n'avait fait pendre la pièce de toile que pour vous, et c'est contrairement à sa volonté qu'elle a introduit ce bonze chez elle. Puisqu'elle est morte pour conserver sa chasteté et est demeurée sans tache, avez-vous à rougir de la prendre pour épouse? Si vous avez le désir de vous remarier, il faut que vous quittiez votre robe de lettré ; si, au contraire, vous voulez conserver votre grade, faites alors de la demoiselle Chouh-yu votre femme légitime ; rendez-lui les derniers devoirs, et offrez un sacrifice en son honneur ; mais, s'il en est ainsi, rappelez-vous que vous n'aurez pas le droit de prendre aucune autre femme légitime. Parlez, de ces deux voies, laquelle voulez-vous suivre ?

Hien-tchoung répondit :
— Je reconnais les sentiments purs et la chaste vertu de Chouh-yu. Moi seul, je l'ai entraînée, et voilà la cause de nos relations clandestines. De mon côté, je n'ai jamais eu d'autre commerce. Dès l'origine de nos rapports, elle m'a demandé la promesse de l'épouser ; je me suis engagé à le faire, dès que j'aurais obtenu le grade de licencié. Ma ferme volonté était d'accomplir notre union. Le sort a voulu que, contrairement à mon attente, il se soit rencontré ce bonze exécrable. Il est évident pour moi que Chouh-yu est morte pour la chasteté. Comment pourrais-je souffrir l'idée d'un nouveau mariage ? Aujourd'hui, je veux prendre soin de ses obsèques et la faire reconnaître publiquement pour ma femme légitime, afin de ne pas manquer à la mémoire de celle qui est morte pour la chasteté. Je le répète, je ne saurais songer à un nouveau mariage. Quant à ces vêtements de lettré, dans ma conscience, je n'ose rien décider à cet égard ; il dépendra de la décision de Votre Excellence que je les conserve ou non ; mais, dans tous les cas, je ne serai pas un ingrat.

Le juge Pao-koung dit avec joie :
— Ton cœur est conforme à la raison céleste ; je veux donc conserver ton grade.

Il adressa alors au préfet des études une lettre officielle, ainsi conçue :
« Considérant que le bachelier Hiu Hien-tchoung est jeune et non marié ; qu'il s'est approché de la demoiselle Siao Chouh-yu, jeune fille également non mariée ; que les deux jeunes gens, se convenant mutuellement, se sont unis, pendant une nuit paisible, à l'heure du berger, au clair de la lune ; qu'avec un seul cœur ils ont contracté un lien, et que, durant une demi-année, ils ont vécu ensemble clandestinement ; que, pendant ce temps, ils avaient noué les liens de leur félicité pour cent années ; qu'un matin a suffi pour tout changer, un bonze cruel et pervers, nommé Ming-sieou au cœur de singe et aux désirs de cheval, étant monté dans la chambre de la jeune fille, pour usurper le bonheur conjugal ; bonheur de chien ! convoitise de loup ! que ce bonze, sur le fumier, était sur le point de souiller le sceptre blanc (la pureté conjugale) ; qu'ayant conçu un tel projet, et n'ayant pu l'accomplir, il a tiré de sa manche un couteau d'acier et en a tué la jeune fille ; que, renfermant dans son âme son ressentiment, il l'a dépouillée de son aiguille de tête et de son anneau ; qu'ainsi mise à mort, la malheureuse Chouh-yu a été privée des parfums funèbres et des sacrifices ;
Considérant que, d'autre part, l'étudiant Hien-tchoung est décidé à rester fidèle à son épouse défunte, et qu'il ne veut plus se remarier.
Nous avons ordonné que le bonze Ming-sieou paye de la vie l'outrage qu'il a fait subir à une femme chaste ; que l'étudiant Hien-tchoung conserve son grade, comme récompense de sa résolution, digne d'un époux juste, et qu'il craigne d'usurper les droits auxquels il a renoncé.

Le préfet des études se conforma à ces instructions. Quelque temps après, Hiu Hien-tchoung obtint le grade de licencié. Le jeune étudiant vint alors remercier le juge Pao-koung, et lui dit :
— Sans Votre Excellence, je serais devenu un spectre de prison. Combien vous suis-je reconnaissant de la condition que vous m'avez accordée !

Pao-koung lui demanda :
— Eh bien, songez-vous maintenant à vous remarier ?

Hien-tchoung répondit :
— Dussé-je endurer la mort, je ne le ferais pas.

Pao-koung lui dit :
— Vous savez cependant que, des trois principales calamités qui existent, la plus grande est de n'avoir pas de descendants.

Le jeune étudiant dit à son tour :
— Je satisfais à la justice ; je ne puis pas accomplir, en même temps, les devoirs de la famille.

Pao-koung repartit :
— Mon sage ami, si vous vous faites aujourd'hui une réputation, votre épouse Chouh-yu, qui est une des Bienheureuses dans le Ciel, en éprouvera une joie sans bornes. Agissez comme si elle était encore en vie, et prenez maintenant une femme secondaire, tout en réservant le titre de femme légitime à votre épouse défunte. Quelle objection peut-il y avoir à cela ?

Hien-tchoung ayant refusé obstinément de consentir à cette proposition, Pao ordonna à un des condisciples du jeune étudiant de remplir pour lui l'office d'entremetteur, et de le forcer de prendre mademoiselle Ko pour femme de second rang.

Hiu Hien-tchoung, après avoir suivi les rites concernant l'établissement des femmes secondaires, consentit au mariage. Alors son condisciple dressa l'acte, mais en ayant soin de stipuler que mademoiselle Ko n'était pas considérée dans cette alliance comme l'égale de feu Siao Chouh-yu.

Ainsi se sont manifestées la chasteté d'une femme et la justice d'un époux, qui, tous deux, avaient marché dans la droite voie. Pao-koung a eu le mérite de laver l'injure faite à la jeune fille. Aussi les motifs de son arrêt sont-ils élevés comme les montagnes et profonds comme l'Océan.


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Introduction de Giuseppe Barone

La nouvelle dont nous donnons la traduction se trouve dans le deuxième volume du Lum t'u kom an (Sentences du tribunal du juge Pau). Nous avons eu entre les mains une seconde édition de cet ouvrage en 4 volumes, faite à Pékin dans la 15e année du règne de Kia-K'im (1796) par l'éditeur Kim-Kua. Je ne connais jusqu'ici aucune version du Lum t'u kom an.

Parmi les différents genres littéraires, les Chinois aiment spécialement la nouvelle et le roman ; ils les écrivent le plus souvent en vers ; le style en est très varié. Tout le monde, hommes de lettres comme gens du peuple, en apprend par cœur un assez grand nombre. Tous ceux qui ont voyagé en Chine se rappellent avec plaisir les nouvelles si variées, les récits si pleins de grâce qu'ils ont entendus dans les hôtels et autres lieux publics.

L'encyclopédie chinoise Yu lin, composée de nouvelles de ce genre, forme un recueil précieux dont le savant et regretté M. Julien, a tiré la matière de son ouvrage Les Avadanas, publié en 3 volumes en 1859. Il existe un autre recueil qui n'a pas moins de valeur : c'est le Kin Ku K'i Kuan, c'est-à-dire Recueil d'histoires merveilleuses et de nouvelles anciennes et modernes. Un grand nombre des nouvelles de cette collection ont été reproduites et traduites par Perny dans sa Grammaire chinoise, par Rémusat dans ses Contes chinois, par Thoms dans son Wam Kiau, par Julien et d'autres encore.

M. Davis publia en 1822 à Londres : Chinese novels translated from the originals to which are added proverbs and moral maxims, etc. Ce volume contient un très grand nombre de petites nouvelles et de farces.

C'est à cette passion des Chinois pour les nouvelles et les historiettes qu'est due la traduction faite à Canton en 1840 par un lettré indigène des fables d'Ésope. Perny vit en Chine deux éditions de cet ouvrage.

Les nouvelles chinoises sont de trois espèces : historiques, mythologiques et éthologiques, mais il y a peu de nouvelles qui puissent être rangées dans ce genre de composition que les Chinois appellent Z'ai z, — ou création d'esprit.

Il existe des nouvelles érotiques où l'amour est dépeint d'une manière tout à fait sensuelle ; les luttes et les obstacles vaincus par les amants pour parvenir au but désiré forment toute l'intrigue de la nouvelle, et l'auteur n'a d'autre idée que celle d'allécher ses lecteurs par des descriptions lascives. Un édit récent du Fils du Ciel défendit les romans et les nouvelles obscènes, et les bannit des bibliothèques publiques. Aujourd'hui les libraires chinois ne s'aviseraient pas facilement de publier des œuvres obscènes. Toutefois on rencontre encore beaucoup de romans et de nouvelles appartenant au genre que les Chinois appellent in (luxurieux).

Dans d'autres, l'amour prend une forme plus noble ; il n'est pas rare d'y rencontrer l'histoire d'une jeune fille flottant entre la vertu et le vice, la passion et le devoir. Les nouvelles éthologiques sont d'une plus grande importance. On y trouve, décrite avec détail, la vie privée des Chinois, leurs usages et règlements sociaux ; elles nous permettent, pour me servir de l'heureuse expression d'un excellent auteur, de connaître les Chinois par les Chinois eux-mêmes. Telle de ces nouvelles a la forme d'un véritable drame ; on y voit une exposition où l'auteur prépare l'esprit du lecteur, éveille sa curiosité et cherche à l'intéresser. Parfois on y trouve des scènes qui peuvent lutter avec celles des meilleurs drames et des meilleures comédies des littératures européennes ; telle situation pourrait soutenir la comparaison avec celles de l'inimitable Molière.

Les nouvelles en vers ont encore plus de mérite ; elles ont une grâce et une harmonie remplies de charmes pour ceux qui peuvent goûter la poésie chinoise dans le texte même.

Il est vrai cependant que certains auteurs la regardent comme dépourvue d'harmonie et de rythme, mais ce n'est pas ici le lieu de discuter cette question ; d'autres, et parmi eux, Julien, Perny, Jones, l'ont traitée à fond. L'Anglais Davis a écrit un long mémoire sur ce sujet dans le tome II des Royal Asiatic Transactions.

De plus, le grand poète Alexandre Pope, le traducteur anglais des chants homériques, trouvait de l'harmonie dans la poésie chinoise et se plaisait à l'imiter, en composant des strophes entières formées presque entièrement de monosyllabes.


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Le bâton du muet

On raconte que pendant que le juge Pau siégeait à son tribunal, un officier public, Lieu Heu, s'étant avancé, lui dit :
— Devant la porte se tient le muet Shi, ayant un gros bâton à la main ; — il l'apporte pour vous le présenter.

Le juge Pau commanda de le faire entrer, et l'interrogea lui-même.

(Celui-ci) ne put rien répondre ; les serviteurs du tribunal dirent aussitôt au juge Pau :
— Ce misérable, chaque fois qu'un nouveau magistrat prend possession de sa charge, est venu offrir ce bâton à chacun d'eux.
Chacun d'eux l'a vertement tancé et fait bâtonner.
Que Votre Excellence ne daigne pas l'interroger.

Le juge Pau, ayant entendu ces paroles, se mit à penser : Ce muet a certainement subi quelque injustice en quelque affaire. C'est pour cela qu'il subit cette peine ; c'est pour cela qu'il vient offrir ce bâton ; pourquoi vouloir autrement être bâtonné à plusieurs reprises et sans avoir commis de faute ?

Tout à coup il lui vint à l'esprit une ruse : il fit frotter le muet avec du sang de cochon depuis les épaules jusqu'au-dessus de la tête. De plus il le fit exposer sur la place publique avec une longue cangue. Il commanda à quelques agents secrets et à quelques soldats d'écouter si quelqu'un prononcerait le mot « injustice », et de le lui amener aussitôt.

Longtemps la foule afflua sur la place pour voir le muet sans rien dire.

Mais il y eut un vieillard qui dit en murmurant :
— Cet homme, après avoir été victime d'une injustice, reçoit en outre aujourd'hui un châtiment.

Les soldats, ayant entendu (ceci), introduisirent aussitôt le vieillard près du tribunal et le présentèrent au juge Pau.

Celui-ci l'interrogea avec soin en lui demandant la raison (de ses paroles). Le vieillard, répondit :
— Cet homme est le muet Shi, d'un village du Midi.
Son frère aîné, Shi Z'iuan, (possède) de très grandes richesses de famille. Cet homme est privé de la parole depuis son enfance par défaut organique.
Son frère aîné l'a chassé de chez lui ; le muet devait avoir sa part du patrimoine, et il n'a pas même eu un centime.
Chaque année il réclame auprès du magistrat, (et) il ne peut obtenir justice. Aujourd'hui il a de plus été châtié ; c'est pour cela que j'ai murmuré.

Le juge Pau ayant entendu les paroles du vieillard, manda aussitôt des agents citer Shi Z'iuan au tribunal. Il l'interrogea et lui dit :
— Ce muet est-il ton frère mineur ?

Shi Z'iuan lui répondit :
— C'est proprement l'homme qui garde les cochons de la famille. Depuis son enfance il habite une villa appartenant à ma famille ; mais il n'est pas un parent de mon propre sang.

Le juge Pau ayant entendu ses paroles, ouvrit aussitôt la cangue et laissa aller le muet.

Shi Z'iuan s'en retourna joyeux. Le juge Pau l'ayant vu partir rappela le muet, (et lui) dit (en l'instruisant) :
— Si tu rencontres ton frère aîné Shi Z'iuan, saisis-le, et bats-le sans crainte.

Le muet ne fit qu'incliner la tête et s'en alla.

Un jour hors la porte orientale voilà qu'il rencontre Shi Z'iuan arrivant (à lui). Le muet indigné (s'élançant) avec violence fit tomber Shi Z'iuan.

Le frappant bel et bien, il lui défigura le visage, lui cassa la tête et le réduisit à un état misérable.

Shi Z'iuan eut le pire (sort). Il ne put s'empêcher d'aller porter l'accusation près du juge Pau, et (lui) dit :
— Le muet n'a pas respecté la loi de la convenance ; il a battu son frère aîné.

Aussitôt le juge Pau (demandant) dit à Shi Z'iuan :
— Si le muet est vraiment ton frère naturel, le crime, sans doute, n'est pas petit et ne se pardonne pas facilement.
Si c'est un individu quelconque, il s'agira seulement de lui faire (donner) une bastonnade.

Shi Z'iuan dit :
— C'est en vérité mon frère consanguin.

Le juge Pau dit :
— Puisque ce muet est ton frère consanguin, pourquoi ne partages-tu pas avec lui les richesses de la famille ? Mais tu es un méchant, parce que toi seul tu t'es emparé du tout.

Shi Z'iuan n'eut rien à répondre.

Le juge Pau manda aussitôt ses gardes pour accompagner les deux frères (à leur demeure), et divisa, par moitié (pour chacun), le patrimoine, et le bien de la famille.

Tout le monde ayant appris ce qui était arrivé, se réjouit.


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