Romance de Mou-lan

Traduction de Stanislas Julien (1797-1873)

Poème d'auteur inconnu de la dynastie des Liang.
La Revue de Paris, 1832 (tome 37), pages 193-195.

Complété par la traduction de Sung Nien-Hsu (1902-19 ?), extrait de l'Anthologie de la littérature chinoise des origines à nos jours, pages 133-135. Librairie Delagrave, Paris, 1932.(disponible dans la Bibliothèque chineancienne, en format doc et pdf.)

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  • Note de la Revue de Paris : "Mou-lân est le nom d'une fille qui, voyant son père malade et hors d'état de répondre à la conscription, s'enrôla pour lui et servit, sans être reconnue, pendant douze ans. Cette romance, que quelques auteurs attribuent à Mou-lân elle-même, a été composée sous la dynastie des Liang, qui ont régné de 502 à 556. Elle est tirée du Supplément de l'Anthologie chinoise, en 8 volumes, intitulée Thang-chi, c'est-à-dire « Vers de la dynastie des Tang », sous laquelle fleurirent (de 618 à 904) les poètes les plus célèbres de la Chine."
  • Commentaire de Sung Nien-hsu : "Houa Mou-lin était, paraît-il, native de Jen-tch’eng (aujourd’hui Ts’i-ning, du Chan-tong) et vécut au VIe siècle. A cette époque là, un royaume des Sien-pi (d’origine mongole ?), le Peiwei (al. Heou-Wei), dominait les provinces actuelles : Ho-pei (Tche-li), Chan-tong, le nord du Kiang-sou, l’ouest du Liao-ning (Fong-t’ien), Chan-si, Kan-sou, le nord du Chen-si et du Ho-nan. Houa Mou-lin était, sinon une Mongole (?), du moins une Chinoise assimilée aux Sien-pi."


Traduction de Stanislas Julien


Traduction de Sung Nien-Hsu


Tsì-tsì puis encore tsì-tsì,
Mou-lân tisse devant sa porte.
On n'entend pas le bruit de la navette,
On entend seulement les soupirs de la jeune fille.

Jeune fille, à quoi songes-tu ?
Jeune fille, à quoi réfléchis-tu ?
— La jeune fille ne songe à rien
La jeune fille ne réfléchit à rien.

— Hier j'ai vu le livre d'enrôlement ;
L'empereur lève une armée nombreuse.
Le livre d'enrôlement a douze chapitres ;
Dans chaque chapitre j'ai vu le nom de mon père.
Ô mon père vous n'avez point de grand fils !
Ô Mou-lân, tu n'as point de frère aîné !
Je veux aller au marché pour acheter une selle et un cheval ;
Je veux, dès ce pas, aller servir pour mon père.

Au marché de l'orient elle achète un cheval rapide ;
Au marché de l'occident elle achète une selle et une housse ;
Au marché du midi elle achète une bride ;
Au marché du nord elle achète un long fouet.

Le matin elle dit adieu à son père et à sa mère,
Le soir elle passe la nuit sur les bords du fleuve Jaune.
Elle n'entend plus le père et la mère qui appellent leur fille ;
Elle entend seulement le sourd murmure des eaux du fleuve Jaune,
Le matin elle part et dit adieu au fleuve Jaune ;
Le soir elle arrive à la source de la rivière Noire.
Elle n'entend plus le père et la mère qui appellent leur fille ;
Elle entend seulement les sauvages cavaliers du Yen-chan.

— J'ai parcouru dix mille milles en combattant ;
J'ai franchi, avec la vitesse de l'oiseau, les montagnes et les défilés.
Le vent du nord apportait à mon oreille les sons de la clochette nocturne ;
La lune répandait sur mes vêtements de fer sa froide et morne clarté.

Le général est mort après cent combats.
Le brave guerrier revient après dix ans d'absence.
À son retour il va voir l'empereur.
L'empereur est assis sur son trône :
Tantôt il accorde une des douze dignités ;
Tantôt il distribue cent ou mille onces d'argent.
L'empereur me demande ce que je désire.
— Mou-lân ne veut ni charge ni emploi ;
Prêtez-lui un de ces chameaux qui font mille milles en un jour,
Pour qu'il ramène un enfant sous le toit paternel.

Dès que le père et la mère ont appris le retour de leur fille,
Ils sortent de la ville et vont au-devant d'elle.
Dès que les sœurs cadettes ont appris le retour de leur sœur aînée,
Elles quittent leur chambre, parées des plus riches atours.
Dès que le jeune frère apprend le retour de sa sœur,
Il court aiguiser un couteau pour tuer un mouton.
« Ma mère m'ouvre le pavillon de l'orient ;
Et me fait reposer sur un siège placé à l'occident,
Elle m'ôte mon costume guerrier,
Et me revêt de mes anciens habits.
Mes sœurs, arrêtées devant la porte,
Ajustent leur brillante coiffure,
Et, à l'aide du miroir, enlacent des fleurs d'or dans leurs cheveux. »


Mou-lân sort de sa chambre et va voir ses compagnons d'armes ;
Ses compagnons d'armes sont frappés de stupeur.
Pendant douze ans elle a marché dans leurs rangs,
Et ils ne se sont pas aperçus que Mou-lân fût une fille.
On reconnaît le lièvre parce qu'il trébuche en courant,
On reconnaît sa compagne à ses yeux effarés ;
Mais quand ils trottent côte à côte,
Qui pourrait distinguer leur sexe ?


« Tsi, tsi, »
— devant la porte, Mou lan tisse.
Soudain, le bruit de la navette s’interrompt,
on n’entend plus que les soupirs de la jeune fille.

On lui demande à qui elle pense,
de quoi elle se souvient.
« Je ne pense à personne,
je ne me souviens de rien.

Hier soir, j’ai lu la gazette militaire,
j’ai appris la grande mobilisation du Khan ;
dans les douze ordonnances,
le nom de mon père est partout mentionné.
Mon père n’a pas de fils en âge de partir,
et moi, je n’ai pas de frère aîné.
Je veux acheter un cheval et un harnais,
et, dès maintenant, je veux remplacer mon père pour aller combattre. »

Au marché de l’est, elle achète une excellente monture,
à celui de l’ouest, une selle ;
elle acquiert les museroles, mors et rênes à la foire du sud,
et à celle du nord, la longue cravache.

Le matin, elle quitte ses parents ;
le soir, elle s’arrête au bord du Fleuve Jaune ;
là, elle n’entend plus les appels de son père et de sa mère,
seuls les flots bruissent.
Le lendemain matin, elle repart,
au couchant du soleil, elle atteint le Mont noir ;
là aussi, la voix de ses parents ne peut parvenir ;
seuls les chevaux des Huns aux pieds du mont Yen hennissent mélancoliquement.

Pour rejoindre le quartier général, elle parcourt des milliers de li ;
les monts et les forts défilent comme s’ils volaient.
Dans l’air froid du nord résonne le bâtonnet métallique des veilleurs,
les rayons glacials se reflètent sur l’armure des soldats.

Le général succomba après cent combats ;
tandis que l’héroïne retourne, triomphante, après avoir passé dix ans dans les camps.
Dès son retour, elle alla au devant du souverain ;
celui-ci l’attendait dans la salle d’audience.
Pour récompenser ses exploits guerriers, on aurait dû élever de douze fois le grade de l’héroïne ;
pour la gratifier, cent, mille lingots ne seront pas suffisants.
Alors le Khan s’informe de son désir.
« Mou-lan ne veut pas être Chang-chou-lang ;
je souhaite que vous me prêtiez un chameau vigoureux
pour retourner dans mon pays natal. »

En apprenant l’arrivée de leur fille, les parents heureux, appuyés l’un contre l’autre,
l’attendent en dehors de la ville ;
à cette nouvelle,
sa sœur aînée se pare coquettement.
Le frère cadet aiguise les couteaux et tue le mouton et le porc,
pour fêter le retour de sa sœur.
« Je rouvre la porte de l’étage qui est au Levant,
je m’assieds sur le lit dans la chambre du Couchant,
je défais mon armure
et revêts mon ancienne robe. »
Devant la fenêtre,
elle arrange son chignon touffu comme le nuage ;
en face du miroir, elle ajuste la petite fleur artificielle et peint son front avec une couche légère de fard jaune.

Elle sort pour voir ses compagnons d’armes.
Ceux ci, étonnés, s’écrient :
« Durant douze ans, nous avons vécu ensemble,
mais nous avons toujours ignoré que Mou-lan était une fille ! »
Le lapin se clapit en frappant le sol,
la lapine jette des regards vagues ;
quand tous deux filent en rasant la terre,
qui peut distinguer le mâle de la femelle ?


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