Koue-Yü, Discours des royaumes

Couverture. Charles de HARLEZ (1832-1899) : KOUE-YÜ, Discours des royaumes, Journal asiatique 1893-1894.

Première partie, traduite et annotée par

Charles de Harlez (1832-1899)

Journal asiatique, 1893, t. 2, pp. 373-419, et 1894, t. 3, pp. 5-91.

  • Extraits de la préface : "Les Koue-Yü ou « Discours des royaumes, des États », sont, de l’aveu de tout le monde, un ouvrage historique d’une importance notable. Les renseignements historiques concernant l’époque, où régna la dynastie Tcheou sont très rares, ... et tout ce qui peut contribuer à les combler doit être accueilli avec faveur... Ce livre est bien et dûment authentique."
  • "Les Koue-Yü sont ainsi appelés parce qu’en réalité ils sont composés d’entretiens, de discours historiques distribués d’après les États chinois et autres, où se passèrent les événements qui en ont été l’occasion ou la cause. « Discours, entretiens des royaumes », c’est bien là, en effet, la matière qui le compose, les entretiens que les empereurs ou les princes ont eus avec leurs ministres, les discours que ces derniers ont adressés à leurs souverains, les remontrances qu’ils leur ont faites. On dirait même que l’auteur des Koue-Yü s’est attaché à ce dernier genre de discours."
  • Les Koue-Yü "sont divisés en 21 livres... Nous donnerons cette fois la traduction de la première partie, des trois premiers kiuen qui la composent et qui renferment les Tcheou-Yü ou « discours de l’État de Tcheou »."


Extraits : Kong-wang se promenait sur les bords du King - Siuen-wang ne fit point la cérémonie de l’inauguration du labourage
Les trois fleuves du Tsi-tcheou se soulevèrent - Un esprit descendit dans la région de Sin
L’État de Tcheng attaqua celui de Hwa

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Kong-wang se promenait sur les bords du King

Kong-wang se promenait sur les bords du King. Le duc Kien de Mi l’y suivit. Il avait trois filles que le roi eut pu prendre comme épouses secondaires. Sa mère lui dit :

— (Prenez garde). Vous devriez les présenter au roi. Trois brebis forment un troupeau ; trois hommes forment une pluralité. Trois filles forment un beau trio. Le roi à la chasse ne prend pas un troupeau. Un prince doit agir de manière à satisfaire le grand nombre. L’entourage du roi ne doit pas réunir trois membres d’une même famille. Un trio de belles femmes est chose délectable ; beaucoup, pour le posséder, ont répudié leurs épouses. Que de vertus pour résister à cette tentation ! Un roi ne supporterait de céder en ce point à un être inférieur comme vous... Le faible qui s’expose à un risque extrême y périt.

Persuadé, par sa mère, le prince de Mi n’alla point rendre hommage au roi, n’offrit point ses filles et l’année suivante Kong-wang (irrité) anéantit sa principauté.

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Siuen-wang ne fit point la cérémonie de l’inauguration du labourage

Siuen-wang, étant monté sur le trône, ne fit point la cérémonie de l’inauguration du labourage. Wen kong de Kih lui fit des représentations à ce sujet et lui dit :

— Cela ne se peut. L’occupation, l’affaire principale du peuple consiste dans l’agriculture. Les grains de Shang-ti croissent et se parfont par elle. Tout ce qui croît pour le peuple naît de là. En elle se trouve tout ce qui est nécessaire en toute chose. L’harmonie, l’union dans la possession, l’amitié, en sont les produits. Elle est le principe des richesses, de la fertilité, de l’abondance. La générosité, l’élévation des sentiments, la droiture, la fermeté, en reçoivent leur achèvement.

C’est pourquoi la direction de l’agriculture est la plus haute des fonctions.

Jadis le grand historiographe, au moment propice, allait inspecter la terre quand le Yang resserré (par l’hiver) s’élargissait et se remplissait, et que l’élément terrestre commençait à se mouvoir et à se soulever, à produire au dehors. Au premier jour du printemps, quand le soleil et la lune sont arrivés à l’aire de l’astre Ying-shih, la terre alors pousse les jets des plantes et fait croître les racines. Neuf jours avant l’arrivée du printemps, le grand historiographe annonce ces circonstances au ministre de l’agriculture en lui disant :

— Dès aujourd’hui jusqu’à la nouvelle lune prochaine, l’élément du Yang se ramasse, se concentre et s’élève ; l’humidité terrestre commence son action. Si ces opérations des éléments ne se produisent pas, les grains sont en souffrance et la fertilité ne se produit point.

Alors le ministre de l’Agriculture avertit l’empereur par ces mots :

— Le grand historiographe, à la tête des officiers du printemps, a intimé cet ordre à mes fonctionnaires (présidents à l’agriculture). Depuis neuf jours, la terre a concentré ses forces et son action. Que Sa Majesté, pour écarter toute calamité, vienne avec respect et un cœur purifié inspecter les travaux de l’agriculture, que l’on fasse sans changer, manquer en rien.

A cette nouvelle, le souverain envoie le Sse-tou avertir les kongs, les ministres, tous les fonctionnaires et tout le peuple (attachés aux travaux des champs impériaux). Le Sse-kong dispose l’autel de la terre sur le champ à labourer, et ordonne aux préposés à l’agriculture de préparer tous les instruments de la cérémonie.

Cinq jours avant celle ci, le chef de la musique impériale, annonce que tous les sons et souffles des vents sont harmonisés.

L’empereur alors va dans les appartements spéciaux se préparer pendant trois jours ; tous les fonctionnaires qui figurent dans la solennité en font autant.

L’empereur se lave les mains, la tête et tout le corps, et ne boit que du vin nouveau.

Le jour venu, les Yu-jin préparent les plantes aromatiques et les Hi-jin, les liqueurs nouvelles. L’empereur répand le jus aromatique et boit de la liqueur. Après quoi les fonctionnaires et le peuple assistants se rendent au lieu du labourage sous la direction du Heou-tsi (ministre de l’Agriculture). Les Shen-fou et les préposés des champs règlent les rites de la cérémonie du labourage. Le grand historiographe dirige l’empereur qui le suit, dans une attitude grave et respectueuse. L’empereur laboure un sillon. Ses suivants en tracent un nombre qui va en se triplant chaque fois. Les gens attachés aux champs achèvent le labourage des 1.000 acres.

Le ministre de l’Agriculture apprécie le mérite de leur travail que le grand historiographe surveille. Le Sse-tou juge la conduite du peuple que le Tai-chi surveille. Après quoi le Tsai-fou fait servir le repas qu’inspecte le Shen-tsai. Les Shen-fou assistent l’empereur qui mange le bœuf immolé. Les kongs, ministres et ta-fous en prennent après lui. Le peuple mange tout ce qui reste.

Le même jour, le directeur de la musique conduit les chefs musiciens harmoniser les vents pour favoriser la terre.

On construit un magasin au sud est du champ où l’empereur a labouré pour y conserver la récolte et la distribuer en son temps pour la culture. Ensuite de quoi le ministre de l’Agriculture avertit le peuple de soigner les champs, d’une application uniforme, et leur dit :

— Le Yin et le Yang se partagent et se répandent ; le tonnerre ébranlé fait sortir la terre et les insectes de leur torpeur. Si la terre n’est pas convenablement travaillée et soignée, le Sse-keou (ministre de la Justice criminelle) punira les négligents.

Après quoi il donne l’ordre suivant à ses subordonnés :

— Voici l’ordre des hauts directeurs de l’agriculture : le She-nong d’abord, puis le Nong-tcheng, puis le Heou-tsi, puis le Sse-kong.

« Le cinquième est le Sse-tou ; le sixième, le Tai-pao ; le septième, le Tai-she ; le huitième, le grand historiographe ; le neuvième, le Tsong-pe.

« Le souverain régit au dessus de tous dirige la cérémonie qui se fait conformément aux règles de la culture des champs.

« Le peuple labourant le champ impérial, doit le faire avec soin, attention et respect, sans se relâcher. Ainsi les richesses ne s’épuisent pas ; le peuple vit en harmonie. Le service du prince est alors tout entier en ce labeur ; on doit s’y livrer sans recherche du profit qui nuirait aux avantages que procure une culture heureuse.

« Trois saisons doivent être consacrées à la culture ; une seulement aux armes. Alors, si l’on châtie, on impose la crainte et le respect ; si l’on protège ses biens, on a de grandes ressources. De cette façon, on peut réjouir les esprits, être bien vu des êtres célestes et aimé du peuple.

« Cela étant, les offrandes, les prières, atteignent leur fin et procurent l’abondance, l’aisance.

« Aujourd’hui Votre Majesté veut réformer les usages des anciens rois et perdre leurs immenses mérites. Elle veut mécontenter les esprits et diminuer les offrandes en appauvrissant le peuple. Comment peut elle espérer la prospérité ?

Le roi n’écouta pas ces remontrances. La vingt-neuvième année de son règne, il livra bataille sur les terres impériales ; son armée fut défaite par les Jongs de l’ouest et ses terres furent ravagées par les vainqueurs.

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Les trois fleuves du Tsi-tcheou se soulevèrent

La deuxième année du règne de Yeou-wang, les trois fleuves du Tsi-tcheou se soulevèrent et leurs eaux furent jetées hors de leur lit.

Apprenant ce fait, Pe Yang fou, grand officier de Tcheou, dit :

— Tcheou périra bientôt. Les éléments actifs du ciel et de la terre ne doivent point troubler leurs rapports d’ordre ; s’ils les intervertissent, le peuple sera dans le trouble. Quand le Yang se baisse, il ne sait plus sortir des éléments où il est entré. Quand le Yin lui résiste et presse contre le Yang, il ne sait plus s’élever. C’est quand ces circonstances se produisent qu’il y a un tremblement de terre.

« Voilà que le lit des trois fleuves tremble, c’est que le Yang est sorti de sa place naturelle et écrase le Yin dans lequel il s’est introduit. La source des fleuves est obstruée, et quand cela arrive, l’État périt. Quand l’eau imbibe la terre, le peuple jouit de leurs fruits ; quand elles ne se pénètrent pas, le peuple manque des ressources nécessaires.

« Comment espérer ne point périr ?

« Quand jadis le Lo s’épuisa, la dynastie Hia prit fin ; quand le Ho perdit ses eaux, celle des Shangs périt. Aujourd’hui la vertu, la puissance de Tcheou est tombée au rang de celles des derniers souverains des deux premières dynasties. Les sources de ses fleuves sont obstruées ; ils s’épuiseront. L’État est comme ses montagnes, et ses fleuves. Les montagnes s’écroulent, les fleuves se tarissent, c’est le signe certain de la décadence. Les fleuves s’épuisent déjà, les montagnes tomberont ; la ruine de l’État ne tardera pas de plus que onze ans. Ce que le ciel rejette ne dépasse pas ce terme. »

Il en fut comme disait Tchong-Yang-fou. Les trois fleuves se desséchèrent, le mont Khi s’écroula et la onzième année après ce discours, Yeou-wang fut assassiné, la puissance du roi de Tchou se transporta à l’est.

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La quinzième année de Hoei-wang, un esprit descendit dans la région de Sin

La quinzième année de Hoei-wang, un esprit descendit dans la région de Sin. Le souverain fit venir le Nei-sze Kuo et lui dit :

— Quelle est la cause de cette apparition ?

Kuo répondit :

— La voici. Quand un État doit s’élever, son prince est juste, éclairé, droit, bienveillant, conciliant. Sa vertu suffit pour faire briller son renom. Sa bienveillance suffit pour tenir son peuple bien uni. Les esprits favorisent les hommes et le peuple les écoute ; le peuple et les esprits sont sans ressentiment et les esprits descendent pour voir les vertus de ce gouvernement et distribuer équitablement la prospérité.

« Mais quand un royaume doit périr, son prince est cupide, pervers, corrompu, négligent, ami de l’oisiveté, dur, cruel ; son gouvernement est corrompu, sa réputation ne s’élève point, ses jugements sont basés sur le mensonge, la fourberie. Le peuple est infidèle, prêt à l’abandonner. Les esprits regardent ce prince comme coupable et le cœur du peuple s’éloigne de lui. Le peuple et les esprits fuient ses États. Contemplant son oppression et ses actes coupables, ils lui envoient des calamités d’où il arrive que l’on voit des esprits pour l’exaltation d’un roi ou pour sa perte.

« Quand les Hia s’élevèrent, le génie du feu descendit sur le Tsong-shan. Quand ils dépérirent, le même esprit se manifesta à Kin-sui pour l’attester. Quand les Shangs s’élevèrent, le Thao-ki vint séjourner au mont Pi-shan. À leur chute, l’I-yang vint se tenir dans la campagne. À l’élévation des Tcheous, les phénix chantèrent sur le Pi-shan. Quand leur décadence commença, Tu-pe frappa le monarque d’une flèche à Li. Tout cela est attesté dans les Mémoires sur les esprits.

— Mais, dit l’empereur, quel est cet esprit ?

— Jadis Tchao-wang épousa une princesse de la maison de Fong. D’une vertu brillante, elle s’unit et se livra à Tan-tchu et enfanta Mu-wang. C’est lui qui illumina les descendants de la race des Tcheous et leur donna le malheur ou le bonheur. Son esprit, constant en ses sentiments, ne s’est jamais éloigné d’eux, n’a jamais transféré à d’autres son affection. N’est-ce donc point l’esprit de Tan-tchu qui se montre aujourd’hui ?

— Qui l’a reçu maintenant ?

— Il réside en la terre de Khwo.

— Et pourquoi ?

— Votre serviteur l’a entendu dire : Quand la justice règne, l’apparition d’un esprit annonce le bonheur. Si c’est la corruption c’est le signe des malheurs. Ce pays de Khwo est un petit désert ; il n’y a pas lieu qu’il périsse.

— Que dois-je faire en ces circonstances ?

— Donnez ordre au Ta-tsai que le Grand Prieur et le Grand Annaliste conduisent les descendants de Tan-tchu porter des offrandes à leur ancêtre, mais sans prière.

— Comment est ce pays de Khwo ?

— Jadis Yao visitait ses peuples tous les cinq ans. Maintenant son descendant vient voir ce qui se passe. Cet esprit, en se montrant maintenant, n’a pas manqué à sa fonction et passé les cinq ans.

En conséquence de ce discours, l’empereur envoya le Ta-tsai conduire la famille de Tan-tchu avec le prieur et l’historiographe présenter les offrandes ; Kuo les accompagna jusqu’à Khwo.

Le prince de ce pays donna ordre au prieur et à l’historiographe de Khwo de prier la terre.

Revenu près de l’empereur, Kuo lui dit aussitôt :

— Khwo périra certainement ; il cherche, il demande la prospérité et ne sacrifie point aux esprits, ils lui enverront des calamités. Il use des ressources du peuple et ne lui témoigne pas de bienveillance ; le peuple le rejettera.

« Pour sacrifier convenablement, il faut offrir d’une intention pieuse ; pour aimer le peuple, il faut le chérir, le protéger sans exception. Au lieu de cela, le prince de Khwo irrite, oppresse son peuple, excitant ainsi les oppositions. Il s’aliène le peuple et irrite les esprits ; malgré cela, il espère et demande des faveurs : Cela est-il possible ? (Kuo n’avait que trop raison).

La dix neuvième année de Hoei-wang, le prince de Tsin s’empara de l’État de Khwo et mit fin à son existence indépendante.

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La treizième année du règne de l’empereur Siang, l’État de Tcheng attaqua celui de Hwa

La treizième année du règne de l’empereur Siang, l’État de Tcheng attaqua celui de Hwa. Le souverain envoya un grand de sa cour, nommé Yu-sun-pe, intercéder pour l’État menacé ; mais les officiers de Tcheng l’arrêtèrent et le firent prisonnier. Irrité de cette audace, Siang voulait recourir aux Barbares du Nord pour châtier les coupables ; mais son conseiller Fu-tchin lui fit les représentations suivantes :

— Ne faites point cela, ce serait mal agir. Les anciens avaient ce proverbe : Les frères, lors même qu’ils se querellent et s’injurient, repoussent bien loin les autres (qui voudraient prendre leur parti dans leur querelle). Et le chant de Wen-kong de Tcheou porte : Les querelles des frères s’arrêtent aux murs ; leurs animosités, leurs querelles, ne vont pas au dehors. Elles ne détruisent pas l’amitié.

« Tcheng est un frère pour le Fils du Ciel. Les princes Wu et Tchuang de Tcheng ont rendu de grands services aux princes Ping et Huan de Tcheou. L’empereur Ping s’appuyait sur Tsin et Tcheng quand il transporta sa capitale. C’est encore ce dernier État qui a apaisé, arrêté les troubles causés par Sze-Tui. Le rejeter maintenant pour un petit différend, c’est détruire une grande vertu pour un petit ressentiment.

« Les colères entre frères ne doivent pas se manifester aux autres hommes. Si on le fait, le profit en sera pour les étrangers. Rétribuer le dévouement par des actes de colère, c’est manquer aux devoirs du cœur. La justice engendre le succès, la prospérité vient du culte des esprits, etc.

Mais le roi n’écouta pas ces objurgations. La dix-septième année de son règne, il fit venir une armée de Ti pour attaquer l’État de Tcheng, et, pour gagner les Barbares, il voulait prendre une de leurs princesses pour reine. Fu-tchin chercha encore à l’éloigner de ce projet :

— Le mariage, dit-il, peut être une source de bonheur ou de malheur. S’il procure quelque avantage au pays, il sera heureux ; s’il n’avantage que l’étranger, il sera une source de calamités. Celui-ci ne profitera qu’au dehors ; ne fera t il donc pas descendre sur nous des malheurs mérités ? C’est par Ta-jin, (mère de Wen-wang) que la dynastie de Tchi est arrivée au pouvoir. C’est par Ta-tsze que les États de Ki et de Tsang furent constitués. Tsi, Heou, Shin, Liu et Tchin durent également leur existence à des alliances royales, qui toutes furent avantageuses pour le peuple qui les vit contracter.

« D’autres États, tel que celui de Ma, ont péri à la suite de mariages parce que toutes ces unions avantageaient l’étranger et rompaient les affections.

Le roi reprit :

— Comment entendez vous cet avantage de l’intérieur ou de l’extérieur ?

Fu-tchin répondit :

— Quand on honore les hommes supérieurs, qu’on exalte les sages, qu’on emploie les gens d’un vrai mérite, qu’on respecte la vieillesse, qu’on aime ses parents, qu’on traite les hôtes selon les rites et ses fidèles avec affection, alors le peuple maintient son cœur soumis et dévoué, emploie toutes ses forces au service du souverain : tout est ainsi dans un ordre parfait : Les magistrats sont fidèles, les ressources ne s’épuisent point, tout réussit, tout atteint son but. Les Pak-sings et le peuple agissent avec justice et droiture.

« C’est ainsi que l’épouse royale apporte de l’avantage et le fait remonter aux chefs des peuples. Voilà l’avantage pour l’intérieur, le pays.

« Mais si les vertus sont négligées, le peuple a le cœur partagé, sa fidélité est douteuse ; chacun cherche uniquement son propre avantage, résiste aux supérieurs et s’efforce d’atteindre ce qui lui est impossible ; alors l’avantage est pour l’étranger.

« Les Ti n’ont point de place au palais de l’empereur, le prince de Tcheng y est au midi. L’abaisser, c’est, pour le souverain, ne point honorer les conditions supérieures.

« Les Ti ont le caractère des loups et des léopards ; Tcheng n’a jamais manqué aux lois des Tcheou ; l’amoindrir, ce n’est pas exalter les sages ; l’abattre, c’est ne point reconnaître le zèle. Le prince de Tcheng est déjà avancé en âge ; l’affaiblir, ce n’est point respecter la vieillesse.

« Les Ti sont de la famille (barbare) Wei. La dynastie de Tcheng est issue de Siuen-wang ; si l’empereur le traite avec rigueur, il montrera qu’il n’aime pas ses parents ; s’il répudie la souveraine pour épouser une fille des Jongs, il violera les rites et rejettera les amitiés consacrées par l’âge.

« Si Votre Majesté rejette les sept Vertus, son serviteur lui dira que l’avantage en sera pour l’étranger. Le Shu dit : Quand on sait se dominer soi-même, on sait parvenir à ses fins.

Ces observations prolongées encore restèrent sans effet. Siang-wang ne voulut rien écouter. La dix-huitième année de son règne, ce prince répudia son épouse de la race des Ti. Ce peuple fit aussitôt une invasion sur le territoire de Tcheou et tua un gouverneur du nom de T’an-Pe. Apprenant ce fait, Fu-tchin dit à l’empereur :

— Je l’avais dit à Votre Majesté, mais Elle ne m’a point écouté. De là sont nées ces difficultés.

Les Ti voulaient en outre renverser l’empereur régnant, comme on va le voir. Hoei-heou, l’épouse Ti de Siang-wang, avait voulu mettre sur le trône son fils Tze Yu. C’est pourquoi elle avait eu recours à sa famille, et, par celle ci, excité les Ti à envahir le territoire de Tcheou : Siang dut s’enfuir et se réfugier à Tcheng.

Le prince de Tsin vint à son secours et l’établit à Fan.

L’empereur voulut récompenser son zèle en lui offrant des terres. Le prince les refusa, mais demanda le privilège du Soui. Mais Hoei-wang ne put y consentir.

— Nos anciens rois, dit-il, qui ont possédé l’empire, ont fixé l’étendue de leur territoire à mille lis en carré, pour y recueillir ce qui est nécessaire au culte de Shang-Ti, des Monts et Fleuves, de tous les Esprits, subvenir aux besoins des fonctionnaires et du peuple, pour prévenir tous les maux de l’imprévu, du déréglé. Le reste du territoire devait être partagé équitablement et proportionnellement entre les kongs, les heous, les pe et les nan, pour assurer à chacun le nécessaire et la demeure fixe, suivant en tout la nature du ciel et de la terre, de manière à éviter les calamités, tous les dommages. Ils ne se sont point préoccupés de leur propre avantage. Les épouses secondaires, fonctionnaires de l’intérieur, ne dépassent pas le nombre de neuf. Les fonctionnaires extérieurs ne dépassent pas les neuf degrés. Ils suffisaient pour préparer ce qui était nécessaire aux sacrifices en l’honneur des Esprits. On n’aurait point osé suivre, satisfaire, les désirs contraires des oreilles, des yeux et des cœurs, et troubler ainsi les règles établies.

« Les lois des tombeaux forment le bel ordre de toutes les choses de la vie et de la mort… Comment le souverain pourrait-il les altérer ?

« Maintenant le ciel accable la maison de Tcheou des plus grandes calamités. Moi, l’homme unique, je suis en peine de pouvoir garder mes biens. Je ne puis flatter Votre Seigneurie, l’exciter en ma faveur, en la faisant participer aux privilèges des rois, lui accordant ce que réclame sa volonté privée. Votre Seigneurie ne doit pas m’en vouloir pour cela, car elle n’est pas le Fils du Ciel. Comment celui-ci oserait-il la traiter si favorablement ?

« Les anciens disaient : Quand on change ses pendants de ceinture, on change son allure.

« Votre Seigneurie croit pouvoir déployer une grande puissance, changer son nom de famille, changer la nature des choses pour donner de nouvelles lois au monde et se donner de l’éclat, régir tout, disposer des choses et tenir tous les officiers de l’empire sous sa subjection. Alors moi, l’unique souverain, je m’enfuirai dans les déserts.

« Pourquoi avez-vous refusé les terres que je vous offrais ; voudriez-vous être la dynastie impériale ? Voulez-vous prendre la place du suzerain et vous mettre au-dessus des kongs et des heous ? Malgré tout, le règlement des sépultures ne peut être changé. Si Votre Seigneurie élève sa puissance au point de dominer le monde, alors cela se fera de soi. Mais moi, comment pourrais-je changer les lois, le bel ordre établi et couvrir le monde de confusion ? Qu’en serait-il, en effet, des rapports de l’empereur avec les officiers de l’empire ? Comment gouverner et faire exécuter les ordres souverains ?

« S’il n’en est point comme je vous le dis, Votre Seigneurie a des terres de l’empire, qu’il s’adjuge le privilège du Soui ; comment pourrais-je le prévenir et l’empêcher ?

Ayant entendu ces paroles, Wen-kong n’osa point insister, accepta les terres offertes et retourna à sa cour.

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