Pien-i-tien, livre 130

DOCUMENTS HISTORIQUES SUR LES TOU-KIOUE (TURCS)

traduits du chinois par Stanislas JULIEN (1797-1873)

  • Notice historique sur les Tou-kioue : "Les Tou-kioue sont une race particulière des Hiong-nou, dont le nom était A-sse-na. Ils formèrent une horde à part, mais dans la suite ils furent battus par un roi voisin qui extermina toute leur famille, à l’exception d’un jeune garçon âgé de dix ans. Les soldats, voyant sa jeunesse, n’eurent peint le courage de le tuer. Ils lui coupèrent les pieds et le jetèrent au milieu des herbes d’un marais. Il y eut une louve qui le nourrit de viande. Quand il fut devenu grand, il s’unit avec la louve qui devint aussitôt pleine. Ce roi, ayant appris que l’enfant vivait encore, envoya de nouveau des hommes pour le tuer. Ceux-ci, voyant une louve à ses côtés, voulurent la tuer avec lui. La louve s’enfuit aussitôt sur une montagne située au nord du royaume de Kao-tchang (pays des Oïgours). Dans cette montagne, il y avait une profonde caverne, et p.327 dans la caverne une plaine unie, couverte d’herbes touffues, qui avait plusieurs centaines de li de tour (sic), et où de hautes montagnes s’élevaient de tous côtés. La louve, s’étant réfugiée dans cette caverne, mit au monde dix garçons. Ceux-ci, parvenus à l’âge mûr, prirent au dehors des femmes qui devinrent bientôt mères. Dans la suite, chacun d’eux prit un nom de famille ; A-sse-na était l’un d’eux. Leurs fils et leurs neveux se multiplièrent, et peu à peu ils formèrent des centaines de familles. Après plusieurs générations, ils sortirent de la caverne et furent soumis par les Jou-jou. Ils s’établirent au sud des monts Kin-chan (monts Altaï), où ils fabriquaient des instruments de fer pour les Jou-jou. Un des monts Kin-chan (Altaï) a la forme d’un casque ; et comme dans leur langue un casque se dit tou-kioue, ils ont tiré de là le nom de leur nation."
  • "Suivant un auteur, le fondateur de la nation des Tou-kioue était originaire du royaume de So, qui était situé au nord du pays des Hiong-nou. Le chef de cette horde s’appelait A-pang-pou. Il avait dix-sept frères, dont l’un s’appelait I-tchi-ni-sse-tou ; il était né de la louve. Comme A-pang-pou et ses frères étaient d’un naturel stupide, leur royaume fut promptement détruit. I-tchi-ni-sse-tou, qui était doué de facultés surnaturelles, pouvait faire venir le vent et la pluie. Il épousa deux femmes qu’on disait filles du génie de l’été et du génie de l’hiver. L’une mit au monde quatre garçons, dont l’un se changea en cygne ; le deuxième établit son royaume entre les rivières A-pou-chouï et Kien-choui ; on l’appelait Ki-ko. Le troisième établit son royaume sur les bords de la rivière Tchou-tche ; le quatrième se fixa sur le mont Tsien-sse-tchou-tche-chi ; c’était l’aîné des quatre fils. Sur cette montagne, vivait une horde de la même race qu’A-pang-pou, et qui souffrait beaucoup de la froideur de la rosée. Le frère aîné produisit du feu, réchauffa les habitants et les nourrit, de sorte qu’ils purent conserver la vie. Aussitôt ils se soumirent à leur frère aîné, le choisirent pour chef, et le surnommèrent Tou-kioue, c’était No-tou-lou-che. Il eut dix femmes, et tous les fils qu’elles eurent tirèrent leur nom de famille de celui de leur mère. A-sse-na était le fils d’une de ses concubines. Après la mort de No-tou-lou-che, les fils des dix mères voulurent choisir l’un d’entre eux pour leur chef. Ils se rendirent tous au pied d’un grand arbre, et firent ensemble la convention suivante : Celui qui sautera le plus haut vers l’arbre deviendra notre chef. Le fils d’A-sse-na, qui était jeune, ayant sauté plus haut que les autres, tous les fils le choisirent pour chef et le surnommèrent A-hien-che. Quoique ce récit s’écarte de la tradition, ce fils descendait aussi de la louve. Son successeur fut appelé Tou-men. Peu à peu, sa horde devint nombreuse ; et alors elle commença à se rendre aux frontières de la Chine pour vendre de la soie et entrer en relations avec le royaume du Milieu."

Extraits : Les mœurs des Tou-kioue - Alliances - Cavaliers et archers - La chute
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Les mœurs des Tou-kioue

La onzième année Ta-thong (545), l’empereur Thaï-tsou leur envoya un ambassadeur nommé Hou-ngan-nou-pan-thou, qui était originaire du pays de Thsieou-thsiouen. Tous les habitants du royaume se félicitèrent entre eux :

— Aujourd’hui, dirent-ils, un ambassadeur d’un grand royaume vient d’arriver chez nous ; notre royaume va devenir florissant.

Dans la douzième année de la période Ta-thong (546), les Tou-kioue offrirent des produits de leur pays.

À cette époque, les Thie-le étant sur le point d’attaquer les Jou-jou, Tou-men se mit à la tête de ses soldats, les attaqua, les battit et soumit leurs troupes qui se composaient de cinquante mille hommes. Le reste des Thie-le, comptant sur leur force et leur grand nombre, cherchèrent à former des alliances de mariage avec les Joujou. Mais A-na-kouei, chef des Jou-jou, entra dans une grande colère, et il chargea un officier d’aller les injurier en ces termes :

— Vous êtes de vils esclaves que nous employons à forger le fer ; comment avez-vous osé nous faire une telle demande ?

Tou-men entra aussi en colère et tua l’envoyé d’A-na-kouei. Sur-le-champ il rompit avec eux (avec les Jou-jou) et chercha à contracter avec nous une alliance de mariage. L’empereur Thaï-tsou y consentit.

La dix-septième année de la période Ta-thong (551), l’empereur des Weï maria la princesse Tchang-lo, qui était de sa famille, avec le chef des Tou-kioue. Cette année-là, mourut l’empereur Wen-ti, de la dynastie des Weï. Tou-men envoya des ambassadeurs pour offrir à sa famille des compliments de condoléance, et lui fit présent de deux cents chevaux.

La première année du règne de l’empereur Feï-ti, Tou-men, chef des Tou-kioue, mourut ; il eut pour successeur son fils Kho-lo.

On lit dans la notice historique sur les Tou-kioue : Le premier mois de la première année du règne de Feï-ti (552), Tou-men envoya des troupes pour attaquer les Jou-jou, et les battit au nord de Hoaï-hoang. A-na-koueï tua lui-même son propre fils nommé An-lo-chin, et s’enfuit dans le royaume de Thsi. Le reste de ses sujets remirent à leur tête Teng-cho-tseu, oncle d’A-na-koueï, et l’adoptèrent pour chef. Aussitôt après, Tou-men se donna le titre d’I-li-khan, mot qui a le même sens qu’autrefois Chen-yu, et il donna à sa fille le titre de Kho-ho-tun (Khatoun, princesse), mot synonyme de l’ancienne expression Yen-chi (femme légitime du prince des Hiong-nou).

Tou-men étant mort, son fils Kho-lo lui succéda. Kho-lo reçut le titre de I-si-khan. Il battit encore Teng-cho-tseu sur le mont Mo-laï-chan, au nord de Wo-ye.

La deuxième année du règne de l’empereur Feï-ti (553), les Tou-kioue envoyèrent des ambassadeurs pour lui offrir des chevaux.

Après la mort de Kho-lo, son frère cadet, Sse-kin, lui succéda.

Remarque. On lit dans la notice historique sur les Tou-kioue : Le troisième mois de la deuxième année du règne de Feï-ti (553), Kho-lo envoya des ambassadeurs pour offrir cinquante mille chevaux. Après la mort de Kho-lo, son frère cadet, Sse-kin, lui succéda et reçut le nom de Mo-han-khan. Sse-kin s’appelait aussi Yen-tou. Il avait un air extraordinaire. Sa figure, d’un rouge foncé, avait un tch’i de large, et ses yeux étaient comme le lieou-li. Il était d’un naturel dur et cruel, et ne s’occupait que de combats. Il se mit à la tête de ses troupes, attaqua Teng-cho-tseu et le battit complètement. Sse-kin se dirigea vers l’ouest et défit les Ye-ta (Gètes ?) ; à l’est, il poursuivit les Ki-tan ; au nord, il s’empara du royaume de Ki-ko. Par la puissance de ses armes, il soumit tous les royaumes situés en dehors des frontières. À l’est, depuis l’ouest de la mer de Liao; à l’ouest, jusqu’à dix mille li de la mer Occidentale (la mer Caspienne) ; au sud, depuis le nord du grand désert de sables (Cha-mo ou Gobi) ; au nord, jusqu’à cinq à six mille li de la mer du Nord, tout lui était soumis.

Les Tou-kioue laissent flotter leurs cheveux, jettent à gauche le pan de leur vêtement, et habitent sous des tentes de feutre. Ils se transportent d’un lieu à un autre, suivant qu’ils y trouvent de l’eau et des herbes. Leur principale occupation est l’élève des troupeaux et la chasse. Ils font peu de cas des vieillards, et montrent une grande estime pour les hommes qui sont dans la force de l’âge. Ils ont peu d’intégrité et de honte du mal, et ne connaissent ni les rites ni la justice ; ils ressemblent en cela aux anciens Hiong-nou. Quand leur chef vient d’être nommé, ses satellites et ses grands officiers le transportent dans une litière de feutre, et, en un jour, ils lui font faire neuf promenades circulaires. Chaque fois, tous ses sujets le saluent. Quand les salutations sont finies, ils le prennent sous le bras et le font monter à cheval. Alors, ils lui serrent le cou avec une bande de soie, sans aller jusqu’à l’étrangler ; ensuite ils desserrent le lien de soie et l’interrogent vivement en ces termes :

— Pendant combien d’années pouvez-vous être notre khan ?

Le roi, dont les esprits sont tout troublés, ne pouvant préciser le nombre demandé, ses sujets jugent, par les paroles qui lui sont échappées, de la longueur ou de la brièveté de son règne. Ses grands officiers sont : 1° le Che-hou ; 2° le Mo ; 3° le Te-le ; 4° le Sse-li-fa ; 5° le Thou-tchun-fa et d’autres petits magistrats. Ces fonctionnaires publics forment en tout vingt-huit classes distinctes. Toutes ces charges sont héréditaires. Pour armes, ils ont l’arc, la flèche, la flèche sifflante, la cuirasse, la lance, le sabre et l’épée. Leurs ceintures ont des ornements en creux et en relief. Au sommet de la hampe de leurs drapeaux, ils placent une tête de louve en or. Les satellites du roi s’appellent fou-li, mot qui, en chinois, signifie lang (loup). Comme ils sont issus d’une louve, ils ne veulent pas oublier leur ancienne origine.

Quand les Tou-kioue lèvent des soldats ou des chevaux, quand ils exigent, à titre d’impôt, différentes espèces d’animaux domestiques (ou de bétail), ils font des entailles sur une tringle de bois pour les compter ; puis, pour inspirer la confiance, ils y appliquent un cachet de cire avec un fer de lance.

Voici leurs lois pénales : Ils punissent de mort ceux qui se sont révoltés, qui ont commis un homicide ou fait violence à une femme mariée. Celui qui a déshonoré une jeune fille est puni d’une forte amende, et est obligé de l’épouser tout de suite. Celui qui a blessé un homme dans une rixe doit lui payer une amende proportionnée au mal qu’il lui a fait. Celui qui a volé un cheval ou différents objets doit en donner dix fois la valeur. Quand un homme est mort, on dépose son corps dans sa tente. Ses fils, ses neveux, ses parents des deux sexes, tuent chacun un mouton et un cheval, et les étendent devant la tente comme pour les leur offrir en sacrifice. Ils en font sept fois le tour à cheval, et dès qu’ils sont arrivés devant la porte de la tente, ils se tailladent le visage avec un couteau, de sorte qu’on voit le sang couler avec leurs larmes. Après avoir fait sept tours, ils s’arrêtent. Ils choisissent alors un jour favorable, et brûlent le cheval que montait le défunt ainsi que tous les objets qui étaient à son usage. On en recueille les cendres, et on enterre le mort à des époques particulières. Lorsqu’un homme est décédé au printemps ou en été, on attend pour l’enterrer que les feuilles des arbres aient jauni et soient tombées. S’il est décédé en automne ou en hiver, on attend que les feuilles soient poussées et que les plantes soient en fleur. Alors on creuse une fosse et on l’enterre. Le jour des funérailles, les parents et les proches offrent un sacrifice, courent à cheval et se tailladent la figure comme le premier jour où la personne est morte. Après l’enterrement, auprès de la sépulture, on place des pierres et l’on dresse un écriteau. Le nombre des pierres est proportionné à celui des ennemis que le défunt a tués pendant sa vie. De plus, ils offrent un sacrifice une tête de mouton et une tête de cheval, et les suspendent au-dessus de l’écriteau. Ce jour-là, le hommes et les femmes se revêtent tous d’habits riches et élégants, et se réunissent auprès du tombeau. Si un homme devient amoureux d’une fille, il s’en retourne et envoie aussitôt quelqu’un pour la demander en mariage à ses parents, qui, d’ordinaire, ne refusent point leur consentement. Après la mort d’un père ou d’un oncle, le fils, le frère cadet et les neveux épousent leurs veuves et leurs sœurs. Mais les femmes d’un rang honorable ne peuvent avoir commerce avec des hommes d’une basse condition. Quoique les Tou-kioue émigrent ou changent de domicile, chacun d’eux a toujours une portion de terre. Le khan habite constamment sur le mont Tou-kin-chan. Sa tente s’ouvre du côté de l’orient, par respect pour le côté du ciel où se lève le soleil. Chaque année, on conduit les nobles au caveau de leurs ancêtres pour y sacrifier. De plus, dans la deuxième décade du cinquième mois, on rassemble d’autres hommes pour qu’ils aillent adorer l’esprit du ciel sur la même montagne et lui offrir un sacrifice. À quatre cents li de là, il y a une montagne extrêmement élevée, où n’existent ni plantes ni arbres. On l’appelle P’o-teng-i-li, expression qui signifie en chinois l’esprit du ciel. Les caractères de leur écriture ressemblent à ceux des barbares ; ils n’ont point de calendrier, et comptent les années d’après le nombre de fois que les plantes ont verdi.

Sse-kin, voyant que sa horde était devenue très nombreuse, envoya un ambassadeur pour demander l’autorisation de se défaire de Teng-cho-tseu, etc. L’empereur Thaï-tsou y consentit ; il fit rassembler tous les partisans de Teng-cho-tseu, au nombre de trois mille, et les livra à l’ambassadeur, qui les fit massacrer, avec leur chef, en dehors de la porte appelée Tsing-men.


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Alliances

La première année du règne de l’empereur Wou-ti (561), les Tou-kioue envoyèrent des ambassadeurs pour offrir des produits de leur pays.

Remarque. On lit dans la notice historique sur les Tou-kioue : La première année de la période P’ao-ting, les Tou-kioue envoyèrent trois fois des ambassadeurs pour offrir, en tribut, des produits de leur pays. À cette époque, ils étaient en lutte avec le royaume de Thsi ; toute l’année, on mettait en mouvement les chars de guerre. C’est pourquoi, chaque fois, les Chinois se liaient avec eux pour s’en faire des auxiliaires extérieurs. Dans le commencement, sous le règne de l’empereur Kong-ti, de la dynastie des Weï (554-557), Sse-kin avait promis d’offrir une de ses filles à Thaï-tsou ; mais cet empereur mourut avant la conclusion du contrat. Alors Sse-kin offrit une autre de ses filles à Kao-tsou ; mais avant que cette alliance fût conclue, les hommes de Thsi envoyèrent un ambassadeur pour demander une princesse de la famille des Thsi. Sse-kin, qui convoitait leurs riches présents, fut sur le point de se repentir de ce qu’il avait fait. À cette époque, l’empereur rendit un décret par lequel il envoyait Yang-tsien, gouverneur de Liang-tcheou, Wou-pé, Wang-khing, etc. pour faire alliance avec lui. Les ambassadeurs chinois, étant arrivés auprès du khan des Tou-kioue, l’exhortèrent au nom de la fidélité et de la justice. Sse-kin rompit tout à coup avec les envoyés de Thsi, et conclut le mariage proposé. Alors il pria l’empereur de l’aider à porter la guerre du côté de l’orient.

Remarque. On lit dans la notice historique sur les Tou-kioue : Dans la troisième année (563), l’empereur rendit un décret par lequel il ordonnait à Yang-tchong, prince de Souï, de se mettre à la tête de dix mille cavaliers et de se joindre aux Tou-kioue pour aller attaquer le royaume de Thsi. L’armée de Yang-tchong ayant franchi le plateau de King-ling, Sse-kin, qui avait sous ses ordres cent mille cavaliers, vint opérer sa jonction avec lui.

Remarque. On lit dans la notice historique sur les Tou-kioue : Le premier mois de la quatrième année de la période P’ao-ting (564), on attaqua le roi de Thsi à Tsin-yang, sans pouvoir le vaincre. Sse-kin lâcha alors ses soldats, ravagea tout le pays ennemi et s’en revint. Yang-tchong parla ainsi à l’empereur Kao-tsou :

— Les soldats des Tou-kioue détestent les dignités et les récompenses. Beaucoup d’entre eux méprisent leurs chefs et n’obéissent ni à leurs ordres ni aux lois. Pourquoi dit-on qu’il est difficile de les contenir et de les gouverner ? c’est justement parce que, dans ces derniers temps, les ambassadeurs disaient faussement qu’ils étaient puissants et très nombreux. Ils voulaient par là engager le gouvernement à traiter généreusement leurs ambassadeurs, afin qu’eux-mêmes, allant chez les Tou-kioue, reçussent en retour de grandes récompenses. L’empereur ajoutait foi à ces paroles mensongères, et les chefs et les soldats, partageant la même opinion, étaient remplis de crainte. Mais ces barbares, qui, au premier aspect, savent feindre la force, sont au fond faciles à soumettre. Suivant ma manière de voir, les premiers et les derniers ambassadeurs méritent tous d’être décapités.

L’empereur Kao-tsou ne voulut point écouter cet avis.

Cette même année, Sse-kin envoya de nouveau des ambassadeurs pour offrir des produits de son pays, et demanda encore l’autorisation d’aller attaquer les provinces de l’est (le pays de Thsi). L’empereur rendit un décret par lequel il ordonnait à Yang-tchong de se mettre à la tête des troupes et de sortir par la plaine de Wo-ye.

Hou, prince de Tsin, courut à Lo-yang, pour répondre à l’appel de l’empereur. Alors il livra bataille, mais sans succès. Sse-kin emmena ses troupes et s’en revint.

Dans la cinquième année de la période P’ao-ting (565), l’empereur rendit un décret par lequel il ordonnait à Chun, prince de Tchin, de se rendre chez les Tou-kioue, et d’aller au-devant de la princesse (qu’on lui avait promise pour épouse).

Remarque. On lit dans la biographie d’A-sse-na, femme de l’empereur Wou-ti : L’impératrice A-sse-na était la fille de Sse-kin, roi des Tou-kioue, surnommé Mo-kan-khan. Après que les Tou-kioue eurent exterminé les Jou-jou, ils se rendirent maîtres de tout le pays des frontières. Comme ils possédaient une armée de cent mille archers, ils conçurent le projet d’envahir la Chine. L’empereur Kao-tsou, qui était alors en lutte avec les hommes de Thsi, se lia avec eux (les Tou-kioue), afin de les avoir pour auxiliaires. Sse-kin eut d’abord l’intention de marier une de ses filles avec l’empereur, mais il s’en repentit ensuite.

Après que l’empereur Kao-tsou fut monté sur le trône, il lui envoya plusieurs fois des ambassadeurs pour former avec lui une alliance de mariage ; alors Sse-kin promit de lui envoyer une princesse turque pour épouse.

Le deuxième mois de la cinquième année de la période P’ao-ting (565), un décret ordonna à Chun, prince du royaume de Tchin ; à Yu-wen-koueï, prince du royaume de Hiu ; à Teou-i, prince de Chin-wou ; à Yang-tsien, prince de Nan-’an, etc. de préparer, pour la princesse, de riches présents et un palais de voyage, et d’envoyer, en même temps, cent vingt femmes des six palais, qui devaient se rendre à la tente Sse-kin et aller au-devant de la princesse turque. Comme Sse-kin avait aussi promis au prince de Thsi de lui donner une de ses filles en mariage, il fut sur le point de manquer à ses engagements (envers Kao-tsou). Chun et ses collègues restèrent près de Sse-kin pendant plusieurs années, sans pouvoir s’en retourner pour rendre compte à l’empereur de leur mission. Quoiqu’ils eussent rappelé à Sse-kin les devoirs que lui imposaient la bonne foi et la justice, il resta sourd à leurs conseils. Mais, dans ce moment, le tonnerre gronda avec violence, et il s’éleva un vent impétueux qui emporta toutes les tentes de feutre. Cette affreuse tempête ayant continué pendant dix jours, Sse-kin fut rempli de terreur, et crut voir là un châtiment du ciel. Alors il prépara de riches présents et envoya la princesse. Chun et ses collègues disposèrent le palais de voyage, et placèrent de chaque côté une garde d’honneur pour ramener la princesse en Chine.

Le troisième mois de la troisième année de la période Thien-ho (568), la princesse arriva à la capitale. L’empereur Kao-tsou observa les cérémonies prescrites lorsqu’on va en personne au-devant d’une épouse.


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Cavaliers et archers

Sur la fin de la dynastie des Souï, il y eut de grands troubles et de nombreuses défections. Les hommes du royaume du Milieu qui se soumirent à lui (au khan des Turcs) étaient innombrables. Ce prince acquit bientôt une puissance extraordinaire et songea à envahir la Chine. Il alla au-devant de l’impératrice So et la plaça à Ting-siang. Quoiqu’il eût usurpé un titre honorable, Sie-kiu, Teou-kien, Te-wang, Chi-tchong, Lieou-wou, Tcheou-liang, Sse-tou, Li-koueï, Kao-khaï-tao, etc. se tournèrent vers le nord, se déclarèrent ses sujets et reçurent les ordres de ce khan. Les ambassadeurs qui allaient et venaient se croisaient sur toutes les routes de l’empire.

Le cinquième mois de la treizième année de la période Ta-nie [617], les Tou-kioue, au nombre de plusieurs milliers, ravagèrent Thaï-youen ; le prince de Thang les attaqua et les tailla en pièces.

L’empereur Yang-ti partit de Leou-fan. Après un long voyage, il arriva à Yen-men et fut cerné par les Tou-kioue. Sa situation était encore plus critique que (celle de l’empereur Kao-ti à) P’ing-tch’ing. Mais heureusement les fantassins et les cavaliers de Thaï-youen, ainsi que les troupes appelées par l’empereur, arrivèrent sans interruption. C’est pourquoi il put faire lever le siège, s’échappa, non sans peine, et se dirigea aussitôt vers la capitale de l’est (Tong-tou), et visita le palais de Kiang-tou. Comme le territoire impérial était situé au dehors, ses parents accoururent à son secours. L’empereur rendit un décret par lequel il appelait les fantassins et les cavaliers de Thaï-youen, et ordonnait à Wang-jin-kong, gouverneur de la ville de Ma-i, de fortifier les frontières du nord. L’empereur ne put s’empêcher de se mettre lui-même en campagne. Il dit aux personnes qui l’entouraient :

— Depuis l’antiquité, les Hiong-nou ont fait beaucoup de mal à la Chine. Ce sont des ennemis puissants que les dynasties des Tcheou, des Han, des Weï n’ont jamais pu repousser. Maintenant votre empereur craint bien que, malgré l’énorme distance qui les sépare, les barbares n’arrivent jusqu’aux rivages du Kiang. Ceux qui nous abandonnent sont extrêmement nombreux, et les brigands surgissent de tous côtés comme des essaims d’abeilles. En conséquence, je veux battre les barbares pour assurer le salut de l’empire. Je veux employer un habile stratagème pour les dompter. Je formerai avec eux une alliance de mariage et deviendrai leur maître. Par ce moyen, ils redouteront ma puissance et seront reconnaissants de mes bienfaits.

L’empereur arriva à la ville de Ma-i avec l’infanterie et la cavalerie de Jin-kong, qui ne comptait pas plus de trois mille hommes. Mais Jin-kong voyant la faiblesse de ses troupes, éprouva une crainte extrême. L’empereur, comprenant sa pensée, lui parla ainsi :

— Ce qui fait la supériorité des Turcs, ce sont les cavaliers et les archers. Quand ils se voient dans une position avantageuse, ils s’avancent avec ardeur ; mais s’ils aperçoivent du danger, ils s’enfuient avec la rapidité du vent et disparaissent aussi vite que l’éclair, sans pouvoir se maintenir dans leurs rangs. L’arc et la flèche leur servent d’ongles et de dents. La cuirasse et le casque sont leur vêtement ordinaire. Leurs troupes ne marchent pas en ordre, leur camp n’a pas de place fixe. Ils campent partout où ils trouvent des herbes et des eaux ; les moutons et les chevaux forment la nourriture de leur armée. S’ils sont vainqueurs, ils s’arrêtent et cherchent les richesses de l’ennemi ; s’ils sont vaincus, ils s’enfuient sans éprouver un sentiment de honte. Ils ne prennent pas la peine de veiller pendant la nuit ni de faire des rondes pendant le jour ; ils ne font point de dépenses pour construire des retranchements, ni pour se procurer des vivres et des provisions. Mais quand les soldats de la Chine vont en campagne, ils agissent tout autrement. S’ils entrent en lutte avec les Turcs, il est rare qu’ils puissent remporter la victoire. Si maintenant nous les imitons, si nous adoptons leurs procédés habituels, quand ils auront vu qu’ils ne peuvent réussir, il est certain qu’ils ne viendront pas. Actuellement le saint empereur est enfermé au loin dans une ville isolée, et il est entièrement privé de défenseurs. Si l’on ne se décide pas à combattre, il sera difficile de le sauver.

Comme Jin-kong était un proche parent de la famille impériale des Souï, et que les paroles qu’il venait d’entendre étaient pleines de raison, il se rendit aux volontés de l’empereur, et n’osa faire aucune objection. Alors il choisit deux mille hommes, qui étaient à la fois bons cavaliers et habiles archers, et leur recommanda d’imiter entièrement les Turcs pour ce qui regarde la manière de vivre et de camper, de rechercher comme eux les eaux et les herbages, de placer au loin des soldats en observation, à l’apparition des Turcs, d’attendre la cavalerie, sans faire attention à eux, de galoper, de chasser pour faire briller la puissance de leurs armes.

L’empereur était plus habile encore que ses soldats à tirer de l’arc ; chaque fois qu’il apercevait un oiseau ou un quadrupède, il ne manquait jamais d’atteindre l’un dans son vol et l’autre dans sa course. Quand il rencontrait tout à coup les Turcs, il ordonnait aux soldats les plus braves de former une troupe à part, et de rester avec leur arc tendu en attendant l’occasion de frapper l’ennemi. Chaque fois que les Turcs apercevaient les troupes chinoises, ils soupçonnaient qu’elles avaient amené l’empereur pour combattre avec elles, et n’osaient leur tenir tête. Ils quittaient la place et prenaient la fuite. Après avoir renouvelé ce manège jusqu’à trois fois, ils commencèrent à se rassurer, et se décidèrent tous à faire une attaque impétueuse. L’empereur, qui savait que ses soldats étaient résolus à combattre, et que les Turcs redoutaient la puissance de ses armes, lâcha ses troupes aussitôt qu’il eut rencontré les Turcs, attaqua ceux-ci avec vigueur et les tailla en pièces. Il prit ainsi le cheval remarquable que montait leur Te-le, et fit décapiter deux mille ennemis.

À partir de cette époque, les Turcs perdirent courage, et se soumirent complètement aux vaillantes troupes de l’empereur. Ils recueillirent les débris de leurs hordes et n’osèrent plus pénétrer dans le Midi.


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La chute

La première année Thien-p’ao (742), les Pa-si-mi et deux autres hordes attaquèrent ensemble Ou sou-mi-chi ; ce dernier prit la fuite et disparut.

On lit dans la notice historique sur les Tou-kioue : Au commencement de la période Thien-p’ao (742), les grandes hordes des Hoeï-he, des Ko-lo-lo et des Pa-si-mi se levèrent ensemble, attaquèrent Che-hou khan et le tuèrent, et, pour honorer le chef des Pa-si-mi, lui décernèrent le titre de Kie-thie-i-chi-khan.

Sur ces entrefaites, les deux chefs des Hoeï-he et des Ko-lo-lo se nommèrent eux-mêmes Che-hou de la gauche et de la droite, et envoyèrent des ambassadeurs pour en informer l’empereur. Les Turcs proclamèrent le fils de Pan-kioue-te-le sous le titre de Ou-sou-mi-chi-khan, et décernèrent à son fils Ko-la tch’e le titre de Cha d’occident. L’empereur envoya à Ou-sou-mi-chi un ambassadeur pour l’engager à se soumettre ; mais le khan ne voulut point l’écouter. Ses sujets n’entrèrent point dans ses vues. Les Pa-si-mi, les Hoeï-he et les Ko-lo-lo attaquèrent ensemble Ou-sou-mi-chi, qui se déroba par la fuite. Le Che hou de l’ouest, nommé A-pou-sse, et Ko-la-tch’e, vinrent à la tête de cinq mille tentes et se soumirent. Ko-la-tch’e reçut le titre de Hoaï-’en-wang (le roi qui garde la reconnaissance des bienfaits).

Le huitième mois de la troisième année de la période Thien-p’ao (744), les Pa-si-mi attaquèrent les Tou-kioue, tuèrent Ou-sou-mi-chi-khan et allèrent offrir sa tête à l’empereur.

Le premier mois de la quatrième année de la période Thien-p’ao (745), Wang-tchong-sse livra bataille aux Tou-kioue, sur la montagne qu’entoure la rivière Sa-ho, et les battit.

On lit dans la notice historique sur les Tou-kioue : La troisième année (744), les Pa-si-mi et autres hordes tuèrent Ou-sou-mi-chi, portèrent sa tête à la capitale et l’offrirent à l’empereur dans le temple des ancêtres. Le frère cadet d’Ou-sou-mi-chi, Pe meï-te-le-kin-ko-long-fou, lui succéda sous le nom de Pe-meï-khan.

Sur ces entrefaites, de grands troubles ayant éclaté dans le pays des Tou-kioue, les habitants choisirent le chef des Pa-si-mi pour leur khan. Un décret impérial ordonna à Wang-tchong-sse, commandant en chef des contrées du nord, d’apaiser ces troubles au moyen de ses troupes, et de s’appuyer sur la montagne qu’entourait le fleuve Sa-ho, pour attaquer les onze hordes d’A-po-ta-khan, campées à l’est de cette montagne. Il les battit, mais il ne put vaincre les hordes qui étaient à l’ouest.

Les Hoeï-he (Oïgours) et les Ko-lo-lo tuèrent le khan des Pa-si-mi, et se soumirent au chef des Hoeï-he, nommé Ko-li-peï-lo, lequel pacifia le royaume des Turcs, et prit le titre de Ko-to-lo-pi-kia-kioue-khan.

L’année suivante, ils tuèrent Pe-meï-khan et envoyèrent sa tête à l’empereur. La princesse Ko-to-lo-po-fou, femme de Pi-kia-khan, se mit à la tête de ses sujets et alla avec eux faire sa soumission. L’empereur donna un festin à ses officiers, dans le pavillon appelé Yu-hoa-’o-leou, et composa des vers où il célébrait cet événement. Il conféra à la princesse le titre de Pin-koue-fou-jin, et chaque année il lui donna deux cent mille onces d’argent pour sa toilette.

Les Tou-kioue avaient commencé à fonder leur empire dans la période de Ta-t’ong (535-551), de la dynastie des seconds Weï ; à l’époque actuelle (745), ils se trouvèrent ruinés. Dans la suite, ils présentèrent quelquefois leurs hommages à l’empereur et offrirent le tribut. Ils appartenaient tous aux neuf familles des anciennes hordes. À la fin, leur territoire fut complètement annexé à celui des Hoeï-he (Oïgours).

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Le deuxième mois de la troisième année de la période Thong-kouang (926), du règne de Tchoang tsong, le chef des Turcs, Hoen-kiaï-leou, envoya des ambassadeurs.

On lit dans la notice historique sur les Tou-kioue : Les princes du royaume des Tou-kioue, les noms des hordes, les titres des familles qui se sont succédé, les produits de leur pays, leurs mœurs et coutumes ont été mentionnés aux époques les plus remarquables des Thang ; mais dans les derniers temps de cette dynastie, les Tou-kioue ont été attaqués par diverses tribus barbares, leurs hordes se sont affaiblies et leurs familles se sont dispersées. Sous les cinq petites dynasties, ils sont venus quelquefois à la cour pour offrir le tribut. La troisième année de la période Thong-kouang (926), Hoen-kiaï-leou vint en personne pour offrir ses hommages à l’empereur.

Le dixième mois de la troisième année de la période Thien-tch’ing (928) de l’empereur Ming tsong, le chef des Turcs, Tchang-mou-tsin, vint à la cour.

Le deuxième mois de la deuxième année Tchang king (931), les Turcs envoyèrent Thou-’a-je en qualité d’ambassadeur.


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