Li Hsing-tao [Li Xingdao] : Hoeï-lan-ki, ou l'Histoire du Cercle de Craie

Drame en prose et en vers, traduit par

Stanislas Julien (1799-1873)

extrait du Youen-jin-pé-tchong, "Les cent pièces de théâtre des Youen", répertoire en quarante volumes.

Londres, 1832, XXXIV+150 pages, + 1 illustration.

 

"Si je ne devais, Seigneur, obtenir mon fils, qu’en déboîtant ou en brisant ses bras, j’aimerais mieux périr sous les coups, que de faire le moindre effort pour le tirer hors du cercle".
Un jugement de Salomon en Chine. Devant le juge, Haï-thang, une mère accusée de crime, préfère renoncer à son droit plutôt que de causer du tort à son enfant. La corruption est générale ; pas tout à fait cependant, car Pao-tching, le juge honnête, découvrira la vérité.

 

Les personnages - Exposition - L'intrigue se noue
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Les personnages

MADAME TCHANG

LE SEIGNEUR MA, surnommé Kiun-khing.
MADAME MA, sa femme légitime.
TCHANG-HAÏ-THANG, ou HAÏ-THANG, fille de madame Tchang, et seconde femme de Ma-kiun-khing.
TCHANG-LIN, fils de madame Tchang.
TCHAO, greffier, amant de madame Ma.

SOU-CHUN, gouverneur et juge de Tching-tcheou.
Plusieurs huissiers et sergents de la suite de Sou-chun. Deux voisins de madame Ma. MADAME LIEOU-SSE-CHIN et MADAME TCHANG, sages-femmes. Un cabaretier. TONG-TCHAO et SIE-PA, gendarmes.
PAO-TCHING, gouverneur et juge suprême de K'aï-fong-fou. Plusieurs huissiers de la suite de Pao-tching. Un sergent, ou bas-officier de justice, faisant l'office de licteur.

Exposition

MADAME TCHANG : Je suis originaire de Tching-tcheou. Mon nom de famille est Lieou ; celui de mon mari était Tchang. Il est mort très jeune, il y a déjà bien longtemps, et ne m’a laissé que deux enfants, un garçon et une fille. Mon fils s’appelle Tchang-lin je lui ai enseigné à lire et à écrire. Ma fille s’appelle Haï-tang, Je n’ai pas besoin de dire qu’elle se distingue autant par sa beauté que par la finesse et l'étendue de son esprit. Elle connaît l’écriture, le dessin, la flûte, la danse, la musique vocale, et sait s’accompagner, en chantant, des sons de la guitare. En un mot, il n’est aucun talent qu’elle ne possède en perfection. Pendant sept générations, mes ancêtres ont occupé des charges élevées, qu’ils durent à leurs succès littéraires. Mais, hélas ! la roue de la mauvaise fortune a passé sur ce corps miné par les ans. En un clin d’œil j’ai perdu tout ce que je possédais ; et maintenant, pressée par la nécessité, et n’ayant plus de mari  qui sustente ma vieillesse, j’ai forcé ma fille de faire trafic de sa beauté  afin de vivre du produit de ses charmes. Dans le voisinage demeure un homme riche, nommé le seigneur Ma, qui fréquente ma maison depuis longtemps. Il a des vues sur ma fille, et fait de continuelles instances pour l’épouser en qualité de seconde femme. Ma fille ne demande pas mieux que de l’avoir pour mari ; mais je ne puis me passer  des habits et des aliments que me procure son industrie. Attendons qu’elle vienne ; et, après avoir sondé tout doucement ses dispositions, raisonnons avec elle  sur le projet qui m’occupe.

......

MADAME MA (Elle récite des vers) : Les hommes ne cessent de faire l’éloge de mes charmes, et c’est au désir de leur plaire qu’il faut attribuer la couleur vermeille de mes lèvres et les teintes variées qui brillent sur mes joues ; mais il suffirait d’une cuvette d’eau pure pour faire disparaître, en un clin d’œil, cette profusion de rouge et de céruse.

Je suis la première femme du seigneur Ma. Ce seigneur Ma a pris pour seconde femme une nommée Haï-tang, qui est la fille de je ne sais quel individu appelé Tchang. Elle lui a donné un fils qui a déjà cinq ans. Pour moi, j’ai réussi à tromper la confiance du seigneur Ma. Ici près demeure un greffier nommé Tchao, qui est bien de sa personne, et aime le beau sexe avec passion ... J’entretiens avec lui certaines relations qui me font apprécier, de jour en jour, ses rares qualités. Aussi, mon unique vœu, mon plus ardent désir, est de me défaire promptement de ce seigneur Ma, afin de vivre pour toujours avec Tchao comme une femme avec son mari.

.... [à Tchao] : Voici tout simplement de quoi il s’agit. Je pense sans cesse au mystère dont nous avons besoin pour couvrir nos furtives amours ; mais je ne vois point venir le terme que nous avons fixé pour notre union. Je ne désire qu’une chose, c’est de trouver avec vous le moyen d’empoisonner le seigneur Ma. Quel bonheur sera le nôtre quand nous pourrons vivre pour toujours comme mari et femme !

L'intrigue se noue

LE SEIGNEUR MA : Madame, d’où vient que je n’ai point vu tout à l’heure, les robes et les ornements de tête de Haï-tang ?

MADAME MA : Seigneur, si vous ne m’eussiez point questionnée à ce sujet, je me serais bien gardée de vous en ouvrir la bouche. Parce qu’elle vous a donné un fils, vous la comblez de bontés, et vous avez pour elle une condescendance qui passe toutes les bornes. Qui aurait pensé qu’à votre insu, elle aurait entretenu un amant, et qu’elle n’aurait cessé d’avoir avec lui les relations les plus criminelles ? Aujourd’hui pendant que j’étais sortie avec le seigneur Ma pour brûler des parfums dans toutes les chapelles, elle a donné à son amant ces robes et ces ornements de tête. Au moment où elle cherchait d’autres vêtements et une nouvelle parure de tête, je suis entrée tout d’un coup, et j’ai découvert l’intrigue, malgré les efforts qu’elle faisait pour cacher son trouble et réparer le désordre où elle se trouvait. C’est moi qui n’ai point voulu permettre qu’elle fît une nouvelle toilette, et j’ai attendu l’arrivée du seigneur Ma, afin qu’il la traitât lui même comme elle le mérite. Ce n’est point que je sois jalouse d’elle ; elle ne peut imputer qu’à elle-même le sort qui l’attend.

LE SEIGNEUR MA : Ainsi donc Haï-tang a donné à un amant ses robes et ses ornements de tête ! On voit bien que c’est une personne naturellement dépravée. Oui, cette conduite indigne me fera mourir de douleur ! (Il appelle Haï-tang et la frappe). — Je veux t’assommer, vile créature, qui violes ainsi les devoirs les plus sacrés.

MADAME MA (excitant son mari) :  Seigneur, frappez, frappez ! c’est bien fait ! Que voulez-vous faire d’une misérable qui déshonore votre maison ? Allons, il faut la tuer de coups.

.... [Le seigneur Ma suffoque]

Le juge Pao-tching et le cercle de craie
Le juge Pao-tching et le cercle de craie

C’est Haï-tang, c’est cette petite misérable qui a suscité la colère  qui suffoque le seigneur Ma. Haï-tang, dépêche-toi de faire chauffer un bouillon pour le seigneur Ma.

HAÏ-TANG : J’obéis. (Elle chante) : Tout à l’heure, on a fait pleuvoir sur mes épaules une grêle de coups ; et voilà qu’on m’envoie à la cuisine pour faire chauffer un bouillon. Sans cesse, hélas ! ces femmes légitimes irritent contre nous leurs maris, et nous rendent victimes de leur colère et de leurs soupçons !
(Elle apporte le bouillon). Eh ! bien, Madame, voici le bouillon.
 
MADAME MA :  Apporte-le afin que je le goûte.(Elle goûte le bouillon) Il y manque encore un peu de sel. Cours en chercher. (Haï-tang sort)

MADAME MA : Prenons vite le poison préparé ces jours derniers, et jetons-le dans ce bouillon. (Elle y jette le poison.) Haï tang, hâte-toi donc de venir.

HAÏ-TANG (Elle chante) : Pourquoi ce trouble ? Pourquoi ce tremblement subit ? D’où vient qu’elle a jeté du sel avec tant de précipitation ? (Elle parle) Madame, voici du sel.

MADAME MA (remuant le bouillon) : Haï-tang, cours porter ceci.

HAÏ-TANG : Madame, portez-le vous-même. Je crains qu’en me voyant, le seigneur Ma n’entre dans un nouvel accès de colère.

MADAME MA : Si tu n’y vas pas toi-même, le seigneur Ma dira que tu es fâchée contre lui. (Elle sort)

HAÏ-TANG : J’obéis. — Seigneur, buvez une gorgée de bouillon. (Le seigneur Ma prend la tasse et boit)

HAÏ-TANG (Elle chante) : Hélas ! je le vois s’affaisser peu à peu sous le poids de la douleur, et sa bouche convulsive semble accuser l’amertume du breuvage.

(Le seigneur Ma expire)

HAÏ-TANG (épouvantée) : Seigneur, Seigneur, ouvrez les yeux !

[Tout est en place...]

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