L'encre de Chine. Son histoire et sa fabrication

Texte de Chen-ki-souen (1398 A.D.), et autres documents chinois traduits par

MAURICE JAMETEL (1856-1889)

Ernest Leroux, Paris, 1882, XXX+100 pages,+27 gravures.


Secrets de fabrication - Histoire d'encre
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Introduction — Préface de l'auteur chinois.

Des matières propres à produire le noir de fumée. — Appareil pour la fabrication du noir de fumée. — De l'évaporateur. — Des lampes. — Des cônes. — Des mèches employées dans les lampes. — Du montage de l'appareil pour fabriquer le noir de fumée.

De la fabrication du noir de fumée. — Du tamisage du noir de fumée.

De la préparation de la colle. — Des solutions les plus employées dans les ateliers.

Pétrir le noir de fumée. — De la cuisson des boules. — Du battage au mortier. — Du pesage de l'encre. — Du battage des bâtons. — De la formation des boules.

Du moulage des pains : Des bâtons à surface rugueuse — Des bâtons écorce de vieux sapins — Des bâtons à étoiles d'or — Des bâtons à étoiles d'argent — Des bâtons à gaze.

Du dorage des caractères. — De la mise dans la cendre. — Du nettoyage des bâtons. — Du lavage des bâtons. — Des moules.

De l'essai des encres.

Histoire d'encre

Evaporateur pour la fabrication du noir de fumée.
Evaporateur pour la fabrication du noir de fumée.

Les historiens du Céleste Empire font remonter l'invention de l'encre à Tien-Tchen qui vivait sous le règne de Houang-ti (2697 à 2597 avant J.-C.). Seulement, s'il faut en croire le Long-tien-tsing-lou, l'encre employée par les Chinois, à cette époque reculée, était bien différente de celle que nous connaissons ; c'était une sorte de laque que l'on déposait sur de la soie au moyen d'un bâton de bambou. Dans la suite, on remplaça la laque par une pierre noire que l'on délayait dans l'eau ; enfin, sous les Oueï (220 à 260 après J.-C.), on commença à faire de l'encre avec du noir de fumée produit par la combustion de la laque et du charbon de bois de sapin. Cette dernière encre se vendait sous forme de boule, et son emploi facile la fit bientôt préférer à la pierre des anciens ; sa fabrication se perfectionna rapidement, aussi un poète, Ouï-fou-jen, saluant l'apparition de ce précieux auxiliaire de la littérature, nous apprend que, de son temps, les meilleurs produits étaient obtenus à l'aide du bois des sapins qui croissaient sur les pentes des collines de Lou-chan, dans la province du Kiang si.

La province du Kiang-si semble, du reste, avoir eu pendant bien longtemps le privilège de la fabrication de l'encre, et nous voyons un souverain de la dynastie des Tang (618 à 905 après J.-C.) envoyer à Jao-tchéou, un des chefs-lieux d'arrondissement de cette province, un fonctionnaire chargé de surveiller la fabrication, et d'envoyer tous les ans à la cour un certain nombre de bâtons d'encre comme tribut. Le Héou-chan-tan-tsong, qui parle de ce fonctionnaire, nous apprend que sa charge était héréditaire, et qu'il portait le titre de Li-ché. S'il faut en croire le même ouvrage, l'origine de cette charge se perdrait dans la nuit des temps ; ceux qui l'occupaient antérieurement à la dynastie des Han portaient le titre de Si. Quoiqu'il en soit, la mention que font les annales de la nomination d'un inspecteur des fabriques d'encre semblerait faire supposer que cette industrie était déjà très développée sous la dynastie des Tang. Les procédés usités alors devaient aussi avoir atteint un grand degré de perfectionnement, car le poète Oueï-fou jen, parlant des encres que l'on employait alors, nous apprend qu'elles devenaient plus noires en vieillissant et que la colle prenait de la force avec le temps, ce qui rendait les bâtons durs comme de la pierre. Ces observations ont conservé toute leur valeur, et elles constituent en core, de nos jours, les desiderata des fabricants du Céleste Empire. Un autre fait qui vient aussi à l'appui de cette hypothèse, est cité dans le Tchouen-tchou-ki-ouen; d'après cet ouvrage, un nommé Jen tao yuan conservait avec soin dans sa maison des bâtons d'encre solides comme du jade, et sur lesquels se trouvaient gravés les caractères : Yong-houei-eur-nien-tcheu-k'ou-mo, encre fabriquée pendant la seconde année de Yong-houeï (651 après J.-C.) pour le magasin.

Cônes destinés à recueillir le noir de fumée
Cônes destinés à recueillir le noir de fumée

A cette époque, il existait vraisemblablement des fabriques d'encre relevant directement de la maison de l'Empereur; l'ouvrage que nous avons cité nous parle, en effet, d'un bâton d'encre qui portait l'inscription suivante : « Encre fabriquée par Li-Tsao, fonctionnaire du ministère des travaux publics sous les Tang ». Une histoire de cette dynastie ajoute que l'empereur Hiuan-Tsong (713 à 756 après J.-C.), qui fonda les deux collèges du T'ou-chou-fou et du Ki-chien-yuan, envoyait, à la fin de chaque trimestre, à ces établissements 336 boules d'encre Chang-kou (Chang-kou-mo).

Les encres les plus estimées sous la dynastie des Tang, étaient celle de i-choueï (i-choueï-mo), de Souan-mi, (souan-mi-mo), de Yué-t'ouan (Yué-t'ouan-mi), encre en forme de lune. Les bâtons fabriqués par King houan, à cette époque, portaient d'un côté les caractères : jade parfumé (siang-pi), et de l'autre : Fou-mo-tze ; enfin, un nommé Tchou-feung, originaire d'une ngan-houeï, fabriquait à cette époque dans « l'atelier où l'on brûle le sapin », — nom qui indique bien clairement la provenance du noir de fumée employé, — une excellente encre qui portait indifféremment pour devise Hsiuan-tchong-tze ou Cho-chiang-yué.

Vers les derniers temps de la dynastie des Tang, un nommé Li-tchao et son fils Li-ting-koueï arrivèrent dans la petite ville de Choo-tchéou, du Ngan-houeï, et y établirent une fabrique d'encre. Les considérations qui engagèrent nos deux artisans à fixer leur résidence à Choo-tchéou furent, dit-on, le voisinage de magnifiques forêts de sapins en pleine exploitation ; ce qui semblerait faire supposer que celui qui devint plus tard le célèbre Li-ting-koueï se servait surtout de noir de fumée tiré de ce bois. Quant au père qui passa, lui aussi, sa vie à fabriquer de l'encre, il n'acquit dans cette spécialité aucune notoriété, et le peu que nous savons de lui vient surtout de la renommée de son fils. Ce dernier perfectionna les procédés usités de son temps, mais les méthodes qu'il employait ont été gardées secrètes par lui, et depuis lors, le but où tendirent tous les efforts des fabricants, fut d'arriver à produire des encres aussi bonnes que celles de Li-ting-koueï. Cependant, il faut bien reconnaître qu'en dépit de près de quatre siècles d'efforts continus, les ateliers chinois ne sont jamais arrivés à obtenir des encres ressemblant, en quoi que ce soit, aux bâtons en forme d'épée (Kien-ki) et en forme de gâteau rond (yuan-p'ing) qui firent la réputation du maître. T'aï-'kiun-mo nous apprend qu'un moyen infaillible de reconnaître l'encre de Li-ting-koueï, est de briser en morceaux un des bâtons dont on veut constater l'authenticité, et d'en jeter les débris dans un vase rempli d'eau. Si, un mois après, on retrouve encore les morceaux intacts au fond du vase, on peut être certain que l'encre, soumise à cette expérience, provient bien des ateliers du célèbre fabricant.

Li-ting-koueï fabriquait plusieurs qualités d'encre qui se distinguaient par le caractère qui était gravé sur les bâtons. En outre de ces caractères, les bâtons sortis de ses ateliers portent comme devise la phrase suivante : Jao-Tchéou li-ting-koueï (Li-ting-koueï de Jao-tchéou), dont les quatre caractères étaient reliés par un trait fin, et qui constituait, pour ainsi dire, la marque de fabrique de la maison. Dans la suite, le maître gravait aussi quelquefois sur les bâtons la phrase suivante : po-nien-jou-chi-i-tien-jou-ki (après cent ans, je suis dure comme la pierre et mes traits ressemblent à la laque).

Après la mort de Li-ting-koueï, la fabrication de l'encre retomba dans le domaine de l'industrie, et de nombreux fabricants se succédèrent sans laisser après eux autre chose que les marques qu'ils imprimaient sur leurs produits. Sous le règne de Chen tsong (998 à 1023) de la dynastie des Song, Tchang-yu, fournisseur de la maison de l'Empereur, acquit une réputation presque égale à celle de son devancier, Li-ting-koueï ; ses produits portaient comme devise : Tchang-yu-choo-chiang-mo (encre au musc de Tchang-yu); quant aux encres destinées au palais impérial, elles étaient appelées Long-chiang-ki (bâton parfumé du dragon). S'il faut en croire le Héou-chan-tan-tsong, Tchang-yu, revenant aux formes usitées chez les anciens, fabriqua aussi des boules d'encre ornées de dragons enroulés, d'une finesse de dessin remarquable.
Depuis Tchang-yu jusqu'à nos jours, les seuls fabricants qui acquirent une véritable réputation furent Pan-kou et Tchaï-sin; ce dernier était même, dit-on, parvenu à retrouver quelques-uns des procédés de Li-ting-koueï.

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