Les quarante-deux points d'enseignement proférés par Bouddha
Traduit du mongol par MM. GABET et HUC, missionnaires lazaristes
Journal asiatique, juin 1848, pages 535-557. Cette traduction a été commencée à Lassa au mois de février de 1846, continuée en route, et terminée dans le Hou-pé à Kichuy-hien, le 19 août.
Extrait des Annales chinoises : Alors [Han-ming-ti] envoya le prince Tsoung avec dix-huit hommes chercher dans l’occident la religion de Bouddha.
Dès leur arrivée dans le royaume appelé You-che, ils rencontrèrent deux hommes initiés à la théogonie de Bouddha : l’un s’appelait Arahoun, et l’autre Banchita ; ils portaient sur un cheval blanc
une image peinte de Bouddha, le recueil des quarante-deux points d’enseignement de ce saint, ses prières grandes et petites, et enfin un ossement de Bouddha, le tout contenu dans un vase
d’argile. Le prince Tsoung s’en alla avec eux ; et la huitième année du règne [65 ap. J.C.], le trentième jour de la douzième lune, ils arrivèrent à la ville de Lo-yang...
Les quarante-deux point d'enseignements
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Le livre appelé en chinois : Too-cho-sse-che-eul tchang-king ... en mongol :
Khotokton-touchin-koier-gnesik-to-kemektekou-soter, est composé pour rendre hommage aux trois majestés.
En ce temps-là, Bouddha, le suprême des êtres, ayant révélé ses enseignements, ils se
propagèrent de la manière suivante.
Cinq hommes du rang des initiés, parvenus par le dépouillement de leurs passions à une paix profonde et inaltérable, passaient leurs jours dans une sublime contemplation dans le dessein de
dompter la troupe des démons ; le tchukor tournait incessamment dans leurs mains ; retirés paisiblement dans un parc de cerfs, ils nourrissaient l’ambition d’illuminer le monde ; et, parce
qu’ils demandaient humblement à entrer plus avant dans les initiations des mystères, et parce qu’ils étaient sortis victorieux des quatre grandes épreuves, et parce qu’incessamment le tchukor des
prières roulait dans leurs mains, pour eux, Bouddha daigna prononcer la prière biktchosa : ensuite, comme ils suppliaient Bouddha de vouloir bien dissiper toutes leurs incertitudes, Bouddha, le
suprême des êtres, prenant le corps doctrinal, le leur développa point par point, avec ordre et clarté ; pour eux, ils écoutaient ces saints oracles avec un cœur plein de respect, d’attention et
d’humble docilité. Ce fut alors que Bouddha, le suprême des êtres, prononça les quarante-deux points de l’enseignement qui renferme toute la vérité.
1. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : L’homme qui, sorti de sa maison, a fait le sacrifice de sa famille, consacre ses efforts à marcher vers le sommet de la perfection,
étudie à fond la racine de son cœur, initie les mortels aux prières, avec calme et constance, celui-là s’appelle Charmana … L’homme qui observe, sans jamais les violer, les deux cent cinquante
commandements, se conforme en tout aux quatre points de la véritable doctrine, parvient enfin à obtenir la pureté du cœur.... celui-là s’appelle Arahoun.... Bouddha prononça ces mots : L’Arahoun
peut de lui-même s’élever dans les airs, changer et reprendre sa première forme, se fixer dans son âge et sa destinée ; et quand il a acquis la puissance de faire mouvoir le ciel et la terre,
alors il s’appelle Siramangue-anahame.... Or le Siramangue-anahame, étant parvenu au terme de sa destinée, son âme monte dix-neuf degrés du ciel ; alors, victorieux des épreuves, il s’appelle
Siramangue-sagardagan... Or, le Sagardagan, s’étant encore élevé d’un degré, transmigre encore une fois, et alors, victorieux des épreuves, il s’appelle Siramangue-sourdaban…. Or, le Sourdaban,
après avoir subi sept fois la mort et être rentré sept fois dans la vie, victorieux encore, il coupe ses concupiscences, comme on retranche d’un arbre quatre branches inutiles....
2. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : Le Charmana, qui a fait le sacrifice de sa famille et déraciné victorieusement ses passions, connaît jusqu’à la source de son propre
cœur, et entre dans les profondeurs de la doctrine de Bouddha. Comme il a acquis l’intelligence de la nature incréée de Bouddha, son cœur n’a rien à ambitionner au dedans, rien à demander au
dehors ; rien ne l’entrave dans la pratique de la vertu ; il ne s’embarrasse pas dans les troubles de la vie active, sans pensées, sans travail, sans rien poursuivre, sans rien obtenir, sans se
fixer dans aucun rang, il parvient de lui même au sommet et se nomme la voie.
3. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : Le Charmana qui, ayant rasé ses cheveux et sa barbe, a été initié aux prières de Bouddha, doit rejeter loin de lui les richesses du
monde ; cheminant le badir à la main, au milieu du jour, un repas frugal lui suffit ; il prend son sommeil sous un arbre. Jamais, sous aucun prétexte, il n’ose rompre son jeûne, et il est plein
d’affection pour les hommes qui le regardent comme un imbécile et un insensé.
4. — Bouddha, manifestant si doctrine, prononça ces mots : Il y a pour les vivants dix espèces d’actes qu’on nomme mauvais. Si vous demandez : Ces dix mauvais actes, quels sont-ils ? il y en a
trois qui appartiennent au corps, quatre à la parole, trois à la volonté. Les trois du corps sont : le meurtre, le vol, l’impudicité.... Les quatre de la parole sont : les discours qui sèment la
discorde, les malédictions outrageantes, les mensonges impudents, les paroles hypocrites.... Les trois de la volonté sont : l’envie, la colère, l'insapience.... Si on ne croit pas aux trois
majestés, on aperçoit la vérité et on la nomme erreur. Les Oubachi s’adonnent sans relâche à l’observance des cinq devoirs et, après s’être établis dans la pratique des dix actes qu’on nomme
bons, certainement ils iront se confondre dans le grand principe.
5. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : L’homme qui s’est plongé dans les vices et ne songe pas à s’amender, allant toujours, au contraire, accumulant les péchés dans son cœur,
les péchés finiront par inonder son être, comme les eaux coulant dans la mer deviennent bientôt larges et profondes. Cet homme, comment pourra-il être absous ?.... Le méchant qui, comprenant son
état, se repent et s’amende, se réhabilitera insensiblement dans le bien, et ses iniquités s’effaceront peu à peu.... Certainement, un jour il ira se confondre dans le grand principe.
6. — Bouddha prononça ces mots en manifestant sa doctrine... S’il est un homme qui me regarde comme un méditant, et que de mon côté je prenne tous les moyens de le combler de bienfaits... ; s’il
s’obstine à me poursuivre toujours de se malice, et que toujours je persévère à lui faire du bien, pendant que la brise de la vertu soufflera incessamment sur moi, l’ouragan des calamités et du
malheur se déchaînera toujours sur sa tête.
Un homme stupide voyant cette grande miséricorde proclamée dans la doctrine de Bouddha, entendant dire qu’il fallait rendre le bien pour le mal, se mit à vomir des outrages et des blasphèmes
contre Bouddha. Bouddha, gardant le silence, se dit à lui même : Voilà qui provient de sa folie et de sa stupidité... Quand il eut mis terme à ses invectives, Bouddha prononça ces mots : Dis-moi,
mon ami, si tu fais des politesses à un homme, et que cet homme n’y réponde pas, comment le traiteras-tu ? — Je le traiterai de la même manière.... Bouddha prononça ces mots : Maintenant, toi, tu
m’as outragé, et moi, je suis comme n’ayant pas entendu tes injures. Or, puisque tu rends le mal pour le mal, les calamités s’attacheront à toi, comme l’écho répète le son, comme l’ombre suit le
corps. A tout jamais tu ne pourras t’en débarrasser.... Qu’on y fasse attention.... Qu’on ait à s’abstenir du mal....
7. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : Le méchant qui persécute l’homme de bien, est semblable à l’insensé qui, renversant sa tête, crache contre le ciel ; son crachat ne peut
souiller le ciel, il retombe, au contraire le souiller lui même ; il est encore semblable à celui qui, avec un vent contraire, jette de la poussière aux hommes, la poussière ne peut salir les
hommes, elle retombe, au contraire, sur son corps.... Il ne faut pas persécuter les gens de bien ; si cela arrive, les calamités vous extermineront.
8. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : Efforcez-vous d’aimer les hommes qui marchent dans la bonne voie, sans acception de personne ; pratiquez la miséricorde, sans acception
de personne. Rien de plus grand et de plus auguste que la vertu d’accorder des bienfaits. Si tu marches dans la voie en veillant sur ton cœur, la prospérité la plus grande naîtra sous tes pas. Si
tu aimes et si tu applaudis l’homme qui suit la doctrine des bienfaits et de la miséricorde, certainement tu obtiendras le bonheur pour récompense. Quelqu’un venant à demander : Est-ce que le
bonheur de cet homme réellement ne diminuera jamais ? Bouddha prononça ces mots : C’est comme, par exemple, une torche de feu ; quoique cent mille hommes viennent y allumer des flambeaux et
qu’ils les emportent pour faire cuire leurs aliments et illuminer les ténèbres, cette torche de feu restera toujours la même. Le bonheur est semblable à cela.
9. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : Donner à manger à un homme du commun, ne vaut pas donner à un homme de bien ; donner à manger à mille hommes de bien, ne vaut pas donner
à manger à un homme qui observe les cinq préceptes ; donner à manger à dix mille hommes, qui observent les cinq préceptes, ne vaut pas donner à manger à un Sourtaban ; donner à manger à un
million de Sourtabans, ne vaut pas donner à manger à un Ségertimeugue ; donner à manger à dix millions de Ségertimeugues, ne vaut pas donner à manger à un Anagame ; donner à manger à cent
millions d’Anagames, ne vaut pas donner à manger à un Arahoun ; donner à manger à un million d’Arahouns, ne vaut pas donner à manger à un Bendégéboun ; donner à manger à dix Bendégébouns, ne vaut
pas donner à manger à Bouddha. Donner à manger au saint qui, dans le désir de sauver tous les mortels, étudie avec amour les préceptes de Bouddha, c’est une félicité très grande et très profonde.
Se donner au culte du ciel et de la terre, des bons et des mauvais génies, ne vaut pas honorer son père et sa mère.... Or, ce père et cette mère, c’est l’esprit suprême.
10. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : Au-dessus du ciel, il y a vingt choses difficiles : 1° étant pauvre et dans l’indigence, accorder des bienfaits, c’est difficile ; 2°
étant riche et élevé en dignité, étudier la doctrine, c’est difficile ; 3° ayant fait le sacrifice de sa vie, mourir véritablement, c’est difficile ; 4° obtenir de voir les prières de Bouddha,
c’est difficile ; 5° avoir le bonheur de naître dans le monde de Bouddha, c’est difficile. ; 6° transiger avec la volupté, et vouloir être délivré de ses passions, c est difficile ; 7° voir
quelque chose d’aimable et ne pas le désirer, c’est difficile ; 8° ne pas se porter vers ce qui est lucratif et honorable, c’est difficile ; 9° être injurié et ne pas s’irriter, c’est difficile ;
10° dans le tourbillon des affaires, se conduire avec calme, c’est difficile ; 11° étudier beaucoup et approfondir, c’est difficile ; 12° un homme qui n’a pas encore étudié, ne pas le mépriser,
c’est difficile ; 13° étouffer et extirper l’orgueil de son cœur, c’est difficile ; 14° rencontrer un bon et un habile maître, c’est difficile ; 15° pénétrer les secrets de la nature et
approfondir la science, c’est difficile ; 16° n’être pas ému par un état de félicité, c’est difficile ; 17° s’éloigner du bien et vouloir marcher dans la sagesse, c’est difficile ; 18° décider
les hommes à suivre leur conscience, c’est difficile ; 19° que le cœur aille toujours d’un pas égal, c’est difficile ; 20° ne pas médire, c’est difficile.
11. — Un Charmana ayant demandé à Bouddha comment on pouvait parvenir à la voie, et comment on pouvait savoir les vies antérieures, Bouddha prononça ces mots : La voie est spirituelle et
immatérielle ; si on se contente de la savoir sans y marcher, on ne recueille aucun avantage. Il convient de vivre en veillant avec soin sur sa volonté : c’est comme quand on polit un miroir ;
après en avoir lavé soigneusement toutes les souillures et l’avoir rendu brillant, on peut alors se mirer soi même. Celui qui, ayant retranché ses passions, passe ses jours dans une continuelle
abstinence, et pénètre l’ordre et la liaison de la doctrine, celui parviendra à la connaissance des vies antérieures.
12. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : Si on demande quel est le meilleur : c’est celui qui marche sans jamais dévier de la voie. Si on demande quel est le plus grand ?...
C’est celui qui conforme sa volonté à la Loi. Si on demande qui est le plus fort ?... La force de supporter une injure est très rare : celui qui supporte une injure sans faire de mal, est
certainement honoré parmi les hommes. Si on demande quel est le plus illustre ?... Celui qui ayant, avec toutes les impuretés de son cœur, mis ordre à sa mauvaise conduite, devenu intérieurement
très pur et sans souillures, ayant connu, depuis les temps cosmogoniques jusqu’à ce jour tout ce qui existe dans les dix parties du monde, parce qu’il a tout vu, tout entendu, tout compris, et
obtenu l’illumination complète de toute chose, il peut s’appeler Gegen, « splendeur. »
13. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : L’homme qui fomente ses passions et qui ne s’applique pas à l’étude de la doctrine est semblable à une eau sale dans laquelle on
jetterait les cinq couleurs en s’efforçant de les brouiller et de les confondre ; on a beau se baisser vers l’eau, jamais on n’y verra son image. Si on laisse les passions s’agiter, le cœur étant
plein de trouble et de confusion, il ne pourra parvenir à la connaissance de la doctrine. Après s’être repenti de son inconduite, et avoir retranché peu à peu ses vices, si on s’approche d’un
maître sage et éclairé, l’eau, déposant ses souillures, devient pure et limpide, il est possible alors de se connaître soi-même. Allumez un feu violent sous une chaudière, l’eau entrera bientôt
en ébullition ; si de plus on recouvre le dessus avec une toile, les hommes auront beau regarder pour s’y mirer, ils ne parviendront jamais à voir leur image. Originairement, il existe au milieu
du cœur trois vices ; s’ils viennent à bouillonner au dedans, si de plus on place les cinq couvercles (cinq sens), on ne peut parvenir à la connaissance de la doctrine. Après avoir purifié le
cœur de ses souillures et de ses vices, on sait alors la source de la vie : on connaît la périodicité de la vie et de la mort, tous les royaumes de Bouddha, et les rapports de la vertu et de la
doctrine.
14. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : L’homme qui passe sa vie dans la pratique de la vertu, est semblable à celui qui entre dans une maison obscure, une torche à la main ;
aussitôt les ténèbres se dissipent et la clarté paraît. L’homme qui est parvenu à la véritable science, ayant complètement éteint l’ignorance et la stupidité, il n’est rien qui ne soit lumineux
pour lui.
15. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : Si vous demandez ce que je pense... Je pense la doctrine... Si vous demandes ce que je pratique... Je pratique la doctrine... Si vous
demandez ce que je parle... Je parle la doctrine : moi qui médite et approfondis la vraie doctrine, un instant même je ne puis la perdre de vue.
16. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : Si je contemple le ciel et la terre, je me dis : ils ne sont pas éternels... Si je contemple les fleuves et les montagnes, je me dis :
Ils ne sont pas éternels… Si je contemple tous les êtres si variés et si féconds dans leurs formes et leurs espèces, je me dis : ils ne sont pas éternels… Qu’on assujettisse son cœur, on entrera
dans la vie.
17. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : L’homme qui, pendant un jour entier, médite et pratique la vertu, sans relâche et sans interruption, ayant su régler sa conduite,
entrera dans un bonheur sans fin.
18. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : Si je considère au-dedans de moi les quatre éléments, quoique chacun d’eux ait un nom, cependant, ce qui constitue le moi est innommé…
Cette vie passagère ne dure pas longtemps en réalité, c’est une illusion et voilà tout.
19. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : L’homme qui met sa volupté et sa passion à rechercher un nom, est semblable à un parfum qui brûle, tandis que tous les hommes respirent
son odeur ; il ne peut s’exhaler qu’en se consumant lui-même. La fausse gloire des insensés, qui recherchent les flatteries, sans se mettre en peine de la vérité, ne les délivre pas, malgré leur
repentir, des peines de ce nom illustre qu’ils ont acquis et qui fait leur tourment.
20. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : L’homme qui convoite les richesses est semblable à un jeune enfant qui, avec la pointe d’un couteau acéré, veut goûter du miel : sans
avoir eu le temps de savourer ce qui n’a fait qu’effleurer ses lèvres, il ne lui reste plus que les cuisantes douleurs d’une incision à la langue.
21. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : Les tourments de l’homme, entravé dans la famille par une femme et des enfants, sont plus terribles que les chaînes de fer qui tiennent
un homme, pieds et poings liés, dans l’intérieur d’une prison : quoiqu’il soit gardé à vue, encore y a-t-il pour lui un jour de délivrance. L’homme qui s’est passionné pour sa femme et ses
enfants, bien qu’il en ait éprouvé des tourments semblables à la morsure du tigre, parce qu’il s’est mis lui-même dans ces tortures, jamais pour lui ne se lèvera le jour de délivrance.
22. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : Il n’y a pas de passion plus violente que la volupté ; rien ne va au delà de la volupté. Par bonheur, il n’y a qu’une seule passion de
ce genre, car, s’il y en avait deux, en tout l’univers, pas un seul homme qui pût suivre la vérité.
23. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : Les hommes qui nourrissent leurs passions sont comme si, prenant une torche à la main, ils marchaient contre le vent ; si les insensés
ne rejettent pas cette torche, leur main ressentira certainement les brûlantes atteintes de la flamme. L’homme qui se laisse tyranniser par l’impudicité, la colère et la stupidité, s’il ne se
hâte d’en neutraliser le poison par la vertu, il est certainement semblable à l’insensé qui, tenant une torche à la main, ressent les brûlantes atteintes de la flamme.
24. — En ce temps-là un esprit céleste présenta une belle fille à Bouddha, dans le dessein de tenter son cœur et d’éprouver sa vertu. Bouddha prononça ces mots : Sac de peau, rempli de toutes
sortes d’immondices, que viens-tu faire ici ? Tu peux séduire les gens du monde, mais tu n’ébranleras jamais les six intelligences ; va-t’-en, je n’ai que faire de toi. Ayant ainsi parlé,
l’esprit céleste, plein du plus profond respect pour Bouddha, lui demanda l’initiation aux prières et à la doctrine ; et, parce que Bouddha daigna l'initier aux mystères, il obtint le rang de
Sourtaban.
25. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : L’homme qui pratique la vertu est semblable à un morceau de bois placé au milieu d’un fleuve, allant toujours d’après le courant de
l’eau ; s’il ne va heurter ni la rive gauche, ni la rive droite, si les hommes ne l’enlèvent pas, si les esprits ne le font pas disparaître, si enfin il ne se corrompt pas, moi je protégerai son
entrée dans la mer. L’homme marchant dans la pratique de la vertu, s’il ne se laisse pas ébranler par les passions, s’il n’est pas dominé par ses vices, s’il s’efforce d’avancer toujours, sans
jamais chanceler, je protégerai son entrée dans la vérité.
26. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : Garde-toi de suivre à volonté ton propre sentiment ; il n’est jamais permis de suivre son propre sentiment. Garde-toi de t’abandonner à
la volupté ; si tu t’abandonnes à la volupté, les calamités naîtront sous tes pas. Quand tu auras obtenu la vertu d’Arahoun, alors seulement tu pourras suivre ton propre sentiment.
27. — Bouddha prononça ces mots en présence de tous les Charmanas : Garde-toi de regarder les femmes... Si tu te rencontres avec elles, que ce soit comme n’y étant pas. Garde-toi de parler avec
les femmes ; si tu parles avec elles, veille avec soin sur ton cœur... Que ta conduite soit irréprochable, te disant intérieurement : Moi qui suis un Charmana résidant dans ce monde fangeux, je
dois être semblable à la fleur de nénuphar qui ne contracte pas de souillures au milieu du cloaque. Si c’est une vieille femme, pense que c’est ta mère ; si c’est une personne âgée, pense que
c’est ta sœur aînée... Si c’est une jeune, pense que c’est ta sœur cadette... Si ce sont de jeunes enfants, traite-les avec les égards convenables... Et si quelque sentiment déréglé vient à
surgir dans ton cœur, recueille-toi profondément, te disant à toi-même : Des pieds jusqu’à la tête, qu’y a-t-il dans cette personne ?... Malice et impureté... C’est un réceptacle de toutes sortes
d’immondices, voilà tout. Repousse ces mauvais sentiments en répétant intérieurement ces paroles.
28. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : L’homme qui marche dans la pratique de la vertu doit se regarder en présence de ses passions comme une herbe combustible devant un
grand feu ; l’homme jaloux de sa vertu doit s’enfuir à l’approche de ses passions.
29. — Un homme attristé de ne pouvoir triompher des pensées mauvaises qui l’obsédaient, tournant contre lui-même le tranchant d’une hache, se donna le coup de la mort. Bouddha, le suprême des
êtres, lui adressa ces mots : Trancher la vie, ne vaut pas trancher les dérèglements du cœur ; le cœur, c’est la racine de tout ; après avoir détruit le principe et la racine, tout ce qui en
procède s’évanouit. Ne pas trancher les pensées mauvaises, trancher au contraire ta vie, quel bien en résulte-t-il ?... Bouddha ayant ainsi parlé, cet homme mourut aussitôt. Bouddha prononça
alors ces mots : Les faux jugements du monde ressemblent à ceux de cet homme insensé.
30. — Une fille impudique avait donné rendez vous à un homme : comme au temps fixé il ne paraissait pas, s’abandonnant au repentir, elle se dit à elle-même : O passion ! je connais ton principe
et ta source, c’est de mes propres pensées que tu as pris naissance ; si je n’avais pas pensé à toi, certainement tu ne serais pas née. Bouddha, en passant, l’entendit ainsi parler, il dit alors
au Charmana : C’est un souvenir de la sentence que Chekiafo a laissée dans le monde.
31. — Bouddha manifestant sa doctrine, prononça ces mots : Les tourments naissent des passions ; la crainte naît des tourments... Point de passions, point de tourments ; point de tourments, point
de crainte.
32. — Bouddha manifestant sa doctrine, prononça ces mots : Celui qui marche dans la pratique de la vertu est semblable à un homme qui se bat contre dix mille ennemis. Couvert de sa cuirasse, la
lance à la main, il s’avance hors de la porte et se dit : Allons combattre. Ou bien, tremblant de peur, il revient sur ses pas ; ou bien il s’arrête au milieu de la route ; ou bien il meurt en se
battant ; ou bien il remporte une grande victoire ; et, de retour dans son royaume, il est élevé au comble des honneurs. L’homme qui d’un cœur sincère et courageux, fait tous ses efforts pour
avancer continuellement dans la vertu sans se laisser ébranler par les trompeuses et hypocrites maximes du monde, finira par éteindre les passions, purifier le cœur et se confondre enfin dans le
grand principe.
33. — Un homme qui passait les nuits à chanter les prières témoigna, par sa voix triste et oppressée, de l’abattement, et la volonté de s’en retourner. Bouddha fit appeler ce Charmana et lui dit
: Au temps où tu habitais dans ta famille, que faisais-tu ? Il répondit : Je pinçais sans cesse une guitare. — Bouddha lui dit : Si les cordes de la guitare se relâchaient, qu’arrivait-il ? — Je
n’obtenais pas de son. — Si les cordes étaient trop tendues, qu’arrivait il ? — Les sons étaient entrecoupés. — Lorsque les cordes obtenaient un juste équilibre de tension et de souplesse,
qu’arrivait-il ? — Tous les sons s’accordaient dans une parfaite harmonie. Bouddha prononça alors ces mots : Il en est de même de l’étude de la doctrine : après avoir pris empire sur ton cœur et
réglé ses mouvements avec mesure et harmonie, il parviendra à l’acquisition de la vérité.
34. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : L’homme qui s’applique à la pratique de la vertu est semblable à un fondeur de fer : après avoir, petit à petit, bien purifié sa
matière, certainement il confectionnera un beau vase. En étudiant la vérité, après avoir lavé insensiblement les souillures du cœur, on marche avec succès dans la pratique de la vertu. S’il n’en
est pas ainsi, le corps perd sa vigueur ; si le corps perd sa vigueur, la volonté s’impatiente et s’irrite ; si la volonté s’irrite, la marche rétrograde ; si la marche rétrograde, on commet des
prévarications.
35. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : L’homme, qu’il pratique la vertu ou qu’il ne la pratique pas, est certainement malheureux. Pour l’homme seul, depuis la naissance
jusqu’à la vieillesse, depuis la vieillesse jusqu’à la maladie, depuis la maladie jusqu’à la mort, les diverses misères qu’il endure sont infinies. Un cœur colère accumule les prévarications ; à
la vie, à la mort, il a beau se tourner et se retourner, les misères qu’il endure sont innombrables.
36. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : Celui qui parvient à s’éloigner des trois mauvaises voies, obtient difficilement de transmigrer dans la voie humaine ; s’il a obtenu de
passer dans la voie humaine, évitant l’état femelle, naître mâle est difficile ; s’il a obtenu de naître mâle, la perfection des six organes est difficile ; s’il a obtenu la perfection des six
organes, naître dans le royaume central est difficile ; s’il est né dans le royaume central, connaître la doctrine de Bouddha, c’est difficile ; s’il a obtenu de connaître la doctrine de
Bouddha, être mis au rang des princes de la doctrine, c’est difficile ; avoir été mis au rang des princes de la doctrine, et naître dans la famille de Poussa, est difficile ; s’il est né dans la
famille de Poussa, le cœur ayant foi aux trois mystères, il est difficile d’être placé dans le royaume de Bouddha.
37. — Bouddha fit cette demande aux Charmanas : A combien de temps est fixée la vie d’un homme ? Ils répondirent : Elle est fixée à quelques jours. Bouddha prononça ces mots : Vous n’avez pas
encore acquis la connaissance de la doctrine. S’adressant ensuite à un Charmana, il lui fit cette demande : A combien est fixée la vie d’un homme ? il répondit : Elle est fixée au temps de
prendre un repas. Bouddha prononça ces mots : Va-t’-en. Toi non plus, tu n’as pas l’intelligence de la doctrine. Bouddha s’adressant ensuite à un autre Charmana, il lui fit cette demande : A
combien de temps est fixée la vie de l’homme ? Il répondit : Au temps qu’il faut pour émettre un souffle. Après qu’il eut ainsi parlé, Bouddha prononça ces mots : C’est bien, on peut dire que tu
as acquis l’intelligence de la doctrine.
38. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : Mes chers enfants, si vous vous éloignez de moi, quoique vous en soyez séparés de mille lis, pourvu que vous conserviez mes préceptes
dans votre cœur, certainement vous parviendrez à l’acquisition de la voie ; quoique vous soyez à mes côtés, si votre volonté s’abandonne aux choses perverses, à tout jamais vous ne parviendrez à
l’acquisition de la voie. En réalité, il faut marcher ; quoique vous soyez près, si vous ne marchez pas, sur dix mille avantages, vous n’en obtiendrez pas un seul.
39. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : L’homme qui pratique la vertu est semblable à celui qui mange du miel ; le miel, soit au dedans, soit au dehors, est plein de douceur.
Il en est ainsi de mes prières : leur vérité est très savoureuse ; celui qui marche entrera dans la voie.
40. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : L’homme qui, en pratiquant la vertu, s’applique à extirper la racine de ses passions, est semblable à celui qui déroule entre ses
doigts les perles d’un chapelet ; s’il va les prenant une à une, il arrive facilement au terme ; en extirpant un à un ses mauvais penchants, on obtient la perfection.
41. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : Le Charmana qui pratique la vertu doit se regarder comme le bœuf à long poil, qui, chargé de bagages, chemine au milieu d’un profond
bourbier ; harassé de fatigue, il n’ose regarder ni à droite, ni à gauche, espérant toujours sortir de la boue et arriver au lieu du repos. Le Charmana qui regarde ses passions comme plus
terribles que cette boue, s’il ne détourne jamais les yeux de la vertu, obtiendra l’exemption de tout chagrin.
42. — Bouddha, manifestant sa doctrine, prononça ces mots : Je regarde la dignité des rois et des princes comme des gouttes d’eau aux fissures des montagnes. — Je regarde les monceaux d’or et les
pierres précieuses comme de la brique et des pierres. — Je regarde les habits de soie et de taffetas comme de vieux haillons. — Je regarde les dix mille grands mondes comme autant de grains de
moutarde. — Je regarde l’eau des quatre mers comme l’eau dont on se sert pour laver les pieds. — Je regarde la prudence et ses moyens comme un navire rempli de trésors. — Je regarde l’étude des
grandes prières comme l’or et la soie présagés dans les songes. — Je regarde l’étude. de la doctrine de Bouddha comme une fleur qui est devant les yeux. — Je regarde les contemplations extatiques
comme une colonne aussi ferme que la montagne Soumiry. — Je regarde la poursuite du Nirvan comme une veille pendant le jour et pendant la nuit. — Je regarde la rectitude et la fourberie
comme un bal de six dragons.— Je regarde la classe des gens paisibles et tranquilles comme un champ où germent les vérités. — Je regarde les mutations de la fortune comme l’arbre des quatre
saisons.
Les Biktcho ayant entendu les enseignements que Bouddha venait de prononcer, tous, pleins de joie, se mirent à sa suite.