Art militaire des Chinois

ou Recueil d'anciens traités sur la guerre,

composés avant l'ère chrétienne, par différents généraux chinois.

 

On y a joint : Dix préceptes adressés aux troupes par l'empereur Yong-tcheng père de l'empereur régnant.
Et des planches gravées pour l'intelligence des exercices, des évolutions, des habillements, des armes, & des instruments militaires des Chinois.


  Traduit par le père Joseph-Marie AMIOT (1718-1793), missionnaire à Pe-king,
  A Paris, chez Didot l'aîné, libraire imprimeur, 1772, 400 pages+33 planches.

Table des matières
Extraits : Sun-tse : Fondements de l'art militaire - Ou-tse : Du général d'armée - Se-ma : De l'humanité - Instruction d'exercice
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Table des matières

  • Discours préliminaire du traducteur
  • Les dix préceptes de l'empereur Yong-tcheng aux gens de guerre.
    Préface de l'empereur — I. Il faut aimer & respecter ses parents — II. Il faut honorer & respecter ses aînés — III. Il faut être de bonne intelligence avec tout le monde — IV. Il faut instruire ses enfants & ses frères cadets — V. Il faut cultiver la terre avec soin — VI. Il faut se rendre habile dans l'exercice de la flèche tant à pied qu'à cheval — VII. Il faut user d'économie — VIII. Il faut s'abstenir du vin & des liqueurs qui enivrent — IX. Il faut éviter le jeu — X. Il faut éviter les combats & les querelles. 
  • Les XIII Articles sur l'art militaire, par Sun-tse.
    Préface — I. Fondements de l'art militaire — II. Des commencements de la campagne — III. De ce qu'il faut avoir prévu avant le combat — IV. De la contenance des troupes — V. De l'habileté dans le gouvernement des troupes — VI. Du plein & du vide — VII. Des avantages qu'il faut se procurer — VIII. Des neuf changements — IX. De la conduite que les troupes doivent tenir — X. De la connaissance du terrain — XI. Des neuf sortes de terrains — XII. Précis de la manière de combattre par le feu — XIII. De la manière d'employer les dissensions & de mettre la discorde.
  • Les VI Articles sur l'art militaire, par Ou-tse.
    Préface — I. Du gouvernement de l'État par rapport aux troupes — II. Combien il est important de bien connaître ses ennemis — III. Du gouvernement des troupes — IV. Du général d'armée — V. De la manière de prendre son parti dans les différents changements qui peuvent arriver — VI. Des véritables moyens d'avoir de bonnes troupes.
  • Les V Articles sur l'art militaire, par Se-ma.
    Préface — I. De l'humanité — II. Précis des devoirs particuliers de l'empereur — III. Précis des devoirs particuliers de ceux qui commandent — IV. De la majesté des troupes — V. Idée générale de la manière dont il faut employer les troupes.
  • Extrait du livre intitulé Lou-tao, sur l'art militaire.
    Préface — I. De la manière dont on faisait anciennement les généraux — II. De la manière dont le souverain & le général se communiquaient leurs secrets.
  • Instruction sur l'exercice militaire.
    Préface — Exercice de ceux qui n'ont pour armes que le sabre & le bouclier — Instruction sur la manière dont on doit faire l'exercice général.
  • Des armes, des habillements & des instruments qui sont à l'usage des gens de guerre.
  • Index.

 

Sun-tse : Fondements de l'art militaire


Sun-tse dit : les troupes sont la grande affaire d'un État ; c'est d'elles que dépendent la vie ou la mort des sujets, l'agrandissement ou la décadence de l'empire : ne pas faire de sérieuses réflexions sur ce qui les concerne, ne pas travailler à les bien régler, c'est montrer une trop grande indifférence pour la conservation ou pour la perte de ce qu'on a de plus cher, c'est ce qu'on ne doit pas trouver parmi nous.

Cinq choses principales doivent faire l'objet de nos continuelles méditations, & de tous nos soins. Semblables à ces fameux artistes, qui, ayant entrepris quelque chef-d'œuvre de leur art, ont toujours présent à l'esprit le but qu'ils se sont proposé, mettent à profit tout ce qu'ils voient, tout ce qu'ils entendent, & n'oublient rien pour se procurer de nouvelles connaissances & tous les secours qui peuvent les conduire heureusement à leur fin. Si nous voulons que la gloire & les succès accompagnent nos armes, nous ne devons jamais perdre de vue la doctrine, le Ciel, la Terre, le général & la discipline. La doctrine nous fera naître à tous des sentiments uniformes ; elle nous inspirera une même manière de vivre & de mourir, & nous rendra également intrépides dans les malheurs & dans la mort.

Si nous connaissons bien le Ciel, nous n'ignorerons point ce que c'est que ces deux grands principes yn & yang ; nous saurons le temps de leur union & de leur mutuel concours pour la production du froid, du chaud, de la sérénité ou de l'intempérie de l'air.

La Terre n'est pas moins digne de notre attention que le Ciel ; étudions-la bien, & nous aurons la connaissance du haut & du bas ; du loin comme du près, du large & de l'étroit, de ce qui demeure & de ce qui ne fait que passer.

La Doctrine, l'équité, l'amour pour ceux en particulier qui nous sont soumis & pour tous les hommes en général, la science des ressources, le courage & la valeur, telles sont les qualités qui doivent caractériser celui qui est revêtu de la dignité de général ; vertus nécessaires, pour l'acquisition desquelles nous ne devons rien oublier : seules elles peuvent nous mettre en état de marcher dignement à la tête des autres.

Aux connaissances dont je viens de parler, il faut ajouter celle de la discipline. Posséder l'art de ranger les troupes ; n'ignorer aucune des lois de la subordination & les faire observer à la rigueur ; être instruit des devoirs particuliers de chaque officier subalterne ; savoir connaître les différents chemins par où on peut arriver à un même terme ; ne pas dédaigner d'entrer dans un détail exact de toutes les choses qui peuvent servir, & se mettre au fait de chacune d'elles en particulier ; tout cela ensemble forme un corps de discipline dont la connaissance pratique ne doit point échapper à la sagacité ni aux attentions d'un général.

Vous donc, que le choix du prince a placé à la tête des armées, jetez les fondements de votre science militaire sur les cinq principes que je viens d'établir ; la victoire suivra partout vos pas : vous n'éprouverez au contraire que les plus honteuses défaites, si, par ignorance ou par présomption, vous venez à les omettre ou à les rejeter.

 

Ou-tse : Du général d'armée


Ou-tse dit : Pour être en état de commander les armées, il ne faut pas être moins habile dans les lettres que dans les armes ; il faut savoir tirer parti du faible comme du fort. Il n'est personne qui ne se croie en état de donner des avis aux généraux ; il n'est personne qui ne parle des qualités qu'il doit avoir ; mais la plupart le sont sans connaissance de cause, & regardent la valeur comme ce qu'il y a de plus essentiel pour celui qui est à la tête des troupes.

Qu'un général ait de la valeur, à la bonne heure ; mais s'il n'a que cette qualité, je ne crains pas de le dire, il n'est point digne de commander. La valeur seule n'est pas assez prévoyante, elle va toujours en avant, & ne considère pas assez ses véritables intérêts ; elle présume trop d'elle-même, & se met trop aisément au-dessus de toute espèce de crainte ; elle n'est pas assez attentive, & croirait se dégrader si elle prenait de certaines précautions, fussent-elles guidées par la sagesse elle-même. Cependant il y a cinq articles auxquels un général doit toute son attention. Le premier consiste dans la manière de gouverner en général ; le second, dans la manière de faire les dispositions & les préparatifs nécessaires ; le troisième dans la diligence à exécuter ce qu'on entreprend ; le quatrième, dans l'exactitude à employer tous les moyens & à garder tous les usages ; & le cinquième, dans la manière de prendre son parti dans les différentes occasions qui peuvent se présenter.

La manière de gouverner doit être telle qu'on puisse donner ses ordres, les faire exécuter par l'armée entière avec la même facilité qu'on trouverait à ne commander que quelques personnes. Les préparatifs seront tels qu'ils doivent être, si dès le premier jour de votre marche jusqu'à celui qui finira la campagne, vous ne cessez jamais d'être en état de faire face à l'ennemi, de le combattre, quelque part que vous puissiez le rencontrer & dans quelque circonstance que ce puisse être.

Les projets une fois concertés, les mesures une fois prises, il ne faut aucun délai dans l'exécution ; rien ne doit plus arrêter ; on ne doit plus craindre ni les fatigues, ni les peines ni les dangers, ni la mort même.

Par l'exactitude à employer tous les moyens & à garder tous les usages, je n'entends autre chose ici, si ce n'est qu'il faut toujours faire observer exactement la discipline militaire ; qu'il ne faut jamais s'endormir à l'abri de ses prospérités ; qu'après la victoire même la plus complète, il faut être prêt à se mesurer avec de nouveaux ennemis & à recommencer le combat.

La manière de prendre son parti dans les différentes occasions ne saurait se déterminer. C'est aux lumières & à la prudence du général qu'il faut s'en rapporter. Que les châtiments & les récompenses soient fixes ; que les fautes restent rarement impunies ; mais qu'une belle action soit toujours récompensée. Dès qu'un général a reçu de son souverain l'ordre de se mettre à la tête de ses troupes, il ne doit rentrer chez lui qu'après la défaite entière des ennemis. Il n'a plus de maison, il n'a plus ni parents ni amis ; le camp, ses soldats doivent lui tenir lieu de tout. S'il meurt à la tête de ses troupes, le jour de sa mort sera un jour de triomphe pour lui & pour tous ceux qui lui appartiennent.

Ou-tse dit : Il y a quatre sortes d'attentions à faire pour celui qui est à la tête d'une armée. La première regarde le temps, la seconde le lieu, la troisième les circonstances, & la quatrième l'état où les troupes se trouvent actuellement.

Dix mille officiers, cent mille soldats, toute une armée, de quelque nombre qu'elle soit composée, se trouvent à la disposition d'un seul homme ; ce seul homme, c'est le général. Quel temps plus favorable pour montrer ses vertus, pour faire paraître au grand jour ses belles qualités, pour illustrer sa patrie, pour immortaliser son nom & celui de son roi ? C'est le temps de se surpasser lui-même, &, si j'ose le dire, de se mettre au-dessus de l'humanité.

Les chemins ne sont pas toujours unis, les routes ne sont pas toujours sûres ; il y a des plaines & des montagnes, des lieux scabreux & des terrains aisés ; il y a des précipices & des défilés, des lieux arides & des lieux marécageux : un général doit les connaître, pour en tirer tout le parti qui lui paraîtra le plus convenable & le plus avantageux. Rien ne doit lui échapper.

Les circonstances ne doivent point être l'effet du hasard ; un habile général sait les faire naître à point nommé. Il sait l'art de commander & de se faire obéir ; il sait se faire aimer & craindre en même temps ; & comme il a l'estime des siens, on lui suppose les vues les plus profondes dans tout ce qu'il entreprend, n'y eût-il de sa part aucun dessein prémédité ; il sait l'art d'en imposer à l'ennemi, de semer la discorde parmi les officiers généraux tant de l'armée qu'il doit combattre que des villes qu'il veut conquérir, celui de faire en sorte que les subalternes les méprisent, de mettre la division entre leurs soldats, &, en un mot, celui de disposer d'eux tous à son gré.

Un général peut raisonnablement se flatter des plus heureux succès, s'il a fait en sorte que ses troupes soient bien exercées & propres à toutes les évolutions, s'il les a rendu ennemies de l'oisiveté & du repos, s'il les a rendu capables de souffrir la faim, la soif & la plus extrême fatigue sans se décourager ; si les chars, tant ceux qui sont armés que ceux qui sont pour le bagage, sont toujours en bon état ; s'ils ont, par exemple, de bonnes roues, de solides ferrements, & si tout ce qui les compose est assez fort pour résister aux secousses des chemins les plus mauvais ; si les barques, tant celles qui sont pour le transport des vivres & des munitions, que celles qui sont pour combattre, ont de bons avirons & de bons gouvernails, si elles sont fortes & bien lestées, si elles peuvent servir pour les différentes évolutions ; si les chevaux peuvent être d'un bon service, c'est-à-dire, s'ils sont bien dressés, s'ils sont dociles au frein, & s'ils prennent tous les mouvements qu'on voudra leur donner. Celui qui sait avoir toutes ces attentions, & qui entre dans tous ces détails, comme pour se délasser, a quelques-unes des qualités qui constituent un bon général. Mais il ne les a pas toutes encore : il faut de plus qu'il ait de la majesté, de la bravoure, de la vertu & de l'humanité ; s'il est tel, il sera obéi, respecté, estimé, aimé des siens ; il sera craint & redouté des ennemis ; ses moindres volontés seront des ordres ; tous ses combats seront des victoires ; il sera le soutien de son prince, la gloire de son règne, l'auteur de la tranquillité publique, & la terreur de ses ennemis.

 

Se-ma : De l'humanité


Les anciens sages, les premiers législateurs, regardèrent l'humanité comme le principe universel qui devait faire agir les hommes ; ils fondèrent sur la justice l'art sublime du gouvernement ; ils établirent l'ordre, pour diriger la justice ; ils donnèrent des règles de prudence pour fixer l'ordre ; ils consacrèrent la droiture, pour servir de mesure à tout. Pour ranimer l'humanité qui s'éteignait peu à peu dans le cœur des hommes, pour faire régner la justice dont on violait les immuables lois, pour rétablir l'ordre, que les passions fougueuses troublaient sous les plus légers prétextes, pour faire valoir la prudence dont on méprisait les règles, pour soutenir la droiture qu'on affectait de méconnaître, ils furent contraints d'établir l'autorité ; & pour assurer & affermir l'autorité, pour la venger & la défendre, ils eurent recours à la guerre. Ils avaient de l'humanité, ils étaient justes, ils aimaient l'ordre, ils avaient de la prudence de la droiture, & ils firent la guerre. On peut donc faire la guerre, on peut combattre, on peut envahir des villes, des provinces & des royaumes. Vu l'état où sont actuellement les hommes, il n'y a plus de doutes à former à cet égard. Mais avant que d'en venir à ces extrémités, il faut être bien assuré qu'on a l'humanité pour principe, la justice pour objet, la droiture pour règle. On ne doit se déterminer à attenter à la vie de quelques hommes, que pour conserver la vie d'un plus grand nombre : on ne doit vouloir troubler le repos de quelques particuliers, que pour assurer la tranquillité publique ; on ne doit nuire à certains individus, que pour faire du bien à l'espèce ; on ne doit vouloir que ce qui est légitimement dû, ne le vouloir que parce qu'il est dû, & ne l'exiger que comme il est dû. Il résulte de là que la nécessité seule doit nous mettre les armes à la main. Or, si l'on ne fait la guerre que par nécessité, avec les conditions que je viens d'indiquer, on aimera ceux même contre qui l'on combat, on saura s'arrêter au milieu des plus brillantes conquêtes, on sacrifiera la valeur à la vertu, on oubliera ses propres intérêts pour rendre aux peuples, tant vainqueurs que vaincus, leur première tranquillité & le repos dont ils jouissaient auparavant.

Quand on a l'humanité pour principe, on n'entreprend pas la guerre hors de saison, on ne l'entreprend pas sans de légitimes raisons. On l'entreprendrait hors de saison si l'on faisait marcher les troupes pendant le temps des semailles ou de la récolte, pendant les grandes chaleurs de l'été, ou pendant les rigueurs de l'hiver, pendant le temps du grand deuil, ou pendant celui de quelque calamité publique, comme lorsque des maladies contagieuses sont de grands ravages parmi le peuple, ou lorsque, par l'intempérie de l'air ou le dérangement des saisons, la terre, soit de votre côté, soit du côté de l'ennemi seulement, refuse aux hommes ses dons les plus ordinaires. La guerre se ferait sans de légitimes raisons, si on l'entreprenait avant que d'avoir fait tous ses efforts pour obtenir par des voies pacifiques ce qu'on veut se procurer par la force des armes ; si, sous divers prétextes, qui ne peuvent être que frivoles, on refusait opiniâtrement toute médiation ; si enfin on ne prenait conseil que de soi-même, pour suivre les impulsions de quelque passion secrète, de vengeance, de colère ou d'ambition.

La guerre est par rapport au peuple ce qu'une violente maladie est par rapport au corps. L'une demande autant de précautions que l'autre : dans les maladies, il y a le moment d'appliquer les remèdes, le temps de les laisser agir, & celui ou ils doivent produire leurs effets. Dans la guerre, il y a le temps de la commencer, le temps de la pousser, & celui de la suspendre ou de la terminer. Ne pas faire ces distinctions, ou, si on les fait, n'y avoir pas les égards nécessaires, c'est n'avoir aucun objet réel, c'est vouloir tout perdre, c'est n'avoir point d'humanité.

Si vous avez de l'humanité, vous saurez, vous sentirez que tout affligé est respectable ; vous n'ajouterez pas affliction sur affliction, douleur sur douleur, infortune sur infortune. Dans ces sortes d'occasions, vous ne devez point avoir d'ennemis : quels sentiments devez-vous donc avoir pour vos propres gens, pour vos amis mêmes ?

Si vous avez de l'humanité, loin de vous refuser à tout accommodement raisonnable, vous vous prêterez, sans aucune difficulté, à tous ceux qui ne seront pas évidemment contraires à la gloire de votre règne, ou aux intérêts réels de votre peuple ; vous n'oublierez rien pour les faciliter, vous en chercherez les occasions, vous les ferez naître.

Instruction sur la manière dont on doit faire l'exercice général

 

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