Le Saint Édit

Le Saint Édit. Étude de littérature chinoise préparée par A. Théophile PIRY (1851-1918) Bureau des Statistiques, Inspectorat général des douanes, Shanghai, 1879.

Étude de littérature chinoise

préparée par A. Théophile PIRY (1851-1918)
Bureau des Statistiques, Inspectorat général des douanes, Shanghai, 1879.

  • T. Piry : "Chargé en 1876 de continuer, pendant quelques mois d'absence du professeur en titre, le cours de langue française donné aux élèves chinois du T'ung Wên Kuan, j'eus l'idée d'entreprendre la traduction française du "Saint Édit", et de l'offrir comme sujet d'étude à mes élèves les plus avancés. Pris dans l'un des plus beaux monuments de leur littérature moderne, ce travail ne pouvait manquer de fixer leur attention et, par conséquent, faciliter la tâche inattendue et difficile qui m'incombait. La pensée d'en faire l'objet d'une publication était donc, au début, fort loin de moi. Le tout achevé, cependant, des amis qui connaissaient mon travail, voulurent bien me représenter qu'il pouvait être utile à d'autres qu'à mes élèves... : bref, on m'engagea à le publier."
  • Piry : "Bien que remarquable par certains points d'originalité, le Saint Édit n'est que la redite des préceptes de religion ou de morale, enseignés de tous temps en Chine. C'est, du reste, à l'aube de son histoire, aux règnes des saints empereurs Yao et Shun, qu'il faut remonter pour trouver, au milieu d'institutions dont la plupart subsistent encore intactes aujourd'hui, celle de cette dignité de pontife unie à la couronne, qui rend deux fois sainte l'autorité suprême et fait un père du souverain. Aucun document, mieux que le Saint Édit, ne peut nous montrer ces fonctions patriarcales de l'empereur : la politique s'y trouve mêlée à la religion, la persuasion aux menaces, les intérêts de famille aux intérêts d'État."
  • [Chineancienne reproduit ici, outre bien entendu le texte traduit, les notes de A. Piry présentant un caractère sociologique, historique ou philosophique. Le texte chinois, l'index des mots et les notes grammaticales et linguistiques ne sont pas repris. Il peut paraître étrange d'avoir fait ce choix, lorsque Piry met en relief dans son introduction l'intérêt de son travail pour l'apprentissage de la langue chinoise. Mais on s'est cru autorisé à penser que cette limite de numérisation était possible, compte tenu du fait que l'ouvrage est disponible et consultable dans sa totalité en facsimile sur le site archive.org. Les personnes passionnées par la langue et la grammaire s'y reporteront. Les autres, peut-être davantage préoccupées des idées véhiculées, pourront se limiter à cette numérisation, plus manipulable.]

Extraits : Le Saint Édit - Préface de l'empereur Yung-Chêng - I. Piété filiale, rapports sociaux - III. Paix et procès - XV. Le pao-chia
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Les maximes

I. Des devoirs filials et fraternels. — II. De l'union des parents. — III. De la paix entre voisins. — IV. Des travaux d'agriculture. — V. De l'ordre et de l'économie. — VI. De l'enseignement universitaire. — VII. Des religions et sectes étrangères. — VIII. Du respect des lois. — IX. Des rites et de la bienséance. — X. Des occupations fondamentales. — XI. De l'éducation de la jeunesse. — XII. Des fausses accusations. — XIII. Du danger de cacher les déserteurs. — XIV. Du paiement des charges et des impôts. — XV. De l'organisation du pao-chia. — XVI. Du danger des inimitiés.

*

[Le Saint Édit]

Le Shêng-yü ou Saint Édit ne comprenait dans l'origine que seize maximes, ou préceptes de sept caractères chacun, dont la rédaction est due au célèbre K'ang-Hsi, le second empereur de la dynastie régnante. Il fut publié vers la fin de 1671. L'édit par lequel le grand homme transmit ces préceptes à son peuple me semble un précieux document historique ; ayant été assez heureux, après quelques recherches, pour me le procurer, je me fais un devoir d'en donner ici la traduction exacte.

«... Le 9 de la 10e lune de la 9e année de K'ang-Hsi, réception au ministère des Rites d'un Édit Impérial (ainsi conçu) :

Nous savons qu'au temps d'un gouvernement parfait, ce n'était pas spécialement des lois dont on s'occupait, mais bien, et avant tout, de la réforme par l'enseignement ; alors le cœur des hommes était vertueux et bon, les mœurs publiques, simples et honnêtes ; il n'était plus besoin de recourir aux châtiments ; chaque foyer prospérait ; on voyait de longs règnes, une quiétude perpétuelle, les grands principes [de droiture], partout florissants ! Les lois répriment pour un temps, l'enseignement seul enchaîne pour jamais. Si donc, s'appuyant follement sur les lois, on ne s'occupe de l'enseignement, c'est laisser l'essentiel pour courir après l'accessoire.

Or, en ces derniers temps, Nous avons remarqué que de jour en jour dégénèrent les mœurs ; le cœur de l'homme n'est plus ce qu'il était autrefois : la violence est devenue habitude, l'usurpation s'impose de toutes manières, les artifices des méchants deviennent de plus en plus redoutables, les procès n'ont plus de fin. Tantôt, c'est un riche opulent qui écrase le pauvre abandonné, tantôt, c'est un notable ignorant qui veut trancher du maître dans son village ; des gens de lettres gradués [en quête de procès] vont et viennent dans les tribunaux, des misérables, ainsi que des vers rongeurs, attaquent perfidement les honnêtes gens. À tout moment, on entend parler de vol et de rapine, et les meurtres qu'entraînent la colère et la haine jettent sans cesse [des malheureux] entre les mains de la loi. On est forcé d'aggraver les châtiments ; on croit condamner [un coupable] à la mort, ce n'est qu'un ignorant digne de pitié ; on voudrait user de clémence, les lois ne pardonnent pas.

En réfléchissant sur cet accroissement continuel de peines et de sentences capitales, [Nous Nous sommes convaincu] qu'il ne peut avoir d'autre cause que l'inefficacité des doctrines de réforme.

Voulant donc aujourd'hui, à l'exemple de nos anciens monarques, relever la vertu, diminuer les châtiments et régénérer les mœurs en transformant le peuple, Nous proclamons universellement [les préceptes qui suivent] :

Pratiquez sincèrement la piété filiale et l'amour fraternel,
   afin d'élever les rapports sociaux.
Resserrez vos liens de parenté,
   afin de rendre manifestes la concorde et l'union.
Vivez en paix avec vos voisins,
   afin d'éviter les procès.
Tenez en honneur l'agriculture et les soins du mûrier,
   afin de vous assurer la nourriture et le vêtement.
Estimez l'ordre et l'économie,
   afin d'épargner vos richesses.
Exaltez l'enseignement universitaire,
   afin de diriger les études du lettré.
Flétrissez toute secte étrangère,
   afin d'exalter les doctrines orthodoxes.
Expliquez les lois,
   afin d'avertir l'ignorant et l'obstiné.
Montrez l'excellence des rites et de la bienséance,
   afin de perfectionner les mœurs.
Appliquez-vous aux occupations fondamentales,
   afin de fixer l'énergie du peuple.
Instruisez vos jeunes gens,
   afin de les empêcher de mal faire.
Supprimez les fausses accusations,
   afin de protéger l'innocence.
Avertissez ceux qui cachent les déserteurs,
   afin de les empêcher de s'impliquer dans leur crime.
Payez exactement l'impôt,
   afin d'éviter que la loi vous y presse.
Organisez-vous en pao-chia,
   afin d'extirper le brigandage et le vol.
Apaisez vos inimitiés,
   afin de tenir compte du prix de la vie.

Mais que faut-il pour enseigner et exhorter ? Que faut-il pour que, dans Notre Capitale et dans les provinces, chacun s'acquitte de la part de responsabilité qui lui incombe ? Que tout officier civil ou militaire prenne lui-même l'avance et prêche d'exemple, [et le succès répondra à Nos désirs] !

Les membres de Notre ministère [des Rites] consulteront minutieusement les canons de l'État, et après délibération Nous soumettront leurs vues !

Édit Spécial ! Par Ordre de Sa Majesté !

*

Extrait de la préface à l'amplification du Saint Édit [par l'empereur Yung-Chêng]

Depuis que Nous [l'Empereur], l'héritier du "Grand Tout", Nous régnons sur les millions de peuples, Nos pensées ont été les pensées de Notre Auguste Père, Notre gouvernement le même que le sien et, soir et matin, avec un zèle infatigable, Nous Nous sommes efforcé de suivre les règles établies [par nos anciens monarques]. Mais craignant que Notre peuple, tout en suivant d'abord Nos leçons avec soumission et confiance, ne se laisse à la longue aller à la négligence, Nous avons préparé ces avertissements dont la proclamation tiendra son attention éveillée.

Plein d'un profond respect, Nous Nous sommes emparé des seize maximes du Saint Édit et en ayant laborieusement étudié les principes et largement développé le texte, Nous avons obtenu un tout [d'environ] dix mille caractères que Nous avons appelé : "Amplification du Saint Édit".

Cherchant partout, au loin comme auprès de Nous, des exemples et des preuves, Nous avons minutieusement et à maintes reprises expliqué chaque chose ; Notre texte cherche à être clair et précis, Nos paroles sont surtout simples et droites. Car Notre unique objet est de remplir les desseins de l'Auguste Défunt pour l'instruction des générations futures. Qu'au sein de la multitude du peuple, chaque famille soit donc prévenue, que chaque foyer soit éclairé !

Élevant respectueusement vers lui vos pensées, puissiez-vous, soldats et peuple, réaliser les plans sublimes que laissa Notre Auguste Père pour la rectification de votre vertu et le soutien de vos existences ! Gardez-vous de considérer ceci comme les vaines paroles d'une harangue ou d'un ordre. Appliquez-vous unanimement à former une multitude réglée dans ses actions, ordonnée dans ses dépenses, et rejetez à jamais ces indignes coutumes de frivolité et de violence ! Alors, les mœurs publiques seront généreuses et pures, les familles unies et tranquilles ; de Notre palais, Nous assisterons joyeux au spectacle de cette rénovation vertueuse et le bonheur s'en fera sentir après vous jusque dans la suite de vos descendants ! "La famille qui croît en vertu est sûre d'abondantes bénédictions", [dit le proverbe]. Est-il de plus infaillible doctrine ?

*

MAXIME I
Pratiquez sincèrement la piété filiale et l'amour fraternel afin d'élever les rapports sociaux

Notre Auguste Père, le Bienfaisant Empereur, pendant les soixante-un ans qu'il tînt les rênes de l'État, imita ses ancêtres, honora ses parents et fut incessamment pénétré de pensées filiales. Par son ordre impérial furent publiés ces Commentaires sur le Hsiao Ching, qui expliquent ce texte sacré et en développent minutieusement les doctrines ; son unique pensée fut d'arriver à gouverner l'empire par la piété filiale ; aussi est-ce en tête des seize articles de son Saint Édit que s'ouvre celui qui traite des devoirs filials et fraternels.

Nous [l'empereur], suprême dépositaire de la "Grande Monarchie", ayant longuement médité sur les enseignements qu'il Nous donna, Nous venons exposer à tous le sens de ses doctrines. Développant tout d'abord les principes de piété filiale et d'amour fraternel, devant vous, soldats et peuple, Nous proclamons ces exhortations !

La piété filiale est une loi du Ciel, un principe de la Terre et la première des obligations des peuples. A-t-il jamais réfléchi, l'homme qui ne sait pas chérir ses parents, à l'amour d'un père et d'une mère pour leur enfant ? Lorsqu'encore trop faible pour sortir de leurs bras, [l'enfant] souffre de la faim, il ne peut se nourrir ; s'il tremble de froid, il ne peut se vêtir ; mais ses parents écoutent l'accent de sa voix, examinent l'expression de ses traits et ses sourires font leur joie, ses pleurs, leur chagrin ; commence-t-il à marcher, ils le suivent pas à pas ; souffre-t-il, il n'est plus pour eux d'appétit ni de sommeil. Ainsi ils l'élèvent, ainsi ils l'instruisent jusqu'à l'âge viril ! Alors, pour lui créer une famille et l'établir dans les affaires, ils forment cent projets. Ils épuisent tout leur esprit, toutes leurs forces. En vérité, les bienfaits d'un père et d'une mère sont vastes comme les cieux !

Le fils d'une créature humaine qui veut payer à ses parents la dix-millième partie seulement de leurs bienfaits, doit donc y appliquer, en lui-même, toute son âme, au dehors, toute sa force. Qu'il veille sur sa personne et règle ses dépenses, qu'il prévienne avec attention leurs fatigues et fournisse avec somptuosité à leurs besoins ! Qu'il renonce au vin et au jeu, fuit les luttes et les querelles et se garde de tenir à ses richesses pour l'égoïste profit de sa femme et de ses enfants ! Ses manières extérieures peuvent manquer d'apprêts, mais que son cœur déborde de sincérité et de droiture !

Pour développer davantage encore ces [enseignements, citons] comme exemple ces paroles de Tsêng-tzŭ :

« Qui manque de dignité dans son maintien n'a pas de piété filiale ! Qui sert avec déloyauté son prince manque au devoir filial ! Qui ne s'acquitte avec respect de ses devoirs publics pèche contre la piété filiale ! Qui n'en use sincèrement envers ses amis offense la piété filiale ! Qui ne se conduit en brave sur le champ de bataille manque au respect filial ! »

Car toutes ces choses sont du devoir d'un enfant pieux.

Quant au premier des fils, on l'appelle "Gouverneur de la Famille" et ses cadets l'honorent du titre de "Doyen de la Maison". Dans les dépenses et les recettes journalières, dans les grandes comme dans les petites affaires, les jeunes membres de la famille doivent en référer [à leur aîné] ; dans le boire et le manger, ils lui doivent les premiers honneurs, dans le parler, la soumission ; dans les sorties, ils doivent marcher discrètement à sa suite, assis ou debout garder une place inférieure [à la sienne] : ainsi s'expliquent les devoirs des cadets. Si vous traitez en frère aîné [l'étranger] qui a dix ans de plus que vous, si vous cédez le pas à celui qui a cinq ans de plus que vous, à plus forte raison devez-vous les mêmes égards à l'homme qui est de votre sang !

Le manquement aux devoirs filials et l'oubli des devoirs fraternels sont donc étroitement unis et servir ses parents et respecter ses aînés sont des obligations également importantes. Qui sait être bon fils saura être bon frère ; qui sait être bon fils et bon frère saura aussi, dans les campagnes, faire un membre honorable du peuple, dans les rangs de l'armée, un soldat fidèle et brave.

Vous savez comme Nous, soldats et peuple, que les enfants doivent cultiver la piété filiale, les frères, l'amour fraternel ; mais il est à craindre qu'à force d'habitude n'y prêtant plus votre attention, vous ne vous soyez écartés de vos devoirs humains. Si [vous sentant coupables] vous savez en éprouver du remords et de la honte, déployez [vers ces devoirs] toute la sincérité de votre âme, appliquez-y toute l'énergie de vos forces ! Que d'une pensée filiale et fraternelle, vous arriviez à rendre peu à peu les mêmes toutes vos pensées ! N'affectez pas de vains dehors ! Ne négligez rien jusqu'aux moindres détails ! Gardez-vous d'acheter un faux renom ou d'offrir un prix aux flatteries ! Ne soyez pas appliqués au début et négligents à la fin ! Alors, peut-être, les doctrines de piété filiale et d'amour fraternel seront généreusement suivies !

Contre le fils insoumis et le mauvais frère, l'État a des peines reconnues, mais si les châtiments peuvent réprimer [les fautes] dont les traces sont visibles, les lois ne peuvent atteindre celles qui se font en secret. Si, incapables de remords et de honte, vous vous abîmiez dans le vice, Notre cœur ne pourrait supporter sa profonde douleur, et c'est pourquoi Nous vous réitérons sans cesse Nos exhortations.

Puissiez-vous, soldats et peuple, réalisant Nos vœux, renouveler, élever [votre nature] et remplir respectivement vos obligations de fils et de frère ! Ah ! qu'elles étaient admirables ces vertus des Saints Hommes qui prenaient leur germe dans les rapports sociaux ! ces doctrines de Yao et de Shun qui ne sortaient pas des principes de piété filiale et d'amour fraternel !

« Si tous les hommes servaient leurs parents et respectaient leurs aînés, a dit Mencius, l'empire jouirait d'une paix profonde. »

Soldats et peuple ! gardez-vous de considérer ceci comme un vain discours !

*

MAXIME III
Vivez en paix avec vos voisins afin d'éviter les procès

Dans les temps anciens, cinq communes formaient un canton, cinq arrondissements formaient un district : [de là naquirent] ces doctrines de concorde entre parents, de bonnes relations entre alliés, de fidélité entre amis et de charité qu'on a toujours depuis lors tenues en honneur.

Mais comme dans chaque village augmente de jour en jour la population, les habitations se rapprochent : un regard offensant vous échappe, trop de familiarité amène de petits dédains et [tout à coup], dans une heure d'oubli, un conflit s'élève ; alors on s'en va devant un tribunal se courber sous la honte et livrer sa personne aux mains des magistrats ; le perdant [en sort] pénétré de confusion, la foule regarde le gagnant d'un mauvais œil et des gens qui vivent côte à côte dans le même village se portent une mutuelle défiance et rêvent la vengeance. Comment songer alors à s'occuper en paix de son travail et des soins de postérité ?

Notre Auguste Père, le Bienfaisant Empereur, attristé de voir cette passion de l'homme pour la discorde, et songeant de quelle importance est l'urbanité des mœurs pour [le succès] des doctrines de réforme, adressa un précepte spécial aux gens d'un même voisinage. « Vivez en paix, leur dit-il, afin d'extirper d'entre vous le germe de toute dissension. »

Et Nous, désireux de voir vivre en paix les myriades de Nos sujets, Nous proclamons cette déclaration afin de rétablir les doctrines de la paix.

Il est dit dans le Shih Ching :

« Quand des gens perdent la vertu [d'harmonie],

À des provisions sèches en est souvent la faute. »

Ce qui veut dire que les progrès de la mésintelligence ne naissent souvent que de causes frivoles.

« Quand l'homme supérieur entreprend une affaire, il a tout d'abord réfléchi », dit le Yi Ching au diagramme du Sung ; en d'autres termes, pour éviter les procès, il faut savoir dès le commencement en supprimer toute cause.

Par conséquent, parents ou étrangers, [on doit] en user envers tous avec cordialité ; grande ou petite, toute affaire [doit] être conduite d'une façon humble et conciliante. Gardez-vous de présumer de vos richesses pour opprimer le pauvre ou de vous prévaloir de votre noblesse pour accabler le vilain ! N'affectez pas le savoir pour en imposer au simple et n'abusez pas de votre force pour écraser le faible ! Dans les dissensions, sachez dissiper le désordre, faites le bien mais n'en attendez jamais la récompense ! Si quelqu'un vous manque, pardonnez-lui avec bonté ; s'il vous offense involontairement, excusez-le avec raison ! Que l'un montre une large mesure de patience et l'autre connaîtra le sentiment du repentir. À qui sait endurer l'espace d'un matin, les campagnes décerneront le titre d'"homme de bien" ; qui n'a pas contesté pour une petite colère, [verra] sa grandeur d'âme exaltée par tout son voisinage ! Ah ! que sont grands les avantages de la bonne harmonie entre voisins !

« Ce n'est pas, disaient les Anciens, pour faire choix de sa demeure qu'est l'art de la divination, mais bien pour faire choix de ses voisins. »

[En effet], de tous ceux sur lesquels on peut se reposer dans un moment de gêne, nuls ne valent les voisins !

Qu'au sein du même village, les pères et les vieillards, les fils et les frères s'unissent en un même corps ; que leurs joies et leurs tristesses soient celles d'une seule famille ! Que le cultivateur et le marchand s'entraident l'un l'autre, que l'artisan et le boutiquier se prêtent une mutuelle complaisance et l'homme du peuple vivra en paix avec l'homme du peuple. [Dans l'armée], qu'on s'exerce en commun au maniement des armes, qu'on s'aide mutuellement dans les gardes et le soldat vivra en paix avec le soldat. L'armée, déployant sa force pour la défense du peuple, c'est au peuple à nourrir cette force ; le peuple, prodiguant ses richesses pour le soutien de l'armée, c'est à l'armée à épargner ces richesses : ainsi l'armée et le peuple s'uniront dans la paix. Dès lors, [on ne verra plus] s'élever un sujet de discorde d'une cuillerée de riz ou d'un potage ; et [ces beaux parleurs], à la dent de rongeur, au bec d'oiseau, chercheront en vain matière à chicane. Qui donc alors irait encore se vouer à la haine, gaspiller son argent, prodiguer son temps, manquer ses affaires, quelquefois même dissiper sa fortune, se rendre vagabond et [finalement] mourir aux mains de la loi sans s'éveiller au sentiment de la raison !

Sur le grand et le vieillard reposent les espérances des campagnes, l'académicien et le savant sont la gloire de leur village : qu'ils prennent donc des habitudes d'union et de paix afin de servir d'exemple à leur endroit !

Quant au perfide et à l'obstiné, misérables chercheurs de désordre qui, tantôt, par leurs plans malicieux, suscitent la discorde, tantôt, par leurs sourdes menées, alarment et dupent [la foule] ; qui, sous le masque de l'amitié, fomentent des troubles, ou qui, tout en affectant d'honnêtes discours, accaparent tout [à leurs fins], un seul dans un village suffit pour en bannir le repos ; mais l'opinion publique ne peut les y souffrir et les lois de l'État sont là [pour les châtier]. Voilà, soldats et peuple, les gens que vous devez surtout redouter avec soin !

L'empire [tout entier] n'est qu'une agglomération de districts et de cantons ; suivez donc d'un cœur sincère [dans chaque district et dans chaque canton] les sublimes enseignements de Notre Auguste Père et cultivez les saines coutumes de paix et de concorde ! [Alors], la piété filiale et l'amour fraternel croîtront en sincérité, et les liens de famille en seront plus étroits ; de vertueuses mœurs constitueront l'excellence de vos campagnes, chaque foyer prospérera, les procès disparaîtront, tous les hommes s'oublieront dans le repos ; et, dans la succession des âges, l'union et la paix s'étendront aux myriades des contrées, une tranquillité profonde régnera par tout l'univers !

Voilà, soldats et peuple, ce sur quoi Nous voulons avec vous à jamais compter !

*

MAXIME XV
Organisez-vous en pao-chia afin d'extirper le brigandage et le vol

De tous temps, le repos du peuple a dépendu de l'extermination des brigands ; on doit donc par avance préparer les moyens de les démasquer et de s'en défendre : voilà pourquoi il y a des récompenses pour qui les saisit, des châtiments pour qui les fait échapper, des défenses contre qui voudrait cacher [leurs méfaits] et des lois [contre qui ne les arrête] dans certains délais. Mais de tous les moyens efficaces, aucuns n'égalent ceux qu'offre l'organisation du pao-chia.

Dix familles forment un chia, dix chia forment un pao. Le chia a son doyen, le pao a son chef. On tient un registre matricule, on se veille, on se prévient mutuellement : telle est la loi traditionnelle qui règle la garde et l'inspection mutuelles des champs du même ching. Aussi, Notre Auguste Père, le Bienfaisant Empereur, vous dit-il dans son Impérial Édit : "Organisez-vous en pao-chia afin d'extirper le brigandage et le vol", son unique vœu étant que dans les neuf chou qu'entourent les quatre mers toutes les campagnes pussent jouir d'un repos assuré. En vérité, sa sainte anxiété d'extirper jusqu'aux racines du mal fut extrême !

Mais Nous craignons qu'après avoir longtemps fidèlement obéi, vous ne vous laissiez aller à la négligence et qu'alors les fonctionnaires, se contentant simplement d'inspecter les registres, le peuple, d'appendre son mên-p'ai, on ne cherche plus à suivre sérieusement les lois d'association et de vigilance mutuelles, d'où naissent sans nombre ces criminels abus d'encourager et de cacher [les brigands]. Qu'un voisin perde alors quelque objet et on le regarde avec la même indifférence qu'un homme de Ch'in le ferait d'un homme de Yüeh ; qu'un riche soit violemment dépouillé et au lieu de [le plaindre], on se le montre du doigt et on se dit : "Ainsi devait s'en aller son bien mal acquis !"

Ou bien, ce qui est pis encore, on prétexte le bien public pour servir ses intérêts privés et sous le faux nom d'inspection et d'enquête, on exerce d'insatiables exactions ; de son service de garde, [le soldat] prend occasion pour vexer les gens et l'employé abuse [de son titre] pour agir traîtreusement. Le nom du pao-chia existe, mais le pao-chia lui-même n'existe pas ; on en a tous les ennuis sans en avoir les avantages : voilà pourquoi le brigandage et le vol sont si difficiles à extirper !

Mais le profit que peuvent retirer les gens des meilleures institutions dépend de leur application à les mettre en pratique : qu'à l'avenir donc dans les cités et les campagnes, on observe fidèlement la loi du pao-chia ; que chaque endroit se partage en pao, chaque pao en chia ; que les cités se divisent suivant leurs quartiers, les campagnes, suivant leurs tracés, et que de voisin à voisin, de porte à porte, on veille à la sûreté commune !

Quand un chia renferme de grandes et riches familles, elles comprennent souvent plusieurs centaines de domestiques et de fermiers au nombre desquels se trouvent d'honnêtes et de malhonnêtes gens ; [à cet égard] toute la responsabilité incombe naturellement à leur maître respectif. Quant à ces individus qu'on voit tout à coup apparaître au milieu des marchés et des foires qui se tiennent auprès des villages, les uns ont une profession, les autres n'en ont pas, et ce sont tantôt d'honnêtes et tantôt de méchantes gens ; mais c'est alors au doyen du village ou au chef du pao à s'enquérir secrètement de leur provenance et, dans leurs allées et venues, à observer à la dérobée leurs démarches. Rencontrent-ils des gens qui au lieu de s'occuper d'honnêtes travaux, s'assemblent pour boire, se réunissent pour jouer, font lutter leurs coqs et courir leurs chiens et se rassemblent le soir pour se disperser à l'aube ; ou, d'autres dont les antécédents sont obscurs et les allures douteuses, ils doivent sur l'heure même les dénoncer et ne pas souffrir qu'ils demeurent un instant dans le chia.

C'est dans les vieux couvents au milieu des solitudes ou dans les temples fréquentés au milieu du désordre qu'il est surtout facile aux perfides de se cacher : que là donc on redouble de vigilance et de soin !

Quant à vous qui gardez la contrée, soldats ! vous devez, pendant vos rondes de jour et de nuit, épier et inspecter de concert. N'usez d'aucun prétexte pour soulever le désordre, n'embrassez pas la haine pour perdre l'innocent ; ne vous laissez pas prendre aux présents [des coupables] pour leur permettre de s'enfuir ; n'écoutez pas vos affections pour souffrir qu'ils se cachent ! Unissez vos efforts dans un même but et changez de poste à tour de rôle ! Alors les brigands et les voleurs n'auront plus d'abri pour se cacher et l'armée et le peuple jouiront des douceurs d'un paisible repos !

Rappelons les mesures que prenaient les anciens contre le brigandage : dans chaque village s'élevait un pavillon dans lequel un tambour était placé ; à peine quelqu'un s'apercevait-il d'un vol qu'il frappait du tambour en signe d'appel : [en un moment] tous étaient assemblés et gardaient les points les plus importants ; comment le voleur aurait-il pu s'enfuir ? Aussi dit-on que les lois militaires sont tirées [du système d'organisation] du pao-chia.

Quant à ces endroits, sur les fleuves et les mers, où l'on va et vient constamment, il en est auxquels ne peut s'appliquer la loi du pao-chia. Mais si, lors des évolutions de vos barques, vous vous ordonnez par numéros, si vous vous organisez en flotte et vous inspectez les uns les autres, il sera également impossible aux pirates de se cacher [parmi vous]. Tout dépend de l'application que vous apporterez à la pratique [de ces règles] et aux dispositions prises d'avance.

Si, considérant ceci comme un vain discours, vous ne suiviez nos conseils qu'avec indolence, vous deviendrez [infailliblement] les victimes des brigands et vous perdrez vos biens, ou, restant spectateurs passifs, vous vous compromettrez. Non seulement alors aurez-vous payé d'ingratitude Notre sublime désir de mettre un frein au brigandage pour assurer votre repos, mais encore vous aurez fait fi des seules mesures propres à la sauvegarde de votre personne et de vos biens !

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