Hao-Khieou-Tchouan, ou La Femme Accomplie

Hao-Khieou-Tchouan, ou La Femme accomplie

Roman chinois. Auteur inconnu. Traduit par

Guillard d'Arcy

Editions Jean Maisonneuve, Paris, 1842, 560 pages.

 

Table des matières - Présentation - Bande-annonce - Extrait : Chouï-Ping-Sin change adroitement la fleur   -  Feuilleter La Femme accomplie

 

Comment la cage de jaspe fut-elle ouverte et la serrure d’or forcée ? Pour connaître ce qui en résulta, et les honneurs décernés à l’innocence et à la vertu, il faut lire le chapitre suivant.

 

Télécharger

Quelques personnages du roman

dessins extraits de la traduction de G. Soulié de Morant

Table des matières

 

Chapitres :

  1. Le héros visite la capitale et s’intéresse à un amant malheureux.
  2. Le tigre est attaqué dans son antre et la pierre précieuse retrouvée.
  3. Chouï-Ping-Sin change adroitement la fleur.
  4. Kouo-Khi-Tsou court après la lune et ne prend que son ombre.
  5. Le héros comparaît devant un tribunal ; dangers auxquels sa générosité l’expose.
  6. Soupçons bravés, domicile changé, service rendu en récompense d’un bienfait reçu.
  7. Après cinq nuits passées d’une manière irréprochable, il reçoit une invitation.
  8. Une proposition déplacée précipite le départ de Tie-Tchoung-Yu.
  9. On essaie de tromper Chouï-Ping-Sin, mais on n’excite que son mépris.
10. Chouï-Ping-Sin s’adresse à l’empereur. — Frayeur de l’inspecteur général.
11. Tie-Tchoung-Yu entreprend un voyage de mille lis pour secourir Chouï-Ping-Sin.
12. L’aversion se change en haine dans un festin.
13. Présents de noces refusés. — Projets coupables déjoués.
14. Tie-Tchoung-Yu expose sa vie pour sauver Heou-Hiao.
15. Tie-Tchoung-Yu et Chouï-Ping-Sin se rendent aux instances de leurs parents.
16. Tie-Tchoung-Yu tombe dans un piège et échappe à ses ennemis.
17. Les intrigues coupables sont dévoilées et la vertu brille du plus vif éclat.
18. Le diamant est reconnu sans tache. — Conclusion.


Présentation

 

Les savantes recherches des missionnaires ont jeté de grandes clartés sur l’histoire, la législation, l’état des arts et des sciences à la Chine ; mais leurs écrits contiennent peu de détails sur la vie intime du peuple chinois. On dirait qu’elle a été pour eux à peu près lettre close, et cela se conçoit. Celui qui ne saurait de la France que ce qu’il en aurait appris dans les livres d’histoire même les plus estimés, pourrait-il se vanter de connaître la société française ? Non, sans doute. C’est qu’il y a dans les nations, comme dans les individus, deux faces bien différentes : l’une, tout extérieure, toute d’apparat sous laquelle elles paraissent en quelque sorte drapées ; l’autre, intérieure, domestique sous laquelle elles se montrent à nu ; et cette face de la vie des peuples n’est pas la moins intéressante pour l’observateur. Les savants seuls connaissaient la Chine, et, avant la publication du Yu-Kiao-Li, si le grand nombre croyait aux Chinois, ne pourrait-on pas dire, sans craindre d’être taxé d’exagération, que ce n’était guère qu’à l’état de magots ou de figures à paravents qu’ils s’offraient à l’imagination. Le Yu-Kiao-Li nous en a beaucoup plus appris sur les habitudes des grands et des lettrés, et Blanche et Bleue sur les classes moyennes à la Chine, que tous les travaux des missionnaires. Cependant tout n’est pas dit encore, et le roman que nous publions aujourd’hui nous semble devoir ajouter à ce que l’on savait déjà sur ce peuple si peu connu, si intéressant à connaître, et vers lequel se tournent maintenant les regards de toutes les nations européennes.

Sous le titre de The Fortunate Union, M. Davis publia, en 1829, une traduction anglaise de cet ouvrage. Cette traduction, fort bien faite, n’est guère connue parmi nous que du très petit nombre de personnes qui s’occupent de l’étude des langues orientales, et particulièrement du Chinois. On peut dire que le Hao-Khieou-Tchouan est un ouvrage nouveau pour la généralité des lecteurs français ; et en nous chargeant de la longue et difficile mission de le leur faire connaître, nous avons espéré qu’il ne serait pas sans intérêt pour eux.

Entendons-nous cependant. Si vous cherchez dans un roman chinois le genre d’intérêt qui anime nos romans modernes, fermez le livre ; car vous n’y trouverez ni amours délirants, ni situations saisissantes, ni catastrophes épouvantables. L’auteur est Chinois, ce sont des Chinois qu’il fait mouvoir et agir sous nos yeux ; il nous les peint, non pas peut-être comme nous les aurions imaginés, mais tels qu’il les voit et qu’ils sont réellement ; et si l’on se reporte au temps où il écrivait  , temps où nous étions encore à demi-barbares, peut être son ouvrage ne paraîtra-t-il pas sans mérite.

A l’aide de quelques coupures, il eut été facile de lui donner une marche plus vive, plus rapide ; il eut été alors un peu plus français. Mais aurait-il gagné à perdre de sa physionomie chinoise ? Il est permis d’en douter. Nous pensons, qu’en général, on doit s’abstenir de ces mutilations ; qu’il faut montrer les auteurs étrangers avec la physionomie qui leur est propre ; et cette obligation nous semble d’autant plus impérieuse que la réputation dont ils jouissent parmi leurs compatriotes, est mieux établie. Le Hao-Khieou-Tchouan est un des plus célèbres romans chinois ; son auteur est un des dix tsaï-tseu ou écrivains élégants de la Chine ; et son ouvrage, dès son apparition, prit, parmi les compositions littéraires du même genre, un rang distingué dont le temps ne l’a pas fait déchoir. Si quelque chose nous a soutenu dans nos moments de découragement, c’est la pensée qu’un ouvrage qui fait les délices des hommes supérieurs d’un empire où les lettres ont été de tout temps en honneur, ne peut paraître totalement dépourvu de mérite à des lettrés européens.

En terminant ces courtes observations, qu’il nous soit permis de payer notre tribut de reconnaissance à l’habile professeur de chinois du collège de France, M. Stanislas Julien, dont on connaît la bienveillance pour tous ceux qui s’occupent de littérature chinoise.

La bande-annonce


Extrait : Chouï-Ping-Sin change adroitement la fleur

 

Pour obéir aux ordres de son père, Tie-Tchoung-Yu avait résolu de voyager ; mais il ne savait encore de quel côté il devait tourner ses pas. « Le Chan-Toung, se dit-il à lui-même, est la terre des grands hommes : c’est de là que sont sortis tant d’hommes remarquables par leurs talents et leurs vertus ; dirigeons-nous de ce côté, peut-être aurai-je le bonheur d’en rencontrer quelques-uns. » Décidé par cette considération, il ordonna à Siao-Tan de se procurer une mule, et se mit aussitôt en route pour le Chan-Toung.

Tchoung-Yu se dirigea donc vers le Chan-Toung : mais, pour un moment, nous allons cesser de nous occuper de lui.
Dans Li-Tching, ville du troisième ordre du département de Tsi-Nan-Fou, dans la province de Chan-Toung, vivait un homme d’un rang élevé. Son nom de famille était Chouï, son surnom était Kiu-I, son titre honorifique Tien-Seng. Il avait été membre du tribunal militaire, et s’y était fait un nom illustre par la fermeté et l’indépendance de son caractère. A l’âge d’environ soixante ans, il avait eu la douleur de perdre sa femme qui ne lui avait pas donné de fils et ne lui avait laissé qu’une fille d’une incomparable beauté, nommée Ping-Sin. Ses sourcils étaient comme la feuille du saule printanier, et sa figure avait le doux éclat d’une belle fleur d’automne. Mollement élevée dans l’appartement intérieur, elle avait toute la délicatesse d’une étoffe de soie ; mais quand les circonstances l’exigeaient, elle pouvait se montrer prudente et ferme comme on l’est rarement, même parmi les hommes.
Chouï-Kiu-I adorait sa fille ; c’était son trésor. Comme les devoirs de sa charge le retenaient à la cour, il avait confié à Ping-Sin, qui lui tenait lieu de fils, la conduite de sa maison et la direction de ses affaires ; c’est ainsi qu’elle avait atteint l’âge de dix-sept ans, sans que son père eût songé à la marier.

Chouï-Kiu-I avait malheureusement un frère plus jeune que lui ; ce frère se nommait Chouï-Joun. Il affichait de grandes prétentions au savoir, mais il était, au fond, d’une ignorance extrême : l’illustration que ses aïeux s’étaient acquise dans les hautes fonctions qu’ils avaient remplies, et l’honneur qui lui en revenait, suffisaient à son ambition. Passant sa vie dans la société de gens sans mœurs et sans foi, l’oisiveté avait bientôt amené la misère ; et quand, par des moyens peu honorables, il était parvenu à se procurer quelqu’argent, faute d’ordre, il se trouvait bientôt aussi misérable qu’auparavant. Le sort voulut que cet homme eût trois fils dignes en tout de continuer leur père. Chouï-Joun avait aussi une fille d’une laideur extrême, et plus ignorante encore que ses frères. Elle se nommait Hiang-Kou ; elle était née la même année que sa cousine Ping-Sin, et n’avait que deux mois de plus qu’elle.

Voyant que son frère n’avait pas d’héritier, Chouï-Joun convoitait l’administration de sa fortune qui était considérable. Mais tant que Ping-Sin ne serait pas mariée, comment parvenir à ce but si désiré ? la chose était impossible : aussi il ne se passait pas de jour qu’il ne lui fit faire, par ses parents ou par ses amis, quelque proposition de mariage. On vantait les immenses richesses de l’un, les emplois élevés occupés par un autre : dans un troisième, c’était la jeunesse, le mérite ou la beauté et la grâce de sa personne. Mais ceux qui pouvaient lire dans le cœur de Ping-Sin voyaient bien que pour le moment elle n’était pas disposée à se donner un maître, et que tous ces discours ne faisaient aucune impression sur elle.

Chouï-Joun ne savait plus quel moyen employer, quand il apprit que le fils du conseiller d’État Kouo-Loung-Toung cherchait à se marier : aussitôt il alla le voir pour lui proposer sa nièce. Kouo-Khi-Tsou, le fils du conseiller, était un franc libertin.
— Je ne la connais pas, dit-il, comment est-elle ?

Chouï-Joun lui fit alors le plus pompeux éloge de sa beauté et de son esprit ; cependant, Kouo-Khi-Tsou hésitait encore. Chouï-Joun en conçut de l’inquiétude, et pour lever tous les doutes et le déterminer, il convint avec lui de lui procurer en secret la vue de la jeune fille.

Les deux frères vivaient depuis longtemps séparés ; mais les maisons qu’ils habitaient n’en formaient autrefois qu’une, et par des ouvertures pratiquées dans le mur de séparation, on pouvait facilement voir de l’une dans l’autre. C’est là que Chouï-Joun conduisit Kouo-Khi-Tsou pour lui montrer sa nièce. Celui-ci, transporté de l’incomparable beauté de la jeune fille, déclara qu’il n’aurait de repos que lorsqu’il l’aurait obtenue pour épouse. il envoya quelqu’un en faire immédiatement la demande ; mais Mlle Ping-Sin répondit par un refus positif.

Kouo-Khi-Tsou, désespéré, ne vit d’autre parti à prendre que de mettre, à l’aide de riches présents, le préfet Yo-Chi dans ses intérêts. Celui-ci savait que Chouï-Ping-Sin était la fille d’un membre de tribunal militaire et craignait de s’engager dans quelque démarche imprudente ; mais il ne voulait pas non plus désobliger Kouo-Khi-Tsou. Il fit deux visites à Ping-Sin, et n’ayant pu changer sa résolution, il jugea à propos de ne plus se mêler de cette affaire.

A quelque temps de là, Heou-Hiao, qui commandait l’armée, éprouva une sanglante défaite. L’empereur, irrité contre Chouï-Kiu-Y, qui avait fait choix de ce général, le dépouilla de ses fonctions et l’exila à la frontière de l’empire. Bientôt après, l’empereur appela le ministre Kouo-Loung-Toung dans son conseil. Ces deux nouvelles, qui parvinrent en même temps au préfet, amenèrent un changement dans sa manière de voir, et Kouo-Khi-Tsou étant venu le supplier de nouveau, il lui parut convenable de favoriser les vues du jeune homme : dans ce dessein, il envoya chercher Chouï-Joun.

— Quand les jeunes gens des deux sexes ont atteint l’âge de se marier, lui dit-il, et qu’une occasion favorable se présente, le sage ne doit pas la laisser échapper. Les filles doivent obéir à leur père, c’est la loi commune : mais il est des positions dans la vie qui ne permettent pas d’attendre les ordres d’un père, et dans ce cas, il convient de se soumettre à la nécessité. Votre nièce a atteint l’âge de porter les Ky : elle a perdu sa mère et n’a pas de frère pour la protéger ; elle habite seule dans sa maison avec un certain nombre de jeunes esclaves, ce qui n’est pas très décent. Si son père était encore dans la capitale et dans une position à se choisir un gendre, elle devrait attendre ses ordres ; mais il est malheureusement exilé à la frontière. Qui peut savoir s’il vit encore ? Pourquoi donc ne pas se conformer aux circonstances ? Votre nièce, enfermée dans l’appartement intérieur, ne peut faire un choix. N’est-ce pas à vous, qui êtes son oncle, à le faire pour elle ? L’empereur vient d’élever Kouo-Loung-Toung à la dignité de membre du conseil suprême ; Kouo-Khi-Tsou lui-même, est doué de talents remarquables. Il la demande encore ; c’est un excellent parti, et vous ne devez pas, pour satisfaire un caprice d’un jour, compromettre tout l’avenir de cette jeune fille. Je vous ai prié de venir pour vous entretenir à ce sujet ; si vous ne suivez pas le conseil que je vous donne, non seulement vous ferez manquer un riche mariage à votre nièce, mais encore vous perdrez l’occasion d’obtenir pour vous-même des avantages considérables.

Ping-Sin grondée par Chouï-Joun et ses fils
Ping-Sin grondée par Chouï-Joun et ses fils

Chouï-Joun se rendit facilement à un avis qui s’accordait si bien avec ses désirs secrets.

— Déjà plus d’une fois, dit-il, j’ai parlé en faveur de ce mariage ; mais ma nièce, élevée par mon frère avec trop d’indulgence, s’abandonne à tous ses caprices, sans s’inquiéter des lois de la bienséance. Aussi, à toutes mes propositions de mariage, a-t-elle opposé la résistance la plus absolue. Fort, maintenant, de l’approbation et des sages conseils de votre seigneurie, je retourne auprès d’elle pour lui communiquer vos instructions. Elle objectera peut-être l’ignorance où elle est de la volonté de son père ; mais quand elle connaîtra les ordres de votre seigneurie, elle ne refusera certainement pas d’obéir.

A ces mots, il prit congé et se rendit en toute hâte à la maison de son frère, demanda à voir sa nièce, et dès qu’il l’aperçut, affectant une grande frayeur :

— Dernièrement, dit-il, quand le préfet vint vous faire des propositions de mariage, vous devez vous rappeler tous les efforts que je fis, mais sans succès, pour vous décider à les accepter ; vous savez aussi ce que dit le proverbe : Résistez à un sous-préfet, dans sa colère il causera votre ruine ; c’est encore plus vrai d’un préfet. Tant qu’a duré le pouvoir de votre père, on a eu des égards pour vous ; mais maintenant qu’il a encouru la disgrâce de l’empereur, le préfet pensant qu’il ne reviendra pas de son exil, ne garde plus de ménagements ; il se permet d’étranges paroles, et si vous lui résistez encore, qui peut savoir ce qu’il en adviendra. Vous êtes orpheline et sans défense ; je n’ai pas le moindre pouvoir ; comment pourrions-nous lui résister ? Réfléchissez, d’ailleurs, au mariage qu’on vous propose. Kouo-Loung-Toung vient d’être nommé ministre, et Kouo-Khi-Tsou est un jeune homme charmant et du plus grand mérite. Vous ne l’avez refusé que parce que, dans ce moment, vous n’avez pas de goût pour le mariage. Cela peut durer ainsi deux ou trois ans : mais où trouverez-vous, plus tard, un mari aussi convenable sous le rapport du rang et de la richesse ? Cela vaut bien la peine d’y penser.

— Ce n’est point par obstination que j’agis ainsi, répondit Ping-Sin ; mais dans une affaire aussi importante que le mariage, une jeune fille ne peut se décider toute seule, et doit attendre l’ordre de ses parents. Mon père est exilé ; ma mère m’a été enlevée il y a longtemps ; de qui pourrai-je prendre des ordres ?

— Le préfet a déjà levé cette difficulté. Il faut, dit-il, se plier aux circonstances : quand on ne peut avoir l’autorisation du père, il faut se procurer celle du magistrat. D’ailleurs, sans parler du magistrat, l’oncle peut représenter le père. Persistez-vous encore dans votre refus ?

Ping-Sin laissa tomber sa tête sur sa poitrine, dans l’attitude de la réflexion...

Téléchargement

darcy_femmeaccomplie.doc
Document Microsoft Word 1.5 MB
darcy_femmeaccomplie.pdf
Document Adobe Acrobat 1.3 MB