Henry Ellis (1777-1855)

VOYAGE EN CHINE
ou Journal de la dernière ambassade anglaise à la cour de Pékin

Delaunay et Mongie, libraires, Paris, 1818. Deux tomes, 342 et 398 pages.
(seules sont reprises les pages consacrées à la Chine : t. I, pp. 54-342 ; t. II, pp. 1-290).

 

  • "Vers le commencement de 1815, les facteurs de Canton firent des représentations sur les difficultés toujours croissantes que le commerce éprouvait dans cette ville, par suite de l'oppression du gouvernement local. La cour des directeurs de la compagnie des Indes pensa qu'une ambassade à la Chine pourrait être utile."
  • "Il était impossible, d'après ce qui s'était passé lors du renvoi de l'ambassade russe du territoire chinois, en 1805, de ne pas craindre, dans la circonstance actuelle, le renouvellement d'une discussion semblable, à l'occasion du cérémonial extraordinaire de réception en usage à la cour de Pékin ; car, quoique le cérémonial employé lors de l'ambassade de lord Macartney nous donnât en quelque sorte, le droit de le réclamer une seconde fois, il était à craindre qu'on ne voulût suivre l'ancien usage de l'empire, auquel en effet l'ambassade de lord Macartney avait fait exception."
  • "Quoique ce cérémonial consistant en neuf prosternements, eût été quelquefois pratiqué en Europe, dans le moyen âge, il n'en est pas moins aussi choquant pour l'individu qui s'y soumet, que contraire à l'usage actuel des cours européennes. D'un autre côté, en le considérant comme une coutume ridicule appartenant à la barbarie orientale, il était difficile de se persuader qu'on dût sacrifier les objets plus importants de l'ambassade, au maintien supposé de la dignité nationale, en chicanant, sur un semblable point d'étiquette, dans une pareille occurrence."

Extraits :
4 août : premiers contacts - 13 août : la cérémonie du ko-tou en discussion
23 août : l'atmosphère est tendue - 27 août : le prosternement est toujours en balance - 29 août : l'échec
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Tien-sing. Henry Ellis (1777-1855) : Voyage en Chine, ou Journal de la dernière ambassade anglaise à la cour de Pékin. Delaunay et Mongie, Paris, 1818.
Vue du palais de l'empereur, à Tien-sing.

 

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4 août : premiers contacts

Nous reçûmes la visite de Chang et de Yin, les deux mandarins qui doivent accompagner l'ambassade. Ils se firent précéder de leurs billets de visite, consistant en un morceau de papier rouge, de dix-huit pouces de longueur sur six de largeur, sur lequel leurs noms et leurs titres étaient écrits. Yin arriva le premier, et fut reçu sur le tillac par les capitaines Maxwell et Hall en grande tenue. Il ne voulut pas être présenté à l'ambassadeur avant l'arrivée de son collègue. Lorsque Chang fut arrivé, M. Morrison les conduisit l'un et l'autre dans la chambre de l'ambassadeur, où ils furent reçus par son excellence et les deux commissaires. Après les compliments d'usage, ils firent des questions sur le nombre de barques qui seraient nécessaires pour le transport de l'ambassade des présents et des bagages. On leur remit alors copie des listes qui avaient été envoyées au vice-roi de Pe-Che-Lee. Ils demandèrent ensuite quel était le but de l'ambassade. On leur répondit que l'intention du prince régent était de donner une preuve de sa haute estime pour sa majesté impériale, et de resserrer les liens d'amitié qui avaient existé entre leurs illustres pères. Ils voulurent savoir si l'ambassade n'avait pas quelque autre objet. On leur dit que la lettre du prince régent en faisait mention, et qu'elle serait communiquée au To-chong-tong, ou premier ministre, qui, à ce qu'on nous avait dit, devait nous rencontrer à Tien-sing. On les informa aussi qu'on ferait traduire en chinois la lettre du prince régent, qu'une copie en serait délivrée au ministre, et que l'original serait remis à sa majesté. Tous ces détails parurent les satisfaire.

Ils nous parlèrent alors de la cérémonie du ko-tou, ou prosternement, et nous dirent qu'il serait nécessaire de s'y exercer d'avance, pour que le cérémonial en fut convenablement observé devant l'empereur. On leur répondit que, cette ambassade, comme dans la précédente, on accorderait à sa majesté toutes les marques de respect convenables. Ayant conféré ensemble, il parut qu'ils n'étaient pas très instruits de ce qui s'était passé à cette époque, car ils revinrent à différentes fois sur le même sujet ; mais nous coupâmes court à cette discussion prématurée, en les assurant qu'on ferait tout ce qu'ils serait juste de faire. Nous parlâmes alors de l'espoir que nous avions qu'on nous permettrait d'accompagner S. M. à Gehol ; sur quoi ils nous dirent, comme nous l'avions présumé, que l'intention de l'empereur était de terminer les affaires de l'ambassade avant son départ de Pékin. Nous nous bornâmes à répondre que plus nous pourrions rester de temps auprès de S. M., plus nous serions satisfaits ; mais que, dans tous les cas, nous espérions qu'il nous serait permis d'y passer le même nombre de jours qu'on avait accordés à l'ambassade précédente. Au lieu de nous faire une réponse directe, on nous demanda si nous comptions prendre, à notre retour, la route de terre ou bien celle de mer, qu'avait choisie une partie de la dernière ambassade. Nous répondîmes que notre projet était de suivre la route de Canton. Nous conclûmes de leurs questions et de leurs insinuations, qu'on avait l'intention de conduire notre affaire avec assez de célérité pour que nous pussions être de retour à Tien-sing avant que nos vaisseaux fussent obligés de s'éloigner de la côte ; ou, dans tous les cas avant qu'ils eussent quitté Chusan, afin d'abréger notre voyage par terre. L'envoi du To-chong-tong à Tien-sing semble annoncer qu'on doit nous y faire quelques ouvertures importantes, surtout touchant le cérémonial. L'absence du vice-roi de la province peut bien aussi être le motif de cette mesure ; il paraît néanmoins difficile que de simples arrangements, dans une province, puissent y exiger la présence du premier personnage investi de la confiance de l'empereur. Nous prévîmes qu'on ne donnerait pas beaucoup de temps à la négociation, et nous en conclûmes qu'il conviendrait d'entamer en même temps la discussion sur le cérémonial, et sur les autres objets de l'ambassade.

Tong-chow. Henry Ellis (1777-1855) : Voyage en Chine, ou Journal de la dernière ambassade anglaise à la cour de Pékin. Paris, 1818.
Vue du mouillage et de la pagode de Tong-chow.

 

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13 août : la cérémonie du ko-tou en discussion

À dix heures moins un quart, nous quittâmes nos barques, et nous nous rendîmes, en chaises, à la grande salle où nous devions être reçus. La musique, et la garde commandée par les lieutenants Cooke et Sommerset, précédaient la chaise de l'ambassadeur ; M. Morrison et le fils de lord Amherst la suivaient ; venaient ensuite les commissaires, et enfin toutes les personnes attachées à l'ambassade. La marche eut lieu dans le plus grand ordre, et nous arrivâmes sans avoir éprouvé d'embarras, à la salle où l'on nous attendait. C'était un long édifice soutenu par de légers piliers de bois. Au tiers de la salle, nous aperçûmes une table couverte de soie jaune, indice de la discussion qui allait s'élever. Tous les mandarins étaient revêtus de leurs robes de cérémonie, surtout ceux de l'ordre civil.

Après nous avoir témoigné avec politesse l'espoir que nous n'avions éprouvé aucun obstacle en route, Kwan-ta-jin entra en matière en nous disant que le repas qui allait nous être offert, était expressément ordonné, et nous était véritablement donné par l'empereur ; que, par conséquent, ils observeraient le même cérémonial qui avait lieu en présence de sa majesté, et que nous devions en faire autant. Lord Amherst répondit qu'il était disposé à rendre à l'empereur les mêmes marques de respect qu'à son propre souverain. Ils désignèrent alors particulièrement la cérémonie du ko-tou ou des neuf prosternements comme étant celle qui devait avoir lieu. Lord Amherst déclara que son intention était de se conformer en tout point à ce qu'avait fait lord Macartney.

Le Chin-chae répliqua que cet ambassadeur avait rempli, quant au cérémonial, tout ce qui avait été exigé de lui ; et qu'il avait notamment exécuté la cérémonie du ko-tou, tant en présence de l'empereur qu'en différentes autres occasions : Sou-ta-jin ajouta qu'il se souvenait de la lui avoir vu pratiquer à Canton : et tous deux invoquèrent le témoignage de sir George Staunton comme s'étant trouvé présent, et pouvant certifier le fait qu'ils rapportaient.

Il eût été facile de faire une réponse courte et décisive à une pareille imposture ; mais, comme il était évident que cette demande n'était pas faite à sir George pour rendre hommage à la vérité, mais bien pour en faire une question personnelle, qui ne pouvait conduire qu'à aigrir mutuellement les parties, lord Amherst et moi nous pensâmes que sir George devait éviter la discussion dans laquelle on désirait l'entraîner ; il répondit en conséquence que l'ambassadeur avait puisé les informations sur ce qui s'était passé lors de la précédente ambassade, dans le rapport authentique que lord Macartney en avait présenté à son retour à notre souverain, et que ce rapport avait servi de base aux instructions données à l'ambassadeur actuel ; que, quant à son opinion personnelle sur un fait qui s'était passé il y avait vingt-trois ans, lorsqu'il n'avait encore que douze ans, il était déplacé et absurde de la lui demander, ou de supposer qu'elle pût être de quelque poids dans la décision d'une question sur laquelle une autorité bien plus élevée avait déjà prononcé.

Les mandarins prirent alors un ton très élevé, et dirent que, vraisemblablement, le désir de l'ambassadeur était de plaire à sa majesté impériale ; que jamais on ne se dispensait de cette cérémonie, et qu'il ne serait pas convenable qu'ils la remplissent dans cette circonstance, tandis que l'ambassadeur s'y refuserait. Lord Amherst répondit qu'il avait le plus grand désir de prouver son respect à sa majesté impériale, pourvu que ce fût sans s'écarter de ses devoirs envers son propre souverain ; que c'était dans ces sentiments qu'il avait l'intention, en se présentant devant sa majesté impériale, de lui rendre les mêmes témoignages de respect qu'à sa majesté britannique ; que telle avait été la conduite de lord Macartney, et que telles étaient aussi les instructions qu'il avait reçues de son souverain en cette occasion. Quelques expressions des mandarins donnèrent alors à entendre que l'ambassade ne serait pas reçue. Lord Amherst ajouta que, quelle que fût la peine qu'il en éprouvait, il se voyait contraint de refuser l'honneur du festin qui lui était offert, et qu'à son arrivée à Pékin il serait prêt à soumettre par écrit à sa majesté impériale, les causes de ce refus.

— Quoi ! s'écrièrent les mandarins, refuser les bontés de l'empereur !

Lord Amherst répéta l'expression du regret qu'il en ressentait, et renouvela sa proposition, qui ne fut point acceptée.

On chercha alors à émouvoir les sentiments paternels de lord Amherst ; et on lui demanda s'il manquait assez d'affection pour son fils, pour vouloir le priver de l'honneur de voir l'empereur. On fit valoir plusieurs fois, de part et d'autre, les mêmes arguments. Les mandarins insistèrent à différentes reprises sur le mécontentement de l'empereur et sur la réalité de la soumission de lord Macartney au cérémonial d'usage. Lord Amherst nia formellement que cela fût, et allégua les ordres de son souverain pour refuser de s'y soumettre.

Voyant l'impossibilité de rien obtenir, les mandarins se montrèrent disposés à céder, en s'appuyant toutefois sur l'énorme responsabilité qui pèserait sur eux, s'ils accédaient aux propositions de l'ambassadeur, et en assurant qu'ils n'oseraient jamais en faire le rapport à l'empereur. Lord Amherst leur observa, en réponse, qu'il ne pouvait pas croire que sa majesté ne se contentât pas des mêmes témoignages de respect dont son illustre père Kien-lung avait été satisfait. À cela, ils répondirent que l'empereur Kien-lung avait été très mécontent ; et que les princes et les nobles avaient regardé comme fort extraordinaire qu'ils fussent obligés de se prosterner, tandis que les Anglais restaient debout. Sa seigneurie répliqua que son intention était de concilier les marques de son respect pour sa majesté chinoise avec ce qu'il devait à son propre souverain, et avec les ordres positifs qu'il avait particulièrement reçus à ce sujet ; que d'ailleurs, quelle que fût la cérémonie qui devait avoir lieu, elle ne pouvait rien ajouter à ses sentiments respectueux envers sa majesté impériale. Les mandarins dirent en réponse que les sentiments du cœur se jugeaient par les actions ; et que le refus de lord Amherst ne prouvait pas de sa part toute la vénération possible. Sou-ta-jin qui, jusque-là, ne s'était mêlé à la conversation que pour affirmer qu'il avait personnellement connaissance que lord Macartney s'était soumis à la cérémonie du ko-tou, tant à Pékin qu'à Canton, prit alors tout à fait part à la discussion, en observant que notre commerce dans cette dernière ville était dans le cas d'éprouver beaucoup de dommage du mécontentement de l'empereur ; il ajouta même quelque chose sur la colère que sa majesté impériale pourrait avoir contre le roi d'Angleterre à ce sujet, ce que M. Morrison refusa très judicieusement d'interpréter. Enfin les mandarins dirent qu'ils n'insisteraient pas davantage sur l'accomplissement du cérémonial dans le moment présent ; mais qu'ils rejetaient sur lord Amherst la responsabilité de tout ce qui pourrait en résulter ; qu'ils ne pouvaient pas dire si l'ambassade et les présents seraient reçus ou non ; et que nous devions réfléchir à la défaveur qui pourrait résulter, pour notre nation, aux yeux des autres, du renvoi de notre ambassade. Lord Amherst déclara que la conviction où il était qu'il ne faisait qu'obéir aux ordres de son souverain, ne lui laissait pas la moindre inquiétude ; que ce qu'il proposait de faire, c'est-à-dire, un salut devant la table, était le même témoignage de respect que les membres du grand conseil d'Angleterre, dont il faisait partie, rendent au trône du roi lorsqu'il n'y siège pas ; et qu'on ne devait pas lui en demander davantage.

La discussion sur ce point en resta là. Lord Amherst, en exprimant la satisfaction qu'il en ressentait, dit que, pour prouver jusqu'à quel point il était disposé à concilier les choses, il consentait à faire, dans la circonstance actuelle, autant de salutations que les mandarins feraient de prosternements, quoiqu'il fût d'usage cependant de ne saluer qu'une fois le trône de son souverain. Les Chinois cherchèrent, avec leur astuce accoutumée, à obtenir, outre cette concession volontaire, que lord Amherst mettrait un genou en terre. Comme on devait s'y attendre, son excellence se refusa à cette proposition ; et la discussion semblait devoir recommencer, quand les mandarins renoncèrent tout à coup à cette prétention, après quoi nous nous rendîmes à la salle de réception, la conférence, à laquelle lord Amherst, son fils, les commissaires, et M. Morrison, s'étaient trouvés présent, ayant eu lieu dans un appartement intérieur. Arrivés à la porte, Kwang nous engagea amicalement à peser de nouveau les suites que pouvait avoir notre manière d'agir. On lui répondit que nous n'avions rien à peser ni à considérer, attendu que nous n'étions pas libres d'opter.

temple de Kwan-yin-mun. Henry Ellis : Voyage en Chine. Paris, 1818.
Temple de Kwan-yin-mun près de Nankin.

 

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23 août : l'atmosphère est tendue

Après l'échange de différents messages, nous quittâmes notre logement à midi pour nous rendre à l'édifice public où nous devions rencontrer Ho et Moo, et qui avait été désigné comme lieu de rendez- vous, afin de prévenir toute discussion d'étiquette entre l'ambassadeur et le koong-yay. Nous avions préparé une lettre adressée à l'empereur, contenant un court exposé des principaux arguments employés pour justifier notre détermination relativement au cérémonial, et accompagnée des plus fortes expressions de respect pour sa majesté impériale. Lord Amherst devait lui remettre cette lettre, dans le cas où il ne verrait pas jour à pouvoir négocier avec ses ministres. — Les murs de la ville se trouvaient à peu près à moitié chemin de notre logement à la salle publique. La distance entière n'était guère que de deux milles, mais elle nous parut beaucoup plus longue, à cause du mauvais temps et de l'état de la route, ou plutôt du marais fangeux par lequel nous passâmes. Après quelques discussions, il avait été fourni des chaises à porteurs pour l'ambassadeur et les commissaires ; les autres personnes suivirent en charrettes.

Nous fûmes reçus par Ho (le koong-yay), Moo-ta-jin, Soo et Kwang : à leur droite se trouvaient les mandarins dont nous avions eu la visite la veille. Comme on ne nous offrait pas de chaises, M. Morrison observa que l'ambassadeur entrerait en conversation lorsqu'il serait assis. À cela le koong-yay répondit qu'il se tiendrait debout, et que l'ambassadeur devait en faire autant. Lord Amherst y consentit. Le koong-yay informa alors son excellence que Moo et lui étaient envoyés pour le voir exécuter le cérémonial tartare. Lord Amherst, n'ayant pas répondu sur-le-champ, Ho lui demanda quelles étaient ses intentions. Lord Amherst répondit qu'il avait été député par son souverain vers l'empereur de la Chine pour témoigner ses sentiments d'estime et de vénération à sa majesté impériale ; et que ses instructions lui prescrivaient de s'approcher de sa personne avec le même cérémonial qui avait été agréable à Kien-lung, l'illustre père de l'empereur. Le koong-yay répliqua :

— L'ambassade dont vous êtes chargé regarde le moment actuel, et il faut se conformer au règlement du céleste empire : il n'y a pas d'alternative à cet égard,

L'ambassadeur répondit qu'il s'était toujours flatté que ce qui avait plu à Kien-lung ne serait pas rejeté par sa majesté impériale. Ho dit alors avec véhémence :

— De même qu'il n'existe qu'un seul soleil, de même il n'y a qu'un seul Ta-whang-te ; il est le souverain universel, et tout le monde lui rend hommage.

Lord Amherst, feignant de n'avoir pas entendu cette prétention absurde, déclara, avec beaucoup de modération, qu'ayant le plus grand respect pour l'empereur, et le regardant comme un souverain très puissant, il était disposé à se présenter devant lui, avec de plus grands témoignages de respect qu'il n'en emploierait envers quelque autre monarque que ce fût ; qu'il avait remis un écrit officiel contenant le détail exact du cérémonial qu'il se proposait de remplir ; que cette pièce avait sans doute été soumise à l'empereur, et qu'il était porté à croire que sa majesté impériale en avait été satisfaite. Kwang, auquel lord Amherst jeta un regard, avoua qu'il n'avait pas osé en faire l'envoi.

Le koong-yay termina en disant que le cérémonial tartare devait être suivi ; et que, comme il s'était déjà écoulé plusieurs années depuis la dernière ambassade, ils étaient envoyés pour s'assurer que l'ambassadeur l'exécutait exactement ; que sa majesté impériale prouvait assez le cas qu'elle faisait de notre nation, en choisissant des personnes du rang de Soo et de Kwang, pour accompagner l'ambassadeur à la cour ; que, puisque nous lisions des livres chinois, nous devions connaître la puissance de l'empereur, et savoir qu'il est souverain de l'univers, et par conséquent qu'il a droit à cet hommage ; qu'il n'avait pas autre chose à nous dire ; mais comme il pouvait arriver que l'ambassadeur ne l'eut pas bien compris, Chang et Yin lui expliqueraient ce qu'il y avait à faire, et surtout la nécessité où il était de se soumettre à ce que l'empereur voulait. Ayant paru alors disposé à rompre la conférence, lord Amherst lui demanda s'ils ne se reverraient pas. Ho lui répondit qu'il ne faisait jamais de visites, et que la discussion qui venait d'avoir lieu devait être considérée comme si elle s'était passée en présence de l'empereur ; qu'enfin, l'ambassadeur devait se soumettre au cérémonial tartare, ou bien être renvoyé ; ses lèvres tremblaient de fureur dans ce moment. Lord Amherst demanda alors si cette discussion devait être la dernière ; et, comme cela lui parut devoir être le cas, il remit entre les mains du koong-yay la lettre cachetée adressée à l'empereur en le priant de la présenter à sa majesté, et se retira. Ho la passa aussitôt à Moo-ta-jin. Cette démarche produisit dans le moment un effet extraordinaire ; le koong-yay parut tout-à-coup surpris et fort radouci dans ses manières ; il daigna même faire quelques pas vers la porte pour reconduire son excellence, témoignant ainsi plus de politesse qu'à notre arrivée. On assure que Ho est très en faveur auprès de l'empereur. Il s'est distingué pendant la dernière rébellion, et la gazette de Pékin en a souvent parlé avec éloge.

See-lang-shan. Henry Ellis  : Voyage en Chine, ou Journal de la dernière ambassade anglaise à la cour de Pékin. Paris, 1818.
Mouillage à See-lang-shan.

 

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27 août : le prosternement est toujours en balance

Ho nous reçut de la manière la plus gracieuse. Après quelques questions obligeantes de sa part, lord Amherst lui parla de la note d'hier, et le pria de lui faire savoir sa réponse. Celle-ci n’ayant été ni positive, ni satisfaisante, l'ambassadeur fit alors connaître les motifs de son opposition en se fondant sur les ordres de son souverain qui lui prescrivent le cérémonial dont il devait faire usage en présence de sa majesté impériale, et pria le koong-yay de lui indiquer un motif, s'il en connaissait un, pour s'écarter d’ordres aussi positifs, et qui lui imposaient une aussi grande responsabilité. Ho insista sur la nécessité où était son excellence de complaire aux désirs de l'empereur en faveur du rang suprême de sa majesté, qui devait, disait-il, être considéré comme infiniment au-dessus d'un roi, et dont nous nous concilierions ainsi la bienveillante faveur. Lord Amherst observa qu'il lui était impossible de se départir de l'obéissance qu'il avait toute sa vie professée pour son souverain, et qu'il priait de nouveau le koong-yay de considérer avec impartialité combien la position où il se trouvait était difficile. Ho répéta ses premières observations, et rajouta à demi-voix que notre roi lui-même pourrait bien se mettre dans l'embarras ; ce que M. Morrison déclara, avec son discernement ordinaire, ne pouvoir nous répéter. Lord Amherst parla ensuite de la nécessité où il était que l'empereur le justifiât auprès de sa majesté britannique, en déclarant, qu'il était à la connaissance personnelle de sa majesté impériale que lord Macartney s'était conformé au cérémonial tartare, et qu'il rendît un édit contenant des témoignages honorables pour l'ambassade. Le koong-yay adhéra à ces deux propositions. Lord Amherst passa de là à ce qui était relatif à la communication à établir entre le chef de la factorerie à Canton et l’un des tribunaux de Pékin, basant cette demande sur l'exemple du commerce russe, et sur l'inconvénient qu'il y avait à ce que des intérêts aussi majeurs dépendissent des dispositions personnelles de quelques simples fonctionnaires publics. Ho répondit qu’il ne pouvait prendre sur lui de déterminer de quelle manière l'empereur envisagerait cette proposition ; il convint toutefois qu'elle ne lui paraissait pas déraisonnable et termina en disant :

― Soumettez-vous à la cérémonie tartare, et je serai votre ami à Pékin.

De son côté, lord Amherst finit l'entretien en exprimant le désir qu'il avait de pouvoir réfléchir encore sur la discussion qui venait d'avoir lieu. Le koong-yay parla de prendre tous ensemble demain le chemin de Pékin, et dit qu’il espérait sous quelques heures en rendant la visite de son excellence connaître le résultat de sa délibération. Les manières du koong-yay ont été, d'un bout à l'autre de la conférence, extrêmement aimables ; et tout ce qu'il a dit a d'autant plus de poids, que la conférence a eu lieu devant un nombreux auditoire. Moo-ta-jin, Soo et Kwang étaient présents, ainsi que les six autres impudents mandarins qui nous ont les premiers rendu visite : ce sont des Tartares, des serviteurs de confiance du palais, et, comme tels, fort considérés par tous les fonctionnaires publics.

À notre retour au logement, la discussion sur le cérémonial fut reprise. Lord Amherst déclara qu'à moins que sir George Staunton ne pensât dans l'état actuel des choses, son adhésion au cérémonial ne fût nuisible aux intérêts de la compagnie des Indes, il était disposé, afin d'éviter les suites fâcheuses que pourrait occasionner le renvoi de l'ambassade, et pour tâcher de parvenir à remplir les autres objets qu'elle avait en vue, à céder aux désirs de l'empereur, en se soumettant au cérémonial en sa présence. Je déclarai que je partageais entièrement l'opinion de lord Amherst. Avant de nous donner la sienne, sir George nous dit qu'il désirait consulter les personnes qui l'accompagnaient depuis Canton, et fortifier son propre jugement du secours de leur expérience. Lord Amherst y consentit, en observant néanmoins qu'il considérait toute question tendant à faire envisager notre consentement, comme pouvant compromettre notre dignité personnelle ou nationale, résolue d'avance par le seul fait que lord Macartney avait offert de s'y soumettre, même avec des restrictions ; et surtout par les instructions des ministres de sa majesté ; qu'en conséquence il ne s'agissait que de décider quel effet notre acquiescement pourrait produire à Canton. Sir George, ayant consulté séparément les personnes de la factorerie, trouva que toutes, à l'exception de M. Morrison, regardaient cet acquiescement comme préjudiciable aux intérêts de la compagnie, en ce que le maintien de la considération dont jouissait la factorerie à Canton et par suite, l'utilité dont elle était au commerce dépendaient entièrement de la conviction qu'avaient les Chinois que jamais les Anglais ne se relâchaient d'un principe une fois adopté ; et que cette opinion serait nécessairement détruite, si nous cédions sur un point si essentiel et dans une circonstance aussi importante. Sir George ajouta que telle avait été et était encore sa manière de voir à cet égard. Nous nous rendîmes, lord Amherst et moi, à son avis ; et on prépara, en conséquence, une note pour Ho, contenant notre dernière et irrévocable détermination. Au moment où nous nous en occupions, on nous annonça une visite de sa part, et on nous informa aussi que l'on débarquait les présents. Nous avisâmes de suite au moyen de prévenir le koong-yay, en lui faisant savoir que nous allions lui transmettre à l'instant même une note. Celle-ci fut en conséquence, confiée a MM. Hayne et Davis, qui la remirent à l'un de ses domestiques.

À peine étaient-ils de retour que Koong-yay entra lui-même. Après s'être assis, il pria lord Amherst de ne pas différer à faire ses préparatifs, attendu que l'empereur avait fixé le départ de l'ambassade au lendemain, et à vendredi sa première audience ; il ajouta que la maison de Sun-ta-jin à Hai-teen était destinée à la recevoir. Lord Amherst dit qu'il serait prêt à partir aussitôt que l'on aurait fait les arrangements nécessaires. Ho répondit que les présents étaient déjà débarqués, et qu'il ne voyait aucun inconvénient à ce que tout se trouvât prêt pour le moment proposé. Lord Amherst lui demanda alors une réponse positive à sa dernière note. Le Koong-yay baissa la tête d'une manière expressive, en disant qu'il n'existait plus aucune difficulté, que tout était convenu et qu'il connaissait d'ailleurs les sentiments secrets de l'ambassadeur. Sur cela il se leva et sortit, laissant Kwang pour continuer la discussion ; Lord Amherst, sentant combien il était important de ne pas s'exposer à l'imputation d'avoir laissé croire mal à propos qu'il se conformerait au cérémonial, dit qu'il espérait que l'on avait parfaitement compris sa dernière note ; que son objet était d'exprimer positivement l’impossibilité où il se trouvait d'exécuter le ko-tou ; qu'il se flattait toujours que l'empereur voudrait bien l'admettre de la manière qu'il l'avait proposée. Kwang répondit que les deux parties avaient fait ce qu'elles devaient dans la discussion ; que maintenant tout était convenu, et que nous devions être parfaitement tranquilles ; qu'il ne serait plus question du cérémonial ; que nous pouvions compter sur la bonté de l'empereur, dont le caractère était vraiment aussi libéral que bienveillant. Sir George parut convaincu que les Chinois s'étaient enfin rendus sur le point en discussion, et que nous ne pouvions qu'être satisfaits. Quoiqu'il fût presque impossible de songer à partir le lendemain, sans nous mettre dans le plus grand embarras, Kwang fit valoir avec tant d'instance les ordres positifs de l'empereur, que lord Amherst promit de faire tout ce qui dépendrait de lui à cet effet, sans vouloir cependant fixer l'heure, ce qui lui était d'ailleurs impossible.

Chang et Yin vinrent dans la soirée presser lord Amherst de partir le lendemain matin. Ils répétèrent dans cette occasion ce que l'on avait déjà dit à M. Morrison, que l'empereur rendait Soo et Kwang responsables de toutes les dépenses de l'ambassade depuis Tien-sing, attendu qu'ils avaient pris sur eux de permettre qu'elle continuât à se diriger vers Pékin ; que leur procès s'instruisait dans ce moment devant les tribunaux, que Kwang avait perdu la place lucrative qu'il occupait dans l'administration des sels ; qu'on lui avait donné un successeur, et qu'enfin il y avait tout à craindre pour lui si lord Amherst n'arrivait pas à Pékin le lendemain. Quelque regret que sentît Lord Amherst en apprenant ces détails il ne crut pas devoir partir dans la crainte de ne pouvoir pas paraître d'une manière convenable le jour de l'audience. Les inconvénients que lui avaient déjà fait éprouver la précipitation des Chinois étaient un avertissement suffisant ; il déclara en conséquence la résolution où il était de ne pas quitter Tong-Chow avant que tous les objets, dont l'ambassade avait besoin pour sa présentation publique, fussent partis pour Pékin. Chang dut se contenter de ses raisons et promit de ne rien négliger pour accélérer le départ. En attendant les Chinois y mettent une si grande activité, qu'il est présumable que nous pourrons nous conformer aux désirs de l'empereur.

Gan-king-foo.Henry Ellis : Voyage en Chine, ou Journal de la dernière ambassade anglaise à la cour de Pékin. Paris, 1818.
Vue de Gan-king-foo.

 

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29 août : l'échec

Nous nous trouvâmes, au point du jour, au village de Hai-teen, près duquel est située la maison de Sung-ta-jin, l’un des principaux ministres, laquelle était destinée à nous recevoir : toutefois, nous n'y restâmes pas, et on nous conduisit directement à Yuen-min-yuen, où l'empereur se trouvait dans ce moment. On fit arrêter la voiture sous quelques arbres et on nous conduisit dans un petit appartement faisant partie d'une rangée de bâtiments construits sur une place. Des mandarins à boutons de toutes couleurs étaient de service : parmi eux se trouvaient des princes du sang, distingués par des boutons rubis clair et des marques distinctives brodées sur leurs vêtements. Le silence qui régnait, et un certain ordre en toute chose, annonçaient la présence du souverain. Le petit appartement très délabré où l'on nous avait jetés pêle-mêle, devint dans ce moment le théâtre d'une scène que je crois sans exemple dans l'histoire de la diplomatie. Lord Amherst était à peine assis quand Chang lui remit un message de la part de Ho, pour l'informer que l'empereur désirait le voir à l'instant même, ainsi que son fils et les commissaires. Nous témoignâmes, comme de raison, notre surprise d'une semblable demande, en représentant qu'il avait été convenu que l'audience n'aurait lieu que le huitième jour du mois chinois, laps de temps déjà trop court pour nous permettre de faire nos dispositions avec commodité ; et qu'enfin il était impossible que l'ambassadeur, épuisé de fatigue et d'inanition, et n'étant pas dans un costume convenable, se présentât dans ce moment devant sa majesté. Chang aurait sans doute voulu n'être pas porteur d'une pareille réponse ; mais il fallait cependant bien qu'il s'en chargeât ; Pendant que ceci se passait, l'appartement s'était rempli d'une foule de spectateurs de tout rang et de tout âge, qui se pressaient rudement autour de nous pour satisfaire leur brutale curiosité. C'est ainsi qu'on peut, avec justice, la qualifier ; car ils semblaient plutôt nous regarder comme des animaux sauvages que comme des individus de leur espèce. Il y eut quelques autres messages échangés entre le koong-yay et lord Amherst, qui, aux raisons déjà alléguées, fit encore valoir l'irrégularité, et même l'inconvenance qu'il y aurait, à ce qu'il se présentât sans ses lettres de créance. On lui répondit que, dans l'audience dont il s'agissait, l'empereur ne voulait seulement que voir l'ambassadeur, et n'avait pas dessein d'entamer aucune affaire. Lord Amherst, ayant persisté à dire que cette proposition était inadmissible, et ayant adressé ensuite, par le ministère du koong-yay, une humble requête à sa majesté pour qu'il lui plût de remettre son audience au lendemain, Chang et un autre mandarin proposèrent que son excellence se rendit dans les appartements du koong-yay, d'où il pourrait adresser plus directement ses représentations à l'empereur. Lord Amherst, ayant allégué une indisposition parmi ses autres motifs pour se dispenser de l'audience, vit clairement que, s'il se rendait chez le koong-yay, cette raison, la plus plausible aux yeux des Chinois (quoiqu'on voulût à peine y prendre garde dans ce moment), perdrait alors toute sa force, s'y refusa positivement. Ce refus lui valut une visite du koong-yay, qui, trop agité et trop intéressé à l'événement pour en agir avec cérémonie, s'approcha de lord Amherst, et employa tous les arguments possibles pour le décider à se conformer aux ordres de l'empereur. Parmi les différentes raisons qu'il fit valoir, il n'oublia pas de dire que nous serions reçus suivant notre propre cérémonial, employant pour cela les mots chinois : Ne-muntihlee, « Votre propre cérémonial ». Tout ayant été inutile, il porta la main sur l'ambassadeur avec quelque rudesse ; mais sous prétexte, cependant, de lui faire une violence amicale, et dans le dessein de l'entraîner hors de la chambre ; un autre mandarin suivit son exemple. Son excellence, d'un ton ferme et plein de dignité, leur déclara, en se dégageant de leurs mains, que la force seule pourrait le faire sortir de l'appartement où il était, à moins que ce ne fût pour se rendre au logement qui lui était destiné, en ajoutant qu'il était indisposé et accablé de fatigue, et que le repos lui était absolument nécessaire. Il se plaignit, en outre, de l'insulte grossière qui lui avait déjà été faite, en l'exposant à l'indécente curiosité de la foule qui semblait plutôt le regarder comme une bête fauve que comme le représentant d'un puissant souverain. Il pria, dans tous les cas, le koong-yay de soumettre sa demande à sa majesté impériale, persuadé que, d'après l'indisposition et la fatigue qu’il éprouvait, elle le dispenserait de paraître immédiatement en sa présence. Le koong-yay engagea alors lord Amherst à se rendre dans ses appartements, en l'assurant qu'il y trouverait plus de fraîcheur, d'aisance et de tranquillité. Lord Amherst le remercia en disant que, dans ce moment, il ne serait nulle part aussi bien que dans son propre logement. Le koong-yay, ayant échoué dans sa tentative, quitta l'appartement pour aller prendre les ordres de sa majesté à ce sujet.

Pendant son absence, un vieillard, qu'à son costume et à ses ornements nous jugeâmes être un prince, fut singulièrement occupé à inspecter nos personnes, et à faire des questions sur notre compte. Il paraissait avoir principalement en vue de s'aboucher avec sir George Staunton, comme ayant fait partie de la précédente ambassade ; mais sir George s'abstint fort prudemment de lui parler. Il est difficile de peindre combien la conduite des Chinois, soit comme hommes publics, ou comme particuliers, est rebutante. Je parlerai par la suite de la première ; quant à l'autre, tout ce que je puis en dire, c'est qu'elle est aussi désagréable qu'elle est peu décente.

Peu après la sortie du koong-yay, nous reçûmes un message de sa part, nous annonçant que l’empereur dispensait l'ambassadeur de se rendre auprès de lui ; qu'en outre, il avait plu à sa majesté d'ordonner à son médecin de lui donner tous les soins que son indisposition pourrait exiger. Le koong-yay rentra bientôt lui-même, et lord Amherst se rendit à sa voiture. Le koong-yay, ne considérant pas au-dessous de sa dignité de nous faire faire place, y procéda à coups de fouet, qu'il distribuait indistinctement ; les boutons n'étaient plus une sauvegarde ; et, quelque inconvenante que nous parût la conduite d'un personnage comme Ho, dans cette circonstance, nous dûmes convenir qu'il maniait on ne peut mieux l'instrument qu'il avait en main. ― Il y avait dans la cour quelques figures de lions en bronze, d'une grandeur colossale, qui ne me parurent pas mal sculptées.

Nous retournâmes à Hai-teen par la route que nous avions suivie en y venant. Nous y trouvâmes toutes les autres personnes de l'ambassade, dont les Chinois nous avaient séparés, sans doute à dessein. Tout nous fait du moins présumer qu'ils ne voulaient conduire à Yuen-min-yuen que ceux d'entre nous qui devaient être admis à l'audience de l'empereur ; et que par conséquent si MM. Morrison, Abel, Griffith, Cooke, Somerset et Abbot, se sont trouvés avec lord Amherst c'est seulement par hasard. ― La maison de Sung-ta-jin qui avait été désignée pour nous recevoir, est très commode et agréablement située : on voyait, près du principal appartement, un grand nombre d'arbustes et de fleurs. Son aspect nous plut tellement, que nous jouissions d'avance du plaisir d'y passer quelques jours ; mais il ne devait pas en être ainsi. Il y avait à peine deux heures que nous étions arrivés lorsqu'on vint nous annoncer que les Chinois s'opposaient à ce que l'on déchargeât les voitures ; et, un instant après, les mandarins vinrent nous faire part que l'empereur, irrité du refus qu'avait fait l'ambassadeur de se présenter devant lui comme il l’avait prescrit avait ordonné que nous partissions sur-le-champ. Cet ordre était si positif, que l'on ne nous proposa même pas de le modifier en aucune manière. Ce fut en vain que l'on fit valoir la fatigue que nous avions tous éprouvée ; rien ne pouvait être opposé aux ordres formels de l'empereur. Chang nous fit d'abord entendre que, même le voulussions-nous, il était trop tard alors pour se conformer au cérémonial tartare. Toutefois, il changea un peu de langage dans le cours de la journée, en disant que tout le mal venait de notre opiniâtreté à ne pas vouloir céder sur le seul point en discussion ; et que, peut-être nous pourrions encore être reçus, si nous voulions prendre le parti de la soumission ; il eut même l'effronterie de nier, que l'empereur eût jamais consenti à nous recevoir, comme nous en avions fait la proposition.

Celui de tous qui pressait davantage notre départ, était un officier envoyé par le commandant en chef du district de Pékin, lequel paraissait avoir été particulièrement chargé de faire exécuter les ordres de sa majesté impériale. Comme nous nous y attendions, cet officier nous parla du cérémonial tartare dans les termes les plus ridicules, en assurant que l'empereur avait droit de prétendre à cet hommage par sa supériorité sur tous les rois de la terre ; que nous avions montré une coupable opiniâtreté, en refusant de nous y soumettre ; enfin, que l'empereur écrirait une lettre amicale et explicative au roi d'Angleterre, qui serait, à n'en pas douter, extraordinairement irrité contre l'ambassadeur. Le hasard ayant fait que ce fut à moi qu'il adressa ces observations, je priai M. Morrison de l'informer que l'empereur avait aplani tout ce qui était relatif au cérémonial, en convenant de nous recevoir de la manière dont nous l’avions proposée, et que nous n’avions rien à redouter de la part de notre souverain pour la conduite que nous avions tenue. Le même officier nous pressant de partir sur-le-champ, je l'assurai qu'il n'avait aucun retard à craindre de notre part, par la raison, que nous nous trouvions maintenant privés de la seule chose qui aurait pu rendre agréable notre séjour en Chine, c'est-à-dire, la bienveillance de sa majesté impériale. — L'unique témoignage de civilité que l'on nous ait donné dans cette journée, a été l'envoi d'un beau déjeuner, qui nous fut servi par ordre de l'empereur. Nous y fîmes d'autant plus honneur, que plusieurs d'entre nous n'avaient rien mangé depuis la veille. — À quatre heures, lord Amherst monta dans sa chaise, et nous partîmes. C'est ainsi, d'après toute apparence, que se termine l'ambassade.

Seaou-koo-shan. Henry Ellis  : Voyage en Chine, ou Journal de la dernière ambassade anglaise à la cour de Pékin. Paris, 1818.
Seaou-koo-shan, vu de l'est.

 

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