Camille Imbault-Huart (1857-1897)

Camille IMBAULT-HUART (1857-1897) :Histoire de la conquête de Formose par les Chinois en 1683.

HISTOIRE DE LA CONQUÊTE DE FORMOSE PAR LES CHINOIS EN 1683

Bulletin de géographie historique et descriptive, 1890, pages 123-156.

  • "L'histoire de l'île Formose nous est aussi peu connue que son état actuel, sa géographie et ses habitants. On doit donc attacher une certaine importance aux renseignements fournis par les auteurs chinois sur les événements qui s'y rattachent. L'historien chinois Oueï Yuan, dont l'œuvre, si remarquable, est maintenant en partie traduite, a consacré plusieurs de ses récits à cette île et aux rébellions qui l'ont déchirée depuis qu'elle a subi le joug de la dynastie mandchoue. Son travail vient compléter et éclaircir, quelquefois même corriger, les ouvrages des écrivains du XVIIe siècle, tels que l'Histoire de la Chine, du père de Mailla, et les relations hollandaises."

Extraits : xxx - xxx - xxx - xxx - xxx
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I

Situation de l'île Formose : son aspect général, — Son histoire ancienne. — Les Japonais, établis à Formose en 1621, en sont expulsés par les Hollandais. — Le pirate Tch'eng Tche-loung passe au service de la Chine et dirige sur Formose un courant d'émigration chinoise. — Occupation hollandaise. — Tch'eng Tch'eng-koung, fils de Tch'eng Tche-loung, le Koxinga des Européens. — Ses luttes contre les Tartares. — Battu au Kiang-nan (1660), il songe à conquérir Formose. — Il attaque l'île en 1661 : siège et prise du fort Zelandia ; départ des Hollandais. — Koxinga établit un gouvernement régulier à Formose et emploie ses partisans à la coloniser.


L'île de T'aï-ouan est située dans la mer du Min (Fou-kien) ; du nord au sud, elle a deux mille huit cents li de long ; de l'est à l'ouest, cinq cents li de large. Elle fait vis-à-vis aux quatre préfectures de Fou-tchéou, Ching-'houa, Tsuan-tchéou, et Tchang-tchéou. Elle est à deux cents li environ de l'archipel des P'oung-'hou (Pescadores), et à près de cinq cents li de Hia-men (Amoy).

Son système orographique prend naissance à Ki-loung (au nord), et vient mourir à la pointe Châ-mâ-ki au sud : il a plus de mille li de longueur. À l'ouest et à l'est de ce système, il y a deux plaines fertiles qui s'étendent de la mer aux montagnes et dont la configuration est semblable. Chacune a environ cent li de largeur. L'île de T'ai-ouan est plus grande que les îles Liéou-kiéou réunies et paraît ressembler à celle de Lu-song (Luçon, Philippines).

Avant la famille des Tcheng, nul Chinois n'avait mis le pied dans ce pays qui était aux mains des sauvages. Dans les années Tâ-yé de la dynastie des Soueï (605-617), le général Tch'en Ling, à peine arrivé aux P'oung-'hou, se dirigea à l'est vers l'Océan, puis revint. Il est dit, dans les Annales des Soung, qu'à l'est des P'oung-'hou se trouve le pays de P'i-chô-nâ. Ce nom doit s'appliquer évidemment à l'île de T'aï-ouan.

La dynastie des Yuan ou mongole créa aux P'oung-'hou une charge de gouverneur qui fut abolie ensuite par les Ming, dès qu'ils montèrent sur le trône. Dans les années Kia-tsing (des Ming, 1522-1667), le pirate Lin Taô-kien chercha un refuge à T'aï-ouan, mais en fut expulsé par les gens de Liéou-kiéou. Durant les années T'ien-k'i (des Ming, 1621-1628), les Japonais chassèrent à leur tour de l'île les gens de Liéou-kiéou, et s'y établirent. Les barbares aux cheveux rouges de Hollande, n'ayant pu obtenir de la Chine la cession de Chiang-chan et des P'oung-'hou, qu'ils demandaient, donnèrent aux Japonais des présents magnifiques pour avoir à T'aï-ouan un endroit où ils pourraient faire le commerce. Plus tard, ils trompèrent les Japonais à l'aide du catholicisme et les chassèrent de l'île dont ils restèrent les maîtres. Au commencement de la dynastie actuelle, T'aï-ouan fut prise par la famille des Tcheng.

Tcheng Tche-loung était originaire de Tsuan-tchéou ; il fut d'abord au service des Japonais à T'aï-ouan. Lorsque ceux-ci se retirèrent battus, il parcourut les mers avec une flotte nombreuse. Dans les années Tsoung-tchen (vers 1628), le gouverneur Chen Yéou-loung l'attira à lui et lui fit faire sa soumission. Tcheng Tche-loung défit alors à plusieurs reprises des pirates redoutables. De grade en grade, il parvint aux fonctions de Tou-tou t'oung-tche. À cette époque, il y eut une grande sécheresse au Fou-kien : Tcheng Tche-loung proposa au gouverneur Chioung Ouen-'houeï de transporter à T'aï-ouan, sur des navires, plusieurs dix milliers de gens affamés : on donna à chacun trois taëls et un bœuf. Tous ces émigrés furent employés à défricher les parties incultes de l'île : peu à peu, ils s'agglomérèrent et formèrent des cités.

En ce temps, la famille des Tcheng avait déjà quitté T'aï-ouan, mais deux mille barbares de Hollande y habitaient dans des villes. Plus de dix mille immigrants étaient dispersés dans des villages coloniaux situés autour de ces villes. Les Hollandais ne s'occupaient que du commerce maritime ; ils n'exigeaient point d'impôts fonciers. Ils vivaient en bonne intelligence avec les colons chinois. Les endroits incultes ayant été défrichés, le sol se trouva être fertile et très productif : il y avait trois récoltes par an. Ces champs étaient les meilleurs que l'on pût posséder. Les gens de Tchang-tchéou et de Tsuan-tchéou se rendaient dans l'île comme à un marché.

Tcheng Tch'eng-koung était le fils que Tcheng Tche-loung avait eu de son mariage avec une femme japonaise. Vers la fin de la dynastie des Ming, à l'époque de Loung-vou, prince de T'ang, et de Young-li, prince de Koueï, il leva des troupes, écuma les mers, et ravagea maintes fois les provinces du Fou-kien, du Tche-Kiang et du Kiang-nan jusqu'à la dix-septième année Choun-tche (1660), où il revint du Kiang-nan, complètement battu : il s'empara alors de T'aï-ouan afin d'en faire son repaire.

Dans les deux villes qui leur appartenaient, les Hollandais avaient établi un gouverneur, nommé Coyett, pour les administrer. Ils trafiquaient avec Luçon, la Cochinchine, et autres pays de l'océan Méridional : peu à peu, leurs cités étaient devenues de grands centres commerciaux. Sur ces entrefaites, il arriva que leur trésorier, ayant dans sa caisse un déficit de vingt mille taëls et craignant de ne pouvoir le combler s'il était découvert, prit tout à coup la fuite et s'en fut joindre Tcheng Tch'eng-Koung ; il lui demanda de servir de guide à ses troupes (dans l'entreprise qu'il méditait sur T'aï-ouan). Tcheng Tch'eng-Koung, regardant avec attention la carte de l'île, dit en soupirant :

— C'est là aussi un autre Fou-sang d'au-delà des mers !

La dix-huitième année (1661), Tcheng Tch'eng-Koung vint d'abord stationner aux P'oung-'hou avec cent jonques : son dessein était de pénétrer (dans le port de T'aï-ouan) par la passe de l'Oreille-du-Cerf. En dehors de cette passe, il y avait des bas-fonds et des bancs de sable sur une étendue de plus de dix li, de sorte que les navires ne pouvaient approcher du rivage. Les barbares aux cheveux rouges avaient en outre coulé de grands navires dans le chenal pour en rendre l'accès impossible. Mais, lorsque la flotte de Tcheng Tch'eng-koung se présenta devant la passe, la marée monta incontinent de plus d'un tchang, et plusieurs centaines de jonques purent atteindre facilement le rivage. Surpris, les Cheveux rouges ne résistèrent pas : Tcheng Tch'eng-koung s'empara de la ville de Tch'e-kan, puis s'avança jusqu'à la citadelle où résidait le gouverneur.

Les remparts de cette citadelle étaient construits d'amas de pierres et de couches de briques, que l'on avait calcinées par le feu, et le tout, fondu ensemble, formait un mur de pierre compacte. La solidité en était telle que les boulets n'y avaient aucune prise. Tcheng Tch'eng-koung en fit inutilement le siège pendant six mois. Alors, il fit combler toutes les sources afin de les réduire par la soif, et leur tint à peu près ce langage : « Rendez-moi l'ancienne terre de mes ancêtres, et emmenez vos femmes, vos enfants et vos richesses ! » Et, levant le siège, il recula de trois étapes. Les Hollandais s'embarquèrent sur un grand navire et rentrèrent dans leur pays.

Tcheng Tch'eng-koung resta seul maître de T'aï-ouan : ses possessions constituèrent dès lors un triangle dont cette île était le sommet, et les deux îles de Kin-men (Quemoy) et Hia-men (Amoy), les deux angles. Tcheng Tch'eng-koung traita avec beaucoup de politesse un certain lettré Tch'en Young-'houa, et en fit son conseiller ; il créa des colonies pour défricher le sol, fit réparer les armes, établit des lois, distribua des charges, fit fleurir les établissements d'instruction publique, creusa des étangs et bâtit des résidences pour que les derniers descendants de la dynastie des Ming pussent venir s'y réfugier. Il changea la ville de Tch'e-kan en Tch'eng-t'ien-fou, et institua les deux districts de T'ien-ching et de Ouan-nien ; il appela à lui des gens de Laï-tchéou, de Tchang-tchéou, de Tsuan-tchéou, de 'Houeï-tchéou et de Tch'aô-tchêou, et chaque jour de nouveaux terrains, débarrassés des fourrés qui les occupaient, furent mis en culture.

Cette même année, on exécuta Tcheng Tche-loung sur la place publique (à Péking), et les membres de la famille des Tcheng qui étaient à la capitale furent tous massacrés. Pour empêcher que des secours ne fussent secrètement fournis à Tcheng Tch'eng-koung, un décret impérial ordonna que les populations qui habitaient les côtes sur une étendue de trente li seraient transportées dans l'intérieur des terres et porta défense à tout bâtiment de pêche et de commerce de prendre la mer.



II

Mort de Koxinga. — Son fils aîné King lui succède. — Négociations sans succès entre King et les chefs tartares. — King se porte prétendant au trône des Ming. — Battu par les Tartares, il perd Amoy et Quemoy et se réfugie à Formose. — Nouveaux pourparlers sans résultat. — Révolte du prince Tsing-nan. — King repasse le canal de Formose : sa lutte contre ce prince. — Celui-ci se soumet aux Tartares et les guide contre King (1677). — Heureux et mauvais succès des troupes tartares (1678-1679). — Elles reprennent enfin le dessus et triomphent de Léou Kouô-chien, lieutenant de King.


Tcheng Tch'eng-koung mourut la première année du règne de K'ang-hi (1662) : il avait trente-neuf ans. Son fils aîné, qui tenait garnison à Hia-men (Amoy), se rendit à T'aï-ouan pour lui succéder, et fit mettre à mort le frère cadet de Tcheng Tch'eng-koung qui, pensant que l'héritage devait lui revenir, complotait de s'emparer du pouvoir.

Keng Ki-mô, prince de Tsing-nan pour les Tartares, et le vice-roi Li Chouaï-t'aï, adressèrent des lettres à King pour l'inviter à venir se soumettre : King demanda qu'on le traitât sur le même pied que les souverains des îles Liéou-kiéou et de la Corée, à savoir qu'il ne viendrait pas à terre (sur le continent), qu'il ne couperait pas ses cheveux (à la tartare) et qu'il ne changerait pas ses vêtements. Il ne lui fut pas répondu.

Cette année-là, le prince de Lou mourut dans l'île de T'aï- ouan ; la deuxième année (1663), le prince de Koueï, dernier descendant des Ming, fut aussi réduit : King se crut alors autorisé à prendre le nom de Young-li pour ses années de règne. La troisième année (1664), Keng Ki-mô, avec T'aï Ché-lang, 'Houang Vou et autres pour lieutenants, se mit en campagne : appelant à lui les navires à voile des Hollandais, il s'empara avec leur aide des deux îles de Kin-men (Quemoy) et de Hia-men (Amoy). Dix-huit mille hommes lui firent leur soumission, King s'enfuit à T'aï-ouan. Cependant, le gouverneur du Tche-kiang faisait prisonnier Tchang 'Houang-yèn sur le Chuan-chan de l'île Nan-tien. Tous les pirates des îles furent ainsi soumis. T'aï Che-lang reçut le titre de Tsing-'haï tsiang-kiun, général qui a pacifié les mers. Il partit avec les généraux (ennemis) Tcheou Tsuan-pin et Yang Fou, qui s'étaient rendus à lui, pour aller attaquer T'aï-ouan, mais des vents contraires l'arrêtèrent et les hostilités furent suspendues.

La sixième année (1667), T'aï Che-lang se rendit à la capitale pour faire un rapport sur ces campagnes : mais les ministères décidèrent de tout assoupir. La septième année (1668), un décret impérial enjoignit aux grands dignitaires Ming Tchou et Ts'aï Ming-young d'aller à Tchang-tchéou pour inviter King à se soumettre : comme auparavant, celui-ci prétexta qu'il ne le ferait que si on le traitait comme les souverains des Liéou-kiéou et de Corée.

À ce moment, les Tcheng étaient très affaiblis et n'osaient plus faire d'entreprises sur le continent. La treizième année (1674) eut lieu la révolte des trois princes feudataires. Keng Tsing-tchoung, prince de Tsing-nan, s'empara du vice-roi Fan Tch'eng-mô et souleva la province du Fou-kien ; il demanda des secours aux Tcheng, leur promettant la cession des deux préfectures de Tchang-tchéou et de Tsuan-tchéou. Les gens de T'aï-ouan furent dans la joie la plus grande. Ils se hâtèrent de traverser la mer à l'ouest (de leur île) et de faire leur jonction avec les partisans de Keng. Dans la suite, Keng Tsing-tchoung se repentit (de ses promesses) et ne voulut pas se conformer au traité par lequel il cédait Tchang-tchéou et Tsuan-tchéou.

Il y avait encore au Fou-kien un grand nombre d'anciens partisans de Tcheng Tche-loung et de Tcheng Tch'eng-koung, tels que Tchaô Tô-cheng, général commandant à Haï-tcheng, son subordonné Léou Kouô-hien et Léon Tsin-tchoung, colonel de Tch'aô-tchéou du Kouang-toung : tous se révoltèrent et se rallièrent à King. Celui-ci s'empara alors des villes de Tchang-tchéou et de Tch'aô-tchéou. Keng Tsing-tchoung et Chang Tche-sin en avertirent Ou San-koueï qui ordonna à ce dernier de céder 'Houeï-tchéou à King, de conclure une alliance avec lui et de délimiter avec soin les frontières de ses possessions : mais ces négociations ne purent aboutir. Profitant de ce que Keng Tsing-tchoung se battait contre les troupes tartares, King tourna ses derrières et prit la ville de Ting-tchéou ; il fit aussitôt amener du riz de T'aï-ouan pour faire subsister ses troupes. Keng Tsing-tchoung se trouva ainsi attaqué de deux côtés à la fois.

La quinzième année (1676), Keng Tsing-tchoung fit sa soumission aux Tartares et guida l'armée du prince du sang K'ang et du beitse Fou-la-t'a contre King. La seizième année (1677), notre armée reprit Tchang-tchéou, Tsuan-tchéou, Chaô-vou, Ching-'houa ; 'Houeï-tchéou et Tch'aô-tchéou se rendirent. King s'enfuit à Hia-men (Amoy). Fou-la-t'a étant mort à l'armée, le beitse Laï-t'a le remplaça. Au printemps de la dix-septième année (1678), les Tcheng reparurent le long des côtes et se saisirent successivement de plus de dix villes et bourgs. Comme autrefois, un décret impérial ordonna de transporter de nouveau dans l'intérieur les populations du littoral et de tracer une limite qu'elles ne pourraient franchir.

La dix huitième année (1679), King et ses lieutenants Léou Kouô- hien, Ou Chou, 'Hô Yéou, et autres, attaquèrent les troupes tartares par plusieurs côtés. Le vice-roi Lang T'ing-siang fit venir aussitôt des troupes qui s'avancèrent par quatre routes différentes : de grandes batailles furent livrées pendant deux semaines. Le duc de Haï-tcheng, 'Houang Fang-che, et les généraux Mou-tch'e-lin et Yn Yng-kiu n'eurent pas l'avantage. Léou Kouô-hien les enferma dans Haï-tcheng et entoura la ville de fossés et de palissades (pour en faire le siège). Notre armée de secours arriva sur ces entrefaites : craignant d'être attaqué à la fois devant et derrière, Léou Kouô-hien s'écarta d'un côté et la laissa entrer dans la ville afin de diminuer encore les vivres qui y étaient accumulés ; puis il referma ses lignes de circonvallation. Au sixième mois (juin), il n'y avait plus rien à manger dans la ville. Plus de trente mille de nos soldats et dix mille chevaux tombèrent dans les mains des vainqueurs. Tous les officiers d'un grade inférieur à celui de général furent mis à mort.

Par décret, l'empereur dégrada Lang T'ing-siang et le remplaça par Yaô K'i-cheng ; Ou Ching-tsa fut nommé gouverneur (du Fou-kien) et Yang Tsié, général. Sur ces entrefaites, Léou Kouô-hien profitant de sa victoire, prenait sans coup férir Tchang-p'ing, Tch'ang-t'aï, T'oung-an et s'emparait en chemin de Nan-an, 'Houeï-an, An-yu, Young-tch'oun, Tô-'houâ et autres villes. Il assiégea lui-même Tchang-tchéou, et envoya des troupes assiéger Tsuan-tchéou : afin d'empêcher notre armée d'avancer, les ponts de Kiang-toùng à Tchang-tchéou et de Ouan-an à Tsuan-tchéou furent coupés sur ses ordres.

Le prince du sang K'ang, qui tenait garnison à Fou-tchéou avec ses troupes, n'osa pas venir au secours (des villes assiégées), mais le général Yang Tsié put reprendre 'Houeï-an, et le gouverneur Ou Ching-tsa, avec l'aide du beitse Laï-t'a, réoccupa Tchang-p'ing. Yang Tsié envoya alors des troupes s'emparer secrètement de la digue de Tch'en-chan afin de surgir derrière le pont de Ouan-an et de pousser l'ennemi entre deux feux : il se saisit de ce pont et fit couler à coups de canon les jonques qui s'y trouvaient ; mais le corps d'armée du gouverneur et du beitse ne purent le rejoindre, étant arrêté par les inondations du fleuve. Enfin un certain han-lin, nommé Li Kouang-ti, put le guider par le chemin de traverse de An ki. L'armée réunie marcha sans tarder sur Tsuan-tchéou pour en faire lever le siège. Elle réussit dans cette entreprise.

Alors Léon Kouô-hien, Ou Chou et Hô-yéou s'établirent avec cinquante mille hommes sur les deux montagnes de Loung-'hou et de Von-koung, près de Tchang-tchéou : leur position était très forte. Peu de troupes étaient restées dans la ville de Tchang-tchéou : 'Hâ-la-ta et Keng Tsing-tchoung voulaient que l'on abandonnât la ville et que l'on ne s'exposât point à la bravoure des ennemis, mais Yaô K'i-cheng fit fermer les portes de la ville, défendit de faire flotter les étendards et de battre du tambour, puis, profitant d'un brouillard intense, sortit avec cinq mille de ses meilleurs soldats pour rencontrer l'armée de Léou : les lignes de celle-ci furent mises en désordre et culbutées l'une sur l'autre ; seize camps lui furent successivement enlevés et quatre mille hommes environ eurent la tête tranchée. Tchang-t'aï et T'oung-an retombèrent entre nos mains. Mais les ennemis occupaient encore le pont de Kiang-toung et ne se retiraient pas. À ce moment, l'armée de Yang Tsié arriva au secours, et, faisant sa jonction avec celle de Yaô K'i-cheng, les attaqua de deux côtés à la fois. Après plusieurs combats sanglants, nos troupes enlevèrent le pont de Kiang-toung, et s'emparèrent de tous les passages importants : la route de Tchang-tchéou à Tsuan-tchéou fut dès lors ouverte.

Léou Kouô-hien s'enfuit de nouveau à 'Haï-tch'eng : cette ville est entourée de trois côtés par la mer. Du côté de la terre il fit creuser des fossés où il amena les eaux de la mer, afin d'arrêter nos troupes. Il effectua constamment des sorties et vint attaquer les divers camps du pont de Kiang-toung dans le dessein de reprendre Tchang-tchéou ; en même temps, il rangeait de grandes jonques de queue autour des différentes îles éparses le long de la côte, pour les mettre à l'abri d'un coup de main.



III

La Cour de Péking décide d'attaquer King par terre et par mer. — Yaô K'i-cheng sème la division parmi les partisans de King. — Quelques-uns font leur soumission. — Prise de 'Hai-tcheng, d'Amoy et de Quemoy (1680). — Nouveaux pourparlers avec King : lettre du beitse Laï-t'a à King. — Ils n'ont aucun résultat. — Triste état de la province du Fou-kien après la guerre. — Mort de King (1681). — Son fils K'ô-tsang ; détails sur sa naissance. — Querelles intestines à Formose : complot contre K'ô-tsang qui meurt assassiné.


Les deux armées furent ainsi aux prises pendant une année sans qu'il y eut aucun succès décisif de part ou d'autre. Enfin le gouvernement de Peking décida de réunir une grande flotte de jonques et d'attaquer l'ennemi par terre et par mer, en même temps qu'il appelait à son aide les navires à voiles des Hollandais. Ou San-koueï venait de mourir au 'Hou-nan et notre marine avait récemment perdu Yô-tchéou. Un décret impérial ordonna à l'amiral Ouan Tcheng-sô de se mettre à la tête de deux cents jonques de guerre du 'Hou-nan, du Kiang-nan et du Tche-kiang et de se rendre par mer au Fou-kien. Mais à ce moment les trois cents jonques de guerre que Yaô Ki-cheng et Ou Ching-tsa avaient fait construire étaient terminées et trente mille soldats étaient prêts à marcher. Yaô Ki-cheng avait trouvé moyen de semer la division parmi les partisans de King et d'en acheter quelques-uns à l'aide de présents magnifiques : plus de quatre cents officiers et de quatorze mille soldats firent ainsi leur soumission. Ils furent répartis sur la flotte qui devait attaquer. Yaô K'i-cheng acheta de même par des promesses l'officier qui commandait à 'Haï-tan. Tout étant préparé, et sans attendre que les navires hollandais fussent arrivés, Yaô K'i-cheng et Yang Tsié se mirent en campagne et reprirent Haï-tcheng tandis que Ouan Tcheng-sô s'emparait de 'Haï-tan avec sa flotte. Amoy fut pressée par mer et par terre ; l'amiral ennemi Tchou T'ien-koueï se rendit et livra ses navires ; nos troupes parcourent le pays en vainqueurs, et toutes les îles et toutes les redoutes tombèrent en leur pouvoir. Tcheng-king et Léou Kouô-hien abandonnèrent les deux îles de Kin-men (Quemoy) et de Hia-men (Amoy) et s'en retournèrent à T'aï-ouan. Ces événements se passaient durant le printemps et l'été de la dix-neuvième année (1680).

Au huitième mois (juillet) le prince du sang K'ang laissant ses troupes à la garde des deux îles conquises, reprit le chemin de la capitale. Le beitse Laï-t'a écrivit alors à King une lettre ainsi conçue :

« Depuis que l'on a commencé à se battre sur mer, la Cour vous a invité plusieurs fois à vous soumettre, mais, sans succès, parce que les dignitaires chargés de la garde des côtes se sont entêtés à exiger que vous coupiez vos cheveux et que vous veniez sur le continent. L'entente n'a donc pu s'établir. Originairement, T'aï-ouan n'était pas une possession chinoise. Depuis que, de père en fils, vous avez ouvert et défriché T'aï-ouan, vous avez encore été animés de bons sentiments à l'égard de la Chine et vous n'avez pas imité la fausseté de Ou San-koueï. Pourquoi notre dynastie regretterait-elle un petit pays sis au delà des mers ? Pourquoi ne vous écouterait-elle pas, vous un nouveau T'ien 'Heng, et ne vous laisserait-elle pas vous y promener à votre aise ?

Maintenant que la révolte des trois princes feudataires a été réprimée, la Chine et les pays étrangers ne forment plus qu'une seule et même famille : vous qui êtes brave et plein d'expérience, vous ne pensez certainement pas à remuer les cendres d'un feu éteint et à empoisonner le peuple déjà ulcéré. Déposez les armes si vous pouvez garantir vos frontières, et il sera dorénavant inutile que vous veniez sur le continent, que vous coupiez vos cheveux et que vous changiez vos vêtements. Reconnaissez-vous sujet de l'empereur et apportez tribut, ou, à votre choix, ne vous reconnaissez pas sujet et n'apportez pas tribut. Que T'aï-ouan soit comme le Tchaô-sien de Ki-tse ou comme le Japon de Siu Che ! De la sorte, vous ne nuirez à personne, vous n'aurez de dispute avec qui que ce soit ; les populations des côtes ne souffriront plus et jouiront d'un repos éternel. Réfléchissez sérieusement à tout cela !

King répondit qu'il acceptait ce qu'on lui proposait, mais qu'il voulait conserver 'Haï-tcheng comme centre commercial : mais Yaô K'i-cheng ne pouvait accéder à cette condition et les négociations n'aboutirent point.

La vingtième année (1681), Yaô K'i-cheng et Ou Ching-tsa demandèrent à l'empereur de permettre aux populations du littoral de rentrer dans leurs foyers, ce qui fut accordé. Jadis, au temps de Tcheng Tch'eng-koung, les habitants de Fou-kien payaient d'un côté des taxes aux mandarins, et, de l'autre, étaient obligés de fournir des subsides aux Tcheng ; sur dix familles, neuf étaient ruinées. Lors des révoltes de Keng Tsing-tchoung et de Tchen-king, un grand nombre de gens furent enlevés ou tués ; on ne savait qui était soldat ou ne l'était pas. On avait établi au Fou-kien un ouang ou prince, un beitse, un duc et un comte ; les maréchaux, les généraux et leurs subordonnés avaient chacun un yamen. Les soldats qui formaient leur garde habitaient chez les habitants, mangeaient leur nourriture, employaient leurs fils à des corvées et ravissaient leurs femmes et leurs filles. En outre les populations du littoral, transportées dans l'intérieur, avaient erré à l'aventure. À cette heure où l'armée victorieuse revenait pour se reposer, il y avait encore plus de dix mille habitants qu'elle avait enlevés ou chassés vers le nord. Yaô K'i-cheng pria le prince du sang K'ang d'interdire cette manière de faire, puis il fit une souscription et put en racheter vingt mille. Il dépensait l'argent comme si les lingots n'eussent été que des grains de sable pris dans la rivière. Il avait des espions dans toutes les îles de la côte. Les fonds publics ne suffisant pas, il en vint à commercer pour les augmenter : il trouva ainsi de grandes sommes d'argent.

Lorsque Tcheng-king était à Hia-men (Amoy), Yaô K'i-cheng avait corrompu secrètement un de ses favoris nommé Che 'Haï qui devait attirer son maître dans un port et le faire tomber dans une embuscade de manière à s'en emparer vivant ; de même, lors d'un grand festin donné par King à ses officiers, il gagna le cuisinier et le chargea d'empoisonner tous les convives : mais ces deux projets échouèrent, et les deux traîtres, découverts, furent mis à mort.

Sur ces entrefaites, King mourut. Son fils aîné, K'ô-tsang, homme de haute taille et fort capable, était le fruit de ses relations avec une nourrice. Du vivant de Tcheng Tch'eng-koung, des gens avaient médit de King et de son fils, en disant que ce dernier, illégitime et d'une basse extraction, ne devait pas être considéré comme ayant des droits éventuels à la succession, qu'autrement le pays serait déshonoré. Tcheng Tch'eng-koung étant mort, King se vit obligé de combattre pendant plusieurs années au dehors ; il envoya Tch'en Young-'houa ordonner à son fils K'ô-tsang d'administrer les affaires durant son absence. Lorsque, dans la suite, il eut été battu et fut revenu à T'aï-ouan, il s'adonna chaque jour de plus en plus à l'amour du vin et des femmes. K'ô-tsang fut donc régent pendant deux ans : il traitait les sages avec politesse et avait de la considération pour ses inférieurs ; il était diligent dans l'application des lois. Tout le monde espérait qu'il serait un jour le chef de l'État. Mais beaucoup de gens vulgaires redoutaient sa perspicacité. Les frères cadets de King étaient frustrés dans leurs espérances si K'ô-tsang succédait a son père.

Un officier de la garde, Foung Si-fan, parvint d'abord à enlever par ruse le pouvoir militaire à Tch'en Young-'houa. Ce dernier en mourut de chagrin, et sa mort priva K'ô-tsang d'un grand appui. La femme de Tcheng Tch'eng-koung, qui vivait encore, envenima ces discussions par ses discours : K'ô-tsang fut assassiné en secret et K'ô-chouang fut choisi pour succéder à la dignité de Yen-p'ing-ouang : mais, comme il était en bas âge et qu'il ne pouvait administrer le pays, tout le pouvoir se trouva entre les mains de Foung Si-fan.

Les Tcheng ayant été battus, le ching-jen (sorte de fonctionnaire) Fou Oueï-chen ourdit une conspiration avec treize bourgades qui devaient se révolter le même jour : divulguée, l'affaire ne réussit pas. Foung Si-fan fit tomber dans un piège Chen Joueï, duc de Siu-choun et s'empara de ses richesses. Cette manière d'agir acheva de lui faire perdre l'estime de tous. Pendant son séjour à T'aï-ouan, Léou Kouô-hien fut deux fois l'objet de tentatives d'assassinat de la part de plusieurs envoyés de Yaô K'i-cheng.



IV

Yaô K'i-cheng et Li Kouang-ti adressent des rapports à l'empereur pour demander la conquête de Formose. — La flotte tartare quitte le Fou-kien en mai 1683. — Elle s'empare des P'oung-'hou (Pescadores) et fait voile vers Formose. — Par une grande marée elle franchit la passe de l'Oreille-du-Cerf. — Soumission du dernier descendant de Koxinga et de ses lieutenants (1683).


La vingtième année (1681), Yaô K'i-cheng exposa dans un rapport au trône que la mort de Tcheng King, la jeunesse de son fils et les dissensions intestines étaient autant de circonstances favorables dont il fallait profiter pour conquérir Formose : l'amiral Che-Lang, ajoutait-il, connaissait ces mers à fond et pouvait commander l'expédition. Li Kouang-ti, membre du Conseil privé, adressa un mémoire conçu dans les mêmes termes.

La flotte mit à la voile dans le courant du sixième mois de la vingt-deuxième année (juillet 1683). Yaô K'i-cheng voulait profiter du vent du nord pour se diriger droit sur T'aï-ouan, mais le plan de Che-lang était de se servir du vent du sud pour aller d'abord prendre les P'oung-'hou (Pescadores). « Si l'on ne s'empare pas des P'oung-'hou, disait celui-ci dans un mémoire au trône, T'aï-ouan sera inattaquable ; si les Tcheng perdent les P'oung-'hou, ils se disperseront d'eux-mêmes sans qu'on les attaque », et il proposa de faire seul l'expédition avec trois cents jonques de guerre et vingt mille marins, laissant des vivres et des troupes de secours à Hia-men (Amoy).

Léou Kouô-hien gardait les P'oung-'hou avec vigilance et en occupait tous les ports et toutes les rades : les jonques ne pouvaient trouver de mouillage ; elles jetèrent l'ancre dans la baie de Ts'i-tchaô. Le courant y était rapide, les récifs dangereux ; tout à coup la marée monta et recouvrit les rochers ; les jonques en profitèrent pour entrer. Le long du rivage, sur une étendue de plus de vingt li, Léou Kouô-hien avait élevé des retranchements entre lesquels il avait disposé des batteries. À ce moment un vent violent s'éleva et la nuit survint ; les vagues en colère se dressaient comme des montagnes. Notre escadre d'avant-garde fut dispersée et devint le jouet des flots. Les navires ennemis l'entourèrent et l'attaquèrent de tous côtés : Che-lang, conduisant lui-même un grand bâtiment, força le cercle des ennemis ; il parvint à le franchir au milieu d'une grêle de flèches, et quoique atteint aux yeux de plusieurs traits. Léou Kouô-hien, à la tête d'une flotte montée par vingt mille marins, s'ancra dans la baie du Cœur-de-Bœuf, en même temps qu'il envoyait dix mille hommes occuper la vieille forteresse de Ki-loung, afin de lui faire vis-à-vis. Notre fiotte était ainsi prise entre deux feux et assaillie de front : on décida de la partager en trois escadres. Cinquante jonques devaient sortir de la baie du Cœur-de-Bœuf, cinquante autres de celle du vieux fort de Ki-loung, en vue de diviser les forces des ennemis, tandis que Che-lang attaquerait lui-même le centre avec cinquante-six bâtiments divisés en huit sections ; quatre-vingts navires formaient l'arrière-garde. Chaque escadre était subdivisée en trois divisions. Les jonques n'étaient pas en ordre de bataille, mais elles devaient fondre cinq ensemble sur un seul navire ennemi. Ce terrible combat naval dura un jour entier : à plusieurs centaines de li à la ronde l'on entendait les cris des combattants et le bruit du canon. Plus de cent jonques ennemies furent brûlées ; plus de douze mille ennemis furent tués.

Toutes les fois qu'on cherche en mer à présager le temps qu'il va faire, on remarque que si les nuages s'assemblent, le vent s'élève, que si le tonnerre se fait entendre, le vent cesse. Ce jour-là, au commencement de l'action, des nuages noirs apparurent, et les ennemis s'en félicitaient déjà lorsque le tonnerre éclata subitement : terrifiés, ils subirent une défaite complète. Léou Kouô-hien, à travers mille dangers, parvint à s'échapper par la passe 'Héou.

Notre flotte profita de sa victoire pour se diriger sur T'aï-ouan : elle arriva bientôt à la passe de l'Oreille-du-Cerf, mais ne put la franchir à cause des bas-fonds : elle resta douze jours à l'ancre en pleine mer, attendant une grande marée. Tout à coup un brouillard épais s'éleva, la marée monta de plus d'un tchang, et les navires, se laissant flotter, entrèrent dans le port. Les Tcheng étaient dans le plus grand effroi : « Nos ancêtres conquirent T'aï-ouan grâce à la marée de la passe de l'Oreille-du-Cerf, disaient-ils ; le même phénomène se reproduit aujourd'hui ; c'est le ciel qui le veut ! » Au septième mois (août), ils envoyèrent des députés pour faire leur soumission : le rapport que Che-lang et Yaô K'i-cheng envoyèrent à ce sujet fut sanctionné par l'empereur durant le huitième mois (septembre) ; alors Tcheng K'ô-chouang, Léou Kouô-chien et Foung Si-fan reconnurent l'autorité de l'empereur. Ils rendirent deux sceaux d'or que Tcheng Tch'eng-koung avait reçus des Ming et qui portaient l'un, les mots : « Roi de Yen-p'ing pour les Ming », et l'autre, ceux-ci : « Grand maréchal appelé pour réduire les Tartares » ; et cinq sceaux d'argent de duc, marquis, comte, maréchal et général. Tout fut livré aux vainqueurs : territoire, familles, trésors, munitions de guerre. T'aï-ouan était pacifiée. C'était alors l'automne de la vingt-deuxième année du règne de K'ang-hi (1683).

Che-lang envoya par mer à l'empereur une missive lui faisant part de la victoire : elle arriva à la capitale en sept jours. Celle que Yaô K'i-cheng avait expédiée par terre la suivit de deux jours. Par décret impérial, Che-lang fut créé marquis de Tsing-'haï (mer tranquille) ; K'ô-chouang reçut le titre nobiliaire de duc et fut classé parmi les 'Han-kiun. Léon Kouô-hien et Foung Si-fan furent créés comtes.

L'île de T'aï-ouan devint une préfecture, T'aï-ouan-fou, qu'on divisa en trois districts, ceux de Tchou-lô, T'aï-ouan, Foung-chan ; les îles P'oung-'hou formèrent un t'ing ou division maritime. Dans la suite, on créa un nouveau district, celui de Tchang-'houa, au nord de Tchou-lô ; plus au nord encore on institua le t'ing de Tan-choueï.

La principale autorité de l'île fut d'abord un censeur chargé de surveiller, puis un tao tai (intendant de cercle) avec pouvoirs militaires, ayant sous ses ordres un général et huit mille marins et soldats ; aux P'oung-'hou, il y avait un capitaine de frégate et deux mille marins. Le nombre total des troupes fut élevé plus tard à quatorze mille hommes, ce qui constituait une bonne garnison.

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